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La guerre en Irak vue de Russie,
interview du major-général Vladimirov

29 juin 2003

Marines en IrakC

omment les militaires russes considèrent-ils l'opération militaire alliée en Irak? L'entretien ci-dessous avec le major-général Vladimirov, mené par le journaliste Maxim Kalashnikov et publié dans le magazine économique Russkiy Predprinimatel, montre une dose importante de mauvaise foi et d'incompréhension, mais également une perspective originale qui mérite l'attention.

L'effondrement rapide de la machinerie politico-militaire irakienne sous les frappes américaines a découragé les cercles militaires russes. Mais les "intellectuels" pro-occidentaux de Russie ont au contraire été enchantés : regardez, disent-ils, il n'y a eu aucune bataille acharnée dans la capitale, il n'y a eu aucune guerre de partisans, et nos généraux experts se sont collectivement couverts de ridicule. Il n'y a aucune armée, disent-ils, plus forte ou plus intelligente que celle des Américains ! Sortons cependant du monde de la propagande, et essayons de tirer une évaluation des leçons irakienne pour notre pays.


«... Les Américains étaient si certains de leur supériorité militaire qu'ils s'attendaient à l'effondrement immédiat de l'armée irakienne et à la reddition en masse de ses unités. »


L'entretien ci-dessous a été mené avec le vice-président du Collège d'Experts Militaires, le major-général Aleksandr Vladimirov. Il a prédit au tout premier jour de l'opération que la campagne durerait environ un mois, et il a été 10 jours trop long [en fait, du Koweït à Tikrit, les forces armées US ont mis effectivement un mois, note du traducteur]. Ancien chef d'état-major et commandant remplaçant d'une armée, Vladimirov a servi en Extrême-Orient, en Allemagne, en Biélorussie et au Vietnam. Ancien conseiller militaire du Soviet Suprême et adepte de la théorie de la passion de Lev Gumilev, il considère les événements du point de vue du développement des civilisations et est l'auteur de plus de 80 ouvrages et publications.


  • Aleksandr Ivanovich, contre toute attente, et malgré l'expérience des attaques en Yougoslavie et en Afghanistan, les Américains n'ont pas cette fois mené une préparation aérienne des jours durant, et ont à la place lancé simultanément une opération terrestre et aérienne, comme en accord avec la doctrine Reagan de 1982 [on suppose que le journaliste fait ici allusion à la doctrine AirLand Battle développé par le TRADOC à cette époque, NDT]. Est-ce qu'ils contrôlaient vraiment les événements depuis le 19 mars, et n'avaient aucun doute sur leur capacité à soudoyer le Haut commandement de la Garde républicaine, après avoir brisé psychologiquement les derniers généraux irakiens ?


  • Je pense que les Américains n'ont pas tiré les leçons de leurs opérations précédentes, que ce soit dans le Golfe, en Yougoslavie ou en Afghanistan. Ils étaient si certains de leur supériorité militaire qu'ils s'attendaient à l'effondrement immédiat de l'armée irakienne et à la reddition en masse de ses unités. Les Américains avaient l'impression que les Kurdes et les Chiites allaient jouer le rôle de l'infanterie, comme l'Alliance du Nord en Afghanistan. Ils se sont trompés sur les deux points. Mais d'un autre côté, la troisième idée de leur plan – un complot dans l'entourage militaire de Saddam Hussein – a payé. Bien qu'après un certain délai.

    Il convient de noter que la reconnaissance aérienne et spatiale américaine, survolant l'Irak de jour comme de nuit, n'a pas été en mesure de localiser toutes les forces. Les Irakiens ont tiré les conclusions de leur défaite en 1991, et ont été capables de bien se camoufler. Leur chars de combat n'ont toujours pas été trouvés, par exemple. [Ce point est manifestement contredit par le nombre d'images montrant des chars irakiens, détruits ou non, le long des axes d'attaque alliés, NDT]

    Il ne s'agit pas de surestimer la puissance américaine. Ils sont toujours peu soigneux ! Cela est clairement apparu même à partir des reportages télévisés tournés dans les zones de combat – une large colonne s'arrête sur la route, et ces supermen professionnels, sans se soucier de leur sûreté, se mettent à dormir sous leurs chars [Vu la qualité et la supériorité des senseurs dans les formations américaines, cette quiétude est compréhensible, ce d'autant qu'aucune information n'a signalé d'unité attaquée de nuit par surprise, NDT]. Mais il faut admettre qu'ils ont appris en cours de route, et que leur supériorité technique et économique colossale a prédéterminé leur victoire.

    Qu'avons-nous vu de nouveau en Irak ? La stratégie de la guerre "contractuelle" ou "achetée". C'est la raison pour laquelle les Américains n'ont pas détruit l'Irak avec des opérations aériennes prolongées sur plusieurs jours. Aujourd'hui, ce n'est un secret pour personne que des discussions avec les généraux irakiens ont été constamment menées. Comme dans les temps anciens, une grosse quantité d'or peut venir à bout d'une forteresse même inexpugnable. Le chemin de cette victoire a été littéralement pavé de dollars, et c'est au sens propre ce qui explique le succès américain – et non les armes de haute précision. Regardez avec quelle bravoure et quel acharnement les défenseurs de Bassorah ont tenu. Pourquoi ? Parce qu'ils ont été coupés de leurs commandants à Bagdad, et qu'ils n'ont pas reçu d'ordres à part ceux remis initialement.

    Au contraire, une force majeure de la Garde républicaine à Karbala, à 100 km au sud de la capitale, et qui aurait pu frapper l'arrière et le flanc des forces américaines pendant la tempête de sable, est restée inactive [En fait, la tempête de sable n'a pas entravé l'action des chasseurs-bombardiers américains, et ces derniers ont justement exploité les mouvements irakiens durant cette période pour leur infliger des dégâts considérables, NDT]. C'est la raison pour laquelle les militaires irakiens n'ont pas détruit de pont ou de barrage. Et si vous vous rappelez la manière avec laquelle les Américains se sont concentrés à l'aéroport international… Même les lance-roquettes multiples dont était équipée la garnison de Bagdad (environ 40 Grads !) auraient été suffisants pour y déclencher un bain de sang. Les résultats de salves d'artillerie conventionnelle à partir d'emplacements dissimulés auraient été les mêmes [Encore aurait-il fallu pour cela que les unités irakiennes soient informées de la présence américaine à l'aéroport de Bagdad, et qu'elles parviennent à éviter les raids blindés menés en parallèle à son investissement, NDT].

    Les Américains ont réussi à faire un deal, et l'armée irakienne de 400'000 hommes a reçu le droit de se "dissoudre". Il n'y pas eu de guerre au sens où nous entendons ce terme, et les hurlements de politiciens comme Nemtsov [Boris Nemtsov, leader du parti l'Union des Forces de Droite, NDT], selon lesquels les Américains ont démontré un exemple de l'art militaire moderne, reflètent une totale incompétence.



  • Il me semble que les Etats-Unis utilisent de manière créative l'expérience des commandants Rouges de notre propre guerre civile. Ces derniers, connaissant le pauvre niveau d'entraînement de leurs soldats, ont utilisé "l'usure de l'arrière" contre les armées Blanches avec l'aide de la propagande et des réseaux communistes. A la différence que maintenant l'usure est générée par les rites de la "démocratie coloniale" qui ont été plantés partout avec la destruction de l'honneur national, des objets sacrés et de la moralité, avec l'essor de la corruption de masse et de la pauvreté, en raison desquels de nombreuses personnes apparaissent prêtes à tout pour des dollars. De sorte que le commandant non-américain pense, "au diable tout cela – le principal est d'avoir assez de 'fric' pour une vie faite de filles et d'appartements de luxe." Et il apparaît que l'élément-clé de l'opposition à une agression américaine consiste à préserver la volonté de combattre, d'abord et avant tout dans la frange supérieure de l'armée et de la classe politique.


  • Je suis d'accord avec vous. La puissance de la volonté devient aujourd'hui le principal facteur de la guerre. Les Irakiens arabes ont prouvé qu'ils étaient loin derrière les Afghans, les Tchétchènes et les Palestiniens dans leur passion. Le régime dictatorial en Irak a de toute évidence sapé cette passion. Tout le malheur de tels systèmes est précisément que les niveaux supérieurs de l'armée peuvent être de professionnels, mais qu'ils n'ont ni honneur ni conscience, de même qu'aucune aptitude à prendre des décisions indépendantes. Ceci est également valable pour notre propre corps de commandement. Nous n'avons aucun problème avec les soldats, les capitaines et les colonels – ce que l'on ne peut malheureusement pas dire des généraux. La tendance négative dans la sélection des cadres en Russie continue à être marquante, et les mauvais choisissent eux-mêmes les mauvais. Il suffit de rappeler les scandales actuels de corruption et de manque de talent au sein du corps de commandement supérieur. Et ce n'est pas la faute de l'actuel Ministre de la Défense, Sergei Ivanov. Tout cela a commencé dans les dernières années soviétiques, et s'est développé de manière luxuriante pendant la première vague des "démocrates".

    Mais pour élargir la perspective, nous devons apporter de grands changements à ce pays. La nouvelle Russie et la nouvelle armée doivent être construites simultanément…


  • Pouvons-nous supposer qu'une telle guerre attend aussi la Russie ? J'ai lu plusieurs articles de centres d'analyses occidentaux (la Rand Corporation, par exemple) qui redoutent que notre pays, en raison de la corruption et de la crise économique, va se transformer en refuge pour les capitaux du crime et l'infrastructure financière du terrorisme international dans les années 2010. Le monde entier affronterait la menace que les technologies militaires et les appareils nucléaires russes tombent entre les mains de terroristes, et des soldats devraient être engagés en Russie. Notre potentiel nucléaire se serait délabré et réduit dans des proportions indécemment basses, et ils nous administreraient aussi leur "choc et stupeur." Et ils achèteraient de nouveau les généraux, et la volonté serait tellement brisée que nul ne serait capable de décider l'usage d'armes nucléaires…


  • Que dites-vous donc ! Nous allons maintenir et moderniser notre potentiel nucléaire, même si nous ne le clamons pas à tous vents. Et je ne crois pas non plus à la possibilité d'une agression américaine directe – ils ne décideront pas de faire cela. La Russie n'est pas l'Irak, et les Russes ne sont pas des Arabes. Une incursion dans notre pays se transformerait aussitôt en une nouvelle Guerre Patriotique. Je suis certain qu'il n'y a aucune menace d'intervention militaire directe de la part des Etats-Unis. L'agression dans un sens figuratif, l'agression culturelle, avec l'implantation sur notre sol des valeurs américaines, est bien plus réaliste. Dans ce sens, nous pourrions vraiment perdre notre indépendance sans la perte de la souveraineté territoriale. Mais le problème ne sera pas résolu à l'aide des Forces armées – l'armée ne protège que le territoire, et ce sont les peuples qui doivent se battre pour leur survie historique.

    Tous les calculs montrent que les Etats-Unis n'ont plus que 30 à 50 ans à vivre en tant que superpuissance. Leur pays devrait ensuite se déchirer sous son fardeau impérial et en raison de contradictions internes, alors qu'une guerre civile pourrait également éclater. Dans ce sens, Vladimir Vladimirovich Poutine avait raison lorsqu'il a dit qu'il ne souhaitait pas la défaite de l'Amérique. Le chaos dans ce pays, où se trouve tant d'armes de destruction massive, serait un cauchemar pour toute l'humanité. La Russie n'est toujours pas prête à s'inquiéter du problème suscité par le partage de l'héritage américain. En matière d'incursions directes, une bien plus grande menace à la Russie est posée par l'expansion d'une "mutation" particulièrement agressive de l'islam – le wahhabisme. Et j'aimerais encore souligner le danger des projets nationalistes et chauvins de la Chine, qui sont terrifiants pour la Russie en raison de leur masse physique.


  • Mais néanmoins, Aleksandr Ivanovich, le problème de la mauvaise sélection des généraux en Russie doit être résolu. Il ne va pas se résoudre de lui-même. Ou est-ce que tous les membres de l'Union des Forces de Droite qui pensent que l'introduction d'une armée de métier en Russie va automatiquement résoudre toutes ces questions ont raison ?


  • C'est l'un des principaux problèmes non seulement de la réforme militaire, mais également de l'administration étatique. Nous avons aujourd'hui besoin de purger le personnel et de créer une politique des cadres au niveau national. Nous avons besoin de promouvoir les tous meilleurs. Comment ? Si nous parlons des Forces armées, nous devons avoir un mécanisme pour la sélection des cadres qui ne soit au moins pas pire que celui du Parti communiste. Le Comité Central du Parti avait des départements qui géraient l'encadrement dans les structures du pouvoir, et j'ai par exemple moi-même eu le commandement d'une division à Staraya Ploshchad [Le quartier-général à Moscou du Parti communiste, NDT]. Ils nous y ont amenés à partir de commandants de bataillons, ils nous ont cultivés. Certes, je vous l'accorde, le Parti a péri en raison de sa rigidité, mais aujourd'hui la situation est encore pire, et il n'y a aucun mécanisme du tout pour la sélection des cadres.

    Pour commencer, nous avons besoin de créer une administration militaire principale qui ne soit subordonnée qu'au Président de la Russie, et non au Ministère de la Défense. C'est elle – et non le Ministre de la Défense ! – qui devrait être concernée par la politique des cadres et la réforme militaire, et elle devrait vérifier précisément la situation réelle des troupes et leur aptitude au combat. Les fonctions de cette administration ne devraient pas être assumées par l'Etat-major général, parce que celui-ci a commis toutes sortes de gaffes ces dix dernières années. Peut-être cette politique des cadres nous protègera aussi contre l'apparition de "commandants de la Garde républicaine" à vendre comme les Irakiens, et nous mettrons des patriotes qui l'honneur, la conscience et la capacité de décider à la tête de nos troupes.


  • Mais à quoi ressembleront les futures Forces armées russes ? Nous ne parlons pas des Forces armées actuelles – ces restes en décomposition de l'Armée Soviétique. Il est clair que le pays est incapable de copier la puissante machinerie militaire des Etats-Unis.


  • Il est difficile de répondre tout de suite à cette question. Je vais affirmer fermement une chose – nous avons besoin des Forces armées aujourd'hui, et pas dans 30 ans. Nous ne pouvons en aucun cas nous transformer en un détachement antiterroriste destiné à nettoyer des territoires, en une sorte de grande équipe SWAT. Mais en fait, après la visite en Russie du Secrétaire général de l'OTAN Robertson, notre chef de l'Etat-major général, Anatoly Kvashnin, a décidé de faire de la guerre contre le terrorisme la tâche principale de notre armée. Je suis convaincu que l'armée russe devrait remplir trois missions. Premièrement, maintenir notre présence géopolitique dans des régions importantes. Deuxièmement, protéger la souveraineté du pays. Troisièmement, être la garantie de l'ordre constitutionnel. Disons comme en Turquie. Cette disposition devrait être écrite dans la constitution.

    Bien entendu, la situation est très grave. Notre armée est littéralement en train de s'effondrer selon les districts. Et alors que le commandement fonctionne, que les réformes avancent et que les capacités de combat sont maintenues au niveau de l'époque soviétique, comme dans le district de Léningrad, dans d'autres… je ne donnerai aucun nom, mais dans un district, par exemple, ils ont perdu plusieurs milliers de camions qui ont disparu sans laisser de trace. Notre armée doit être reconstruite aujourd'hui, et sur des principes complètement différents.

    Malheureusement, nous n'avons dans ce pays aucun modèle de réforme militaire. L'idée selon laquelle l'essentiel consiste à opérer une transition sur une base contractuelle relève d'une incompétence totale. La Russie n'a pas les capacités économiques pour cela. Je suis sûr que nous aurons un mélange de formations différentes, que des unités irrégulières de Cosaques vont finalement apparaître comme forces frontalières et futurs détachements de partisans afin d'entraver les forces d'un agresseur. Nous devons également penser à sauver le corps des officiers. Après tout, ce sont les officiers qui sont les seuls professionnels des arts militaires – ils contrôlent la violence. Tous les autres, les sous-officiers et les hommes du rang, sont juste les spécialistes de son application. Alors des gens complètement ignorants comme Nemtsov peuvent bien parler d'une "armée professionnelle". Les Américains ne comprennent pas de quoi il s'agit, car ils considèrent leur propre armée comme faite de volontaires.

    Nous avons en définitive besoin de créer l'armée d'une Russie nouvelle, avec pour ce faire un nouveau "code génétique" – une idéologie d'Etat, un vrai professionnalisme et une éthique interne. Et je suis profondément convaincu que ceci est pour notre pays la principale leçon de la campagne irakienne.




Texte original: Maxim Kalashnikov, "A Baghdad Quiz for Russia", Russkiy Predprinimatel, 15.6.03    
Traduction et réécriture (à partir de l'anglais): Maj EMG Ludovic Monnerat
    








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