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Analyse en temps réel des opérations militaires:
l'exemple de l'Irak (4)

26 octobre 2003


Soldat de la 3e DI à Bagdad, 9.4.03L

es nombreux experts civils et militaires présents dans les médias durant l'offensive coalisée en Irak se sont pour la plupart totalement trompés dans leurs prédictions et analyses. Est-ce que l'appréciation d'une opération militaire en cours sur la base de sources ouvertes est chose impossible? Quatrième partie d'une autocritique.

Le dimanche 6 avril, la pression américaine sur la capitale s'est maintenue : d'autres raids mécanisés de la 3e DI ont déclenché des combats acharnés, alors que l'appui aérien rapproché de l'aviation US a pris pour cible chaque blindé, chaque pièce d'artillerie et chaque bunker retardant la progression des troupes terrestres. A l'est de Bagdad, les Marines progressaient plus facilement dans les faubourgs et recevaient un accueil enthousiaste de la population à majorité chiite.


«... Cette euphorie de la population irakienne était explicitement contestée par nombre de commentateurs en Europe, malgré les témoignages des journalistes suivant les troupes coalisées. »


L'accueil était identique à Karbala, prise par la 2e brigade de 101e division aéromobile dans ce qu'un correspondant de presse a qualifié « d'atmosphère de carnaval », ainsi qu'à Bassorah, la grande ville du sud prise de manière opportuniste par la 1ère division blindée britannique, après des raids un peu plus profonds que les jours précédents. Etonnamment, cette euphorie de la population irakienne était explicitement contestée par nombre de commentateurs en Europe, malgré les témoignages des journalistes suivant les troupes coalisées.



L'impossible défense de Bagdad

Ma chronique quotidienne pour Le Temps parue le lendemain se concentrait sur la défense de la capitale, et tentait d'appréhender les possibilités pour le régime de Saddam Hussein de tenir la ville.

Affirmation

Evaluation

"Comment Saddam Hussein peut-il défendre sa capitale? Face à des forces alliées en infériorité numérique mais tellement difficiles à contrer, la seule issue possible pour le régime consiste à prolonger la guerre, en multipliant les pertes militaires américaines et civiles irakiennes, tout en contrôlant le cœur de Bagdad. Autrement dit, mener un combat retardateur qui permettra d'échanger l'espace contre le sang."

Cette analyse conserve une valeur théorique certaine, dans la mesure où le temps et non l'espace constituait l'élément déterminant de ce conflit. Infliger des pertes importantes - plusieurs centaines de combattants - aux formations US pour la prise de la capitale aurait certainement eu un impact psychologique sur la population américaine, et en partie justifié les prédictions apocalyptiques des opposants à la guerre. Mais à court terme, cela n'aurait guère modifié le sort du régime baasiste.

"Mais une ville d'une surface dépassant 150 km2, traversée de grandes avenues et pénétrée par 10 axes de communication majeurs n'est pas aisée à défendre - même avec des milliers de combattants fanatiques. Il est impératif de limiter la liberté de manœuvre de l'attaquant en multipliant les obstacles tels que barricades, fossés antichars et destructions préparées, et ainsi de créer des secteurs de retenue où les blindés et l'infanterie adverses seront bloqués et vulnérables à des embuscades."

Le combat en milieu urbain exige la plus haute densité de troupe qui soit, aussi bien pour l'attaquant que pour le défenseur, et Saddam Hussein était déjà loin du compte. La mécanique décrite ci-contre relève d'une tactique élémentaire dans un tel milieu, qui a par exemple été pratiquée avec une efficacité sanglante à Grozny par les indépendantistes tchétchènes. Prendre une ville impose le contrôle des axes principaux, seuls à même de permettre la circulation des véhicules blindés - dont l'appui est déterminant - et des véhicules de transport - essentiels pour le ravitaillement des formations en munitions et en eau, ainsi que pour l'évacuation.

"Pour mener celles-ci, il s'agit donc de disposer de petits groupes de fantassins équipés de mitrailleuses et d'armes antichars portables, se déplaçant alternativement dans des véhicules blindés et à pied, et se tenant prêts à occuper des positions de tir renforcées selon les tentatives d'incursion repérées. De plus, le déploiement permanent de snipers opérant par équipes et agissant de manière infiltrée oblige l'adversaire à tenir de vastes secteurs, et donc à immobiliser des forces importantes."

Il s'agit ici d'une description sommaire des tactiques utilisées précisément en Tchétchénie, et qui conservent leur valeur quel que soit le théâtre d'opérations. Cependant, il faut relever que les blindages à base d'uranium appauvri utilisés par les chars de combat Abrams et les surblindages équipant les véhicules de combat d'infanterie Bradley leur ont conféré une protection remarquable contre les armes antichars à charge creuse de type RPG-7. De plus, le manque d'entraînement évident des paramilitaires irakiens - habitués à réprimer une population impuissante et non à se battre à mort - ainsi que celle des djihadistes étrangers a réduit drastiquement l'efficacité de leurs actions. Aucune armée digne de ce nom n'a défendu Bagdad.

"Cependant, rien de tout cela ne semble avoir été fait à Bagdad. Les images télévisées ne montrent que quelques malheureuses tranchées et des sacs de sable dérisoires. Les incursions blindées américaines font des coupes effroyables dans les rangs de défenseurs ineptes. La seule protection dont Saddam Hussein paraît s'être assuré est celle que constitue sa propre population, qui est soumise aux effets des combats puisque aucune évacuation - même des femmes et des enfants - n'a eu lieu.

Autant dire que la métaphore de la prise d'otages reste plus que jamais de rigueur. "

L'analyse quitte ici le domaine théorique de la tactique du combat en milieu urbain pour montrer de manière réaliste l'état des défenses de la capitale. Il faut rappeler que Saddam Hussein jugeait les Américains incapables d'entrer dans Bagdad, et encore moins à même de s'en emparer. Toute la question n'était donc pas de savoir si la coalition parviendrait à prendre la capitale, mais en combien de jours et avec quelles dommages collatéraux. A juger les réactions de la population les jours suivants, il est évident qu'elle était otage d'un régime honni.



La journée du 7 avril a commencé par l'annonce d'une offensive majeure au cœur de Bagdad, un raid mobilisant quelque 130 véhicules blindés de la 3e DI et mené notamment le long du Tigre afin de s'emparer de deux palais de Saddam Hussein, sous les caméras des médias occidentaux stationnés à Bagdad. Dans son Journal du matin sur RSR La Première, Fathi Derder m'a posé quelques questions pour essayer cerner l'importance de ce développement.

Question

Réponse

Evaluation

"On peut dire que là on est dans une étape décisive pour la victoire des forces américano-britannique ?"

Décisive, c'est encore beaucoup dire, car Bagdad est une très grande ville, et l'affaire ne sera pas réglée comme ça en quelques jours. En revanche, lorsque l'on engage une brigade blindée complète comme l'on fait ce matin les Américains, c'est clair que là véritablement on a des buts importants à viser. Et là, c'est clair, les Américains en restent toujours à leur stratégie, à savoir cibler les forces du régime, ses troupes, ses symboles, ses bâtiments de commandement.

Analyse partiellement correcte. J'avais compris que la 3e DI avait pour la première fois engagé un raid avec une brigade entière, au lieu de bataillons renforcés les jours précédents, mais je ne pensais pas que ce type de manœuvre provoquerait l'effondrement subit du régime. En fait, les Américains pensaient de même, et ce raid aurait dû s'achever par un retrait des forces engagées sur l'aéroport international ; c'est le commandant de division qui, en jugeant sa posture plus sûre après le raid, a demandé au général Franks et obtenu l'autorisation de rester sur ses nouvelles positions.

"Et là, quelle étapes peuvent suivre, à partir du moment où ils touchent des points aussi symboliques, névralgiques et essentiels que le palais principal de Saddam Hussein, que peuvent-ils faire de plus, finalement ?"

Continuer en fait à réduire la résistance armée du régime de Saddam Hussein, jusqu'à ce qu'en fait cette résistance soit tellement faible qu'ils puissent se permettre d'entrer dans toute la ville et véritablement d'en prendre possession.

Ce qui sera le cas 2 jours plus tard, lorsque les Marines venant de l'est opèreront la jonction au centre de la capitale avec les troupes de l'Army. Le jugement de la mécanique alliée est donc ici correct.

"Mais quelle résistance armée serait-on tenter de demander ce matin ? On a un peu l'impression qu'il y en a quasiment pas, vu la facilité pour les forces américano-britanniques de rentrer au cœur de Bagdad, auprès de sites aussi importants que ça ?"

Si comme samedi passé, chaque incursion blindée américaine aboutit à la mort de centaines, voire de milliers de combattants irakiens, c'est sûr qu'assez rapidement il ne reste plus grand monde pour faire face. Maintenant, il faut aussi bien dire que les préparatifs de défense faits à Bagdad sont extrêmement minces : il n'y a quasiment pas de fortification, pas de fossé antichar, pas de véritable barricade. Donc effectivement les Américains peuvent assez largement rouler où ils veulent. Maintenant, aller à pied où ils veulent, ça c'est encore autre chose.

L'analyse correspond à la réalité : les défenseurs de la capitale ont subi des pertes telles les jours précédents qu'ils n'étaient plus en mesure d'opposer une résistance sérieuse, alors que les troupes régulières et la Garde républicaine se sont dissoutes parfois avant même le premier contact. La distinction entre la progression en char ou à pied, de ce fait, est un brin spécieuse : ce jour-là, c'est l'effondrement psychologique du régime qui était à portée de canon. Ce que les commandants au sol ont bien saisi.

"Avec visiblement un choix de stratégie très clair, les bombardements aériens ont été suspendus, on passe vraiment à des attaques terrestres, maintenant ?"

Tout à fait. Il y a quand même encore un appui aérien, il y a en permanence des hélicoptères de combat, des chasseurs-bombardiers qui se tiennent prêts à appuyer les troupes au sol. En revanche, maintenant, il s'agit bel et bien de faire du travail de détail, et de cibler précisément les forces du régime.

La remarque sur l'appui aérien est fondée, et il faut savoir que chaque bâtiment de Bagdad a été numéroté par l'US Air Force précisément pour accroître la précision de ses frappes. Pour ce qui est de cibler les forces de régime, c'est bien à cela que s'employaient les troupes terrestres de la coalition.

 


Durant la journée du 7 avril, les dénégations ostentatoires du Ministre irakien de l'information paradant à Bagdad étaient fréquemment perturbées par les déflagrations et les rafales émises par les combats alentour. Mais ces combats étaient à sens unique, et la capacité des forces coalisées à s'emparer des villes au prix de pertes minimes dans leurs rangs faisait l'objet de ma chronique publiée le lendemain dans Le Temps.

Affirmation

Evaluation

"L'un des aspects les plus impressionnants de l'opération «Iraqi Freedom» reste les pertes minimes enregistrées dans les rangs anglo-américains: après 19 jours, moins de 120 soldats sont ainsi décédés, et ce chiffre doit être comparé aux 378 morts alliés de la première guerre du Golfe. De plus, sur les 82 militaires américains tués à la date du 4 avril dernier, seuls 41 ont effectivement perdu la vie au combat, contre 31 par accident, 7 dans des attentats et 3 par des tirs fratricides."

Ces chiffres ne sont pas tout à fait exacts, dans la mesure où les accidents incluent les décès consécutifs au crash d'un hélicoptère Black Hawk qui, entre temps, a été annoncé comme abattu. On peut donc estimer que 50 morts sur 82 au 4 avril découlaient de pertes au combat. Cela dit, cela ne change rien au fait que ces pertes étaient effectivement minimes. Et elles le sont toujours. Du 19 mars à aujourd'hui, 398 soldats alliés sont morts sur le théâtre d'opérations irakien : 346 Américains, 50 Britanniques, 1 Danois et 1 Ukrainien. Depuis le 1er mai dernier, date de l'annonce de la « fin des opérations de combat majeures » par le président américain, 208 soldats américains sont décédés en cours d'opérations, dont environ la moitié par une action adverse.

"Cette incapacité des combattants irakiens à infliger des pertes significatives est encore plus frappante dans les villes, dont la configuration favorise pourtant le défenseur. Pour prendre progressivement le contrôle de Bassorah, une ville d'au moins 1,2 million d'habitants qui devait abriter quelque 3000 fidèles du régime, les Britanniques n'ont par exemple perdu que 5 hommes."

La prise de Bassorah reste en effet exemplaire : contre une opposition largement fanatique et estimée à quelque 3000 hommes, les Britanniques ont en effet engagé une brigade blindée appuyée par plusieurs éléments d'une brigade aéromobile, soit entre 5000 et 6000 hommes. Traditionnellement, le milieu urbain exige de l'attaquant un rapport de force nettement supérieur ; lors de l'opération « Bouclier Défensif » au printemps 2002, les Forces de défense israéliennes ont ainsi pris des villes comme Naplouse et Jénine avec un rapport de 10 contre 1.

"Comment expliquer ces chiffres aussi bas? En premier lieu, il faut admettre que les troupes anglo-américaines ne se trouvent pas en territoire hostile, et que la population et l'armée régulière irakiennes ne leur ont opposé aucune résistance. Cela leur a permis de cibler directement les paramilitaires, miliciens du parti Baas et membres de la Garde républicaine, en détruisant chaque jour davantage leurs capacités et leur volonté."

Cette affirmation a été maintes fois confirmée par les faits, et tous les sondages effectués en Irak ont montré que la majorité de la population considérait l'action des forces coalisées comme une libération d'un régime honni. Alors qu'à cette date de nombreux commentateurs s'accrochaient encore à la théorie confortable du « sursaut nationaliste » et à l'image d'une population antagoniste, le simple examen des chiffres montre que la prise des grandes villes irakiennes était finalement très proche de la libération de certaines villes françaises ou belges durant la Seconde guerre mondiale.

"Par ailleurs, ces forces spécialisées dans la répression ont démontré aussi bien leur courage que leur incompétence: face à des soldats coalisés équipés de véhicules lourdement blindés et coordonnant leurs actions aux plus bas échelons avec l'appui de l'artillerie et de l'aviation, la foi dans le raïs n'a suffi qu'à établir une résistance acharnée et suicidaire qui a coûté la vie à des milliers d'entre eux.."

Là encore, les récits et les chiffres fondaient une telle analyse. Des attaques frontales par vagues typiques de la Première guerre mondiale se sont produites en Irak, avec les mêmes résultats désastreux. Durant cette journée du 7 avril, la TF 3/15 de la 3e DI a ainsi mené 10 heures de combats acharnés pour maintenir ouverte la route menant aux palais de Saddam ; mais le bataillon n'a eu que 2 tués et 30 blessés sur 750 hommes, alors qu'au moins 850 combattants adverses - dont une grande part de Syriens - avait péri.

"En fait, le nombre de combattants irakiens tués doit être entre 50 et 100 fois supérieur à celui des soldats anglo-américains morts au combat. Et plusieurs fois supérieur à celui des civils décédés, ce qui contraste avec la plupart des conflits armés contemporains."

Ce barème implique qu'entre 2500 et 5000 combattants irakiens et djihadistes étrangers sont morts au cours des combats, ce qui semble un minimum. Aucune estimation solide n'existe, mais il est probable qu'entre 10'000 et 15'000 combattants ont péri sous les coups de la coalition. En revanche, il est exact de relever que la population civile a comparativement moins souffert de ces combats.




La chute de Saddam Hussein

Le 8 avril, les combats se sont poursuivis au cœur de la capitale, alors que l'incertitude planait sur le sort du dictateur irakien suite à une nouvelle frappe de décapitation déclenchée le jour précédent. Les Marines ont franchi la rivière Diyala, un affluent majeur du Tigre, et se préparaient à faire leur entrée au centre de Bagdad. Par ailleurs, une polémique commençait suite au tir d'un obus de char sur l'hôtel Palestine où résidait une grande partie de la presse internationale, et qui tua deux journalistes.

Ma chronique pour Le Temps publiée le lendemain décrivait de manière détaillée la frappe de décapitation, sans élément méritant d'être évalué ici. En revanche, une analyse mise en ligne le 8 avril sur mon site tentait de faire le point sur ces trois semaines de combats ; au-delà du caractère décisif des succès coalisés, quelques éléments d'analyse peuvent être relevés.

Affirmation

Evaluation

"…les Alliés auront encore besoin d'au moins une semaine pour prendre le contrôle total non seulement de Bagdad et de Bassorah, mais aussi de la partie nord du pays avec les grandes villes de Tikrit, Mossoul et Kirkouk. Des combats sporadiques mais violents les attendent certainement, et les forces conventionnelles actuellement engagées semblent largement liées. […] Autrement dit, des renforts sont sans doute nécessaires pour pousser au nord de Bagdad et renforcer le contrôle au sud du pays, ce qui semble pouvoir être les missions respectives de la 4e division d'infanterie mécanisée et du 2e régiment de cavalerie blindée."

Le besoin de renforts a été largement confirmé, et il semble aujourd'hui probable que le Central Command avait bel et bien comme intention initiale d'engager deux fois plus de troupes à Bagdad. Cependant, ce sont les Marines qui sont arrivés les premiers à Tikrit et qui s'en sont emparé sans grand combat, grâce à la mobilité de leurs bataillons de reconnaissance, alors que les deux grandes villes du nord ont été prises par les Peshmergas kurdes qu'encadraient les forces spéciales coalisées et la 173e brigade aéroportée. Comme déjà mentionné, la 4e DI n'entrera que le 14 avril en Irak, passera le 16 à Bagdad et atteindra Tikrit, son futur secteur d'engagement, le 19. Quant au 2e régiment de cavalerie blindée, il ne sera engagé dans le secteur est de Bagdad qu'à partir du mois de mai.

"…le plus important pour les militaires alliés consiste désormais à éviter que l'oblitération du régime n'entraîne tout le pays dans le chaos, et c'est donc la capacité à opérer une transition permanente entre le combat, le maintien de l'ordre et l'aide humanitaire qui sera désormais déterminante. […] éviter des règlements de compte sanguinaires et spectaculaires fera également partie des missions assignées aux forces chargées de contrôler le pays. De plus, l'effondrement des Forces armées irakiennes risque d'entraîner la mise en circulation d'armes à grande échelle et ainsi de perpétuer une instabilité dispersée."

Cette analyse apparaît fondée, et la transition indiquée a par exemple été pratiquée avec une efficacité variable selon les unités. De manière générale, les formations les plus polyvalentes - comme l'infanterie aéroportée ou les Marines - ont eu peu de difficultés à s'adapter aux exigences de leur mission, qui impose un contact avec la population, un apprentissage des cultures locales et une délégation de compétences maximale. En revanche, les formations centrées sur le combat symétrique - comme les troupes mécanisées ou l'artillerie - ont eu beaucoup de mal à se départir de comportements standards axés sur la protection des troupes et sur la puissance de feu. Aujourd'hui, 40% des soldats US en Irak remplissent des tâches qui sortent de leur fonction militaire.

"Les Alliés n'en sont pas moins sur le point d'obtenir un succès total dans ce conflit. Même si la libération effective du peuple irakien constitue a posteriori une justification probablement suffisante pour avoir déclenché l'opération, il reste encore à démontrer que le régime de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Et pour transformer le succès militaire en succès stratégique, des efforts nombreux et prolongés seront indispensables."

Ces efforts nombreux et prolongés sont précisément ceux que les troupes de la coalition accomplissent actuellement dans le pays, et qui seuls sont susceptibles d'avoir un effet à long terme. Concernant la légitimité de l'opération militaire, l'avis de la population irakienne est certainement le plus important - et celle-ci soutient majoritairement le renversement de Saddam Hussein. Même si les recherches des inspecteurs en armes n'ont trouvé que des programmes d'armes de destruction massive à défaut de stocks utilisables, cette adhésion populaire constitue en soi un succès décisif.



Le lendemain, au 21e jour de la guerre, l'entrée sans combat majeur des Marines au centre de la ville a symbolisé la chute de Saddam Hussein. En une image destinée à entrer dans l'Histoire, et d'ailleurs préparée à cette fin, un char du génie américain abat une gigantesque statue du président irakien sous les vivats d'Irakiens en liesse. Les médias du monde entier retransmettent, souvent en direct, cette scène exceptionnelle - tout comme les pillages qui l'accompagnent. Quelques heures plus tôt, Michel Eymann m'a invité à commenter cette actualité frappante dans le Journal de la mi-journée de la Première.

Question

Réponse

Evaluation

"Ces scènes de pillage et de liesse, est-ce que ça veut quand même dire la fin prochaine de la guerre ?"

Oui, la fin prochaine, sans doute, le début de la fin, ça maintenant on peut le dire. Il faut quand même rappeler qu'il reste encore des formations de la Garde républicaine au nord de Bagdad, et en particulier des éléments fort du régime dans le secteur de Tikrit. Ca veut dire qu'il faudra au moins plusieurs jours pour les forces alliées pour vraiment nettoyer les dernières poches de résistance, à la fois à Bagdad et au nord du pays.

Cette analyse est correcte : aux alentours du 15 avril, les derniers soldats irakiens en uniforme s'étaient tous rendus ou avaient tous déserté. Il y avait effectivement plus d'une division de la Garde républicaine entre Bagdad et Tikrit, mais elle s'est finalement dissoute presque sans combattre.

"Comment est-ce que vous expliquez cette absence totale de forces de l'ordre irakiennes à Bagdad ?"

C'est typiquement en fait un effondrement psychologique. On sait que depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines, les Américains ciblent spécifiquement les éléments de commandement du régime, non seulement les troupes, mais aussi les bâtiments, les symboles, et à partir de l'instant où les gens prennent conscience que le régime n'a plus les moyens de se maintenir en place, cela s'effondre comme un château de cartes.

Une appréciation un peu simple qui n'est que partiellement juste. Il y a effectivement eu une prise de conscience, entre le 7 et le 9 avril, chez de nombreux responsables baasistes comme au sein de la population. Toutefois, les déclarations de plusieurs responsables du régime déchu montrent qu'un ordre de prendre la fuite a certainement été donné au plus haut niveau.

"Est-ce que l'armée américaine a les moyens en hommes et en matériel pour entre guillemets sécuriser Bagdad ou est-ce qu'elle a désespérément besoin de renforts, qui pourraient être représentés par cette fameuse 4e division d'infanterie mécanisée actuellement stationnée au Koweït ?"

Je crois que les renforts seront nécessaires. J'imagine bien que les Américains comme les Anglais ont suffisamment de moyens actuellement pour maintenir un contrôle je dirais assez important sur les villes dans lesquelles ils sont. En revanche, pour continuer des actions offensives d'envergure vers le nord du pays, et prendre sous leur contrôle les villes de Tikrit, Mossoul ou Kirkouk, là ils ont certainement besoin de renforts, oui.

Là encore, cette analyse n'est que partiellement juste. Le besoin de renforts relève aujourd'hui de l'évidence : les Américains avaient probablement au 9 avril plus de 80'000 hommes en Irak, contre près de 150'000 début juin. De même, le contrôle de ces villes a été établi à la suite d'une rotation des troupes - la 4e d'infanterie et la 101e aéromobile contre les Marines et la 173e brigade. Cependant, cette poussée vers le nord après Bagdad n'a pas nécessité en soi de renfort.

"Mais d'après ce que vous savez, ces troupes qui sont au Koweït, combien de temps leur faudra-t-il pour arriver à Bagdad, je crois qu'il y a environ 500 km ?"

Alors 500 km, si vraiment les conditions sont idéales, on peut y arriver éventuellement en 24 heures. Maintenant, si l'on s'imagine qu'il faut quand même s'arrêter à la moitié pour refaire le plein, tout ça, il faut 2 ou 3 jours pour que les formations soient en position à l'intérieur de la ville.

Une appréciation réaliste : la 4e DI mettra effectivement 2 jours pour franchir les quelque 500 km séparant Bagdad de la frontière irako-koweïtienne. Mais elle ne s'arrêtera pas à Bagdad. Seule une brigade de la 101e viendra renforcer la 3e DI et les Marines, de sorte que moins de 40'000 soldats US avaient la lourde tâche de contrôler une ville de 5 millions d'habitants.

"On a annoncé que Tikrit était bombardée ce matin. C'est l'ultime symbole, c'est la ville natale de Saddam, c'est donc vraiment la fin ?"

La fin, vraiment, est très proche, et il ne serait pas étonnant non plus que la résistance à Tikrit soit beaucoup moins forte qu'on aurait pu l'attendre.

Ce qui a effectivement été le cas. La prise de Tikrit n'a somme toute entraîné que quelques escarmouches, puisqu'elle a surtout nécessité des négociations avec des responsables tribaux.



Ma chronique dans Le Temps, consacrée à la difficulté d'alterner coercition armée et maîtrise de la violence, ne contenait que des éléments factuels purement théoriques. Cette journée historique n'en a pas moins suscité de nombreux commentaires. En début de soirée, Mehmet Gultas m'a ainsi invité à répondre à d'autres questions dans l'émission Forums de la Première.

Question

Réponse

Evaluation

"Pour vous, sur le plan militaire, c'est fini maintenant?"

Non, c'est pas fini. C'est bien le centre de gravité principal, à savoir le pouvoir vraiment de Saddam Hussein à Bagdad qui a été visé, donc là c'est un but qui est maintenant certainement atteint, mais il y a encore bien d'autres choses à faire. D'une part, il s'agit vraiment d'assurer le contrôle non seulement de Bagdad mais aussi de Bassorah, et de la plupart des grandes villes en fait au sud de Bagdad, et d'autre part, bien sûr, de monter au nord et de prendre le contrôle de ces grandes villes que Kirkouk, Mossoul et Tikrit.

L'analyse est évidemment juste, et la phase de stabilisation ne faisait que commencer. Cependant, je n'imaginais pas que les jours suivants se dérouleraient de cette manière : l'entrée des combattants kurdes dans Mossoul et Kirkouk me semblait devoir être évitée, et ils n'y resteront en grand nombre que quelques jours, et je ne pensais pas que le calme serait aussi manifeste dans les villes au bord de l'Euphrate - passées sous le contrôle des Marines ou en voie de l'être.

"Et ça, ce ne sera pas des formalités, selon vous?"

Une opération militaire n'est jamais une formalité, il y a toujours des risques. Surtout que la résistance va certainement encore subsister sous la forme de petites poches de gens fidèles qui n'ont aucun espoir en fait dans une nouvelle vie, sous un autre régime. Mais ce qui est certain c'est que la grande résistance qu'on pouvait attendre au centre de Bagdad n'aura certainement pas lieu à Tikrit ou dans d'autres villes.

Là aussi, l'évaluation est correcte. Ces petites poches font aujourd'hui quelques milliers de combattants et mènent la vie dure aux troupes de la coalition comme à la population irakienne, sans toutefois parvenir pour l'heure à infléchir la transformation du pays. Le fait que la chute de Bagdad a sonné le glas de toute résistance conventionnelle montre bien que le centre de gravité du régime de Saddam Hussein s'y trouvait.

"Est-ce finalement le fait que Bagdad soit tombée quelque part ne va pas aider les Américains à rapidement terminer la guerre dans d'autres lieux?"

En fait, depuis des mois, la tête du régime est visée. Elle a été visée par différentes manière, d'une part des opérations psychologiques, qui visaient en fait à désolidariser les différentes divisions de l'armée régulière du commandement principal irakien. Maintenant, depuis 3 semaines, c'est évidemment une destruction physique qui a principalement lieu - interruption de communications, destruction de postes de commandement - qui fait en sorte que chaque petite unité irakienne est dispersée dans le terrain, n'est pas informée de la situation, et en définitive est incapable d'offrir une résistance coordonnée.

Cette vision des choses correspond de près à la réalité. La coalition a mené en Irak une guerre du commandement et contrôle (C2W) classique, combinant opérations psychologiques, manœuvres de déception, destructions physiques et guerre électronique à une sécurité opérationnelle considérable. Cependant, certains témoignages laissent penser que les échelons supérieurs de l'armée irakienne disposaient, grâce notamment à un système de coursiers, d'une assez bonne connaissance de la situation. Sans pouvoir transmettre d'information aux unités situées hors de leur proximité immédiate.

"Le vice-président Dick Cheney a indiqué que les forces de la coalition pouvaient encore être confrontées à des combats très difficiles. Cela cache quoi, selon vous?"

Cela cache des combats avec des formations jusqu'au-boutistes, des groupes de fanatiques, par forcément irakiens d'ailleurs, comme on l'a vu, qui peuvent mener des embuscades ou des attentats à peu près partout - vu qu'ils sont en civil, c'est très facile pour eux de se dissimuler. Cela peut aussi cacher naturellement des risques plus grands, à plus long terme, d'une résistance sous la forme d'une guérilla, si éventuellement il y avait un soutien de la population ou alors un rejet de la population des Américains pour ce faire.

Des remarques dans l'ensemble assez judicieuses. Il faudra un mois et demi pour qu'une forme de guérilla se manifeste et commence à coûter la vie à un peu moins d'un soldat américain par jour. A la fin du mois de juillet, un total de 12 tués en une semaine a même été enregistré (ce qui constitue le bilan hebdomadaire le plus lourd à ce jour), mais des milliers de combattants ont été tués ou arrêtés pour ce résultat somme toute faible. D'où le fait que des objectifs civils et/ou irakiens soient désormais prioritairement ciblés.

"On s'interroge encore sur le sort du président irakien, mais après tout, Saddam mort ou vif, un chef d'Etat sans Etat n'est plus rien, non - contrairement à un chef de guérilla qui peut encore avoir un pouvoir de nuisance?"

Absolument. Pour un dictateur, perdre les apparats du pouvoir, le monopole sur la violence armée et sur l'information, c'est quasiment comme perdre la vie. C'est la grande différence entre un Saddam Hussein et un Oussama ben Laden. Saddam Hussein, sans tout son décorum, sans ses gardes du corps, sans son parti, sans ses proches, sans ses fils, finalement il ne sert pas à grand chose.

Cette appréciation est contestable. Il est exact que Saddam Hussein aujourd'hui n'a qu'une capacité mineure de nuisance directe, et que toute son énergie doit sans doute être consacrée à fuir et à se dissimuler. En revanche, j'ai clairement sous-estimé l'impact et la rémanence de son image au sein de la population irakienne. L'ombre de Saddam plane toujours sur ce pays. Sa capture ou son élimination serait un succès de taille pour la coalition.

"On a l'impression que Saddam Hussein va rester le dernier sur le bateau, il va mourir à Bagdad ou en tout en cas Irak, il ne va pas tenter de s'échapper?"

On imagine assez mal comment il pourrait s'échapper, vu que maintenant depuis plus d'une semaine toutes les issues de Bagdad, les issues principales sont sous surveillance. On peut mieux imaginer qu'il se cache dans Bagdad et qu'il essaie ainsi de retarder l'issue. En revanche, il ne faut pas sous-estimer la volonté de ce personnage de survivre: par le passé, il a survécu à un nombre incroyable de tentatives d'assassinats, et il ne serait pas étonnant qu'il trouve encore aujourd'hui une petite botte secrète pour parvenir encore à subsister.

Là aussi, cette analyse n'est que partiellement juste. D'après les témoignages de ses filles ou de proches ayant côtoyé ses fils avant leur fin, il semble effectivement que Saddam Hussein soit resté plusieurs jours à Bagdad, passant fréquemment à quelques mètres de ces soldats américains qu'il n'imaginait jamais devoir croiser. Mais il a bel et bien réussi à s'échapper, puisque sa présence à été signalée plusieurs fois autour de Tikrit. Les liens du sang, les menaces de mort et les pourboires somptuaires doivent être ses meilleurs atouts - en plus de son instinct de survie.

"Saddam pourrait s'être exilé à l'ambassade de Russie. Est-ce vous imaginez que Saddam puisse sortir de l'ambassade de Russie et regagner la Russie sous bonne escorte?"

J'imagine assez mal, vraiment, pour la Russie, ce serait un poids politique bien trop lourd à porter. Et si l'on se rappelle l'intervention de 1989 à Panama, le général Noriega s'était réfugié en fait dans une église, il était resté plusieurs jours dans cette église, entouré par les soldats américains, et ces derniers avaient mis de la musique hard rock extrêmement forte toute la nuit et toute la journée pour finalement venir à bout de sa résistance.

Que dire de plus ? Si soudain certains quartiers de Bagdad avaient vibré au rythme mécanique des mélopées commerciales occidentales, on aurait pu concevoir la reproduction d'une telle situation. En revanche, les indices sont suffisamment nombreux pour penser qu'au moins un Etat frontalier - la Syrie - a fourni son appui, au moins ponctuel, à certains membres du régime de Saddam Hussein.

"Ces fameuses armes de destruction massive, on a rien vu du tout, pas la moindre trace de gaz, d'arme chimique, qu'est-ce qu'on peut en dire?"

D'abord qu'il y a beaucoup de rumeurs qui circulent à ce sujet, au niveau des formations militaires américaines; si l'on a un peu des contacts, on se rend compte que beaucoup de choses se passent à ce niveau-là. D'autre part, la plupart des sites de production suspectés d'armes de destruction massive se situaient dans la région au nord de Bagdad et donc n'ont pas été investis par les forces conventionnelles de la coalition. Il n'est absolument pas exclu que dans les jours à venir de grandes découvertes soient faites. En tout état de cause, si ces découvertes n'ont pas lieu, il est bien certain que la légitimité de l'opération militaire serait sérieusement réduite. Même si les images aujourd'hui de Bagdad libérée, en tout cas dans l'esprit d'une partie de la population, fait beaucoup pour cette légitimité.

Le rapport intermédiaire de David Kay a permis de clarifier grandement la situation à ce sujet : si aucune arme de destruction massive n'a été retrouvée en Irak, des programmes de recherche actifs ont en revanche été mis au jour, tout comme une stratégie globale de dissimulation destinée à tromper les inspecteurs de l'ONU. Il est regrettable que les médias n'aient pas jugé bon de citer certains extraits du rapport Kay. Ceux-ci démontrent en effet l'inutilité des inspections alors menées par l'ONU et la violation répétée de la résolution 1441, c'est-à-dire la nécessité d'utiliser la force pour imposer le respect de toutes les résolutions s'appliquant à l'Irak.

"Alors c'était une guerre basée sur un coup de bluff?"

Je ne pense pas. Les intérêts naturellement des Etats-Unis sont multiples dans la région, et je crois que le but principal était véritablement de décapiter ce symbole de résistance qui demeurait en la personne de Saddam Hussein. Maintenant, il y a d'autres possibilités qui s'ouvrent pour non seulement la région mais également les autres pays, pour essayer de trouver une solution à différents problèmes, en particulier le problème israélo-palestinien, et je pense effectivement que les Américains pensent toujours que le déboulonnage de Saddam Hussein était une condition préalable pour une paix éventuelle dans la région.

Cette analyse s'inscrit dans une dimension temporelle trop longue pour qu'un recul suffisant soit aujourd'hui disponible. Ce qui est certain, c'est que les raisons ayant amené les Etats-Unis à former une coalition pour envahir l'Irak et renverser le régime de Saddam Hussein s'inscrivent dans une stratégie d'ensemble visant à prendre l'offensive dans la guerre qui oppose aujourd'hui le fondamentalisme musulman à l'Occident. Un Irak raisonnablement démocratique, prospère et stable serait la pire chose qui pourrait arriver à ceux qui vantent un passé glorieux pour imposer leur vision hystérique d'un califat rénové et porté à l'échelle du monde.


Ceci conclut la quatrième partie de cette analyse. La suite sera disponible les semaines suivantes, alors que la première, la deuxième et la troisième restent bien entendu en ligne.




Maj EMG Ludovic Monnerat    







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