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Analyse en temps réel des opérations militaires:
l'exemple de l'Irak (1)

13 juillet 2003


Hélicoptère Apache faussement abattu par un paysan irakienL

es nombreux experts civils et militaires présents dans les médias durant l'offensive coalisée en Irak se sont pour la plupart totalement trompés dans leurs prédictions et analyses. Est-ce que l'appréciation d'une opération militaire en cours sur la base de sources ouvertes est chose impossible? Première partie d'une autocritique.

Pour tenter de répondre à cette question, et tirer les leçons de sa propre expérience en ce domaine, le soussigné a jugé bon de passer en revue ses propres contributions en matière d'expertise militaire au sujet du conflit en Irak. Expert attitré du quotidien Le Temps avec une rubrique journalière, intervenant régulier sur les ondes de RSR La Première, tout en mettant en ligne mes analyses de détail sur CheckPoint, j'ai en effet été aux premières loges, dans notre coin de pays, de ce qui constitue un décryptage délicat d'une actualité trépidante et confuse.


«... Les nombreux experts présents dans les médias durant l'offensive en Irak se sont pour la plupart totalement trompés dans leurs prédictions et analyses. »


L'objectif des lignes qui suivent n'est pas de se livrer à un examen complaisant et narcissique, ni de comparer certaines affirmations avec celles avancées à l'époque par des commentateurs plus ou moins compétents – une étude de la couverture médiatique de ce conflit attend encore d'être écrite. Ce texte en constitue toutefois un préalable nécessaire: en tant qu'autocritique détaillée, il n'est en effet rien d'autre qu'un after action review destiné à cerner et à expliquer les évaluations correctes comme les erreurs manifestes. Avant de reprocher aux médias leur aversion de toute critique, il est bon de l'accepter soi-même.

Pour des raisons de temps et d'accès aux informations, seuls les chroniques du Temps, les analyses sur CheckPoint ainsi que deux interviews données au quotidien Le Matin seront ici considérées. Par ailleurs, si tous les détails de l'opération "Iraqi Freedom" dans sa phase offensive sont loin d'être connus, les informations fournies par ses principaux responsables et les enquêtes menées par les journalistes en Irak permettent d'en savoir suffisamment pour fournir le recul nécessaire. Enfin, ci-dessous ne seront abordés que les points essentiels ou significatifs ; le maintien en ligne des articles originaux permet en permanence de vérifier leur contexte.



A l'aube de l'attaque

Les préparatifs de l'opération américaine ont été suivis de près. Dans un article du 15 septembre 2002, j'ai ainsi retracé les mesures préparatoires prises par le Pentagone pour créer des conditions favorables à une opération visant à renverser le régime de Saddam Hussein ; ces observations ont permis de clarifier les questions liées aux forces et aux variantes opérationnelles, et donc de se concentrer sur les priorités stratégiques des belligérants – encore – potentiels.

Peu avant le déclenchement de l'offensive, Samuel Gardaz du Temps m'a interrogé pour faire le point sur le dispositif allié ; dans son article, paru le 18 mars, j'ai ainsi eu l'occasion de décrire le déploiement de troupes et les possibilités qui s'offraient, ce qui a abouti à trois citations.

Affirmation

Evaluation

"Bien sûr, on assistera à une offensive blindée massive depuis le Koweït. [...] Mais la guerre ressemblera à un mixte entre la première guerre du Golfe et la campagne en Afghanistan, caractérisée par des opérations dans tout le pays."

La superposition de formes de guerres différentes découlait des objectifs de la coalition, et la répartition des moyens sur les fronts sud, nord et ouest était une indication suffisamment sûre pour cette analyse rapidement confirmée. Afin de comprendre toute l'opération, il était donc nécessaire de mener une planification d'emploi résumée à l'essentiel, ce que l'auteur a fait (voir ci-dessous).

"Il faudrait à ces unités [la 4e DI une semaine pour être dirigées vers le Koweït et y être déployées [...] Elles pourraient aussi transiter par la base britannique de Chypre ou le port de Salonique en Grèce, avant d'être acheminées vers le Kurdistan au moyen d'un pont aérien. Mais cette option est d'une lourdeur qui ne la rend pas intéressante."

En fait, les 38 navires transportant l'essentiel de l'équipement de la 4e DI ont commencé à faire mouvement le 22 mars, franchir le canal de Suez le 23, et les 3 premiers d'entre eux ont accosté au Koweït le 30 mars. Mais le port d'Ash Shuaybah n'a que des capacités limitées, et 11 bateaux seulement ont pu être déchargés le 7 avril. En fait, les premiers éléments de la 4e DI ne franchiront que le 14 avril la frontière irakienne. La méconnaissance des capacités aéroportuaires est à la base de cette analyse imprécise, même si la remarque sur la difficulté d'un pont aérien est fondée.

"La grande incertitude réside dans les missions qui seront dévolues aux forces aéromobiles, qui pourraient être déployées au Kurdistan irakien."

Une interrogation légitime, puisque par définition les unités aéromobiles constituent des réserves opératives, et une hypothèse confirmée, puisqu'une brigade aéroportée a effectivement été déployée au Kurdistan le 26 mars. En fait, la mission de la 101e division aéromobile a évolué en cours d'opération.

 

Le lendemain, j'ai procédé à une nouvelle analyse complète de la situation prenant la forme d'une planification d'emploi simplifiée, afin de cerner les enjeux, les forces, les faiblesses et les risquées de l'opération coalisée. Achevée dans la soirée du 19 mars, cette analyse a été mise en ligne le matin du 20 mars, alors que les frappes opportunistes sur le régime irakien venaient d'être menées. Pour aller à l'essentiel, il faut se contenter d'en évaluer le produit principal, à savoir la prévision de la mécanique utilisée par l'opération durant une première phase, décrite en 7 actions simultanées.

Affirmation

Evaluation

"Détruire le réseau de conduite, les systèmes de radar et de guerre électronique, les sites de la défense antiaérienne, les postes de commandement principaux et les concentrations reconnues de troupes fidèles au régime irakien avec l'aviation et les missiles de croisière, tout en anéantissant un maximum d'installations militaires d'importance mineure pour démontrer la puissance de la coalition."

Il s'agit d'un emploi désormais classique de la puissance aérienne moderne, mais dont l'importance a peut-être été sous-estimée en cours d'opération, principalement parce que la plupart des images portaient sur les actions terrestres. Pourtant, on sait aujourd'hui que l'action air-sol contre les troupes irakiennes – et surtout contre la Garde républicaine – a été particulièrement dévastatrice. Par ailleurs, si l'aspect de démonstration a été concrétisé par les raids aériens de l'opération "choc et stupeur", qui ont effectivement visé principalement des cibles militaires, leur effet global est aujourd'hui encore incertain. Même si les témoignages de prisonniers ont démontré leur impact psychologique.

"Engager simultanément plusieurs dizaines d'actions commandos dans tout le pays, impliquant des forces spéciales et aéromobiles d'une taille allant de l'équipe à l'unité, pour s'emparer d'objectifs-clés, capturer ou tuer des dirigeants, mener des actions de déception, prendre le contrôle d'armes de destruction massive, user des formations mobiles et surveiller de vastes secteurs."

Ceci résume assez bien l'action des forces spéciales, qui ont été engagées sur tous les fronts avant même le déclenchement de l'opération. Au nord, ce sont au moins 50 détachements de "bérets verts" qui ont mené une guerre d'usure aux côtés des combattants pour repousser les divisions irakiennes. A l'ouest, quelque 2000 hommes appartenant pour l'essentiel au 75e régiment de Rangers ont pris d'assaut par voie aérienne des aérodromes essentiels, qui ont permis avec l'engagement mobile notamment de SAS australiens d'interdire l'utilisation du désert par les forces irakiennes. Au sud comme au centre du pays, enfin, des installations pétrolifères, des barrages et des usines ont été pris par des détachements de forces spéciales.

"Déployer au moins 1 brigade aéromobile sur la ligne de front séparant le Kurdistan irakien du reste du pays et la renforcer rapidement avec les troupes disponibles en Turquie, afin de verrouiller les accès au Kurdistan et d'assurer la stabilité de la région."

Une prédiction pertinente: le 26 mars, la 173e brigade aéroportée a été déployée sur l'aérodrome de Bashur, au Kurdistan, à partir duquel ses éléments ont commencé à rayonner dans toute la zone autonome et reçu des renforts. Dans mon esprit, c'est cependant la 2e brigade de la 82e aéroportée qui était la plus susceptible d'intervenir, et non une formation située hors du théâtre d'opérations, qui a décollé d'Aviano en Italie.

"Déployer au moins 2 brigades aéromobiles dans la région de Kirkuk pour appuyer les actions commandos menées sur les installations pétrolières et s'emparer de toute la zone pétrolifère en bordure du Kurdistan, en empêchant toute poussée irakienne à travers ce secteur."

Une action pour le moins risquée, que je voyais être attribuée à la 101e division aéromobile, après la prise d'une base opérationnelle avancée par l'une de ses brigades. En fait, si une telle base a bel et bien été prise au sud de Najaf le 24 mars, la 101e a surtout été employée pour prendre trois grandes villes chiites, Karbala, Najaf et Hilla. D'après certaines sources, il semblerait cependant qu'un assaut impliquant cette division ait été planifié. Quoi qu'il en soit, le Central Command avait besoin de la 101e ailleurs.

"Engager 1 division de Marines renforcée dans le secteur de Bassora pour appuyer les actions commandos menées sur les installations pétrolières, s'emparer de tous les champs pétrolifères de la région, verrouiller les issues de la ville de Bassora ainsi que la frontière avec l'Iran, avant de poursuivre la poussée en direction du nord-ouest de part et d'autre du Tigre jusqu'à la hauteur de Bagdad."

Cette affirmation résume assez bien l'action de la 1ère force expéditionnaire de Marines et de la 1ère division britannique, à ceci près que l'ensemble représente l'équivalent de 2 divisions mécanisées, ce qui est un peu plus que "renforcer" une division. Il aurait sans doute été nécessaire de mentionner la prise du port en eau profonde d'Umm Qasr, en raison des possibilités logistiques qu'il offre. Le fait de ne pas disposer d'une carte d'une échelle inférieure à 1:500'000 et d'un document décrivant les installations portuaires de la région en est la cause principale.

"Pousser avec 1 division mécanisée renforcée dans le désert, à l'ouest de l'Euphrate, afin de franchir aussi rapidement que possible l'autoroute Bagdad-Amman, bifurquer au nord et verrouiller les issues de Bagdad et de Tikrit tout en établissant la jonction avec les troupes dans le secteur Kirkuk."

Cette action prévue pour la 3e division, là encore, souffrait d'une analyse superficielle du terrain et des axes de communication. La course sur Bagdad et à l'ouest de l'Euphrate correspond effectivement au parcours que la 3e DI a effectué, mais il n'a jamais été question qu'elle dépasse Bagdad – ce sont les Marines qui iront les premiers à Tikrit avec des blindés légers – ou qu'elle avance principalement dans le désert – à partir de Nasiriyah, elle a surtout utilisé les routes en dur. Cela dit, la double poussée sur la capitale irakienne était une vision fondamentalement juste.

"Appuyer toutes ces actions principalement par l'appui aérien rapproché, les moyens de la guerre électronique, des moyens de la logistique notamment à destination des populations civiles et des unités de police militaire pour la prise en charge des prisonniers de guerre, tout en conservant l'équivalent d'au moins 2 brigades – dont 1 aéromobile – en réserve."

De tels appuis sont là encore classiques dans une opération de ce type. Il aurait cependant fallu mentionner les opérations psychologiques, dont l'ampleur au sein des formations de combat – et non plus seulement par tract ou onde interposés – a été clairement plus élevée que prévu. En revanche, la mention de réserve est encore difficile à appréhender: est-ce que le déploiement de la 2e brigade de la 82e et d'une task force de Marines de la force d'une brigade sur les lignes de communications correspondait à l'engagement de cette réserve? C'est possible. Quoi qu'il en soit, j'avais surtout à l'esprit la 16e brigade aéroportée britannique, qui a effectivement été conservée comme réserve pendant quelques jours.

"Compte tenu de la faible résistance escomptée dans les espaces ouverts, cette première phase devrait prendre entre 3 et 7 jours. En toute logique, elle devrait ensuite être suivie par une seconde phase comprenant la prise des villes principales, la destruction de toute résistance, l'éradication du régime actuel, la remise en état des installations aéroportuaires, la livraison de biens de ravitaillement pour toute la population et le début de la reconstruction de toute une nation."

Ce découpage en deux phases correspondait au plan initial: d'abord prendre Bagdad, et ensuite libérer les autres villes jusqu'ici verrouillées. Mais la résistance des paramilitaires dans le désert et dans chaque ville ont rendu nécessaire la prise des villes, en particulier de Nasiriyah, Karbala et Najaf, car elles se trouvaient au voisinage immédiat des principales lignes de communication américaines. Par ailleurs, la prédiction d'atteindre Bagdad en 7 jours – je pensais à la 3e DI – a été contredite par les faits, puisqu'il lui a fallu 13 jours: les attaques parfois suicidaires ont entraîné un retard dans l'acheminement logistique (un camion venant du Koweït mettant 24 heures au lieu de 18 pour atteindre le secteur Karbala – Najaf) d'au moins 3 jours, alors que 3 autres journées ont été perdues durant une tempête de sable d'une rare violence.

Dans l'ensemble, l'analyse a donc été corroborée par les faits, et les erreurs factuelles sont imputables à une connaissance insuffisante du milieu, aux actions irakiennes ainsi qu'aux conditions météorologiques. Cependant, il s'agissait là d'une analyse théorique faite à tête reposée, et non d'un jugement émis sur des informations contradictoires sous pression de temps.



L'ouverture de l'offensive

Dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20, les Forces armées américaines ont déclenché des frappes dites d'opportunité sur la tête du régime irakien. Dans la journée du 20, j'ai donc réalisé ma première chronique pour Le Temps selon la méthode suivante: un journaliste de la rédaction m'appelait au téléphone en milieu d'après-midi pour me prévenir du thème retenu, puis me rappelait une à deux heures plus tard pour me poser une série de questions ; il faisait ensuite l'amalgame de mes réponses sous forme de texte, qu'il m'envoyait par courrier électronique pour correction, généralement entre 1900 et 2030, et que je retournais en quelques minutes.

La première chronique, parue le 21 mars, comportait pour l'essentiel des éléments factuels sur ces frappes ponctuelles, sur la base de renseignements fournis par des sources officielles. Quelques éléments d'analyse ponctuaient le texte.

Affirmation

Evaluation

"On assiste par ailleurs depuis plusieurs jours à une intense activité de leur part [les forces spéciales], notamment dans la région de Bassorah au sud. Un hélicoptère coalisé s'est même écrasé dans le sud de l'Irak, ce qui indique qu'on se situe clairement à la veille [...] du déclenchement d'opérations à grande échelle. Ce n'est pas étonnant parce que l'une des missions qui leur est dévolue est la sécurisation des zones pétrolifères du sud."

Comme nous l'avons vu, les forces spéciales ont été insérées dans le pays plusieurs jours avant le déclenchement de l'offensive terrestre. La déduction faite à partir de l'hélicoptère écrasé était correcte: les forces spéciales ont été engagées durant la nuit et des postes d'observations irakiennes le long de la frontière séparant le pays du Koweït et de l'Arabie Saoudite ont été détruits pour faciliter leur action. De même, la prédiction que l'on se situait la veille d'opérations à grande échelle a été confirmée, mais il faut remarquer que le Central Command a justement avancé de 24 heures son offensive terrestre, en raison des tentatives de sabotage en cours sur les puits de pétrole au sud de l'Irak.

"Il est probable que les hostilités débutent simultanément par une campagne aérienne et une offensive terrestre, ce qui serait une nouveauté."

En fait, l'offensive terrestre a été déclenchée à l'aube du 21 mars, et l'activité aérienne a été modeste durant cette journée ; c'est le lendemain que la campagne aérienne commencera vraiment. Le plan d'attaque permettait ainsi de découpler les actions terrestres, aériennes et spéciales.

 

Le vendredi 21 mars, l'offensive terrestre commençait avec l'engagement des divisions américaines et britanniques à partir du Koweït. La chronique parue dans Le Temps le lendemain 22 décrivait succinctement leurs actions, et tentait d'apporter un éclairage sur la suite des opérations.

Affirmation

Evaluation

"Les jours prochains, les troupes engagées à l'est vont donc consolider leur prise, puis contribueront à la montée vers Bassorah. Celles du centre, vont verrouiller les issues de Bassorah. Elles n'y pénétreront pas immédiatement en raison des risques, mais vont foncer sur Bagdad. Idem à l'ouest en ce qui concerne les éléments blindés américains autour de Nasiriyah."

Cette prévision de l'offensive terrestre était fondée par l'analyse préalable de l'opération, et notamment du fait que Bagdad et la capacité de Saddam Hussein à rester au pouvoir constituaient le premier centre de gravité à frapper. Elle correspondait entièrement à la réalité: les divisions américaines n'avaient aucunement l'intention de prendre les villes, mais comptaient au contraire les contourner pour parvenir aussi vite que possible à Bagdad. Il manquait ici la limite exacte des fuseaux d'attaque entre le Ve Corps et la 1ère MEF, car ce sont les Marines qui ont pris Nasiriyah et qui ont utilisé ses ponts sur l'Euphrate.

"Ce qui est frappant à ce stade, c'est qu'on ne dispose d'aucune information concernant des unités très importantes: la 2e brigade de la 82e division aéroportée américaine, la 16e brigade aéromobile britannique, ainsi que deux brigades de la 101e division aéromobile américaine – au total environ 12 000 hommes. Il est probable qu'elles seront engagées, principalement dans le nord de l'Irak, avec l'appui d'une offensive aérienne majeure."

Cette interrogation était légitime. Les images montrant une brigade de la 101e aéromobile, véhicules soigneusement et prêts à franchir la frontière, amenaient à s'interroger sur l'activité des autres. En fait, la 16e brigade britannique comme les autres éléments aérotransportables restaient à cet instant en réserve. Il est impossible aujourd'hui de dire si leur engagement au nord de l'Irak – ou sur Bagdad, comme plusieurs sources l'affirment pour la 82e – était déjà périmé à ce stade. Cette prédiction d'un tel engagement, découlant comme nous l'avons vu de l'analyse préalable, n'en a pas moins été contredite par les faits.

 

Après le début de l'offensive terrestre, j'ai également été approché par le quotidien Le Matin pour répondre ponctuellement à quelques questions par courrier électronique. Repoussé d'une journée, cet interview a paru le samedi 22 mars; dans la mesure où mes réponses aux questions posées par Yan Pauchard ont été partiellement retravaillées et amputées par la rédaction, je reproduis ici mes propos originaux.

Affirmation

Evaluation

"Dans un premier temps, l'objectif des formations terrestres américaines sera de verrouiller toutes les issues de la ville et d'empêcher que les forces adverses puisse l'utiliser pour contrecarrer leur déferlante sur le nord du pays. Les prévisions selon lesquelles les troupes alliées pourraient accomplir cela en 3 à 4 jours semblent réalistes, voire un brin pessimiste, dans la mesure où les éléments blindés américains sont virtuellement inarrêtables en terrain ouvert. Mais par la suite, il est difficile d'imaginer qu'un soulèvement populaire ou que des redditions en masse permettent d'empêcher des combats pour le contrôle de la capitale - ce qui sera long, difficile et potentiellement très meurtrier."

Cette réponse à une question portant sur le scénario le plus probable pour la prise de Bagdad a été très largement contredite par les faits. A cet instant, la mécanique initiale du plan américain consistait bel et bien à verrouiller la ville, puis à essayer de s'en emparer quartier par quartier en utilisant des bases d'attaque établies tout autour de la capitale ; c'est l'expérience des combats dans les autres villes et les opportunités offertes qui ont amené un changement de tactique. Par ailleurs, comme nous l'avons vu, la grande ruée sur Bagdad a pris bien plus de temps que prévu – il n'était pas encore possible, dans la journée du 21 mars où ces réponses ont été écrites, de connaître la résistance des paramilitaires irakiens fidèles au régime. En somme, cette analyse "raisonnable" et proche du plan allié pêchait par méconnaissance de la situation adverse – une résistance supérieure aux prévisions dans le sud du pays et inférieure dans la capitale.

"En fait, ce sont plusieurs opérations distinctes qui sont menées en parallèle en impliquant des forces aériennes et terrestres, et en particulier des forces spéciales, pour s'emparer d'objectifs-clés, acquérir des renseignements, surveiller des axes de passage, fixer des forces irakiennes ou encore détruire les échelons supérieurs de leur commandement. Le but principal de ces actions concentrées dans le temps - et non dans l'espace - est de saturer et d'amputer les capacités de conduite et de renseignement du régime de Saddam Hussein, afin de pouvoir agir bien plus vite que lui et de prendre le contrôle d'un pays le plus intact possible, tout en apparaissant comme un adversaire immanent et invincible."

Cette explication sur la raison pour laquelle les Américains ont lancé l'offensive terrestre sans bombardements préalable est en revanche de bien meilleure qualité. Elle décrit avec plus de précision que l'analyse préalable l'effet des opérations interarmées, l'importance de la vitesse d'exécution par rapport à l'adversaire, le rôle de la neutralisation du commandement irakien, la diversité des actions menées et le caractère essentiel de l'impact psychologique. Elle constitue dans ce sens une première analyse des événements qui cible assez précisément l'effort principal de la coalition – "speed kills", comme le dira plus tard le général Tommy Franks.

"On peut s'attendre à une forte résistance de la part d'éléments très spécifiques des Forces armées irakiennes et des milices soutenant le régime, dans la mesure où la survie individuelle des membres de la Garde républicaine spéciale ou des "feddayin de Saddam" ne semble par exemple guère assurée dans un Irak post-Saddam. En revanche, la participation de la population et du gros des forces irakiennes à de tels combats est peu probable, dans la mesure où leur position envers le régime tendrait nettement à son renversement - même par un occupant occidental. Cela dit, une centaine d'hommes déterminés dans une ville peuvent poser problème à une formation armée numériquement 10 fois plus forte."

Il s'agissait ici de qualifier la résistance probable dans les villes comme Bassorah et Bagdad. Cette prédiction a été largement confirmée dans les faits: les piliers répressifs du régime, et notamment les "feddayin" de Saddam, ont effectivement combattu avec un acharnement suicidaire partout où ils en ont eu l'occasion, et notamment à Bagdad et à Bassorah; plusieurs témoignages ont par exemple fait état de combattants grimpant sur les chars alliés pour tenter d'attaquer plus efficacement leurs occupants. De même, l'évaluation des réactions de la population irakienne et l'appréciation selon laquelle elle souhaitait le renversement du régime sont parfaitement fondées, et il est a posteriori étonnant de constater que tant d'observateurs ont sous-estimé ou écarté sa volonté. Enfin, la précision concernant la difficulté à combattre en ville n'était qu'un rappel fondé sur l'histoire des opérations militaires en milieu urbain: les combats pour les cités irakiennes ont infirmé une telle réserve. La détermination ne suffit pas: il faut également une cohésion et une maîtrise tactiques qui faisaient défaut aux combattants irakiens ou arabes.

"Ces risques existent. D'une part, la volonté de Saddam Hussein d'utiliser toutes les armes à sa disposition dès lors qu'il n'a plus d'issue personnelle au conflit ne peut faire de doute. Mais d'autre part, sa capacité à engager de manière efficace ces armes sur les troupes alliées ou les pays voisins est certainement limitée, car la présence des inspecteurs de l'ONU pendant des mois l'ont contraint à des mesures complexes de dissimulation, notamment en séparant les vecteurs de leur contenu potentiel. Toutefois, le fait que des missiles Scud semblent avoir été tirés sur le Koweït laisse planer l'incertitude. Quoi qu'il en soit, le nettoyage de l'Irak de toute arme de destruction massive prendra des mois d'efforts fastidieux."

Le risque d'utilisation d'armes chimiques et biologiques était bien entendu très difficile à évaluer. La prédiction d'une capacité limitée d'engager de telles armes a été plus que confirmée, et c'est notamment ce qui aujourd'hui amène certains commentateurs à nier leur existence même, pourtant démontrée en 1998 encore. Cela dit, le rôle "désarmant" joué par les inspecteurs de l'ONU est incontestable, à défaut d'avoir pu démontrer les violations aujourd'hui évidentes de la résolution 1441. Enfin, si des missiles Scud n'ont pas été tirés sur le Koweït mais ont été vus et photographiés dans les rues de Bagdad, la quête des ADM est effectivement loin d'être terminée.



Les premières pertes

Pendant le week-end du 22 et 23 mars, les forces coalisées ont poursuivi leur fulgurante poussée sur Bagdad, parvenant à 150 km au sud de la capitale sujette à des bombardements aussi violents que précis. En même temps, elles ont subi leurs premières pertes dans les combats, et une compagnie de logistique tombée dans une embuscade a permis au régime irakien de montrer des images de prisonniers américains. Parue dans Le Temps du 24 mars, ma chronique quotidienne était cependant consacrée au problème des tirs fratricides, puisqu'un missile Patriot avait également abattu un Tornado britannique. Conçue comme une explication technique et tactique fondée, cette analyse ne comportait qu'une seule évaluation au sujet de ce cas précis.

Affirmation

Evaluation

"Dans le cas du Tornado, il s'agit très certainement d'une erreur humaine, dans la mesure où les coalisés disposent au-dessus de la région de très nombreux systèmes de surveillance qui auraient dû permettre d'identifier l'avion."

Une analyse a priori logique, mais néanmoins fausse, car le Patriot en question a évalué le chasseur-bombardier britannique comme une menace devant être combattue en raison d'une défectuosité logicielle. La difficulté à coordonner opérations aériennes et DCA dans un cadre multinational aurait dû inspirer une analyse différente, moins prompte à trancher dans un assemblage technologique effroyablement complexe.

 

Le dimanche 23 mars, j'ai par ailleurs mis en ligne sur CheckPoint une première analyse des 4 premières journées de l'opération alors désignée "Iraqi Freedom". Résumant les actions menées jusqu'ici, ce texte abordait également les autres fronts et évaluait les risques pris la coalition, la défense livrée par ses adversaires et les réactions de la population.

Affirmation

Evaluation

"Des forces spéciales ont été insérées dans tout le pays, avant même le déclenchement de l'opération, pour récolter des renseignements, traquer des armes de destruction massive et déclencher des frappes air-sol. Des aérodromes à l'ouest du pays ont été capturés par d'autres forces spéciales, probablement pour y installer une base opérationnelle avancée permettant d'interdire les mouvements adverses [...] D'autres forces légères commencent à être transportées par air dans le Kurdistan irakien. De toute évidence, la campagne n'a donc pas encore pris toute son ampleur."

Cette appréciation témoigne d'une bonne compréhension de la dimension prise par l'opération. Le rôle des forces spéciales dans la désignation d'objectifs pour l'aviation a considérablement facilité l'effondrement de la Garde républicaine. L'intention des actions menées à l'ouest du pays, en l'occurrence l'interdiction, a été correctement cernée: les aérodromes ont été utilisés par des hélicoptères de transport et de combat qui ont appuyé les actions des forces spéciales. Enfin, cette première mention d'insertion de forces légères – c'est-à-dire de l'infanterie aéroportée – au Kurdistan pressent l'ouverture véritable du front nord.

"La priorité absolue donnée à la poussée sur Bagdad maintient toutes les zones dépassées dans une insécurité constante, comme l'a démontré l'embuscade dont a été victime aujourd'hui un petit détachement logistique américain, alors que le verrouillage des villes prive provisoirement les Alliés du succès objectif que représenterait leur capture."

La perception du risque posé par la concentration sur la capitale était réaliste. Cette insécurité sera d'ailleurs telle qu'elle incitera le commandement allié à modifier son plan en engageant ses réserves pour protéger les lignes de communications principales des formations blindées en route pour Bagdad. En revanche, le "succès objectif" qu'aurait représenté la capture des villes selon cette analyse ne correspondait pas à la priorité des médias: la libération de Najaf dans une atmosphère de carnaval, avec la mise à terre d'une statue de Saddam Hussein le 3 avril, n'a guère eu d'écho.

"Par ailleurs, le fait que l'effort principal soit mené en direction de la capitale empêche les troupes tenant les passages obligés ou fixant les forces adverses de disposer d'une supériorité écrasante, ce qui ralentit le nettoyage des zones défendues par des éléments déterminés ou permet à ces derniers de se replier."

Là encore, l'appréciation était fondamentalement juste, mais elle faisait abstraction du fait qu'il s'agissait justement de la méthode choisie par la coalition: fixer les défenseurs adverses, les repousser dans des poches de résistance où ils pourraient être méthodiquement et progressivement anéantis. Dans les villes du sud, les fidèles du régime ont ainsi pu être très largement éradiqués, alors que les combattants étrangers venus mener le djihad contre le "Grand Satan" américain ont péri dans l'indifférence ou le mépris de la population locale.

"Enfin, l'étirement accéléré des lignes de communication et la diminution progressive des troupes disponibles pour poursuivre l'avance nécessite assez rapidement l'envoi de renforts dans la région – ceux qui auraient dû intervenir à partir de la Turquie, et peut-être davantage."

En revanche, l'analyse était ici incorrecte: les coalisés ont démontré leur capacité à prendre toutes les villes du pays et à anéantir toute résistance conventionnelle avec les effectifs déployés au 20 mars – à l'exception d'une unité expéditionnaire de Marines ramenée de la Corne de l'Afrique pour assurer les lignes de communication de la 1ère MEF. Ces renforts ont bel et bien été nécessaires, mais pour la phase de stabilisation qui se déroule aujourd'hui.

"Contrairement aux affirmations des médias, l'armée régulière irakienne refuse pour l'essentiel le combat : à Bassorah avec la 51e division d'infanterie comme à An Nasiriyah avec la 11e division d'infanterie, ce ne sont que quelques centaines d'hommes qui se battent, sur une force qui en compte 10 à 15 fois plus."

Cette remarque parfaitement exacte était une déduction logique des affrontements en cours, et elle sera confirmée tout au long de la campagne. Il est remarquable de noter que nombre de commentateurs ne cessaient de parler de la résistance de l'armée irakienne, voire même d'un sursaut nationaliste de la population irakienne, alors que toutes les informations provenant du champ de bataille démontraient le contraire. Les chiffres ici mentionnés, et qui seront identiques dans les autres villes, en étaient une preuve solide.

"Le comportement de la population irakienne, pour sa part, est avant tout marqué par la prudence et par l'incertitude. [...] il est illusoire d'espérer des soulèvements sans que l'autorité de Saddam Hussein ne soit clairement qu'un souvenir – auquel cas il s'agira encore d'éviter le chaos.

Cette perception de la population, encore une fois, était fondamentalement juste. A Bassorah, à Karbala, à Najaf comme à Bagdad, il a fallu attendre que les troupes alliées entrent au cœur de la ville et démontrent leur intention d'y rester pour que les populations se départissent de leur indifférence et les accueillent favorablement. Par ailleurs, le risque posé par les désordres consécutifs à la chute du régime a été ici correctement cerné, même si j'étais loin d'imaginer l'ampleur du problème.



La ruée vers Bagdad

Durant la journée du 24 mars, les forces alliées ont poursuivi leur remontée vers Bagdad, parvenant à 100 km de la capitale, tout en commençant à investir la ville de Nasiriyah. Ma chronique dans Le Temps du 25 était consacrée à la résistance des paramilitaires irakiens, en décrivant surtout l'effet de ces combattants équipés de moyens légers et essayant de harceler les convois logistiques alliés.

Affirmation

Evaluation

"Le succès de cette résistance vient surtout de l'effet de surprise. Maintenant, les Américains ont compris: leurs convois sont protégés par des véhicules blindés contre lesquels les miliciens et leurs armes légères ne peuvent pas grand-chose. Je ne crois pas que l'assaut allié soit durablement retardé."

Cette analyse ramène à ses justes proportions l'impact des attaques menées par les feddayeens de Saddam et autres miliciens du parti Ba'as: une gêne certaine, nécessitant l'engagement de moyens supplémentaires, mais n'ayant qu'une influence mineure sur la mécanique alliée. Le Central Command a en effet déployé plusieurs unités équipées de véhicules blindés, provenant de la 3e DI ou de la TF Tarawa des Marines, pour renforcer les lignes de communication et les formations aéroportées qui y seront engagées.

"Mais la stratégie alliée est à double tranchant: en contournant les villes comme Bassorah, les forces du général Tommy Franks laissent derrière elles des poches de résistance et des frustrations immenses. [...] Si la capitale irakienne est plus que jamais l'objectif numéro un de cette offensive, cela comporte des risques majeurs."

Une remarque également fondée, car ce risque a été suffisamment important pour que le général américain décide les jours suivants d'engager la totalité de la 101e et sa brigade de la 82e pour anéantir les poches de résistance dans les villes de long de l'Euphrate, à l'exception de Nasiriyah déjà encerclée par les Marines. En d'autres termes, le Central Command a selon toute vraisemblance engagé ses réserves pour contrer le dispositif choisi par Saddam Hussein et ainsi conserver sa liberté d'action.

 

Le mardi 25 mars a été marqué par le déclenchement d'une violente tempête de sable qui a largement ralenti les formations terrestres conventionnelles, la 3e DI parvenant tout de même à la hauteur de Karbala, 80 km au sud de la capitale. C'est également le premier jour où la polémique sur le bien-fondé de la stratégie adoptée a éclaté, et les affirmations les plus déraisonnables sur la prétendue résistance irakienne ont commencé à être publiées. Ma chronique quotidienne, publiée le 26 dans Le Temps, portait sur le combat en milieu urbain et les capacités des troupes américaines en ce domaine.

Affirmation

Evaluation

"Malgré le fait qu'ils combattent sur leur sol, les Irakiens n'ont pas forcément l'avantage en matière de guerre en milieu urbain. Ils sont certes capables de mener des actions de guérilla, mais pas des opérations coordonnées ayant un effet décisif."

Cette analyse sera vérifiée dans toutes les villes irakiennes. La résistance des fedayeens – tout comme des djihadistes étrangers – sera souvent courageuse jusqu'à en être suicidaire, mais leur incapacité à adopter une vue d'ensemble les empêchera de frapper les faiblesses des alliés. La capacité de guérilla est d'ailleurs soulignée aujourd'hui.

"Pour ce qui est de Bagdad et des unités de la Garde républicaine, elles sont certes coutumières d'un tel environnement, mais pas face aux forces armées américaines. Comme elles ont régné par la terreur, elles ne bénéficieront pas nécessairement du soutien de la population."

Une affirmation qui confine presque à l'euphémisme: la population n'a en rien aidé les combattants fidèles au régime de Saddam Hussein, qui ont au contraire utilisé maintes fois la contrainte et la perfidie, et la Garde républicaine a été psychologiquement détruite par le pilonnage aérien qu'elle a subi et qui l'a empêchée de pouvoir se retrancher solidement dans la capitale.

"Toutes les unités américaines [...] engagées en Irak sont donc en mesure de prendre part à des combats en milieu urbain. Bagdad est composé d'artères modernes assez larges où il est relativement facile d'engager des moyens blindés lourds en appui de fantassins plus mobiles."

C'est largement cela qui s'est passé: toutes les divisions alliées engagées ont dû prendre au moins une ville, et elles l'ont toutes fait en s'appuyant largement sur les éléments blindés. Dans le cas de Bagdad, ses principaux axes de communication ont ainsi été sillonnés par plusieurs "colonnes infernales" ayant décimé les rangs des défenseurs, avant que les troupes n'avancent plus méthodiquement vers le centre et ne s'en emparent définitivement.

"les forces coalisées sont en mesure de mener un combat qui, en milieu urbain, doit impérativement être interarmes [...] Leurs soldats ont de plus un sens de l'initiative individuelle qui, face aux Irakiens, pourrait être décisif."

Cette faculté de mener un combat interarmes dans les villes a également été vérifiée, particulièrement chez les Marines et dans la 3e DI qui ont organiquement de tels moyens, mais aussi chez les unités de paras renforcées par des moyens blindés. Enfin, le sens de l'initiative individuelle a été particulièrement marquant lors de la prise des villes, où la rapidité des actions et de leurs enchaînements a été une cause majeure du succès allié.

 

Toujours sous les tornades de sable, les divisions US ont poursuivi leurs actions le mercredi 26 mars, engageant de violents combats au sud de Najaf pour la 3e DI, et remontant entre l'Euphrate et le Tigre pour les Marines ayant franchi la veille la ville de Nasiriyah. Ma chronique publiée le 27 dans Le Temps portait sur le besoin de renforts dans le camp allié, et mentionnait notamment le déploiement en cours de la 173e brigade aéroportée au Kurdistan.

Affirmation

Evaluation

"Les 17'000 soldats de cette unité [la 4e DI] viennent quant à eux de recevoir l'ordre de déploiement aérien, de sorte qu'ils devraient être opérationnels dans le courant de la semaine prochaine."

Encore une fois, cette estimation concernant la 4e DI était incorrecte, puisque je comptais la voir engagée à partir du 4 avril – 10 jours trop tôt. Mon erreur d'appréciation concernant les capacités portuaires du Koweït m'a donc amené à croire qu'elle aurait pu être utilisée dans la phase de combat, alors que le Central Command n'en avait probablement plus l'intention.

"Les Américains visent deux objectifs: d'une part, stabiliser le Kurdistan irakien par l'intermédiaire de troupes légères dont la mission consistera à tenir les points d'entrée de cette zone, aussi bien nord que sud;"

Une appréciation correcte, puisque les paras US alors déployés n'ont que marginalement participé à l'usure du front nord orchestré par les forces spéciales avec les rebelles kurdes. Par ailleurs, il est certain que cette présence américaine constituant une force d'entrée – rôle traditionnel des paras – a été une dissuasion pour Bagdad comme pour Ankara.

"et, d'autre part, mener des attaques décisives avec les formations lourdes, 4e DI, unités de cavalerie. Sauf à considérer que le régime s'effondre d'ici là, je vois mal en effet comment les Américains pourraient s'en passer pour une offensive contre Bagdad ou Tikrit."

Cette analyse, tout en laissant prudemment la porte ouverte à ce qui se passera effectivement, montre bien que je doutais que les forces alliées soient suffisantes pour prendre la totalité des villes irakiennes suffisamment vite, en tout cas avant que cette deuxième division lourde de l'US Army ne puisse dans mon esprit être engagée (ce qui est en soi était juste, puisque le 14 avril, date à laquelle elle passera la frontière, Bagdad était tombée depuis 5 jours).

"Même s'il apparaît tardif, le déploiement de ces unités de cavalerie était relativement attendu, dans la mesure où leur mission pourrait également être de stabiliser l'Irak après la chute du régime."

Ici, nous revenons au cœur du sujet, car c'est bel et bien dans cette optique que ces déploiements décidés à cet instant ont été faits: la totalité des unités concernées étaient engagées en Irak à partir de fin mai. On peut donc aujourd'hui considérer que le Central Command les a réclamées dans l'idée de pouvoir les engager au besoin pour combattre, et en tout cas pour stabiliser.

 

Ceci conclut la première partie de cette analyse autocritique. La deuxième, la troisième et la quatrième sont en ligne.




Maj EMG Ludovic Monnerat    







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