L'Armée XXI est dans sa dernière ligne droite,
mais le débat est inexistant
27 avril 2003
trois semaines de la votation sur l'Armée XXI, le moins que l'on puisse dire de la campagne est qu'elle est à sens unique. Le comité référendaire a été incapable d'établir un concept concurrent, de sorte que le débat est inexistant. Est-ce la preuve de la qualité du projet ?
La plus grande transformation de l'armée suisse depuis sa création est entrée dans sa dernière ligne droite. Presque sept ans après la formation de la commission Brunner, dont les travaux ont constitué la première pierre de l'édifice, la population s'apprête à accepter ou à refuser la nouvelle Loi sur l'armée et l'administration militaire (LAAM). Depuis des mois, de nombreuses décisions de principe ont été prises par l'armée, mais l'hypothèque du 18 mai a gelé toute application ; le verdict populaire est donc attendu avec impatience.
«... La légitimité démocratique indiscutable qu'apporterait une approbation est amoindrie sur le fond par la campagne plate à laquelle nous assistons. »
Cependant, la légitimité démocratique indiscutable qu'apporterait une approbation est amoindrie sur le fond par la campagne plate à laquelle nous assistons. La cumulation excessive des sujets mis en votation y concourt en partie, mais c'est surtout l'absence d'alternative à propos de l'armée qui rend le débat inexistant : nul ne conteste la nécessité de transformer l'Armée 95, mais seule l'Armée XXI est proposée en modèle. Et l'incapacité des référendaires à proposer une solution crédible aux problèmes de sécurité contemporains les condamne au procès d'intention.
Une armée révolutionnaire
Pourtant, l'institution militaire suisse est à la croisée des chemins : pour la première fois depuis 50 ans, c'est toute sa doctrine de défense qui a été remise en question, et il est probable que les effets des décisions actuelles seront perceptibles au-delà de la prochaine décennie. Durant les premières années de la guerre froide, l'armée suisse a en effet connu des débats intenses entre les tenants de la mobilité et les adeptes de la défense statique. Le verdict du Département militaire fédéral, largement en faveur de ces derniers, a déterminé jusqu'à aujourd'hui le concept d'une défense territoriale multipliant les renforcements de terrain et cherchant par une attrition maximale à constituer une dissuasion stratégique. Même l'Armée 95, avant tout centrée autour de ses 5 brigades blindées, n'a pas fondamentalement changé les idées retenues au début des années 50 – quelle que soit l'évolution subie par les formes de guerre dans l'intervalle.
Avec l'Armée XXI, l'ampleur de la réforme dépasse cependant la seule question de la doctrine défensive, car c'est le rôle même de l'armée qui est en jeu : garante de l'indépendance et de l'intégrité nationales, elle est également appelée à fournir en permanence des prestations sécuritaires au profit des autorités civiles ou dans la cadre d'engagements multinationaux. La décision du Conseil fédéral du 6 novembre 2002, par laquelle l'usage subsidiaire de l'armée est devenu la règle et non plus l'exception, a encore renforcé une orientation devenue évidente depuis 1999 et les nombreux jours de service effectués en appui. La disponibilité échelonnée des formations, la constitution d'une réserve et la création des soldats en service long visent tous à adapter l'armée aux besoins opérationnels.
Ces innovations sont le produit de réflexions, de concertations et de consultations prolongées. De l'été 1999 au printemps 2000, pas de moins de 80 officiers de carrière et de milice ont travaillé en permanence à la création de l'Armée XXI, sur la base du Rapport sur la politique de sécurité 2000 du Conseil fédéral. Par ailleurs, des réunions régulières ont associé aux réflexions les autorités cantonales, les partis politiques et les associations faîtières des sociétés militaires suisses. Enfin, le Parlement a mis pas moins de 3 sessions pour s'accorder sur les nouveaux articles de loi, en menant des négociations détaillées entre les deux Chambres sur des questions telles que la durée des écoles de recrues, la séparation entre engagement et instruction, la proportion des soldats en service long ou encore la place des cadres de milice dans le commandement. La votation populaire vient donc couronner une procédure unique par sa transparence et sa minutie.
«... La disponibilité échelonnée des formations, la constitution d'une réserve et la création des soldats en service long visent tous à adapter l'armée aux besoins opérationnels. »
Pourtant, le référendum n'a suscité aucun débat. Aucune alternative n'est proposée pour se substituer à l'Armée XXI, aucune option n'est suggérée pour améliorer ou pondérer ses innovations. Mieux, aucun parti politique majeur ne s'est opposé au projet. Et force est d'admettre que la réforme de l'armée ne trouve que le vide devant elle. A dire vrai, presque le vide : uniquement des procès d'intention, les mêmes que ceux entendus ou lus durant la campagne pour la révision partielle de la LAAM de juin 2001. Les opposants dénoncent ainsi une "otanisation" rampante de l'armée sans parvenir à démontrer l'inopportunité de toute collaboration transfrontalière, une marginalisation de la milice en omettant de dire que les professionnels ne représenteront que 3,5% de l'armée active, une réduction excessive de l'armée l'empêchant de défendre le pays de manière autonome sans expliquer où trouver des moyens financiers supplémentaires.
Mais cette incapacité à établir un modèle crédible permettant de concurrencer l'Armée XXI ne signifie pas pour autant que celle-ci est une solution idéale. L'attribution aux brigades de responsabilités en matière d'instruction, la sélection des futurs cadres après 7 semaines d'école de recrues, la nécessité de maintenir des effectifs stables entre les 3 départs d'ER et la pression encore accrue sur le personnel professionnel sont des faiblesses clairement identifiées, et qui nécessiteront tôt ou tard des corrections. De plus, l'évolution rapide de notre environnement stratégique et les carences prospectives à la base de l'Armée XXI imposent à l'institution militaire de revoir en permanence sa doctrine, sa structure et ses moyens ; en fait, les études conceptuelles pour la prochaine réforme de l'armée ont été lancées voici plus d'une année. Les transformations caractérisant les sociétés occidentales trouvent logiquement leur pendant au sein des Forces armées.
Pour l'heure, il est grand temps de voter sur la réforme proposée. Le succès probable qu'elle rencontrera – au sein de l'administration fédérale, le 60/40 a la cote – permettra de lever l'hypothèque qu'a suscité le référendum, après l'incertitude liée au retard pris au Parlement. Dans les semaines suivant le 18 mai, des nominations en rafale vont permettre à tous les cadres chargés de mettre en œuvre progressivement la nouvelle armée d'être fixés sur leur avenir et sur leur mission. Et comme au moins 3 ans seront nécessaires pour que toutes les innovations de la réforme soient concrétisées, c'est une phase cruciale qui commencera au lendemain de la votation.
Maj EMG Ludovic Monnerat