La déroute sans précédent des pacifistes montre que leur rhétorique antimilitaire ne suscite plus qu'indifférence et rejet
22 décembre 2001
vec 22% de OUI, le Groupement pour une Suisse sans Armée (GSsA) a obtenu le 2 décembre dernier le plus mauvais score de tous les votes antimilitaires dans l'histoire de notre démocratie directe. Et avec seulement 37,5% de participation, c'est bien d'une déroute totale des pacifistes qu'il faut parler.
Rarement votation populaire n'aura suscité aussi peu de commentaires dans les médias. Deux jours après l'annonce des résultats, plus aucun journaliste ne parlait de la déroute venue sanctionner les deux initiatives du GSsA, visant respectivement à supprimer l'armée et créer un service civil "pour la paix". Trois semaines plus tard, l'exploitation par certains d'une regrettable affaire – au cours de laquelle une section a passé à tabac, sur ordre de son lieutenant, une recrue – montre au contraire que les réflexes antimilitaires ont la vie dure. Alors même que l'idéologie qui les fonde a subi la pire défaite de son histoire en votation populaire!
«... Depuis 1921, les opposants à l'armée que compte ce pays ont lancé pas moins de 15 initiatives populaires visant à affaiblir les capacités nationales en matière de sécurité. »
«... Depuis 1921, les opposants à l'armée que compte ce pays ont lancé pas moins de 15 initiatives populaires visant à affaiblir les capacités nationales en matière de sécurité. »
Depuis 1921, les opposants à l'armée que compte ce pays – c'est-à-dire le parti socialiste et, plus récemment, le GSsA – ont lancé pas moins de 15 initiatives populaires visant à affaiblir les capacités nationales en matière de sécurité. Entre la suppression de la justice militaire, la diminution drastique du budget de la défense, la création d'un service civil de remplacement, le rejet de toute acquisition foncière à usage militaire, la mise en place d'un référendum permanent sur les dépenses militaires, le moratoire sur l'acquisition de nouveaux avions de combat ou encore la suppression pure et simple de l'armée, tout ou presque aura été proposé au souverain. Avec 8 initiatives et 3 référendums, l'offensive a même été particulièrement intense ces 15 dernières années. Ce pour un seul succès, celui des isolationnistes contre le projet des casques bleus en juin 1994, que le succès du 10 juin dernier a plus que contre-balancé.
Il aura pourtant fallu attendre le 2 décembre pour assister à la pire défaite des opposants à l'armée: avec respectivement 22 et 23% (aucun canton), les deux initiatives du GSsA ont obtenu le plus mauvais score dans toute l'histoire de notre démocratie quant à un vote antimilitaire. De plus, la participation très moyenne s'est limitée à 37,5% et 37,2%. Par rapport à la première initiative visant à supprimer l'armée de 1989, et qui avait reçu 35,6% de suffrages (2 cantons) et 69% de participation, ce sont presque 700'000 voix qui ont fait défaut au GSsA. L'effondrement est encore plus frappant avec le score de l'initiative contre l'acquisition des F/A-18 en 1993, soit 42,8% de voix (3 cantons et 2 demi-cantons) et 55% de participation, ce qui constitue à ce jour l'apogée des antimilitaristes. Et donc l'amorce de leur effondrement.
L'échec d'une idéologie
Naturellement, à l'heure de l'analyse, les pacifistes n'ont pas manqué d'invoquer l'impact de l'actualité, et notamment des attentats du 11 septembre et des hostilités en Afghanistan, sur le résultat de la votation populaire. Encore qu'elle soit rendue vaine par la seule participation, cette affirmation relève d'une surprenante contradiction: après avoir psalmodié depuis des années que les armées sont la cause des guerres, les ténors du GSsA expliquent aujourd'hui que ce sont les guerres qui sont la cause des armées. Et de fustiger ce qu'ils nomment "réflexe sécuritaire", alors qu'eux-mêmes sont les esclaves consentants du réflexe antimilitaire!
Car le 2 décembre est avant tout l'échec de l'idéologie pacifiste, celle consistant à écarter par définition tout usage – même limité – de la violence, et ce quelle que soit la situation. La condamnation d'un mode de pensée qui, mécaniquement, se borne à rejeter tout ce qui relève peu ou prou de la chose militaire. Certains commentateurs ont justement souligné, par rapport à 1989, que dans un monde et face à une armée en rapide évolution, le GSsA n'avait pas changé d'un iota; mais les pacifistes ne sont pas seulement scotchés à l'immédiat après-guerre froide: ils sont surtout incapables de proposer des solutions aux problèmes de sécurité contemporains – et auxquels la population est plus sensible qu'on ne le pense souvent dans certaines sphères.
Les manifestations contre la guerre en Afghanistan l'ont montré avec une acuité renouvelée: tous les pacifistes, en un bel élan vide de sens, ont appelé les gouvernements occidentaux à trouver "autre chose" que l'action militaire pour résoudre le problème du terrorisme fondamentaliste – sans être le moins du monde capable de suggérer en quoi cette "autre chose" pourrait bien consister.
Les populations n'ignorent plus, désormais, cet archaïsme intellectuel. Notre monde globalisé est trop complexe pour que les distinctions sectaires entre civil et militaire puissent encore avoir un sens.
«... Les socialistes suisses ont une nouvelle fois démontré leur inaptitude congénitale à considérer de manière pragmatique la politique de sécurité. »
«... Les socialistes suisses ont une nouvelle fois démontré leur inaptitude congénitale à considérer de manière pragmatique la politique de sécurité. »
Bien entendu, il y a également des raisons plus élémentaires pour expliquer l'ampleur du score, dont l'incohérence du texte – proposer de supprimer l'armée tout en conservant la possibilité d'interventions à l'étranger – n'était pas la moindre. Il n'en demeure pas moins que cette déroute de tout ce que le pays compte d'opposants irréductibles à l'armée laissera des traces.
On songe ici en premier lieu à ce comité directeur du PS qui a proposé de soutenir l'initiative, deux ans après avoir suggéré la suppression des services de renseignements. Ces attaques perpétuelles contre la sécurité collective ne pourront être oubliées de sitôt, en particulier avec les prises de positions délirantes de ce même parti au sujet du Plan directeur de l'Armée XXI: en prônant la professionnalisation de l'armée à l'heure même où ce sont les engagements collectifs et sociétaux qui sont la meilleure réponse aux problèmes de sécurité contemporains, les socialistes suisses ont une nouvelle fois démontré leur inaptitude congénitale à considérer de manière pragmatique la politique de sécurité.
Mais la gifle populaire aura également des conséquences sur les antimilitaires du GSsA. Epuisé financièrement par la campagne pour la révision partielle de la LAAM, pris à contre-pied par les attentats du 11 septembre, le GSsA n'a même pas réussi à relancer le débat sur l'armée. Son rôle historique semble donc s'achever; en termes de confrontation, notre armée a bel et bien réussi à reprendre l'initiative en matière de sécurité, et elle la conservera aussi longtemps qu'elle poursuivra sa transformation. Comme l'Armée XXI va permettre de mettre en place les outils – recherche prospective, développement de la doctrine, collaboration internationale – nécessaires à son évolution permanente, ce devrait être le cas. Il reste certes encore à le faire savoir, puisqu'on peut déjà voir certains journalistes parler ouvertement de "réformette" – alors que nous sommes à la veille d'une révolution comme l'armée fédérale n'en a pas connu depuis sa création!
D'autres défis à l'horizon
Il ne faudrait pourtant pas croire qu'aucun autre défi politique ne guette la réforme de notre outil militaire. En effet, on sait aujourd'hui que ses plus dangereux adversaires – les nationalistes et neutralistes de l'ASIN – n'ont pas renoncé à lancer un référendum sur les textes de lois liés à la mise en place de l'Armée XXI. Celle-ci ayant déjà été repoussée d'une année, malgré toute l'urgence de la situation actuelle, on ne saurait sous-estimer l'impact potentiel d'un contre-temps supplémentaire. Temporisateur et adoptant un profil bas, le chef du DDPS Samuel Schmid n'a pas pour l'heure tenté de désamorcer cette double opposition des isolationnistes de gauche et de droite. La victoire à l'arraché du 10 juin dernier a donné suffisamment de sueurs froides pour cela!
Un autre défi politique est toutefois déjà agendé: celui du vote sur l'entrée de la Suisse dans l'ONU, en mars prochain. Dans la logique de notre stratégie en matière de politique de sécurité, intitulée "la sécurité par la coopération", il serait incompréhensible que notre pays renonce une fois encore à intégrer les Nations-Unies, alors que tant d'autres pays neutres en font partie. Même si l'armée ne semble pas directement concernée par cette votation, sa collaboration routinière et fructueuse aux efforts de paix lancés par l'ONU perdrait sensiblement en crédibilité avec un rejet. Or ce dernier, notamment en raison de la double majorité du peuple et des cantons, est une possibilité très sérieuse.
Enfin, un troisième défi politique attend cette fois directement l'armée: l'acceptation de ses programmes d'armement annuels, dans le cadre de sa planification prévoyant l'augmentation à 2 milliards des dépenses d'investissement au détriment des frais de fonctionnement. Malgré les avis bien peu éclairés de plusieurs politiques à ce sujet, cette transition est indispensable à la transformation technologique des formations: la mise en place d'un système de commandement et contrôle numérique au niveau opératif et tactique, la motorisation complète de toutes les formations de combat avec de nouveaux véhicules blindés ou encore la transformation des Forces aériennes en une composante polyvalente des opérations interarmées exigeront en effet des dépenses considérables.
La lutte pour la défense nationale va donc continuer. Autant se convaincre qu'elle ne cessera jamais.
Cap Ludovic Monnerat
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