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Victoire du Hamas aux législatives palestiniennes : analyse et perspectives

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12 février 2006

Supporters du HamasL

a prise du pouvoir de l’Autorité palestinienne par les islamistes est un événement marquant au Moyen-Orient, où il signale un déplacement du centre de gravité, mais aussi dans le monde entier. Sa portée et ses développements possibles doivent être analysés.

Un véritable séisme politique vient de se produire au Moyen-Orient à l’occasion des élections législatives palestiniennes du 25 janvier dernier. Le Hamas les a gagnées avec éclat, remportant 74 des 132 sièges en jeu, tandis que le Fatah de Mahmoud Abbas sort du gouvernement la tête basse en n’obtenant que 45 sièges. On se disait bien que ça sentait mauvais pour le Fatah, mais pas à ce point là.


«... Si la victoire du Hamas aux récentes élections palestiniennes a provoqué un choc dans la communauté internationale, il ne saurait s'agir d'une surprise au vu de l'aveuglement de nos gouvernements durant les années nonante. »


Dans les capitales occidentales et en Israël, c’est le choc. Face à ce bouleversement, leurs réactions s’étendent de l’embarras à l’irritation. Personne ne semblait vraiment prêt à cela, c’est un peu comme une mauvaise nouvelle à laquelle tout le monde s’attendait mais dont personne n’aurait voulu regarder la possibilité en face, paradoxe du déni. La secousse passée et la poussière retombant peu à peu sur le sol, les interrogations commencent à poindre et les premières réactions des chancelleries appellent à une suite ordonnée par une véritable perspective d’action. Une stratégie de sortie de crise ? En réalité, nous avons affaire à une nouvelle donne, à une situation qui s’inscrit dans une durée indéterminée.

Loin de l’agitation des diplomates cherchant tant bien que mal à colmater les brèches et à ressouder les rangs, il est bon de prendre le recul de l’analyse. Cette victoire constitue-t-elle une véritable surprise ? Quel constat provisoire appelle-t-elle en terme de sanction des politiques moyen-orientales des acteurs américains et européens ? Vers quelle signification fait-elle signe en ce qui concerne l’évolution de l’islamisme ? Celui-ci en sort-il renforcé ? Dans quelle mesure ? Quel peut en être l’impact géopolitique ? Quels sont les défis qui attendent les dirigeants du Hamas ? Quelle stratégie cette nouvelle position sur l’échiquier politique palestinien et moyen-oriental entraînera-t-elle pour cette organisation islamiste et terroriste ? Face à cette nouvelle situation, quelle est la portée des pressions de la communauté internationale qui s’annoncent sur le Hamas ? Sont elles sincères ? Peuvent-elles être efficaces ? Enfin, le Hamas peut-il évoluer ? L’exercice du pouvoir va-t-il l’amener à se modérer, et si oui dans quelle mesure ?

Voici donc quelques questions auxquelles le texte qui va suivre tentera de répondre. L’approche de ce dernier empruntera largement à la géopolitique, aux dépens de la sociologie politique, plus localisée. Je m’éloignerai donc essentiellement du cadre strict de la société palestinienne, voire de son rapport immédiat avec Israël, pour m’inscrire dans un mouvement plus vaste, plus global et mondial, en relation avec l’espace géographique de l’ensemble du Moyen-Orient, dans ses rapports avec le reste du monde, le but étant de faire ressortir les lignes de fracture idéologiques et politiques que la récente victoire de Hamas a pu renforcer ou modifier ainsi que les perspectives stratégiques qu’elle permet d’esquisser, dans les limites de la prudence et du primat de modestie auxquels l’analyste doit nécessairement souscrire au moment de s’atteler à la réflexion.



1. Une fausse surprise

Le Hamas a donc remporté haut la main les élections législatives palestiniennes, contredisant ainsi les divers sondages qui donnaient, au mieux, le Hamas et le Fatah au coude à coude, avec un léger avantage au second. Cette nouvelle a fait l’effet d’un véritable séisme, certains parlant même de tsunami vert au Moyen-Orient. C’est par conséquent l’étonnement et la stupeur qui caractérisent les réactions face à ce que tout le monde décrit comme un bouleversement majeur au Moyen-Orient. Les raisons avancées pour expliquer la victoire du Hamas renvoient toutes à la corruption massive régnant au sein de l’Autorité palestinienne : mauvaise gestion des finances, incapacité des autorités palestiniennes à mettre en œuvres des réformes, corruptions des fonctionnaires, etc.

En réalité, il ne faudrait pas se montrer si étonnés par une telle chose. Voilà longtemps déjà que l’on parle de corruption au sein de l’Autorité palestinienne (AP) et ce ne sont pas les critiques qui ont manqué vis-à-vis de l’opacité entourant la gestion des aides internationales versées aux divers services palestiniens. Rappelons que l’OLAF, le service européen de lutte anti-fraude de la Commission Européenne, avait même mené une enquête sur le sujet. Mais il n’était pas politiquement correct de mettre son nez dans les affaires palestiniennes et l’enquête avait rapidement été clôturée, malgré des conclusions selon lesquelles, « la possibilité d’une utilisation abusive du budget de l’AP et d’autres ressources ne peut être exclue, dû avant tout au fait que la capacité d’audit interne et externe de l’AP est toujours insuffisamment développée » (1) ou encore, que « certaines des pratiques du passé, telles que le paiement de salaires à des personnes déclarées coupables ou l’aide financière accordée aux familles de 'martyrs' de même que les contributions au Fatah apportées par des membres de l’AP, sont de nature à susciter des malentendus et à donner lieu ainsi à des allégations selon lesquelles l’AP soutient le terrorisme» (2).

A l’époque, le soutien inconditionnel de la diplomatie européenne à Arafat ne permettait pas de critiquer les autorités palestiniennes et empêchait de prononcer le terme même de terrorisme lorsque l’on évoquait quelque membre de la société palestinienne. C’est donc au nom du fameux processus de paix initié dans les années nonante que l’Europe s’est rendue sourde et aveugle, préférant une posture qualifiée trop généreusement d’objective et impartiale par rapport au conflit israélo-palestinien. Hélas, cette cécité a cependant un prix : c’est l’accession au pouvoir des fondamentalistes islamistes du mouvement terroriste Hamas.

Mais il faut se méfier des explications « toutes faites », et si d’aucuns avancent la corruption de l’Autorité palestinienne comme responsable de la victoire du Hamas, il ne faudrait pas que cette soudaine « prise de conscience » ne nous fasse basculer immédiatement dans la naïveté. Car c’est tartufferie que de croire que l’islamisme a surgit ainsi soudainement sur la scène politique palestinienne ! En effet, n’est-il pas bien commode de passer sous silence des années de lavage de cerveau par les dirigeants palestiniens ? N’est-ce pas Arafat qui martelait tous ses discours de la glorification du martyr, de la nécessiter de « libérer Al Qods » (« la sainte », nom musulman de Jérusalem) ? La télévision et les divers services éducatifs palestiniens (notamment les livres scolaires publiés avec les deniers de l’Union Européenne) ne reprenaient-ils pas la même verve haineuse et martyrologique ?

Et que pouvait donc bien signifier la création d’un groupe terroriste tel que les « Brigades des Martyrs d’Al Aqsa », dont plus personne ne nie maintenant qu’elles sont liées au Fatah fondé par Arafat ? Est-ce bien laïc tout cela ? Il faut donc bien se garder d’opposer si catégoriquement un Fatah prétendument laïc et un Hamas islamiste, et admettre qu’Arafat et sa clique ont construit une gigantesque fabrique à terroristes-kamikazes au service d’une rhétorique et d’une idéologie djihadistes. C’est donc en fermant complaisamment les yeux sur une corruption « organisée » au profit d’une haine sémantiquement et idéologiquement consubstantielle à l’islamisme que le monde, et pas seulement l’Europe, a ainsi précipité la victoire du Hamas.

Au-delà de la scène politique palestinienne, cette nouvelle donne vient étonnamment contredire la centralité du conflit israélo-arabe, défendue par de nombreux commentateurs dans la presse et autres acteurs politiques (c’est une théorie chère à Hubert Védrine par exemple, mais également aux diplomates français, de manière plus générale). En effet, en renversant les rapports communément admis de ce conflit avec l’islamisme, la victoire du Hamas a pour effet le de replacer dans le cadre plus général des spasmes de ce dernier, renouant pour ainsi dire avec ses premières amours (qu’on songe par exemple au rôle central du grand Mufti de Jérusalem dans le développement du conflit israélo-arabe). C’est bien l’islamisme qui alimente le conflit qui oppose Israël et le monde arabe, et non l’inverse ! Ainsi, et paradoxalement, cette guerre de près de cent ans prend désormais une dimension presque locale et nous oblige à envisager les choses à un niveau plus vaste, régional voire mondial, à l’échelle des convulsions de l’hydre islamiste en lutte avec la modernité, sur l’ensemble de la surface du globe.



2. L’échec de l’Occident

Par ailleurs, ce changement inattendu consacre un double échec à la fois de la politique moyen-orientale européenne et de celle des Etats-Unis. Du coté européen, c’est la real politik qui échoue ici totalement et se voit contrainte à une prise de distance nette avec la partie palestinienne. Pour l’Union Européenne, l’ambiguïté n’est plus de mise et l’heure de la neutralité dans le conflit israélo-arabe sonne parallèlement avec la clarification de la future ligne politique des nouveaux dirigeants palestiniens. Après tout, Ben Laden n’est-il pas lui aussi un islamiste ? Les auteurs des attentats de Londres et de Madrid n’étaient-ils pas nourris de la même idéologie que les membres du Hamas ? Enfin, peut-on avoir des contacts avec un mouvement que l’Union européenne a elle-même (certes sous pression américaine et israélienne et à contrecœur) placée sur la liste des organisations terroristes ?

Voilà qui ne souffre l’ambivalence, sous peine d’entraîner rapidement une posture schizophrénique intenable. Au-delà d’une telle perspective, c’est aussi le constat par les Européens qu’ils ne peuvent plus maîtriser le cours des événements dans cette région du monde. Alors qu’il semblait si facile d’instrumentaliser les divers acteurs palestiniens au gré des intérêts bien compris des uns et des autres et généralement aux dépens des Israéliens, la distanciation vis-à-vis de « l’interlocuteur palestinien » est devenue d’autant plus nécessaire que celui-ci semble devenir un cheval fou, plongeant les dirigeants politiques et la presse en Europe dans l’embarras et la perplexité.

Concernant les Etats-Unis, on peut déjà relever le coup sérieux porté à la volonté de démocratisation du Moyen-Orient. Certes, il faut se féliciter que des élections réellement libres aient eu lieu dans les « territoires disputés » (selon la célèbre formule de François Mitterrand) ou ailleurs en Irak et souligner sans déplaisir leur caractère historique. Néanmoins, les responsables américains doivent bien se rendre compte qu’à chaque fois, ils prennent le risque de voir des mouvements religieux accéder au pouvoir, appliquer leur vision théocratique de l’Etat et renforcer l’islamisme. Ainsi, en Irak, c’est l’alliance des chiites qui a pu se hisser au centre de l’échiquier politique et ainsi promouvoir la charia à une dimension constitutionnelle. En Egypte, ce sont les Frères musulmans qui ont fait une percée spectaculaire, agitant les chancelleries (certes, avec la complicité de Moubarak). Enfin, le Hamas, émanation palestinienne des islamistes de la Confrérie égyptienne, est désormais parvenu au pouvoir alors qu’il participait pour la première fois à des élections législatives, affaiblissant un peu plus les gouvernements égyptien et jordanien, eux-mêmes confrontés aux islamistes. On peut douter que l’administration américaine ait eu pour projet de favoriser ainsi l’islamisme contre lequel elle se déclare ouvertement en guerre.

C’est ici qu’il faut réaffirmer que si les Etats-Unis ne se sont pas trompés d’ennemis, leur politique pêche actuellement par manque d’ambition et souffre probablement d’une administration Bush II plus hésitante que la première, ce qui a inévitablement des répercussions sur le soutien du public à sa ligne de conduite. N’oublions pas que la lutte contre l’islamisme doit avant tout se porter sur le terrain idéologique. J’y reviendrai plus loin, mais la rhétorique de l’administration américaine, si elle a le don de flatter son opinion publique, n’insiste pas assez sur la nécessité de livrer le combat sur le plan des idées. Organiser des élections dans le monde arabe, fussent-elles libres, ne suffit pas. La liberté qui est ainsi offerte aux populations arabes et musulmanes ne dure que le temps d’une élection et ne bénéficie pas du socle philosophique et politique nécessaire à sa consolidation.

Il est urgent de rappeler ici avec force que la démocratie n’est pas seulement une affaire administrative. D’une part, l’organisation d’une procédure électorale par une administration ne suffit pas à définir le caractère démocratique d’une société ou d’un régime donnés. Encore faut-il incarner le principe de la séparation de trois pouvoirs dans un cadre institutionnel ! C’est « l’oubli » de ce principe à la fois élémentaire et fondamental qui a amené des dirigeants européens (dont le ministre français des affaires étrangères) à qualifier un peu vite le président iranien Ahmadinejad de président démocratiquement élu !

Par ailleurs, la démocratie trouve son fondement véritable dans une société civile imprégnée des valeurs de liberté individuelle. Or, si les Américains cherchent sans doute sincèrement à faire émerger cette improbable société civile en Irak, malgré l’histoire tragique ce pays et avec des résultats réels mais qu’il convient de mesurer avec prudence, sans pour autant dénigrer la perspective qu’ils offrent à la fois aux Irakiens et au Moyen-Orient tout entier, il faut bien admettre qu’une telle société civile est absente dans les « territoires disputés » et pour le moins problématique en Egypte, pour ne parler que des régions dans lesquelles on a pu observer des élections « libres » grâce à l’influence de la politique de l’administration américaine. Rappelons-nous qu’en Europe, berceau de la démocratie, Hitler a pu accéder au pouvoir grâce à des élections, ouvrant ainsi des pages sombres pour l’Allemagne, prélude à une conflagration mondiale, dans la foulée de la psychose nazie !

Ce n’est pas un hasard si je cite cet exemple. En effet, le nazisme et l’islamisme partagent bien un point commun, au-delà de leur visage totalitaire : ce n’est pas de la démocratie qu’ils se sont affirmés les ennemis mais du libéralisme. Le voilà ce socle de la démocratie. Historiquement, c’est parce que les libéraux se sont associés aux forces promouvant la démocratie, au tournant du XIXème siècle, que celle-ci a pu s’établir comme cadre politique de nos sociétés. C’est sur ce point que l’administration américaine doit être à la fois ambitieuse et courageuse : c’est dans l’affirmation de nos valeurs libérales et dans la conviction profonde dans leur vertu contagieuse que l’islamisme sera défait ! Il le sait d’ailleurs, ce qui alimente ses spasmes les plus violents.



3. Le centre de gravité islamiste et l’Iran

Il n’empêche que cette nouvelle poussée de l’islamisme au Moyen-Orient est une mauvaise nouvelle. Comme je l’ai dit plus haut, le Hamas est une émanation des Frères musulmans. Ce mouvement né en Egypte en 1928 possède de nombreuses ramifications dans plusieurs pays arabes, dont par exemple la Jordanie, où il est autorisé à participer à la vie politique et siège au parlement. Autant dire que la victoire des islamistes palestiniens du Hamas est un vif succès pour la confrérie égyptienne et pour la propagation de ses idées. Longtemps interdits par les gouvernements égyptiens successifs pour avoir assassiné le premier ministre d’Egypte en 1948, sévèrement réprimés par le régime nassérien, les Frères musulmans ont pour but d’étendre la bannière de l’islam sur le monde. S’ils se concentrent essentiellement sur le développement des œuvres sociales (3) et la construction de mosquées, ils ont également produit plusieurs théologiens de grande importance dans l’islam sunnite. Ainsi, par exemple Sayyid Qutb, dont l’autorité est encore très grande chez les islamistes (il est mort en 1966). Son frère cadet a eu pour élève un certain Oussama Ben Laden, en Arabie Saoudite, et Ayman al-Zawahiri est lui-même un ancien membre de la Confrérie égyptienne.

Comprendre l’importance de ce renforcement politique du cœur idéologique de l’islamisme mondial permet également de saisir l’ampleur du tremblement de terre qui vient de se produire à l’occasion des élections palestiniennes. Alors que jusqu’à présent, comme par l’effet d’une illusion d’optique, on présentait l’Irak comme le centre de gravité du monde arabe et du Moyen-Orient, on assiste au « déplacement » de ce même centre de gravité, plus au Sud, dans un arc de cercle allant de l’Egypte à l’Arabie Saoudite. Et, paradoxalement, alors comme, comme je l’ai écrit plus haut, le conflit israélo-arabe vient de se « re-localiser », les « territoires disputés » se retrouvent au milieu même de cet arc de cercle et le Hamas vient de s’y placer au centre !

Voici donc, par ce coup de théâtre, l’islamisme renforcé politiquement et géographiquement, indiquant par là même, comme par un doigt provocateur, l’endroit précis ou le camp libéral et démocrate doit agir s’il veut faire éclater le cœur de son ennemi mortel (4). La mise entre parenthèses, du moins provisoirement, de l’internationalisation du conflit israélo-palestinien a projeté dans le même mouvement le Hamas et le problème de l’islamisme au cœur du monde. Voilà qui éclaire d’une lumière nouvelle et inattendue les développements que nous avons pu constater ces derniers mois en Irak, au Liban et en Syrie…

Mais il ne faudrait pas pour autant négliger l’Iran. Ce grand représentant de l’islamisme, version chiite, a certainement appris la victoire du Hamas avec plaisir. Car lui aussi sort renforcé de ce scrutin. Grâce à un tel résultat et au noyautage de l’Autorité palestinienne par son allié islamiste, Israël se retrouve maintenant quasi encerclé : au nord, le Hezbollah et la Syrie ; à l’est et au sud, l’Autorité palestinienne et le Hamas. La pénétration de la société palestinienne par l’Iran s’en trouvera accrue, ainsi que son potentiel de nuisance contre Israël et les intérêts occidentaux. Ainsi donc, l’Iran sera en mesure d’exercer un double chantage, vis-à-vis d’Israël et de l’Occident, en frappant tantôt au Liban, tantôt en Irak ou encore, en Israël même.

Rappelons ici que la puissance d’un Etat se définit par rapport à sa capacité à modeler son environnement en fonction de ses intérêts. On comprend dès lors que l’Iran est désormais d’autant plus puissant qu’il dispose à présent de territoires « neutres », ou plutôt étrangers à ses propres frontières, pour harceler Israël et lui livrer ainsi une guerre « indirecte », contrairement à ce dernier qui se trouve dépourvu d’une telle possibilité. Ainsi l’asymétrie entre l’Iran et l’Etat hébreu finit de se mettre en place sur l’échiquier moyen-oriental : il ne reste plus à Téhéran qu’à obtenir l’arme nucléaire pour parachever son système.



4. Le défi du Hamas : la consolidation

Mais revenons plus spécifiquement au Hamas. Sa victoire n’est pas sans lui poser quelques problèmes. Tout d’abord, on peut remarquer une certaine gêne, à la mesure de sa propre surprise face à l’ampleur de son succès électoral. Manifestement, il ne s’attendait pas à un résultat aussi net et écrasant par rapport au Fatah de Mahmoud Abbas. Cette nouvelle position sur l’échiquier politique palestinien ne lui permet plus de jouer un rôle de pure « négativité » par rapport à son environnement et à l’Autorité palestinienne : il est désormais l’Autorité palestinienne, ce qui l’oblige à l’affirmation d’une ligne politique et ne lui autorise plus seulement le sabotage de celle des autres. C’est vraisemblablement dans cette optique qu’il faut d’ailleurs voir la proposition faite au Fatah de s’associer au Hamas, dans une sorte de gouvernement d’union nationale bien commode, tant sur le plan intérieur qu’extérieur (j’y reviendrai), afin de déléguer à la formation de Mahmoud Abbas certains postes clef. Etonnamment, certains voient d’ailleurs dans ce changement de situation la condition d’une possible, voire nécessaire évolution du Hamas vers plus de « pragmatisme » et vers un abandon de certaines de ses revendications politiques.

D’autre part, la très nette défaite du Fatah ne permet pas non plus au Hamas d’avoir un contrôle suffisant du parlement palestinien pour pouvoir modifier la constitution de l’Autorité palestinienne. Rappelons que le Hamas a remporté 74 sièges, contre 45 attribués finalement au Fatah. Or, une majorité des deux tiers des 132 membres que comporte le conseil législatif palestinien est requise pour modifier la Loi fondamentale palestinienne. Les résultats des récentes élections mettent donc le Fatah dans la position de pouvoir bloquer le Hamas dans toute tentative de modification constitutionnelle.

Enfin, l’accession au pouvoir des fondamentalistes du Hamas les place dans le jeu complexe des relations internationales avec ce que cela comporte d’éventuel rapport à des accords politiques et économiques passés antérieurement par l’Autorité palestinienne. Tout met le Hamas devant la nécessité de consolider ses positions avant de pouvoir avancer dans ses ambitions. On peut analyser cette future stratégie de consolidation selon deux points de vue : intérieur et extérieur.

Sur le plan intérieur, comme je l’ai mentionné plus haut, le Hamas, malgré son imposant succès électoral, n’est pas assuré d’une position suffisamment forte pour avoir toujours les coudées franches au niveau politico-sociétal. Non seulement le Fatah cherchera à marquer son opposition, mais on peut même imaginer que, dans cette nouvelle configuration du paysage politique palestinien, Mahmoud Abbas en sera l’élément le plus représentatif. On se situe donc dans une sorte de cohabitation à la française. Aussi le Hamas devra-t-il solidifier sa nouvelle implantation politique s’il veut la rendre définitive, pour ensuite augmenter encore son emprise sur la société palestinienne. Voilà qui mobilisera la capacité des dirigeants du Hamas de manœuvrer avec habileté.

Sur ce point, il n’est sans doute pas inintéressant de relever au passage la finesse tactique et le réalisme des islamistes. Outre le respect d’une trêve auto-décrétée avec Israël en vue du retrait de Gaza de cet été et des élections palestiniennes (le contraire aurait conduit inévitablement à l’élimination des responsables du Hamas par Tsahal), les membres du Hamas n’ont pas hésité à s’allier localement à des éléments chrétiens, comme par exemple à Ramallah, où ils se sont présentés sur une liste derrière une femme chrétienne, en édulcorant une partie de leur discours électoral, alors que dans d’autres circonscriptions, les arguments plus classiques de ces fondamentalistes et un discours par conséquent plus agressif étaient affichés sans aucune retenue : en clair, la charia pour tous, le culte du martyr et la volonté de destruction d’Israël.

On le voit, déjà avant les élections, le Hamas avait opté pour le « pragmatisme » dans le but évident de pousser le Fatah sur le banc de touche, jusque dans ses fiefs les plus symboliques. Quant à savoir si on doit en conclure que les nouveaux « alliés » chrétiens seront durablement présents dans la stratégie du Hamas, le fait qu’il n’ait aucunement modifié son discours ailleurs doit nous fournir la réponse : si Paris vaut bien une messe, Ramallah, et plus généralement l’ensemble de la société palestinienne, peuvent bien s’accommoder de certains arrangements aussi ! Non seulement une approche « pragmatique » est donc tout à fait possible, mais on peut également imaginer qu’elle se poursuivra où et quand le Hamas le jugera nécessaire et dans les proportions qu’il faudra pour permettre aux islamistes du Hamas de mieux asseoir leur pouvoir. Voilà qui répond déjà en partie à ceux qui avancent que l’accession du Hamas aura la vertu inattendue et heureuse d’amener celui-ci à mettre de l’eau dans son vin et à se modifier progressivement.

Cependant, tout ne sera pas nécessairement simple pour les islamistes palestiniens désormais au pouvoir. Ainsi, sur le plan du discours électoral, ils devront contenter à la fois ceux qui auront été sensibles à l’argument de la corruption et ceux qui soutiennent leur rhétorique virulemment guerrière à l’encontre d’Israël, ce qui nécessitera de concrétiser les promesses faites, en tout ou en partie. Voilà qui obligera les responsables du Hamas à franchir le pas de la complexité de l’action exécutive et les amènera à établir des alliances solides avec des alliés extérieurs. Enfin, une évolution vers un discours se rapprochant parfois du double langage employé auparavant par Arafat n’est pas à exclure.

Mais un des plus grands dangers réside malgré tout dans l’éclatement de la société palestinienne, selon le mouvement observable depuis plusieurs mois maintenant. En effet, la libanisation des « territoires disputés » œuvrée par Arafat, avec la multiplication des groupes armés et le foisonnement croissant des seigneurs de guerre locaux, gangrenant l’Autorité palestinienne et ajoutant à la corruption ambiante, sera un obstacle majeur pour le Hamas. Les différents groupes armés liés au Fatah ont d’ailleurs déjà affirmé qu’ils refusaient l’autorité du Hamas. Le risque de guerre civile est donc bien réel, ce qui ne saurait surprendre au regard de l’anarchie grandissante visible à Gaza depuis le retrait israélien de cet été et la « prise en mains » de cette région par l’Autorité palestinienne.

Le Hamas cherchera donc à se consolider sur le plan intérieur tout en déconstruisant en partie l’héritage d’Arafat, s’il veut éviter à la fois son effondrement face à Israël et la perte de sa pénétration de la société palestinienne, à la mesure du chaos auquel il a lui-même contribué.

Sur le plan extérieur, il s’agira tout d’abord pour le Hamas de rechercher des alliés régionaux et d’établir des alliances solides, comme je l’ai mentionné plus haut. En réalité, de telles alliances existent déjà. Elles ont été constituées bien avant les récentes élections. En effet, n’oublions pas que le Hamas est une émanation des Frères Musulmans. Ceux-ci se présentent comme une organisation puissante qui possède des ramifications dans l’ensemble du monde arabo-musulman et dont l’efficacité des relais est très importante, y compris en Europe (5). Mais d’autres alliés de poids figurent sur la liste des soutiens extérieurs du Hamas. L’Iran et la Syrie sont les Etats les plus proches politiquement et militairement de cette organisation terroriste. Rappelons que Damas abrite le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Meshaal.

En fait, les liens entre ces trois acteurs proche orientaux sont très étroits. Ainsi, le président iranien Mahmoud Ahmadinejab a effectué une visite chez son allié syrien le 19 janvier dernier, soit quelques jours avant les échéances électorales palestiniennes et y a rencontré les chefs de plusieurs organisations terroristes palestiniennes dont, précisément, Khaled Meshaal. Au soutien politique et financier de la Syrie et de l’Iran au Hamas s’ajoute un appui militaire conséquent qui s’exerce également par des relations avec le Hezbollah libanais, tant sur le plan du renseignement que de la logistique, alimentant par exemple la contrebande d’arme, dans la bande de Gaza. A ces partenaires « de choix », on peut ajouter l’Arabie Saoudite qui, par ses pétrodollars, ne rechigne jamais à financer les organisations islamistes au Moyen-Orient et dans le monde, à travers le financement de constructions de mosquées ou de projets « éducatifs ».

En dehors de la région, le Hamas cherchera probablement à surmonter le mouvement initial de refus de la part des puissances occidentales. La stratégie employée sera sans doute la bonne vieille méthode consistant à enfoncer un coin entre l’Europe et les Etats-Unis, à l’instar des islamistes d’Al Qaïda ou naguère de Saddam Hussein. Comme je l’ai dit plus haut, ce n’est que sous pression des Etats-Unis et d’Israël et encore, à contrecœur, que les Européens ont fini par inclure le Hamas dans la liste des organisations terroristes. Et malgré les premières levées de boucliers, on peut déjà lire dans la presse de nombreux plaidoyers en faveur d’un traitement « pragmatique » du Hamas, au nom du processus de paix bien entendu, et en vertu notamment de l’argument selon lequel l’organisation islamique une fois au pouvoir va nécessairement s’assagir et évoluer dans un sens pacifique.

Par ailleurs, les experts de l’Union européenne n’ont pas attendu bien longtemps pour étudier la possibilité de retirer le Hamas de cette fameuse liste noire des organisations terroristes (6). Ainsi, ils se sont réunis deux jours seulement après les élections palestiniennes pour se pencher sur une telle possibilité et constater la difficulté à concrétiser une telle chose avant longtemps. Enfin, n’oublions pas l’utilisation des bons sentiments des Européens. Ainsi par exemple, on entend déjà les uns et les autres « s’interroger » sur l’opportunité de mettre un terme à l’aide financière européenne à destination de l’Autorité palestinienne : une telle attitude ne risque-t-elle pas de jeter une population désespérée et miséreuse dans les bras des islamistes et de pousser le Hamas à se tourner vers l’Iran ? Comme quoi, la distanciation vis-à-vis du « cheval fou palestinien » que j’ai évoquée plus haut n’est peut-être pas si définitive et tranchée que cela.

Mais un autre allié inattendu pourrait se révéler sur la scène politique et diplomatique du côté américain. En effet, la seconde administration Bush a déjà montré de nombreux signes d’hésitation et la difficulté du président américain à maintenir une ligne politique claire, à imposer sa vision stratégique à travers les différentes administrations fédérales chapeautées par son gouvernement, mais également à faire preuve d’autorité sur le plan intérieur, sont autant de marques de faiblesse qui sont immanquablement exploitées par les adversaires de la Maison Blanche. Et l’empêtrement des Etats-Unis en Irak, dû en partie à une mauvaise gestion de l’après guerre par certains civils de la Défense accrochés trop farouchement aux dogmes de la RMA (Réforme dans les Affaires Militaires) pour des raisons politiques ou strictement doctrinales, ainsi que l’inévitable répercussion de la complexité de la question irakienne sur le très épineux et actuellement insoluble dossier iranien, ont ainsi permis aux réalistes du Département d’Etat de manifester leur influence à plusieurs reprises ces derniers mois, parfois à contre-courant de la politique affichée jusque-là par le président américain, sur fond de marchandage avec la Russie ou la Chine.

Il y a là manifestement une fenêtre d’opportunité que le Hamas cherchera sans doute à exploiter dans la mesure du possible, afin de tenter d’améliorer sa position et d’affaiblir celle du gouvernement israélien, l’obligeant à des concessions ou à une inflexion de son action sur le terrain politique ou militaire.



5. Pressions et espoirs d’évolution

En attendant, le discours affiché par l’Europe et les Etats-Unis se veut clair: pas de contacts avec le Hamas tant qu’il n’abandonnera pas le terrorisme et ne reconnaîtra pas Israël. En outre, il devra accepter tous les accords internationaux auxquels l’Autorité palestinienne est liée. Le ton employé dès les premières réactions une fois la stupeur passée a été très ferme tandis que dans la presse, on se plaisait déjà à faire le parallèle avec l’OLP qui avait fini par réaliser toutes ces conditions ce qui paraissait encore surréaliste il y a quelques années. Et manifestement, cette inflexibilité dans les déclarations officielles n’est pas indissociable d’un certain espoir d’évolution, comme on vient de le voir plus haut, le moins surprenant n’étant pas les dernières déclarations de Georges W. Bush, se disant persuadé que le Hamas devra nécessairement changer s’il veut satisfaire tous les déçus de la corruption régnant au sein de la société palestinienne.

Premièrement, il convient de rester prudent dans les prédictions et de nuancer les comparaisons faciles. N’oublions pas en effet que si effectivement l’OLP avait bien évolué dans les années nonante surtout, c’est au profit du développement d’un double langage qui n’a jamais évacué la haine d’Israël. Quant au processus d’Oslo, tout le monde s’accorde maintenant pour admettre son échec. En réalité, il n’y a jamais eu de processus de paix. C’est un mythe que seuls les plus crédules imaginent encore dans des souvenirs qu’ils croient réels. Après tout, ce fameux processus a aboutit à « l’Intifada Al Aqsa », dont le nom même renvoie à une rhétorique djihadiste. Et seuls les plus malhonnêtes nient encore que cette guerre a été voulue et déclanchée par l’Autorité palestinienne, en dépit des preuves irréfutables qu’on peut leur présenter. En fin de compte, il n’y a jamais eu d’abandon du terrorisme par l’OLP. Quant à Oslo, il n’est plus qu’un mirage qui, une fois dissipé, a révélé la corruption d’une Autorité palestinienne morte née et dévouée à la guerre, à la libanisation des « territoires disputés »… et au développement de l’islamisme qui agite maintenant toutes les chancelleries occidentales !

Deuxièmement, au-delà de ce mélange de fermeté et d’espoir face à ce qui paraît impossible, on peut se poser plusieurs questions. Tout d’abord, cette insistance soudaine à désigner le Hamas comme une organisation terroriste (comparée au déni pratiqué pendant des années dans la presse, jusqu’à aujourd’hui encore, où les journalistes, suivant en cela les agences de presse elles-mêmes, se plient à une sémantique douteuse, parlant systématiquement d’activistes et de militants au lieu de terroristes), et ces déclarations inflexibles couplées aux menaces de rupture de donations financières ne sont-elles pas la meilleure manière d’entériner ce que le Hamas a de plus abject dans son idéologie ? En effet, n’oublions pas que s’il est vrai que le Hamas est bien une organisation terroriste qui ne reconnaît pas Israël, l’idéologie qu’il promeut est bien plus hideuse encore. Car ce n’est pas seulement une organisation antisioniste, c’est aussi un mouvement virulemment antisémite. La lecture de sa charte lève tout doute à ce sujet !

C’est ici qu’il faut se montrer de la plus extrême vigilance et se refuser à toute tentation « pragmatique » face au Hamas et à l’idéologie islamo-fasciste qu’il véhicule. Ce n’est pas seulement la real politik à l’européenne que j’entends critiquer ici, mais aussi les limites de la rhétorique américaine. Le slogan répété à l’envi de la nécessité de la guerre contre le terrorisme, s’il est certainement fédérateur sur le plan de l’opinion publique américaine, n’est sans doute pas le choix le plus judicieux de l’administration américaine en termes de communication. En effet, une telle formule ne peut pas résumer à elle seule une politique digne de ce nom, en ce que le terrorisme n’est jamais qu’une méthode qui a précédé l’islamisme et lui survivra probablement, malheureusement (7). Au-delà de l’horreur que représente le meurtre d’innocents et l’instrumentalisation de la terreur à des fins politiques, c’est, ainsi que je l’ai écrit plus haut et au risque de me répéter, une guerre contre une idéologie politico-religieuse qu’il faut mener ! Et si les dirigeants américains l’ont manifestement bien compris, l’opinion internationale, elle, reste dans l’incompréhension, voire la défiance. Or, cette approche du Hamas visant à pointer son caractère terroriste échoue encore une fois à mettre en lumière les lignes de tension et les enjeux véritables qui sous-tendent les récents bouleversements politiques dans cette région du monde.

Il n’en reste pas moins que ces déclarations sont assorties du refus d’accorder quelque aide économique à l’Autorité palestinienne si le Hamas ne remplissait pas les conditions énoncées ci-dessus. Rappelons ici que la population palestinienne reçoit des aides financières très importante de la part des différents acteurs internationaux. Les pays européens sont les plus grands donateurs, et versent en tout près de 500 millions d’euros à destination de « territoires disputés », soit par l’intermédiaire de l’Union européenne (via notamment la Commission européenne), soit à titre d’accords bilatéraux. Quant aux Etats-Unis, rien que l’année dernière, ils ont donné 363 millions de dollars. Cependant, le Quartette (c’est-à-dire, les Etats-Unis, l'Union européenne, la Russie et l’ONU, représentée en l’occurrence par le secrétaire général des Nations-Unies) a déjà décidé, lors d’une réunion à Londres… de ne rien décider dans l'immédiat et de laisser un délai de trois mois au Hamas, avant d’appliquer d’éventuelles mesures de cessation de l’aide économique (la Russie a même déjà annoncé qu’elle s’opposait à l’idée d’imposer des conditions au Hamas !).

Pour revenir à ce qui a été écrit plus haut, outre les espoirs d’évolution de l’organisation islamiste palestinienne, on peut entendre des voix susurrer que des menaces économiques ne feraient qu’accentuer le pouvoir de séduction du Hamas. On peut lire de nombreux articles de presse allant en ce sens. Leïla Shahid, dont les talents de sophiste ne sont plus à démontrer, expliquait par ailleurs aux journalistes de la télévision, il y a quelques jours, qu’une telle décision reviendrai à pousser le Hamas lui-même dans à se tourner vers l’Iran et d’autres pays extrémistes ! Mais en réalité, une telle chose est déjà faite depuis longtemps, en vertu d’une alliance stratégique solide et ancienne.

Il convient d’ailleurs de nuancer certaines choses : par exemple, sur les 500 millions d’euros d’aide européenne, seulement 70 millions sont destinés directement au fonctionnement de l’Autorité palestinienne (selon Libération du 27 janvier 2006). On comprend donc que non seulement, il y a moyen de faire des distinctions même au niveau d’une éventuelle concrétisation des menaces économiques, mais que, loin d’être désespérés, les barbus palestiniens trouveraient rapidement de quoi faire tourner leur machine administrative, politique et militaire, grâce aux fonds provenant de la manne pétrolière en Arabie Saoudite et en Iran. La Syrie a d’ailleurs d’ores et déjà lancé un appel d’aide économique au Hamas fraîchement élu. Au fond, tout ceci semble parfaitement conforme à la stratégie de consolidation à la fois intérieure et extérieure analysée dans les lignes précédentes et ce, jusque dans les propos même de Leïla Shahid ! On le voit, les grandes manœuvres ont déjà commencé.



6. Une évolution du Hamas ?

Mais il est temps de répondre à la question de l’évolution possible du Hamas suite à sa victoire aux élections législatives palestiniennes. L’accession au pouvoir de ce mouvement islamiste prônant la violence et le recours au terrorisme va-t-elle l’amener à se modérer face aux impératifs découlant de la gestion d’une population qui attend de lui qu’il mette fin à la corruption, la gabegie et la misère régnant dans la société palestinienne ? Il est difficile de répondre catégoriquement et, à vrai dire, la prudence commande sans doute de s’en garder.

Une chose est sûre, le Hamas a des alliés puissants avec l’Iran, la Syrie et plus secondairement le Hezbollah. D’autre part, ses liens historiques avec les Frères Musulmans et leurs multiples ramifications dans l’ensemble du monde arabo-musulman les connectent avec ce que l’on pourrait appeler l’islamisme mondial. De plus, le soutien de l’Arabie saoudite restera sans doute important. Enfin, le rôle de certaines puissances extérieures au théâtre moyen-oriental, telles la Russie ou la Chine, elles-mêmes alliées à l’Iran, ne doit pas être négligé.

D’un autre côté, les difficultés qui attendent le Hamas sont réelles. L’Etat de décomposition de la société palestinienne est avancé et les graves problèmes de corruption, la misère d’une population conditionnée à la guerre par une Autorité palestinienne belliciste et le chaos sécuritaire résultant de la multiplication des groupes armés palestiniens sont autant de défis pour des islamistes n’ayant jamais eu l’expérience de ce niveau de pouvoir et de gestion.

Enfin, la perplexité des puissances occidentales et la perspective d’un possible marchandage concernant d’autres dossiers brûlants comme l’Irak ou l’Iran viennent découvrir des opportunités au Hamas, augmentant le jeu (et l’enjeu) entre les acteurs.

Dans un tel contexte, bien malin celui qui peut prédire l’avenir. Oui, le discours du Hamas saura s’infléchir selon les circonstances : ils ont démontré cette capacité ces derniers mois, ainsi que je l’ai déjà démontré. Oui, la gestion de questions pratiques (gestion des « frontières », remboursement de taxes par Israël à l’Autorité palestinienne…) obligera les islamistes, dans la perspective d’un refus de participation au pouvoir du Fatah, à maintenir un certain niveau de « contact » avec les Israéliens. Mais il sera relativisé par le Hamas, qui les ramènera bien vite par exemple au qualificatif de « niveau critique de relations avec l’ennemi sioniste », ou à des contacts « techniques », tout en redoublant de violence dans sa rhétorique guerrière à l’adresse de sa propre population. Du côté des puissances extérieures il faudra alors se garder de tomber dans le piège de l’inflation sémantique qu’Arafat avait lui-même initiée et éviter de prendre ses désirs pour des réalités et de forcer la main à Israël, dans l’optique d’un grand marchandage diplomatique.

En effet, la comparaison trop heureuse du Hamas avec la trajectoire de l’OLP et d’Arafat doit justement nous raviver à l’esprit la désastreuse expérience d’Oslo. C’est en effet sur fond de « reconnaissance d’Israël » et d’abandon du terrorisme par ceux-là même qui viennent d’être chassés du pouvoir que s’est développé la plus grande entreprise terroriste de l’histoire, avec son cortège de d’attentats suicide, de rhétorique djihadiste, de glorification du « martyr », culminant avec « l’Intifada Al Aqsa », s’accompagnant de la décomposition de la société palestinienne, sur fond de diabolisation d’Israël, avec la bénédiction compatissante de la presse internationale et pour résultat final, le chaos dans la Bande de Gaza et la victoire du Hamas, comme dernier prolongement de l’entreprise politicide de Yasser Arafat. Prenons garde de ne pas commettre la même erreur !

Quoi qu’il arrive, le Hamas restera fortement lié aux autres forces islamistes de la région, en particulier les Frères Musulmans d’Egypte… de Jordanie et de Syrie. Car un compromis, fût-ce seulement à travers le discours ne sera pas sans provoquer de virulentes réactions parmi ces organisations diverses. On ne rigole pas avec la trahison et le blasphème dans l’islamisme. Les récentes violences dans le monde arabo-musulman, qui prennent pour prétexte la diffusion de caricatures dans un quotidien danois en décembre sont là pour le rappeler. Le Hamas devra donc avoir un dialogue intense avec tous ses « partenaires » et alliés, sous peine de mettre en péril sa propre unité. On l’aura donc compris, le Hamas vient de rentrer dans l’ère de la communication.



Conclusion

Comme on a pu le voir, si la victoire du Hamas aux récentes élections législatives palestiniennes a provoqué un choc dans la communauté internationale, et en particulier chez les Occidentaux et Israël, il ne saurait s’agir véritablement d’une surprise au vu de l’aveuglement de nos gouvernements durant l’ensemble des années nonante et du manque patent de recul et de sagesse dont tous, politiques, journalistes et intellectuels ont fait preuve par rapport à la politique suicidaire d’Arafat. Cet échec, tant de la politique américaine que de celle des Européens au Moyen-Orient a aboutit à ce véritable séisme politique dont l’effet immédiat est le renforcement du centre de gravité islamiste et une amélioration des positions stratégiques au Moyen-Orient par l’Iran.

Quant à l’avenir du Hamas et de ses relations tant avec Israël qu’avec le reste du monde, si les difficultés auxquelles les islamistes palestiniens vont être confrontés sont véritablement grandes, à la mesure de la déliquescence économique, politique et morale de la société palestinienne, il ne faut pas pour autant minimiser leur intelligence tactique et manœuvrière. En effet, en dépit d’un discours très violemment antisioniste, antisémite et antioccidental, l’habilité politique des dirigeants du Hamas est réelle et la sous-estimer serait une grave erreur ! N’oublions pas que sa victoire pour sa première participation à des élections législatives est aussi le résultat d’une stratégie tissée de longue date, recourant aussi bien à l’ultra violence du terrorisme suicide, qui a inspiré Ben Laden et ses émules, qu’au pragmatisme de la « Hudna », la trêve avec Israël, ou encore à l’adaptation de son discours de campagne et à des alliances locales avec des chrétiens, sans oublier la mise en avant de femmes sur les listes électorales, contredisant en apparence seulement son idéologie. Par conséquent, si le Hamas est bien un mouvement purement islamiste pratiquant le terrorisme, il sait manifestement adopter une attitude « pragmatique » pour parvenir à ses fins.

Face à cette perspective la communauté internationale, unie dans un premier temps dans la stupeur et le choc d’un résultat qu’elle n’attendait pas, sera forcément tentée de se diviser. Pour les Occidentaux, le dilemme est de taille : couper les ponts avec l’Autorité palestinienne, dans un mouvement de clarification des positions par rapport à l’islamisme, au risque d’une densification de la confrontation et de l’effondrement définitif de la société palestinienne, ou, au contraire, opter pour le réalisme, en forçant la main à Israël, au prix d’un inévitable compromis sur leurs valeurs et d’improbables négociations avec les forces islamistes, et ce malgré le caractère « total » d’une guerre « sociétale » qui nous oppose à présent sur l’ensemble du globe à ceux que l’on qualifie de fascistes verts.

Quel que soit la stratégie mise en œuvre, il faudra néanmoins s’attendre à une lutte d’autant plus difficile que le Hamas se révélera être un adversaire certainement aussi rusé et déterminé qu’Arafat. Formulons donc l’espoir que la communauté internationale saura agir avec fermeté et clairvoyance afin d’éviter les erreurs du passé.



Emmanuel Dubois  
Philosophe et enseignant  



Notes

(1) http://europa.eu.int/comm/anti_fraud/press_room/pr/2005/03_fr.html

(2) Idem.

(3) On a tendance à présenter les activités sociales d’organisations islamistes comme les Frères musulmans, le Hamas ou le Hezbollah comme une sorte de moyen permettant d’amadouer des populations déçues par la corruption du régime ou livrées à la misère, mais ce faisant, on occulte le fait que loin d’être une tactique intéressée et machiavélique de ces islamistes, il ne s’agit tout simplement que de l’application par ces mouvements des principes fondamentaux de l’islam, l’aumône (zakat) étant l’un des 5 piliers de l’islam.

(4) Je ne cherche pas ici à minimiser le problème iranien et la profonde incidence que le développement de la bombe atomique par Téhéran pourrait avoir sur le rapport de force entre l’islamisme et le monde libre. Je reviendrai sur la question de l’Iran plus loin.

(5) On peut par exemple se rapporter aux récentes et violentes réactions dans le monde musulman à la publication en septembre dernier de caricatures de Mahomet dans un quotidien danois. Cf. analyse de l’ESISC dans le monde musulman .

(6) http://www.lefigaro.fr/cgi/edition/genimprime?cle=20060127.FIG0159

(7) C’est la raison pour laquelle il faut se féliciter des récentes déclarations faites par le secrétaire d’Etat à la Défense américain lors d’une conférence internationale sur la sécurité à Munich. Donald Rumsfeld y a en effet expliqué que le terrorisme international avait préexisté à la guerre en Irak et qu’elle lui survivrait, tout en insistant sur la cible islamiste visée à travers la « guerre contre le terrorisme ». Si c’est manifestement un pas dans la bonne direction, il faut néanmoins regretter que les Etats-Unis ne s’investissent pas plus encore dans la voie de la clarification de leur politique auprès d’un public qui est parfois tenté de ressentir l’action américaine comme une instrumentalisation paranoïaque du 11 septembre ou comme une lecture superficielle du Moyen-Orient, ce qui est, répétons-le, doublement faux .









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