Srebrenica et l’Europe, entre l’espoir et l’oubli
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20 juin 2005
ix ans après les massacres de Srebrenica en Yougoslavie, l’histoire semble rattraper les responsables de ce qui fut le plus grave massacre de toute la guerre en Bosnie.
Une vidéo a récemment montré longuement l’assassinat de 6 musulmans habitant de Srebrenica par une milice serbe, intégrée aux Forces spéciales du Ministère de l’intérieur de Serbie. Ce document apporte à la remarquable opiniâtreté de la procureur du Tribunal Pénal International (TPI) de La Haye, Carla del Ponte, une pièce à conviction de taille qui pourrait être décisive dans l’arrestation des deux principaux présumés responsables, Ratko Mladic et Radovan Karadzic. C’est une bonne leçon pour tous ceux qui tentaient depuis des années, de faire oublier la responsabilité du régime de Belgrade. C’est aussi une bonne nouvelle pour le TPI dont on pouvait craindre qu’il ne puisse, faute de temps, accomplir jusqu’au bout son travail contre l’impunité.
«... La Bosnie a perdu 160 000 de ses habitants pendant la guerre. Elle qui a toujours rêvé d'Europe est aujourd'hui renvoyée à sa solitude balkanique dans une région du monde où rien n'est vraiment réglé. »
Rappelons les faits. Le 11 juillet 1995, les troupes du Général Mladic pénètrent dans l'enclave de Srebrenica. Décrétée par l'ONU « zone de sécurité » dans le but de garantir la protection des populations et de stabiliser les conquêtes territoriales serbes, les hommes de Mladic passent outre ce statut, commettant le pire massacre en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En quelques jours, entre 7000 et 8000 musulmans bosniaques sont exécutés. Les 40 000 habitants de la zone de sécurité avaient reçu la promesse d'être protégés et c'est avec cette garantie qu'ils n'avaient pas songé à fuir devant l'avancée des Serbes.
Responsabilité européenne
La procureur du TPI n’a eu de cesse de réclamer depuis plusieurs années au gouvernement de Belgrade de lui livrer les responsables de ces crimes contre l’humanité. Depuis la chute de Milosevic dont le procès est en cours, les politiciens serbes au pouvoir ont toujours cherché à minimiser la part de responsabilité de l’Etat de Serbie. Il leur est difficile aujourd’hui de continuer à nier cette responsabilité et en particulier celle du général Ratko Mladic. L’entité serbe de Bosnie, la Republika Srpska, a elle-même reconnu, dans un rapport du 10 novembre 2004, la réalité de ce massacre. Pour Natasha Kandic, militante serbe des droits de l’homme, depuis la première heure, c’est l’heure de vérité. Toute la bulle, cacher les preuves et nier les crimes, tout a éclaté, pendant la diffusion de cette vidéo. Depuis lors, dix auteurs présumés de l’exécution ont été interpellés. Mais cette heure de vérité risque de s’éterniser si rien n’est sérieusement entreprise pour arrêter le deuxième couteau, le leader nationaliste Radovan Karadzic, « visiblement caché en Bosnie ». Ce dernier court toujours, avec l’aide présumée des nationalistes serbes. On est aujourd’hui en droit de s’interroger sur l’impuissance des forces militaires occidentales sur place à arrêter celui qui rêvait de détruire Sarajevo. Il bénéficie encore d’une grande popularité et tant qu’il ne sera pas déféré devant la justice, il sera difficile d’entrevoir un apaisement dans la région.
A l’heure où la France et la Hollande viennent de voter « Non » au traité constitutionnel, on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle le refus récent de voir se dessiner une Europe politique avec l’incapacité des gouvernements européens en 1992 d’empêcher l’embrasement dans les Balkans.
Par une cruelle ironie de l’histoire, on se souvient aussi de la responsabilité tragique de ces deux mêmes pays, la France et la Hollande dans l’abandon de Srebrenica. La France parce qu’elle commandait l’ensemble des forces de protection des Nations Unies dans l’ex-Yougoslavie ; la Hollande, parce que le contingent hollandais était chargé de protéger la ville de Srebrenica.
Que, dans l’urne, les peuples aient indirectement mis à mal la solidarité avec les pays qui ont si longtemps attendu la chute du mur de Berlin pour se mettre à niveau, est pénible à admettre. Pendant la campagne, exception faite de Daniel Cohn Bendit, aucun leader politique n’a rappelé à la mémoire ce dramatique épisode bosniaque.
N’oublions pas : la Bosnie a perdu 160 000 de ses habitants pendant la guerre. Elle qui a toujours rêvé d’Europe est aujourd’hui renvoyée à sa solitude balkanique dans une région du monde où rien n’est vraiment réglé. Elle sait que dans le climat actuel de rejet européen et de poussée souverainiste, elle ne sera pas intégrée avant longtemps dans ce qui constituait non seulement un idéal pour ses enfants mai aussi une garantie contre la guerre. L’Europe ne doit pas oublier sa responsabilité à l’égard de ce pays plein d’espoir.
Yan de Kerorguen, Le Courrier des Balkans, 16.6.2005