La réorganisation de l’armée dans le sud
de la Serbie inquiète le Kosovo

23 janvier 2005

Armée serbeA

 l’approche des négociations sur le statut final du Kosovo en 2005, Belgrade renforce sa présence près d’une frontière sensible. Dans le cadre des réformes de l’armée serbe, exigées par l’OTAN, il est prévu d’édifier une nouvelle base militaire entre les communes, majoritairement albanaises, de Presevo et Bujanovac. Beaucoup d’Albanais voient cette décision comme une menace ou une provocation.

Les craintes concernant une crise éventuelle autour des négociations sur le statut final du Kosovo en 2005 et la nécessité de rejoindre les standards de l’OTAN expliquent le plan controversé de réorganisation de l’armée de Serbie et Monténégro, la VSCG, destiné au sud de la Serbie. Le plan prévoit de réunir les divisions de Nis et de Pristina au sein d’un même Commandement intégré des forces terrestres d’ici 2005.


«... La décision de remplacer les conscrits par des professionnels dans la zone relève aussi d'enjeux sécuritaires plus généraux qui s'inscrivent dans la stratégie globale de restructuration de l'armée. »


L’aspect le plus controversé de ce plan consiste à donner pour base à la nouvelle force un vaste complexe neuf de 52 hectares situé entre deux localités majoritairement albanaises, Bujanovac et Presevo. La construction du complexe, qui devrait être terminée fin 2005, a été perçue comme une gifle par les Albanais qui pensent qu’une telle initiative ne pourra qu’accroître les tensions entre leur communauté et les forces de sécurité serbes.



Une réorganisation globale

La création de ce nouveau Commandement intégré signifie que la division de Pristina cessera d’exister. Ce bataillon avait perdu la zone relevant de sa responsabilité lors de son retrait forcé du Kosovo en 1999, alors que la KFOR, la force internationale de maintien de la paix, en avait pris le contrôle. Le Conseil Suprême de la Défense, l’institution civile en charge de l’armée, avait décidé en 2004 de réunir les commandements dans le sud et l’est de la Serbie, une région couvrant le tiers du terrtoire national. Outre l’amalgame entre les unités, le plan prévoit le remplacement des conscrits par des soldats de métier dans les zones frontalières avec la Macédoine et le Kosovo, afin d’éviter que des conscrits aient à protéger une zone en crise.

L’indignation des Albanais a donné lieu à des rumeurs dans les médias de Belgrade concernant un « printemps chaud » entre les rebelles albanais et les forces serbes en 2005. Malgré la colère suscitée par la base militaire, les politiciens albanais locaux tempèrent ces spéculations. Naser Aziri, vice-président du Parti démocratique des Albanais, explique : « Nous ne sommes aucunement intéressés à provoquer du désordre dans la région au printemps, malgré ce que certains colportent. Mais si la Serbie cache des intentions belliqueuses, alors oui, les gens ici se soulèveront pour défendre leur famille. »

Un responsable de l’OTAN à Bruxelles déclare que l’Alliance atlantique était au courant du plan serbe et n’avait aucune objection, assurant que « tous les efforts pour que la VSCG atteigne les standards de l’OTAN étaient les bienvenus. Ces mesures sont positives. La réorganisation des forces armées serbes doit être achevée, c’est l’une des conditions à remplir pour rejoindre le Partenariat pour la Paix. »

La Serbie et le Monténégro ont en effet exprimé un vif intérêt pour ce Partenariat, un programme établi par l’OTAN pour les futurs États candidats. Si l’OTAN a bien accueilli cet intérêt, elle a aussi déclaré qu’elle n’inviterait pas la Serbie et le Monténégro à se joindre au Partenariat avant que Belgrade ne fasse preuve d’une véritable collaboration avec le Tribunal de La Haye.

Les experts militaires soutiennent que le plan de réorganisation dans le sud de la Serbie n’est qu’une partie d’une stratégie de restructuration plus large, visant à réduire le nombre de militaires d’active et simplifier le commandement. Il s’agirait de placer toutes les unités d’une même zone sensible sous le même commandement opérationnel.

Le ministre de la Défense de la Serbie et du Monténégro, Prvoslav Davinic, a déclaré que ce plan n’était pas une préparation à la guerre mais une mesure de sécurité préventive. « Nous voulons seulement envoyer le message que nous sommes capables de répondre à toute éventualité concernant notre sécurité », a-t-il expliqué aux médias de Belgrade. « Cela constitue un message clair à tous ceux qui seraient tentés de jouer avec la sécurité des citoyens du sud de la Serbie. »

Selon les experts, la décision de remplacer les conscrits par des professionnels dans la zone relève aussi d’enjeux sécuritaires plus généraux qui s’inscrivent dans la stratégie globale de restructuration de l’armée. Zoran Dragisic, professeur à la Faculté de Défense civile de l’Université de Belgrade, soutient que les unités de police ne sont pas équipées pour faire face aux problèmes de sécurité qui pourraient surgir à la frontière du Kosovo dans l’avenir. « S’il y a un soulèvement armé ou une infiltration de groupes terroristes kosovars, la police ne sera pas capable de garder le contrôle de la situation », explique-t-il.

Le général Ninoslav Krstic, ancien commandant des Forces combinées de sécurité qui était entrées dans la zone tampon entre la Serbie et le Kosovo en 2001, après la fin de l’insurrection armée dans le sud de la Serbie, affirme que les modifications à la durée du service militaire ne donnent pas le choix à l’armée de remplacer à la frontière les conscrits par des troupes de métier.

C’est devenu inévitable puisque le service militaire est passé de 12 mois à 9 mois, « ce qui est insuffisant pour entraîner adéquatement les recrues », dit-il. Autre raison à ce remplacement selon Krstic : le nombre élevé d’incidents menant au décès de jeunes recrues. « Cela affecte fortement le moral des troupes et l’image de l’armée dans la société », ajoute-t-il, avant de poursuivre : « Une tragédie reste une tragédie, mais la perception de l’opinion est différente si c’est un soldat professionnel, payé pour ce travail, qui meurt dans un incident. »

Depuis la fin du conflit entre les rebelles albanais et les forces serbes dans la région, en mai 2001, la situation est demeurée plutôt calme, bien qu’elle se soit déteriorée le 7 janvier, quand Dasnim Hajrullahu, un jeune Albanais de 16 ans, a été tué par l’armée alors qu’il essayait de franchir illégalement la frontière.

Environ 70 000 Albanais vivent dans les trois villes frontalières de Presevo, Bujanovac et Medvedja, où leur nombre dépasse celui des Serbes. À Presevo, où plus de 90 % de la population est albanaise, le pouvoir est passé aux récentes élections locales du parti modéré de Riza Halimi (Parti de l’Action démocratique) au DPA, plus radical, lequel gouverne la municipalité en coalition avec l’Union démocratique de la Vallée et le Parti du Progrès démocratique. Ces trois partis prônent des solutions radicales au problème de la religion, liant l’avenir du sud de la Serbie au statut final au Kosovo et exigeant une autonomie territoriale réelle pour les trois municipalités, revendiquant même leur rattachement au Kosovo si la partie nord de celui-ci, majoritairement serbe, était un jour rattachée à la Serbie.

Le général Krstic a aussi déclaré que Belgrade prenait la bonne décision en renforçant la VSCG à la frontière : « L’année 2005 sera très importante, car s’ouvriront les pourparlers sur le statut final du Kosovo. » Les inquiétudes de Belgrade concernant d’éventuels troubles au Kosovo qui s’étendraient au sud de la Serbie sont partagés par Veljko Kadijevic, qui a démissionné récemment de son poste de conseiller à la réforme de la Défense auprès du ministre Davinic. Il soutient que les négociations sur le statut final « se répercuteront sur le terrain », et représentent donc une menace pour la sécurité.

Cependant, les observateurs serbes ne sont pas tous convaincus qu’une réorganisation militaire du sud du pays peut améliorer les choses. Duska Anastasijevic, analyste au think-tank Initiative pour la Stabilité en Europe (ISE), explique que ces changements ne peuvent que dégrader davantage des relations interethniques déjà mauvaises dans la région. « Les gens dans le sud de la Serbie ont besoin d’emplois, pas de troupes supplémentaires », dit-elle.

La population locale est d’ailleurs profondément divisée sur la question, les Albanais voyant la nouvelle base comme une provocation alors que les Serbes y sont plutôt favorables. L’ancien membre de la guérilla devenu politicien Orhan Rexhepi remarque que des investissements de 12,5 M € pour un complexe militaire et policier - dans l’une des régions les plus pauvres du pays - suggèrent que Belgrade entend renforcer à long terme ses positions militaires dans la zone frontalière. « Nous nous opposerons par des moyens politiques à la construction de cette base », assure Orhan Rexhepi. « Si le complexe est effectivement construit, ce ne sera pas une bonne chose pour les personnes qui vivent ici. »

« Nous ne pouvons pas travailler dans nos champs en raison de l’armée », raconte Vuljnet Neziri de Miratovac, près de la frontière de la Macédoine. « C’est du harcèlement, leur seule présence suffit à effrayer les gens et causer de l’insécurité », ajoute-t-il. « Quelqu’un veut déstabiliser cette région », déplore Ekrem Ljutfiju de Presevo. « Mais pourquoi diable aurions-nous besoin de nouvelles baraques pleines de soldats chez nous ? »

La communauté serbe de l’endroit ont un point de vue diamétralement opposé. Bojan Markovic, professeur d’anglais à Presevo, soutient que le nouveau complexe rassure plutôt les Serbes quant à leur avenir dans la région. « La communauté serbe va se sentir plus en sécurité », dit-il. « La raison en est très simple : on se souvient ici des incidents récents qui ont affecté la population civile. Je dirais même que ce sera une bonne chose pour les Albanais, parce qu’ainsi les effectifs militaires et policiers dans les villages qui les dérangent seront réduits. »

Markovic estime que l’armée se comporte correctement avec les habitants Albanais. « S’il y a des incidents dans lesquels ils sont impliqués, ils ont plusieurs moyens de se faire entendre, que ce soit des organisations non gouvernementales, les visites fréquentes de diplomates étrangers ou l’attention considérable que leur portent les médias », affirme-t-il.

Ana, 23 ans, une Serbe du Presevo, pense que l’armée ne pose aucun danger pour les Albanais locaux et craint comme certains une éventuelle annexion par le Kosovo. « J’espère que le renforcement de l’armée au printemps se passera sans problème, mais si des troubles se produisent, au moins nous aurons une certaine protection. »

Le général Krstic soutient que l’armée devra déployer beaucoup d’efforts pour défendre son droit de protéger la sécurité du pays face aux critiques des Albanais. « Tous les militaires se doivent de protéger tous les citoyens de la République de Serbie dans la région, sans égard à l’origine ethnique ou à la religion des personnes. »




Texte original: Pedja Obradovic, Dragana Nikolic-Solomon et Muhamet Hajrullahu, 14.1.05  
Traduction : Stéphane Surprenant, Le Courrier des Balkans
  









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