Asie du Sud : la plus grande opération militaire
d’aide humanitaire est en cours
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11 janvier 2005 (mis à jour le 22)
es dégâts entraînés par le gigantesque raz-de-marée ont déclenché des déploiements militaires sans précédent dans la région, motivés autant par l’urgence humanitaire que par l’intérêt des Etats. Tour d'horizon.
Le tsunami qui a frappé l’Asie du Sud le 26 décembre dernier restera dans les mémoires comme une catastrophe planétaire : au-delà des 11 pays directement touchés, la présence de touristes et résidents étrangers par dizaines de milliers a immédiatement répercuté les effets du raz-de-marée sur la grande majorité des nations. Avec plus de 165'000 morts, de nombreux disparus et 5 millions de sinistrés, la gravité du drame dépasse l’entendement et frappe les esprits, comme en témoigne les fonds et les dons extraordinairement élevés qui ont été promis.
«... La distance de l'évènement dramatique est devenue négligeable : seule l'image, seule l'identification du public comptent et rendent nécessaire l'action étatique, à la fois civile et militaire. »
C’est cette gravité qui a amené la communauté internationale à déclencher une opération militaire d’aide humanitaire sans précédent, avec un volume global que l’on peut estimer environ à 80'000 hommes, 100 navires, 180 hélicoptères et 80 avions de transport, sans compter un pont aérien qui a impliqué près de 75 avions de transport supplémentaires. Et si elle se déroule parallèlement à une opération civile d’aide humanitaire là aussi massive, notamment dans le domaine du transport aérien intercontinental, les prestations qu’elle fournit sont souvent uniques et décisives.
Une démonstration militaire
Le déferlement du tsunami a pris les Gouvernements par surprise, avec la plupart des dirigeants en vacances, et les réactions tarderont – même dans les pays touchés. Pourtant, les dégâts entraînés appelaient une aide immédiate : la destruction de localités entières et des voies de communications ont laissé des dizaines de milliers de personnes démunies, privées d’eau, de vivres et de logis, parfois réunis en petits groupes de survivants. De vastes zones de l’Indonésie et – dans une moindre mesure – du Sri Lanka sont totalement dévastées, y compris dans des secteurs de conflits.
Ces circonstances expliquent pourquoi les dirigeants de Djakarta et Colombo ont tardé à demander ou autoriser l’aide gigantesque que les conditions imposaient. Mais la communauté internationale n’a pas initialement mesuré les besoins, et les détachements spécialisés dans le sauvetage qui ont commencé à atterrir un jour après le cataclysme étaient totalement insuffisants ; toutefois, le pont aérien qui se met en place dès cette date permet de rapatrier les ressortissants étrangers, notamment dans des avions médicalisés militaires ou civils pour les personnes sérieusement blessées.
Ce sont l’Australie, les Etats-Unis et Singapour qui cerneront le plus vite la contribution la plus urgente : fournir une capacité en transport aérien, en soins sanitaires et en production d’eau permettant d’assurer la survie des populations en Indonésie. Après 2 jours nécessaires à la planification stratégique et opérative, les militaires australiens et singapouriens établissent un pont aérien pour livrer des marchandises de première nécessité, installent hôpitaux de campagne et équipements de purification d’eau, alors que la marine américaine déploie un groupes aéronaval et un groupe amphibie.
L’arrivée du porte-avions USS Abraham Lincoln au large des côtes indonésiennes, le 31 décembre, fournit au monde des images stupéfiantes : une noria d’hélicoptères américains distribue eau et vivres à des survivants désespérés, et ramène au retour des blessés graves. Ces images permettent de découvrir l’ampleur du désastre et l’importance des héliportages, mais ils révèlent également une opportunité stratégique que les dirigeants américains ont identifiée : la possibilité d’orienter la perception publique des Etats-Unis dans le monde, notamment par rapport à d’autres nations ou entités.
L’Organisation des Nations Unies reste mal adaptée aux situations d’urgence, et le tsunami l’a encore démontré. Prise de court par la catastrophe, l’ONU n’a pas fourni de contribution tangible pendant des jours, et ses représentants sur le terrain ont manqué d’informations, de liaisons et de personnel pour influencer l’aide militaire et civile croissante. Il faudra d’ailleurs attendre le 7 janvier pour que la côte ouest de l’Indonésie fasse l’objet d’une évaluation interagences par l’ONU. Les premiers déploiements des grandes agences ont même paru se concentrer sur les besoins des fonctionnaires onusiens.
Les prétentions de l’ONU a vouloir donner l’impression de diriger les opérations, alors que les Etats-Unis ont créé une coalition de nations intervenant directement avec des moyens militaires, soulignent les différences d’approche et d’efficacité à court terme. Elles ont aussi mis en évidence le déséquilibre en matièe de planification sous pression de temps : alors que le Commandement du Pacifique a dès le 29 décembre choisi et investi la base d’Utapao en Thaïlande comme centre de commandement et point logistique principal, il faudra une semaine de plus à l’ONU pour fixer son hub à Sebang, en Malaisie.
Toutefois, c’est l’ensemble des activités qui se heurtent au manque de planification et de coordination, et la bonne volonté ne se traduit pas immédiatement en efficacité opérationnelle : un transport géant An-124 affrété par la Croix-Rouge et emmenant 110 tonnes de biens urgents a par exemple atterri le 29 décembre à Banda Aceh, mais n’a été déchargé que le 31 en raison de la congestion de l’aéroport. Accoutumé à 3 mouvements par jour, ce dernier en reçoit en effet 200 ; l’aéroport de Medan, également à Sumatra, dépasse les 260. Les biens ont donc connu une accumulation rapide.
Avec la praticabilité très réduite des routes, ce sont les hélicoptères de transport militaires qui ont largement contribué à réduire ces stocks, avec l’engagement des gros porteurs CH-47 singapouriens et surtout l’arrivée d’un groupe amphibie américain, emmené par l’USS Bonhomme Richard et comptant 12 CH-46 et 4 CH-53. La coordination a été progressivement améliorée avec la meilleure collaboration des armées locales, l’augmentation des moyens de contrôle aérien et la coordination multilatérale entre contingents militaires et organisations civiles.
Cette amélioration est également due à l’engagement croissant des autres nations, mieux à même d’évaluer les besoins par leurs propres équipes et mieux renseignées par les agences de l’ONU, dont les demandes deviennent plus précises. Après l’escalade des promesses de dons, la réalité du terrain et les images des opérations ont produit une émulation des déploiements militaires. L’Inde et les Etats-Unis engagent un volume de forces sans précédent dans ce type d’opération, au point de faire de l’ombre à la Chine et d’affirmer leur puissance autant que leur générosité.
Dans la semaine écoulée, les renforts ont été annoncés et mis en route de toute part, et on se dirige vers une opération inédite ; la Suisse elle-même a répondu positivement à une demande du HCR et projette 3 hélicoptères Super Puma en Indonésie – un engagement difficile à imaginer quelques années plus tôt seulement. Nous vivons désormais dans un monde où la distance de l’évènement dramatique est devenue négligeable : seule l’image, seule l’identification du public comptent et rendent nécessaire l’action étatique, à la fois civile et militaire.
La conduite de l’opération se fait aujourd’hui d’une manière flexible : 12 nations dont l’Inde, l’Australie, le Japon, la France et l’Autriche ont mis leurs ressources en commun avec celles des Etats-Unis, dans le cadre de la force d’appui multinationale 536, et ceux-ci reçoivent les demandes directes faites par les diplomates des 3 pays les plus touchés – l’Indonésie, la Thaïlande et le Sri Lanka. La force coordonne ensuite les actions et répartit au mieux les moyens disponibles et la capacité de transport ; une structure de coopération et non de commandement, mais qui montre tout de même l’importance réduite de l’ONU.
De fait, le rôle des armées est aujourd’hui décisif en Asie du Sud, et il va le rester pendant quelques semaines ; pourtant, au fur et à mesure que le sauvetage et la réhabilitation feront place à la reconstruction, ce sont les organisations civiles – ONU en tête – qui auront une importance croissante, et finalement essentielle. La primauté de facto assumée par les Etats-Unis est due à leurs capacités d’intervention en situation de crise, mais le travail de développement reste l’affaire des agences spécialisées et des ONG présentes en permanence dans la région.
Cette intervention massive dans l’aide d’urgence de contingents militaires pour la plupart aptes au combat et à la promotion de la paix aura cependant créé un précédent, une expérience, des rapprochements et des liens qui compteront à l’avenir.
Lt col EMG Ludovic Monnerat
Résumé non exhaustif des
déploiements militaires à la mi-janvier (effectués ou en cours)
Pacifique
et Océan Indien
Pays
|
Troupe
|
Levier
air
|
Secteur
d'eng
|
Navires
|
Avions
|
Héli
|
Log + autres
|
Remarques
|
Australie
(op Sumatra Assist)
|
1000
|
2 C-130 1 Boeing 707
|
Indonésie (Banda Aceh) Hub log à Butterworth (Malaisie)
|
1 navire amphibie (HMS Kanimbla) avec 2 barges débarquement
|
4 C-130 1 B200
|
4 UH-1 2 Sea King
|
Hôpital de 90 lits, 1,1 M l eau/jour. Génie. Contrôle aérien
|
-
|
Bengladesh
|
157
|
2
C-130
|
Sri
Lanka et Maldives
|
-
|
-
|
2 Bell 212
|
-
|
-
|
Canada
|
200
|
2 CC-150 (A310)
|
Sri
Lanka (Ampara)
|
-
|
Offre
de 4 CL415
|
-
|
Détachement
de sauvetage DART
|
Location
de 4 An-124 pour le DART (225 t)
|
Chine
|
Milliers
|
x
av
|
Indonésie,
Sri Lanka, Thaïlande, Maldives
|
?
|
?
|
?
|
Hôpital
|
Peu
d'infos disponibles
|
Corée
du Sud
|
-
|
1
C-130
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Etats-Unis
(op
Unified Assistance)
|
16'500
|
6
C-5 4
C-17 2
KC-135
|
CSF
536 : Utapao (Thaïlande) CSG
Thailand : Phuket CSG
Indonesia : Medan CSG
Sri Lanka : Colombo Point
log Jakarta (C-130) Point
log Paya Lebar (Singapour, gros porteurs)
Marines à Meulaboh (Indonésie) et Galle (Sri Lanka)
|
1
porte-avions 1
navire d'assaut amphibie 3
transports amphibies 2
croiseurs 3
destroyers 1
frégate 5
navires log 1
navire hôpital (1000 lits) 6
cargos prépositionnés 2
catamarans transport 1
cutter 1
navire d'observation
|
18
C-130 5
MC-130 4
KC-130 8
P-3 4
C-2 2 C-12 1
UC-35 1
C-21
|
18
CH-46 8
CH-47 10
CH-53 29
HH-60 16
SH-60 6
MH-60 3
UH-1
|
Lits
d'hôpital : 43 (Lincoln), 68 (BHR), 1000 (USNS Mercy) Au moins 3 M l eau/jour
|
La
15th MEU transportée par le Bonhomme Richard doit être déployée en Irak.
|
Inde
|
16'000
|
7
Il-76 15
AN-32
|
Inde,
Sri Lanka, Maldives, Aceh, Iles Nicobar
|
32
navires
|
3
av
|
16
héli
|
Hôpital
au Sri Lanka
|
-
|
Indonésie
|
20'000
|
-
|
Indonésie
(!)
|
?
|
?
|
?
|
?
|
Peu
d'infos disponibles
|
Japon
|
1400
|
x
C-130
|
Thaïlande,
Indonésie Commandement
à Utapao
|
2
destroyers (Kirishima, Takanami) 1
navire log (Hamana) 3
autres navires
|
2
C-130
|
5+
héli
|
Détachement
sanitaire
|
-
|
Malaisie
|
400+
|
-
|
Indonésie
|
1
navire (au moins)
|
x
C-130 1
C-235
|
1
SK-61
|
?
|
Met
à dispo ONU aéroport Subang
|
Nouvelle-Zélande
|
~65
|
1 Boeing 757
|
Indonésie
(avec Australiens)
|
-
|
1
C-130
|
-
|
Détachement
sanitaire
|
-
|
Pakistan
|
500
|
2
C-130
|
Sri
Lanka (Galle), Indonésie (Banda Aceh)
|
2
navires (Moawin et Khaibar)
|
-
|
1 Alouette
|
2 x hôpital
de 50 lits, génie
|
-
|
Singapour
|
1000
|
2
C-130
|
Indonésie
(Meulaboh, Banda Aceh, Medan)
|
3
navires amphibies (RSS Endurance, Persistance et Endeavour)
|
2
C-130
|
6
CH-47 2
Super Puma
|
Hôpital,
détachement sanitaire, production 12'000 l eau/jour, génie
|
-
|
Sri
Lanka
|
?
|
?
|
Sri
Lanka (!)
|
?
|
?
|
5
AB-212 ?
|
?
|
Peu
d'infos disponibles
|
Thaïlande
|
7500
|
-
|
Thaïlande
|
1
porte-avions 11
autres navires
|
9
C-130
|
24
héli
|
?
|
?
|
Europe
Pays
|
Troupe
|
Levier
air
|
Secteur
d'eng
|
Navires
|
Avions
|
Héli
|
Log
+ autres
|
Remarques
|
Allemagne
|
460
|
3
A310
|
Indonésie
(Banda Aceh), Sri Lanka
|
1
navire log (Berlin)
|
-
|
2
Sea King
|
Berlin :
hôp 45 lits, 25'000 l eau/jour. Hôpital de campagne
|
Transport
hôp par AN-124 et Il-76. Citoyens rapatriés par A310.
|
Autriche
|
90
|
1
C-130
|
Sri
Lanka (Galle)
|
-
|
-
|
-
|
Unité
aide cata et log, 160'000 l eau/jour, déminage
|
Transport
unité par 2 Il-76 et 1 vol civil AUA
|
Belgique
|
150
|
3
A310
|
Sri
Lanka (Galle), Indonésie (Banda Aceh)
|
-
|
1
C-130
|
-
|
Détachement
sanitaire, génie, log
|
Avec
5 mil du Luxembourg. Citoyens rapatriés par A310
|
Danemark
|
?
|
2
C-130
|
Thaïlande,
Indonésie
|
-
|
-
|
-
|
Hôpital
de campagne 120 lits
|
Location
d'un Il-76
|
Espagne (op Respuesta Solidaria)
|
600
|
1
A310 1
Boeing 707 3
C-130
|
Indonésie
(Medan)
|
1
navire amphibie (Galicia)
|
3
C-235
|
3 AB-212
|
Détachement
sanitaire, log (192'000 l eau/jour), hôpital (Galicia)
|
Citoyens
rapatriés par A310 et 707
|
Estonie
|
?
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Détachement
sanitaire
|
Transport
par C-130 Hollande
|
Finlande
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Moyens
uniquement civils
|
France
(op
Beryx)
|
1300
|
2
A310 1
C-135 1 C-160
|
Indonésie,
Thaïlande (Phuket)
|
1
porte-hélicoptères (Jeanne d'Arc) 2
frégates (Georges Leygues, Dupleix)
|
1
Atlantique 2 2 C-160
|
7
Super Puma 2
Gazelle 2 Alouette III 1
Fennec 1
Lynx
|
Détachement
gendarmerie (identification)
|
Location d'un AN-124 pour transporter 4 Super Puma et de 2 Il-76 pour la logistique de l'opération. Rapatriements par A310.
|
Grande-Bretagne (op
Garron)
|
560
|
3+
C-17 2+
Tristar
|
Sri
Lanka (Batticaloa)
|
1
frégate (HMS Chatham) 1
navire log (RFA Diligence) 1
pétrolier (RFA Bayleaf) ?
|
1
C-130 (proposé ONU)
|
2
Lynx 2 AB 212
|
Détachement
sanitaire, log
|
Offre
d'une compagnie de 120 Ghurkas refusée par Indonésie
|
Grèce
|
-
|
2
C-130
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Hollande
|
2
(!)
|
1
KDC-10 1
C-130
|
Indonésie
(Medan)
|
-
|
-
|
-
|
Appui
contrôle aérien
|
Citoyens
rapatriés par KDC-10
|
Italie
|
6-8
|
2
Boeing 707 2
C-130 1
Falcon 900
|
Thaïlande
|
-
|
-
|
-
|
Détachement
carabiniers (identification)
|
Citoyens
rapatriés par 707
|
Norvège
|
50+
|
-
|
Indonésie,
Sri Lanka, Thaïlande
|
-
|
2
C-130 (pour Croix-Rouge)
|
-
|
Hôpital
de campagne, équipes psys
|
-
|
Portugal
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Moyens
civils (hôpital, etc.)
|
République
tchèque
|
-
|
1
Tu-154M
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Citoyens
rapatriés.
|
Russie |
200 |
7 Il-76 |
- |
- |
- |
- |
Hôpital mobile (Banda Aceh) |
-
|
Suède
|
15 ?
|
2
C-130
|
Thaïlande
(Phuket)
|
-
|
1
C-130
|
-
|
Détachement
non identifié
|
Corps
rapatriés par C-130
|
Suisse (op SUMA)
|
50
|
-
|
Indonésie
(Medan)
|
-
|
-
|
3
Super Puma
|
Détachement
sanitaire
|
Emploi
AN-124 pour les héli
|