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Comment les prises d’otages géantes prennent au piège les forces de sécurité

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8 septembre 2004

Assaut à Beslan><img src=L

e bain de sang qui s’est produit à Beslan, en Ossétie, est le dernier exemple en date d’une méthode terroriste en vogue : la prise d’otages géante par un groupe nombreux, déterminé à mourir et à tuer un nombre maximal de personnes. Une menace face à laquelle les forces de sécurité et les sociétés qu’elles protègent sont largement démunies.

Le bilan exact de la prise d’otages de Beslan et de l’assaut lancé par les forces russes au troisième jour n’est pas encore connu : les dernières informations indiquent qu’au moins 390 personnes ont péri parmi les quelques 1200 retenues prisonnières, et que 30 terroristes auraient été abattus. Les images de dévastation, de confusion et de panique disponibles au sujet de l’assaut, ainsi que plusieurs témoignages d’otages, indiquent sans conteste une action improvisée, déclenchée par une explosion involontaire, et qui somme toute aura provoqué un bain de sang. Les pertes sans précédent subies par les forces spéciales russes, soit 7 hommes pour le groupe Vympel et 3 pour le groupe Alfa, confirment cette impression initiale.


«... Prendre des civils en otages dans un bâtiment bourré d'explosifs avec plusieurs dizaines de combattants suicidaires et surarmés rend virtuellement impossible toute issue positive. »


Cependant, les critiques acerbes adressées par les commentateurs occidentaux aux forces russes – et le relativisme repoussant qui tend à comparer l’assaut à la prise d’otage – omettent de considérer le fait que ces actions terroristes sont spécifiquement conçues pour prendre en défaut les forces de sécurité étatiques, civiles ou militaires. Aucune nation occidentale ne peut aujourd’hui garantir une action adaptée à cette menace ; en d’autres termes, la prise d’otages géante est l’une des réponses des groupes terroristes aux méthodes antiterroristes développées depuis 30 ans.



Un piège permanent, sans issue positive

Les prises d’otages par des groupes terroristes constituent l’une des situations les plus complexes à résoudre pour un État moderne : d’une part, la négociation et l’acceptation des conditions imposées pour la libération des otages, souvent appuyées par les supplications des proches, aboutissent à saborder l’autorité gouvernementale ; d’autre part, le recours à la force pour résoudre la situation – outre sa condamnation systématique par nombre de commentateurs – revient à prendre un risque considérable, puisqu’un échec sanglant ne peut jamais être exclu. Mais comme céder est souvent impossible, ou du moins inavouable, se battre reste parfois la seule option.

Pour les forces de sécurité, la prise d’otages constitue également un défi de premier ordre. Dans une situation de conflit armé, les formations militaires sont préparées à affronter un ennemi visant en premier lieu à les défaire, et non à massacrer les non combattants faits prisonniers ; dans une situation de criminalité armée, les formations policières sont préparées à neutraliser des suspects visant en premier lieu à leur échapper, et non à combattre jusqu’à la mort en multipliant les victimes. Prendre des civils en otages dans un bâtiment bourré d’explosifs avec plusieurs dizaines de combattants suicidaires et surarmés rend virtuellement impossible toute issue positive.

Le cas de Beslan est l’archétype de ce piège permanent. Dès le premier jour de la prise d’otages, survenue alors que l’école célébrait la rentrée des classes, plusieurs otages ont été exécutés de sang-froid pour bien souligner la détermination des terroristes. Des hommes ont été régulièrement placés devant les fenêtres de la halle de gymnastique pour faire office de boucliers humains. Des enfants essayant de s’échapper ont été abattus par les terroristes, alors même que les otages étaient entassés dans une chaleur étouffante, obligés de boire de l’urine faute d’eau, et constamment menacés d’être tués si leur servilité n’était pas totale.

Le déroulement des prises d’otages a donc évolué depuis les années 70, lorsque des groupes terroristes – notamment palestiniens – ont utilisé cette arme pour apparaître sur la scène internationale. Après le massacre de Munich le 5 septembre 1972, lorsque 8 terroristes palestiniens ont massacré 11 membres de la délégation olympique israélienne suite aux efforts désastreux de la police allemande, les forces de sécurité occidentales ont développé les techniques, les tactiques, l’équipement et l’instruction nécessaires au déploiement d’unités spéciales antiterroristes. Leurs qualités ont été démontrées à plusieurs reprises depuis cette époque :

  • Le 3 juillet 1976, sur l’aéroport d’Entebbe en Ouganda, 35 hommes du Sayeret Matkal israélien ont libéré et sauvé 103 otages sur les 106 restants d’un Airbus A300 d’Air France détourné 3 jours auparavant, en abattant les 7 terroristes présents et en neutralisant une centaine de soldats ougandais – pour le prix d’un tué dans leurs rangs ;


  • Le 18 octobre 1977, sur l’aéroport de Mogadiscio en Somalie, 62 hommes du GSG9 allemand ont libéré les 91 otages d’un Boeing 737 détourné par 4 terroristes, dont 3 ont été tués et 1 capturée – sans décès dans leurs rangs ;


  • Le 6 mai 1980, à l’ambassade d’Iran à Londres, 60 hommes du 22e régiment SAS ont libéré et sauvé 18 des 19 otages maintenus prisonniers par 6 terroristes, dont 5 ont été tués et 1 capturé – sans décès dans leurs rangs ;


  • Le 25 décembre 1994, sur l’aéroport de Marignane en France, quelque 60 gendarmes du GIGN et de l’EPIGN ont libéré les 160 otages restants des 257 initialement présents dans l’avion détouné, et tué les 4 terroristes présents – sans décès dans leurs rangs.



Ces succès retentissants, qui ont eu un effet dissuasif majeur, ont conféré aux forces spéciales une popularité confinant parfois au mythe. Les assauts visant à mettre un terme à une prise d’otages exigent en effet une rapidité, une précision et une synchronisation que seules les unités d’élite possèdent. Comme l’a montré la Force 777 égyptienne le 24 novembre 1987 à Malte, lors du détournement d’un Boeing 737, un assaut manqué – 56 otages tués sur 86, dont une partie par l’explosif utilisé par l’unité – peut cependant devenir une honte nationale. Même le Sayeret Matkal, souverain à Entebbe, a subi un échec majeur à l’école de Ma’alot le 15 mai 1974, lorsqu’un assaut mal mené s’est conclu par la mort de 26 otages sur 105 – une partie d’entre eux sous les balles israéliennes.

Pourtant, ces exemples appartiennent désormais au passé : l’efficacité des unités antiterroristes a provoqué l’évolution des techniques terroristes et annoncé l’avènement des prises d’otages géantes. Un cas frappant a été celui de l’ambassade japonaise au Pérou en 1996, lorsque 700 personnes ont été initialement faites prisonnières par 14 terroristes. Au fil des négociations et des libérations, ce nombre est certes tombé à 72, mais ce sont les 126 jours de siège qui ont permis aux forces péruviennes – conseillées par des Britanniques du SAS – de préparer minutieusement un assaut foudroyant, le 22 avril 1997, au cours duquel 140 hommes ont libéré et sauvé 71 otages et tué tous les terroristes, avec 2 décès dans leurs rangs. Si le temps avait manqué, le désastre aurait été hautement probable.

Mener un assaut pour libérer des otages menacés de mort par leurs ravisseurs constitue une opération spéciale de la plus haute difficulté : l’action doit être menée face à un adversaire préparé, capable en quelques secondes de massacrer les prisonniers, et qui doit être neutralisé suffisamment longtemps pour sauver la vie de ceux-ci. La simplicité de l’action, la surprise de son déclenchement et la rapidité de son exécution sont les conditions essentielles de son succès ; mais elle nécessite également un maintien du secret efficace, une focalisation unanime sur l’objectif et une répétition permanente des techniques opérationnelles – les membres du SAS affectés à l’antiterrorisme tirent par exemple 5000 coups chaque semaine lors d’exercices de libération réalistes.

Le professionnalisme des unités antiterroristes occidentales, la sélection impitoyable de leurs membres, le perfectionnisme de leur entraînement et la diversité de leur équipement visent à leur donner des avantages permettant de gagner les quelques secondes de liberté d’action qui séparent le succès du désastre. Des renseignements de première qualité sont naturellement nécessaires à cette fin, ainsi qu’une chaîne de commandement la plus courte possible entre l’autorité politique suprême – généralement visée par l’action terroriste – et le commandement des unités. Mais il faut également une supériorité numérique à même de compenser l’avantage positionnel des terroristes : 10 contre 1 à Lima, 15 contre 1 à Marignane et Mogadiscio.

Cette supériorité est précisément remise en cause par les prises d’otages géantes, où c’est le nombre de terroristes et non le nombre d’otages qui pose problème. Une action éclair peut mettre hors de combat en quelques secondes 4, 6 ou 10 terroristes, mais il est presque impossible d’en faire autant lorsque ceux-ci sont 30 ou 40. Un tel assaut ne peut pas être mené avec les unités antiterroristes actuelles, et celle-ci doivent être renforcées par d’autres unités de type analogue, provenant d’autres services ou d’autres nations, ou même par des forces conventionnelles, avec tous les risques que cela implique en matière de sécurité opérationnelle, de synchronisation et de précision.

L’assaut mené lors de la prise d’otages du théâtre « Nord-Ost » à Moscou, le 26 octobre 2002, l’a clairement démontré : pour neutraliser les 41 terroristes tchétchènes et les empêcher de massacrer leurs 750 otages, notamment avec de nombreux explosifs prêts à être mis à feu, les forces russes ont eu recours à un assaut de 200 hommes provenant de plusieurs unités, dont l’efficacité a été multipliée par le gaz incapacitant utilisé ; et si ce dernier a été fatal à une grande partie des 129 otages décédés, un assaut mené sans pareil artifice aurait certainement donné lieu à un carnage équivalent à celui de Beslan. Le nombre donne aux terroristes la possibilité d’encaisser les premiers coups des unités spéciales, et donc de conserver l’avantage.

Les cas de Budennovsk en 1995 (1500 otages, 150 morts) et Kizliar-Pervomaïskaya en 1996 (2000 otages, 40 abattus d’emblée, 100 morts durant l’assaut) sont à cet égard révélateurs, puisque 200 preneurs d’otages ont été dénombrés à chaque fois. Toutefois, l’exemple de Beslan témoigne d’une préparation plus minutieuse, étalée sur plusieurs mois et menée avec une détermination encore plus fanatique et inhumaine. Neutraliser 32 terroristes armés comme une section d’infanterie et prêts à faire exploser un bâtiment entier était tout simplement impossible dans le temps imparti. La présence de nombreux civils armés, venus prêter main forte aux forces fédérales, n’a fait qu’augmenter le chaos généré par l’imprévoyance, le mélange des unités et le manque de renseignements.

Aucune force de sécurité occidentale n’aurait été en mesure d’empêcher le massacre de nombreux otages dans un laps de temps similaire. La prise d’otage géante est aujourd’hui une méthode terroriste contre laquelle les États et les populations sont démunis. Est-ce que cette pratique va continuer à se répandre ? La quantité de personnes impliquées constitue sa force, mais aussi sa faiblesse : un groupe de 30 à 40 terroristes est plus difficile à dissimuler, à transporter et à préparer qu’une cellule dix fois plus petite. De plus, le nombre d’hommes et de femmes prêts à se lancer dans une entreprise de ce type reste très limité, malgré ce qu’affirme la propagande islamiste.

Il faut néanmoins prendre conscience du fait que l’action terroriste est désormais une arme de guerre en voie de normalisation, et que les concentrations de personnes sont autant de cibles potentielles. Les hommes qui attaquent une école, poignardent des enfants et violent des adolescentes en scandant le nom de leur Dieu sont les symptômes les plus répugnants de sociétés à l’agonie et de croyances en sursis. L’ère des conflits entre États, ordonnés et rationnalisés, touche lentement à sa fin, tout comme a disparu avant elle l’ère des conflits entre maisons royales ; nous entrons dans une ère de conflits déstructurés, dispersés et déréglés, où l’individu met le nombre en échec, où l’image est plus forte que la réalité, et où l’idéologie se joue de la morale.

Prévenir la guerre de tous contre tous, c’est-à-dire la fin de la civilisation moderne, sera la priorité des forces de sécurité pour les décennies à venir. Et elles n’y parviendront pas sans que leurs rangs soient formés de citoyens-soldats, sans que nos sociétés réapprennent à se défendre, sans que nous soyons prêts à mourir pour notre mode de vie.



Lt col EMG Ludovic Monnerat  






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