La France et les otages : une crise annoncée aux conséquences multiples
6 septembre 2004
ême si l’on espère que la prise en otages des journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot connaîtra rapidement une issue heureuse, force est de constater qu' elle replonge la France dans l’interminable psychodrame des années 80, à l’époque de la crise des « otages du Liban », et qu'elle rappelle à Paris certaines réalités douloureuses.
Personne n’a oublié la longue tragédie ouverte le 22 mars 1985 par l’enlèvement à Beyrouth de Marcel Carton et Marcel Fontaine et close trois ans plus tard, le 4 mai 1988, par la libération des derniers otages français. Ce que beaucoup ont peut-être oublié, en revanche, c’est que la libération des otages avait été obtenue par des changements substantiels dans la politique extérieure de la France (entre autres par un « rééquilibrage » des relations entre Paris, Bagdad et Téhéran qui avait commandité les enlèvements), par le règlement d’un important contentieux financier entre la France et l’Iran (l’affaire « Eurodif »), par l’expulsion de réfugiés iraniens en France et par le paiement d’une rançon aux exécuteurs directs des enlèvements. En d’autres termes, les otages n’avaient été libérés que parce que Paris – malgré tout ce qui fut dit à l’époque et reste aujourd’hui la vérité officielle – avait cédé à toutes les revendications des preneurs d’otages.
«... Remettre en cause une politique nationale pour sauver des vies n'est pas acceptable : face au terrorisme, faiblesse et compromission annoncent toujours de nouvelles tragédies. »
Telle est en effet la diabolique mécanique de la prise d’otages médiatisée : les autorités sont prises entre le légitime souci de sauver des vies et le sacro-saint principe voulant que « l’on ne négocie pas avec les preneurs d’otages ». En dernière analyse, ce principe est le plus souvent bafoué.
La réalité de la guerre
Personne ne contestera que la libération d’otages doit être une priorité et que l’on peut envisager de déroger (le plus discrètement possible) à certains principes, par exemple, en payant une rançon. Mais remettre en cause une politique nationale – conduite, donc, du moins théoriquement, dans l’intérêt du pays – pour sauver des vies n’est pas acceptable : face au terrorisme, faiblesse et compromission annoncent toujours de nouvelles tragédies. Aujourd’hui comme il y a seize ans, céder reviendrait à vider la démocratie de sa substance en admettant que la délibération et les décisions de la représentation nationale soient à la merci de groupes terroristes ou d’intérêts politiques étrangers.
Il semble absolument impossible que le gouvernement cède dans la crise actuelle sur ces principes et remette en cause la loi sur la laïcité. Toutefois, l’escalade enclenchée dans la soirée du 30 août par la diffusion d’une cassette vidéo sur laquelle on peut voir les otages appeler le Président de la République à abroger la loi et « le peuple français à descendre dans la rue […] car nos vies sont menacées » est porteuse de bien des risques. Cette mise en scène macabre a pour effet immédiat de faire considérablement monter la pression sur le gouvernement et pourrait ouvrir un débat. Or, il n’y a aucun débat à avoir : la loi a été votée et doit être appliquée, intégralement, fermement et quel qu’en soit le prix.
Un autre risque politique est de voir les islamistes « politiques » profiter de la crise pour s’imposer davantage encore, du fait de leur « modération » tactique comme des interlocuteurs valables et représentatifs des autorités françaises. Il doit être clairement rappelé que, « politiques » ou « armés », les islamistes poursuivent le même but et que ce but est l’imposition par la force d’un système dont la majorité des citoyens – et d’abord, la majorité des Musulmans – ne veulent pas. Rien n’est négociable avec ceux qui placent les impératifs de leur religion au dessus de la loi commune.
Les contacts pris, entre autres par le ministre des Affaires étrangères dans le monde arabo-musulman, les pressions qui pourraient en résulter sur les preneurs d’otages et une éventuelle négociation indirecte de portée limitée (en clair : de l’argent contre la liberté des deux journalistes) seront peut-être de nature à résoudre la crise. Il faut toutefois se garder de tout optimisme : la logique des terroristes djihadistes n’a rien à voir avec la nôtre et, dans de nombreuses affaires antérieures, ils sont restés totalement sourds aux pressions et à la réprobation du monde. De leur point de vue, les djihadistes n’ont rien à « négocier » : ils se placent dans une logique de guerre totale et n’ont d’autre but que d’imposer leur vision du monde à leurs ennemis.
On notera du reste ainsi que le faisait l’Agence France Presse dans une dépêche datée de ce lundi 30 août que, sur les sites Internet islamistes qui ont ouvert des débats sur cette prise d’otages, la majorité des intervenants se prononce pour « l’exécution » (le mot « assassinat » nous semble plus approprié) des otages. On ajoutera que l’un des buts poursuivis par les djihadistes est de creuser entre le monde musulman et le monde non musulman un fossé infranchissable de haine et de méfiance. De ce point de vue, il est évident que la mort d’otages aurait des conséquences désastreuses sur le dialogue intercommunautaire en France, stigmatiserait et marginaliserait une partie de la communauté musulmane et faciliterait la progression des idées extrémistes.
Ces notions de « guerre » et d’« ennemis » viennent nous rappeler une vérité que la France – et l’Europe – ont bien du mal à intégrer : nous sommes bel et bien en guerre. Une guerre voulue par les islamistes, qu’ils ont officiellement déclarée (déclaration du « Djihad contre les Juifs et les Croisés », par Oussama Ben Laden, en février 1998, réitérée, entre autres lors de « l’offre de trêve » d’avril 2004) et qu’ils mènent de manière systématique. La prise d’otages en cours vient simplement nous rappeler cette réalité et souligne que, quelle que soit la position de tel ou tel pays sur un problème particulier (en l’occurrence sur la guerre en Irak), les Etats occidentaux – vecteur de modernité et porteurs de valeurs humaines et démocratiques à vocation universelle – et leurs alliés dans le monde arabo-musulman sont tous considérés comme des ennemis par les islamistes armés et traités comme tels. Sans exception.
La France, pays de la laïcité, membre de l’Otan – qui a accepté d’aider à la formation des nouvelles forces de sécurité irakiennes – et de l’Union européenne – qui s’est engagée à aider à la préparation d’élections démocratiques en Irak – est donc particulièrement bien placée sur la liste des « cibles » des djihadistes.
Si la revendication de l’Armée Islamique en Irak est en parfaite concordance avec les menaces proférées contre la France en février dernier par le Docteur Ayman Al-Zawahiri, plus proche collaborateur d’Oussama Ben Laden, on peut également penser que la présence en Irak de moudjahidin français ou venus de France n’est pas étrangère à une action terroriste qui, pour la première fois, n’est pas strictement liée au contact local. Des djihadistes français ont-ils participé à cette prise d’otages, ou l’ont-ils inspirée ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer, mais les enquêtes en cours et le travail des services de renseignement permettront peut-être de répondre à cette question.
Une seule chose, à l’heure actuelle, est certaine : même s’il est nécessaire dans un premier temps et dans un but strictement humanitaire de « négocier » – mais de manière limitée – à moyen terme, seule la plus grande fermeté sera payante : les preneurs d’otage devront être identifiés et éliminés.
Claude Moniquet, esisc.org