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Irak : comment les médias torturent la réalité
depuis plus d’une année

9 mai 2004

Garde à la prison d'Abu GhraibH

yperbole compulsive, absence de recul et inquisition partiale : le diagnostic de la couverture médiatique consacrée à la situation en Irak reste inchangé au fil des mois. Ces jours, ce sont les sévices infligés à des détenus qui sont érigés en symbole de l’opération militaire coalisée et de son prétendu échec, dernier exemple en date d’une méthode axée sur la sélection et la manipulation des faits, voire le mensonge pur et simple.

L’information quotidienne doit être simple et se résumer à quelques thèmes marquants, capables d’être réduits en une séquence de quelques minutes ou un article de quelques milliers de signes. Le temps à disposition pour le faire est toujours insuffisant, compte tenu de la complexité et de l’évolution perpétuelle de l’actualité. La variété des sujets à traiter au fil des semaines empêche tout approfondissement et condamne à une superficialité propice à l’émotivité. Ceci pour dire que le journalisme constitue un métier difficile, et que la multiplication des informations disponibles et l’interconnexion de sources et de vecteurs toujours plus nombreux ne contribuent guère à le faciliter.


«... L'accusation de torture systématique ne constitue qu'un épisode supplémentaire de la quête insatiable du pire et de la fuite en avant qui caractérisent la couverture médiatique de l'Irak depuis plus d'une année. »


Rien cependant ne justifie les dérives auxquelles le public européen, et notamment romand, est confronté depuis plus d’une année à propos de l’Irak. C’est avec un étonnement puis un ressentiment croissant, depuis quelques années, que j’ai observé des institutions aussi essentielles que les médias écrits ou audio-visuels de notre coin de pays être détournées et perverties par des inclinations militantes, des préjugés idéologiques et des cécités corporatistes. Commettre des erreurs en relatant les faits n’a rien de tragique, mais refuser de le reconnaître et de publier des correctifs s’oppose explicitement à la déontologie du métier. Quelques exemples suffisent à démontrer que celle-ci s’est réduite à peau de chagrin, et que le nouveau thème des sévices infligés aux prisonniers irakiens ne contribue guère à la restaurer.



La « résistance acharnée » de la population irakienne

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour en prendre conscience : à peine une semaine après son déclenchement, l’opération « Iraqi Freedom » était déjà condamnée à l’échec, face à la résistance généralisée d’une population irakienne mue par un sursaut national.

  • « Les malheureux soldats américains qui s’attendaient à être accueillis avec des vivats redoutent maintenant une guérilla dont on ne peut plus douter qu’elle est populaire. Même les Irakiens les moins attachés à leur dictateur se dressent contre les envahisseurs anglo-américains », écrivait Jacques Pilet dans L’Hebdo du 27 mars ;


  • « Pourquoi le projet de blitzkrieg a-t-il échoué? Les stratèges de la coalition américano-britannique se sont nourris d’illusions sur leur supériorité technologique comme sur la motivation des Irakiens à se battre », affirmait Michel Audétat dans Dimanche.ch le 30 mars ;


  • « Davantage préoccupé d'assurer ses arrières – notamment le flux logistique – et de protéger son avant-garde et ses flancs, le dispositif terrestre s'est figé dans l'attente de renforts », expliquait doctement Jacques Isnard – du Monde – dans Le Temps du 1er avril, le jour même où les éléments mécanisés américains ont repris leur avancée fulgurante sur Bagdad ;


  • « Aujourd’hui, en Irak, les chiites martyrisés par Saddam Hussein semblent prêts à mourir pour défendre leur sol, mais pas pour faciliter la victoire des conquérants », déclarait Denis Etienne dans L’Hebdo du 3 avril, soit 3 jours avant l’entrée triomphale des troupes coalisées dans les grandes villes du sud irakien ;


  • « L’incompréhension face à cette invasion, l’augmentation des victimes civiles, et le sentiment nationaliste expliquent aussi la résistance acharnée du peuple irakien », assénait Nicolas Verdan dans 24 Heures le 4 avril, à seulement 5 jours de la prise de la capitale, alors défendue par quelques milliers d’hommes sur une population de 5 millions d’habitants.


Dans les faits, la population irakienne n’a opposé aucune résistance et s’est contentée de voir dans quel sens les combats allaient évoluer avant de manifester ses véritables sentiments. Le journaliste Rick Atkinson du Washington Post a décrit le 7 avril l’entrée des troupes américaines dans la ville de Karbala en parlant d’une « atmosphère de carnaval », avec des foules en liesse accueillant les soldats, comme quelques jours plus tôt à Nadjaf, Bassorah ou encore Nasiriyah, et comme ce sera également le cas à Bagdad. L’armée régulière n’a pas combattu et ses membres ont pour l’essentiel déserté, comme une grande part de la Garde républicaine ; seules les unités paramilitaires du régime de Saddam Hussein ont tenté de défendre celui-ci, mais leurs actions n’ont pu que retarder l’issue de quelques jours.

A la décharge des journalistes pris en faute, et dont les citations ci-dessus ne sont qu’un extrait des propos tenus (on parlait déjà le 29 mars, pour qualifier la situation, du Vietnam à l’époque de l’offensive du Têt…), il faut souligner qu’une interview manipulée du général Wallace, commandant des forces terrestres coalisées en Irak, a contribué à égarer les esprits : le New York Times lui a en effet fait dire que « l’ennemi que nous combattons est différent de celui auquel nous nous sommes préparés », alors que Wallace avait déclaré « un peu différent ». Ce qui était la stricte vérité : dans leurs nombreux wargames, les Américains avaient supposé que leurs adversaires allaient s’efforcer en première priorité de défendre le pays contre leurs actions, et non d’empêcher la population de se soulever – une stratégie irakienne dictée par la conviction irrationnelle selon laquelle l’invasion n’était qu’un bluff.

Il n’en demeure pas moins que les journalistes ont souvent sélectionné les faits et propagé leur conviction au lieu de rendre compte d’une réalité complexe et changeante, et qu’aucun correctif n’a jamais été publié. Une seule exception, mais éclatante : le rédacteur en chef du Matin, Peter Rothenbühler, qui le 9 avril écrivait un éditorial courageux : « Aujourd’hui, une majorité des médias suisses et européens devraient se soumettre à un sérieux examen de conscience. On n’a cessé d’accuser le Pentagone, Bush et les médias américains de toutes les manipulations de l’information possibles. En même temps, sans trop d’esprit d’autocritique, les médias du Vieux-Continent se sont lancés dans une grande campagne de désinformation. » Que cet examen de conscience n’ait hélas pas eu lieu peut être vérifié par le fait que le livre d’Alain Hertoghe, qui démontre le caractère systématique de la désinformation en France, n’a jamais été évoqué par les médias romands ayant repris les articles incriminés.



Tapis de bombes et tissus de mensonges

En fait, la réaction de cette « majorité » a toujours été d’enchaîner les dérives pour mieux éviter de revenir sur ses propos et de rendre des comptes quant à leurs inexactitudes. L’enlisement de la coalition et son incapacité à prendre les villes devaient nécessairement être remplacées par sa supériorité écrasante, sa brutalité inhumaine et barbare. Le régime de Saddam Hussein venait à peine de tomber que les troupes coalisées étaient donc vilipendées, au choix, pour leur usage excessif de la force face à des adversaires désarmés ou pour leur inaction coupable à la suite des pillages.

  • « Peut-on vraiment parler de «libération» du peuple irakien alors que l'on vient de balancer sur ce pays un incroyable tapis de bombes et 10 000 missiles à un million de dollars pièce ? », s’insurgeait Roger de Diesbach dans La Liberté du 11 avril ;


  • « Il faudrait donc croire […] à ces calembredaines qui nous expliquent que, pour reconstruire un pays, il faut d'abord le détruire et y déverser en vingt jours plus de bombes qu'en dix ans de guerre du Vietnam », expliquait Michel Zendali dans Le Matin du 12 avril ;


  • « Les forces armées américaines ont écrasé les forces armées irakiennes, le pouvoir de Saddam Hussein et de ses partisans s’est évaporé, les Anglo-Américains ont remporté la victoire. Bien, mais cela prouve quoi? Tout simplement qu’à mille contre un, mille est toujours sûr de gagner », raisonnait Claude Monnier dans le 24 Heures du 15 avril ;


  • « Les Marines américains affairés à étendre leur emprise militaire sur la ville n'ont presque rien fait pour empêcher brigands, voleurs ou simples citoyens résolus à profiter de l'aubaine », écrivait Richard Werly dans Le Temps daté du 11 avril, à propos des pillages dans la capitale ;


  • « Ce qu’il y a peut-être de plus triste, dans cette mise à sac de notre mémoire, c’est que pas un soldat de la coalition «civilisée» et «libératrice» n’ait été dépêché sur les lieux à titre «préventif», selon la théorie de George W. Bush, plus soucieux évidemment de «sécuriser» les puits de pétrole », se lamentait Jean-Louis Kuffer dans le 24 Heures du 14 avril ;


  • « Il a suffi d'une semaine pour disperser et détruire plusieurs millénaires d'histoire. En quelques jours, les sept plus grands musées nationaux irakiens ont été pillés et la Bibliothèque nationale incendiée », titrait Florence Gaillard dans Le Temps du 23 avril.


Dans les faits, la coalition a mené une opération aéroterrestre d’une précision sans précédent, et 68% des projectiles air-sol étaient guidés ; les « 10’000 » missiles de croisière étaient au nombre de 955, et quelque 29'000 bombes et missiles représentant environ 15'000 tonnes ont été largués en 3 semaines (contre 6,3 millions de tonnes durant la guerre du Vietnam). Par ailleurs, si les troupes alliées sont parvenues à prendre des villes gigantesques en situation d’infériorité numérique et avec des pertes minimes dans leur camp, elles l’ont fait au prix de combats parfois dantesques avec des adversaires fanatisés. Même le ciel irakien n’a pas été conquis sans des dangers permanents : pas moins de 1660 missiles sol-air ont été tirés par la DCA irakienne sur les appareils de la coalition. Les affirmations de certains journalistes relevaient donc clairement du mensonge, voire parfois du délire.

Concernant les musées de Bagdad, il est apparu par la suite que plusieurs d’entre eux avaient été utilisées comme poste de commandement ou position défensive par les défenseurs du régime de Saddam Hussein, occasionnant des affrontements avec les soldats américains parallèlement aux pillages se produisant dans la ville, et que les précautions prises par leurs conservateurs ont permis de conserver l’essentiel de leurs pièces (3400 objets volés sur 170'000 dans le principal musée de la capitale, annonçait Libération le 3 août). Concrètement, avec environ 30'000 hommes à Bagdad mi-avril occupés à des actions de nettoyage amenant escarmouches et embuscades, les Américains n’avaient pas les effectifs nécessaires pour protéger durablement des lieux culturels, et seul le retour de la police irakienne et l’engagement de gardes privés a permis de le faire.

Cette volonté de dépeindre les militaires de la coalition comme des brutes incultes, quand bien même les informations connues à l’époque indiquaient une réalité clairement opposée, a donc abouti à des affirmations fallacieuses qui n’ont aujourd’hui encore pas été corrigées. Mais elle se conjuguait également à l’envie de présenter ces mêmes militaires comme des victimes, engagés contre leur volonté dans un conflit perdu d’avance et désireux par-dessus tout d’en réchapper. Ainsi est né le mythe du GI démoralisé et défait.



Soldats perdus et réengagements massifs

Durant les premiers mois de l’occupation militaire, les accrochages quotidiens entre soldats de la coalition et combattants irréguliers se sont poursuivis comme au lendemain de la prise de Bagdad. Sous la chaleur écrasante de l’Irak, face à des ennemis difficiles à percevoir et dans des conditions de vie précaires, les soldats US n’ont pas manqué de laisser éclater leurs accès de mauvaise humeur, en particulier lorsqu’une partie d’entre eux ont appris que leurs déploiements allaient être prolongés. Ces réactions, conjuguées à des violences prenant parfois la forme d’attentats suicides, ont suffi pour présenter les soldats américains comme perdus, isolés et démoralisés, incapables de comprendre un pays en proie au chaos et une population unanimement révoltée.

  • « La violence au quotidien a remplacé la guerre éclair. Des GI meurent chaque jour, des affrontements éclatent aux quatre coins du pays et l’insécurité règne en maîtresse. Résultat: de plus en plus d’Irakiens sont frustrés d’avoir à payer un tel prix pour être débarrassés de Saddam Hussein », écrivait Philippe Dumartheray dans le 24 Heures du 13 juin, après une période de 30 jours ayant vu la mort de 8 soldats US, tous dans le triangle sunnite représentant moins de 5% du pays ;


  • « Incapables d'assurer les services publics, les troupes coalisées soulèvent une hostilité croissante en Irak », titrait Richard Werly lors d’un reportage à Bagdad le 24 juin dans Le Temps, qui sous la plume d’Alain Campiotti annonçait 3 jours plus tard que « les Etats-Unis cherchent auprès de leurs alliés du printemps […] des troupes pouvant relever des unités dont le moral, sous la canicule irakienne, n'est plus ce qu'il était » ;


  • « Les populations de Bassorah, de Nadjaf, de Kerbala ou de Bagdad n'ont pas accueilli les troupes de la coalition anglo-saxonne avec des fleurs. Aussi souvent qu'elles le peuvent, elles les arrosent de rafales de kalachnikov, de roquettes de RPG-7 ou s'efforcent de les assassiner à coup de voitures piégées », affirmait avec aplomb Antoine Gessler le 3 juillet dans Le Nouvelliste, alors qu’aucun soldat de la coalition n’était mort depuis 2 mois d’actions hostiles à Nadjaf et Kerbala ;


  • « Harassés de chaleur, menacés par des escarmouches meurtrières, les GI's américains n'en peuvent plus de l'après-guerre », titrait Delphine Minoui en reportage pour Le Temps le 21 juillet, en ajoutant que « l'Irak demeure un vaste puzzle bien compliqué, où les signes d'enlisement sont de plus en plus criants » ;


  • « Face à la guérilla qui ne faiblit pas, l'état-major américain cherche partout des soldats, et n'en trouve guère dans les rangs clairsemés de la coalition réunie par les Etats-Unis. L'Italie n'a envoyé à Bagdad que quelques éléments policiers », expliquait doctement Alain Campiotti dans Le Temps du lendemain, à l’occasion d’une visite de Silvio Berlusconi aux Etats-Unis, et alors que 2800 soldats italiens venaient d’arriver en Irak ;


  • « La colère gronde aussi chez nombre de soldats d'active. Notamment dans la troisième division d'infanterie, basée à Fallouja, à l'ouest de Bagdad. Dans cette région, chaque jour, au moins un soldat américain meurt dans les attaques des nostalgiques de Saddam Hussein », soulignait Bruno Philip dans Le Monde daté du 28 juillet (histoire de montrer que la presse romande n’est pas seule incriminée), alors que 3 soldats avaient été tués à l’ouest de Bagdad dans le mois écoulé ;


  • « George Bush et derrière lui la communauté internationale […] font désormais face à une résistance structurée, déterminée, dont les contours restent un mystère pour les services de renseignements », assénait Serge Enderlin dans Le Temps du 20 août, au lendemain de l’attentat contre le siège de l’ONU que la coalition était accusée de n’avoir pas su protéger – quelques mois avant qu’une enquête interne ne démontre l’entière responsabilité des fonctionnaires onusiens ;


  • « Il faut sauver le soldat US », titrait L’Hebdo sur sa couverture du 11 septembre en montrant un militaire américain en larmes, alors que son rédacteur en chef Alain Jeannet affirmait que « l’incapacité de l’armée US à rétablir l’ordre – comme les défaillances dans l’approvisionnement en eau et en électricité – nourrit la révolte de la population irakienne », et que « l’attentat contre le siège des Nations Unies à Bagdad témoigne de l’inefficacité des troupes américaines ».


Les extraits ci-dessus auraient pu être complétés par bien d’autres, mais ils sont parfaitement représentatifs de la tendance des médias à présenter la situation en Irak sous un jour exclusivement négatif et à proclamer de manière définitive la défaite, le cauchemar et l’enlisement – sur fond d’allusions répétées au Vietnam. Dans les faits, les troupes stationnées dans les zones à majorité chiites recensaient moins de 5 attaques par mois durant l’été, alors que les formations américaines subissaient jusqu’à 30 attaques par jour et près de 90% de leurs pertes dans le triangle sunnite. De plus, les journalistes ne pouvaient pas ignorer les sondages de la population irakienne favorables à la coalition, dont le premier publié le 20 juin par Le Temps indiquait par exemple que 80% des Irakiens approuvaient le maintien sur leur territoire des forces US, et qui pendant les 9 mois suivants ont montré des opinions similaires.

Cette distorsion systématique des perceptions est encore plus flagrante à propos des forces armées américaines. Pendant que les commentateurs – dont la formation à ce sujet est proche de zéro, comme ils sont d’ailleurs les premiers à le reconnaître en privé – jugeaient les troupes de la coalition incapables de comprendre la réalité du terrain et les complexités de la société irakienne, le renseignement militaire allié en démêlait l’écheveau et identifiait les rouages de l’insurrection, ce qui amènera en décembre la capture de Saddam Hussein. Pourtant, cet événement marquant – et les révélations qui ont suivi sur la méthode utilisée pour fusionner et analyser les informations – n’ont donné lieu à aucun correctif lié aux nombreuses proclamations quant à l’aveuglement irrémédiable des troupes. Mais l’inexactitude de leurs évaluations concernant le moral de celles-ci était encore plus grande.

L’image de soldats américains au bord de la rupture et désireux par dessus tout de rentrer au pays a en effet été totalement contredite par le fait que les divisions de l’US Army engagées en Irak ont presque toutes battu ou égalé leurs records en matière de réengagements. La 1ère division blindée, en poste à Bagdad depuis avril 2003, a ainsi affiché un taux de rétention de 120% pour le dernier semestre, allant d’octobre 2003 à mars 2004 ; la 3e division d’infanterie, dont les soldats ont manifesté leur mécontentement l’été dernier, a annoncé un taux de 101,5% ; la 4e division d’infanterie, qui vient de rentrer aux Etats-Unis, a pour sa part réussi à atteindre 117%. Plus révélateur encore : la 1ère division d’infanterie, qui pendant la période en question préparait son déploiement pour l’Irak, a rendu public un taux sidérant de 209% – indiquant que les militaires parvenus en fin de contrat se sont réengagés en masse pour participer à la mission en Irak.

De tels exemples d'inexactitudes flagrantes pourraient être multipliés à foison, car ils ont rythmé toute la couverture médiatique jusqu’à nos jours : en septembre dernier, presque tous les commentateurs accusaient ouvertement les dirigeants américains et britanniques d’avoir menti et truqué les rapports de leur services de renseignements, ce qui jusqu’ici a été systématiquement contredit par les enquêtes ; en novembre, les mêmes commentateurs annonçaient que la coalition, prise de panique suite à une brutale élévation des pertes, cherchait en urgence une porte de sortie ; en janvier, c’est le processus politique qui était désespérément bloqué, sans aucun espoir de parvenir à élaborer une constitution provisoire ; en avril, c’est le coup d’État manqué de Moqtada Al-Sadr qui était assimilé à un soulèvement généralisé malgré l’absence de tout indice allant dans ce sens – le même Al-Sadr que la communauté chiite prie fermement, aujourd’hui, de se rendre à la police.

Comment en est-on arrivé là ? Comment est-il possible que presque tous les médias enchaînent à un tel rythme les distorsions et les manipulations, et renoncent à toute autocritique lorsque leurs erreurs sont impossibles à dissimuler ? La seule explication pouvant être apportée est celle de la fuite en avant : ceux qui ont d’emblée condamné dans les termes les plus vifs l’opération militaire en Irak sont prisonniers du registre passionnel et exalté qu’ils ont adopté et des prédictions apocalyptiques avancées pour justifier une position moralement contestable. Rien ne va plus en Irak, disent-ils ou écrivent-ils, parce que tout ce qui va bien ne les intéresse pas, ne les concerne pas, et donc n’existe pas. La recherche inlassable des preuves d’échec est mue par le besoin aigu de démontrer le bien-fondé d’une prise de position définitive. Ce qui explique pourquoi les images des sévices infligés à des prisonniers irakiens ont tellement déchaîné une partie des rédactions : elles en avaient besoin.



Torture réelle ou réalité torturée ?

Pourtant, à première vue, leurs propos outrés et absolus semblent cette fois cohérents. Les images lamentables et les témoignages scandaleux rendus publics le 28 avril par la chaîne américaine CBS constituent une facette honteuse et indéfendable de l’opération « Iraqi Freedom » : empiler des prisonniers les uns sur les autres, les affubler de tenues douteuses, leur imposer des gestes luxurieux ou les battre ne peut être justifié par aucune exigence opérationnelle et relève d’une dépravation éminemment coupable. Cependant, les médias vont une nouvelle fois trop loin en étendant l’opprobre de ces exactions à l’ensemble des militaires américains en Irak, accusés de former une soldatesque tortionnaire, et de parler de comportement généralisé sans les données prouvant celui-ci ; au contraire, l’enquête de l’US Army et les visites du CICR n’ont porté que sur les prisons de la coalition, et donc sur l’activité de 3 à 4% des soldats déployés. La différence est de taille.

Mais la réalité va plus loin encore : c’est l’assimilation des sévices à une torture systématique axée sur l’obtention de renseignements, et la comparaison avec l’Algérie ou bien entendu le Vietnam, qui sont clairement contredites par les faits révélés dans le long rapport de l’armée américaine. De même, les accusations de dissimulation émises presque automatiquement par nombre de commentateurs – et pas seulement en Europe – se heurtent au fait que la coalition a annoncé, le 20 mars dernier, l’inculpation de 6 soldats travaillant à la prison d’Abu Ghraib et notamment accusés de cruauté, de mauvais traitement, de voies de fait et de comportement indécent. Encore faut-il, naturellement, que les rédactions s’intéressent aux communications et aux rapports des autorités militaires américaines, au lieu de les considérer spontanément comme des produits de propagande et de les ignorer.

De quoi s’agit-il donc ? Les premières enquêtes pour mauvais traitement en Irak ont été ouvertes en mai 2003, et 4 soldats ont été condamnés à cette époque ; entre octobre et novembre 2003, une première enquête sur le système carcéral coalisé a été menée et a conclu à des dysfonctionnements nombreux, résultant avant tout d’une mauvaise organisation (séparation insuffisante entre criminels de droit commun et combattants adverses), d’une instruction insuffisante (soldats formés à la garde de prisonniers de guerre, et non de criminels endurcis) et d’un sous-effectif permanent (les unités de réserve ne reçoivent aucun remplacement en cours de déploiement). Cependant, les recommandations émises suite à cette enquête n’ont pas été appliquées, et les exactions aujourd’hui rendues publiques ont même été commises après le passage des enquêteurs. De sorte que la plainte d’un soldat US fin 2003 a déclenché l’ouverture d’une nouvelle enquête.

Le texte principal du rapport étant disponible en ligne, il est aisé de montrer que ses principales conclusions vont à l’encontre de la perception diffusée par les médias :

  • Le commandement de la 800e brigade de police militaire, la formation de réservistes chargée de l’ensemble des prisons, ainsi que l’ensemble de ses commandants subordonnés n’ont jamais reçu une seule instruction du renseignement militaire américain pour les inciter à créer des « conditions favorables » à l’obtention de renseignements. En revanche, de telles demandes ont eu lieu aux bas échelons, entre interrogateurs et gardes, à l’insu de leur hiérarchie respective ;


  • Les incidents impliquant des actes sadiques et criminels ont principalement été commis par des policiers militaires d’une seule unité (la 372e compagnie PM du 320e bataillon PM), le reste étant à imputer à des soldats du renseignement militaire (325e bataillon rens, 205e brigade rens) également présents dans la prison d’Abu Ghraib. Spécifiquement, les exactions signalées par les témoignages des auteurs et des victimes montrent que les interrogateurs ont donné des ordres directs aux gardes pour faciliter leurs interrogatoires ;


  • La majorité des actes répréhensibles constituent des formes d’humiliations flagrantes : contraindre des prisonniers à la nudité, imposer aux hommes le port de sous-vêtements féminins ou les placer dans des situations équivoques allant jusqu’à simuler une torture par électricité ou un viol homosexuel. Les instructions du renseignement militaire ont ainsi légitimé des pratiques visant à intimider et déstabiliser des détenus, communes dans les prisons américaines, mais qui ne peuvent pas être assimilées à une torture généralisée ;


  • Les officiers responsables des formations de police militaire n’ont pris aucune mesure lorsque les premiers cas de violences ont donné lieu à la condamnation de 4 soldats, en mai 2003. Quatre policiers militaires du 320e bataillon avaient battu et donné des coups de pied à des prisonniers, ce qui leur a valu d’être jugés en cour martiale. Mais ni le commandant de bataillon, ni la commandante de la brigade n’ont jugé bon de vérifier le niveau d’instruction de leurs soldats, insuffisamment préparés à la garde de détenus dangereux, ou l’adéquation des procédures en vigueur ;


  • Les unités incriminées avaient des standards de fonctionnement extrêmement bas : confusions administratives quant au nombre de détenus, lenteur de traitement des documents relatifs à leurs transfert, fautes de procédure facilitant les tentatives d’évasion, absence totale d’évaluation après action (AAR) lors d’incidents, renonciation à appliquer les directives et les conclusions issues des enquêtes précédentes, tenues individuelles non réglementaires, règles de sécurité laxistes et absence de distinction entre personnel militaire et civil. Le manque général de discipline relevait de l’évidence ;


  • La hiérarchie militaire tactique a été coupable d’inaction, de négligence, d’incompétence et de dissimulation. Sans mentionner tous les détails, il faut en particulier relever que la commandante de la brigade n’a rien fait pour relever le moral de ses subordonnés, lorsque leur déploiement a été prolongé l’été dernier ; a engagé un seul bataillon pour s’occuper des 6000 à 7000 détenus d’Abu Ghraib, mais un bataillon entier pour une autre prison abritant 100 détenus de haut rang ; a toléré des conditions de vie insuffisantes pour ses soldats, régulièrement soumis à des attaques et néanmoins privés d’installations essentielles (cantine, magasin ou salle de repos) ; a toléré la confusion régnant entre la police militaire et le renseignement militaire à propos de leurs responsabilités, et permis une collusion néfaste aux bas échelons ; a toléré un commandant de bataillon (320e bataillon) totalement incompétent et rejetant sur son S-3 la conduite de son corps de troupe, sans aucune mesure autre qu’un congé de 2 semaines au Koweït ; a toléré le maintien en fonction d’officiers incapables dans son état-major (S-1 et S-4) malgré de nombreuses plaintes ; a imposé des directives renonçant au salut militaire entre soldats de rangs différents ; a nié toute responsabilité personnelle sur les actions commises par ses subordonnés lors de son interrogatoire par les enquêteurs ; a prétendu, enfin, visiter régulièrement ses soldats, ce que son emploi du temps et les témoignages de ses subordonnés contredisent formellement.


Si l’on ajoute à ce tableau pour le moins sombre le fait que l’officier des finances de la brigade pratiquait la contrebande d’alcool, qu’un commandant de compagnie a pris des photos de ses soldats féminins sous la douche et à leur insu, et que l’adjudant-major de la brigade (le sous-officier de plus haut rang) entretenait des relations sexuelles avec de jeunes soldates, on mesure mieux la réalité de la situation. Le rapport mentionne par ailleurs que 2 autres bataillons de police militaire de la brigade, engagés sur d’autres prisons, ont fait preuve d’un comportement irréprochable et n’ont donné lieu à aucun acte illégal ou répréhensible. Par conséquent, rien dans ce rapport ne permet d’affirmer que les sévices rendus publics ne constituent pas des agissements isolés, issus d’une situation locale complètement pourrie où l’indiscipline était la règle.

L’accusation de torture systématique, brandie aujourd’hui comme la preuve du caractère immoral de l’opération « Iraqi Freedom », ne repose donc pas sur des faits établis, mais bien sur leur distorsion intéressée. Elle ne constitue qu’un épisode supplémentaire de la quête insatiable du pire et de la fuite en avant qui caractérisent la couverture médiatique de l’Irak depuis plus d’une année. Et ce véritable naufrage déontologique est d’autant plus navrant qu’il contribue lourdement, par l’unanimité des rédactions, à façonner l’opinion publique et à propager une réalité torturée, simpliste et somme toute lénifiante. Il reste à espérer que le Conseil de la presse choisisse de suivre l’exemple de l’armée américaine et d’ouvrir une enquête pour examiner les dysfonctionnements systémiques et les agissements minoritaires qui ternissent la réputation déjà blafarde d’une profession essentielle à la démocratie.

L’affaire des sévices en Irak se poursuivra, puisque les décès de 25 prisonniers survenus lors d’émeutes ou de tentatives de fuite font l’objet d’une enquête spécifique ; à terme, c’est toute la méthode américaine de détention et d’interrogatoire qui devra être passée au peigne fin, et chaque excès sera certainement rendu public. Mais il faut se rappeler que dans cette guerre des perceptions à laquelle se livrent sans retenue dirigeants politiques et fournisseurs médiatiques, ces images et ces accusations sont des armes visant à combattre ou à restaurer la légitimité de décisions stratégiques passées. Et que les informations issues des chancelleries comme des rédactions doivent désormais être considérées avec autant de recul que d’esprit critique.



Maj EMG Ludovic Monnerat  








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