La situation et le développement
de la puissance aérienne européenne
29 février 2004
es divisions entre nations européennes qui sont
apparues à propos de l'Irak n'empêchent pas le développement de leur puissance aérienne.
Mais la longue marche vers l'intégration communautaire n'enlève pas aux nations
leurs propres responsabilités, notamment parce que les missions dites de Petersberg comprennent l'imposition de la paix. Tour d'horizon.
Les dangers qu'engendrent le terrorisme, les
dictatures et la prolifération - ou une combinaison de ceux-ci - pèsent sur le
contexte stratégique actuel. Pour les États européens, il s'agit de se défendre
contre ces dangers en amont, et dans la mesure du possible sur le lieu même où
ceux-ci apparaissent.
«... Une grande
opération aérienne de l'UE est possible dans les prochaines
décennies, et les forces doivent se préparer à des opérations de guerre
aérienne de haute intensité. »
La puissance aérienne joue un rôle central dans toute
stratégie politico-militaire qui cherche à repousser ces dangers. Les systèmes
d'armes modernes à longue portée combinent une capacité à la fois de précision
et de distinction. Ils sont en mesure d'éviter les dommages collatéraux et
d'assurer la protection des forces amies. Le principe de la proportionnalité
peut être observé, et les pertes adverses peuvent également être réduites au
minimum. Cet article a pour but de discuter la situation et le développement de
la puissance aérienne européenne.
Définition et propriétés
La puissance aérienne est la
capacité de projeter et d'employer la force armée dans l'espace aérien ou
mondial à partir d'une plate-forme volante ou un missile. La définition
s'appuie donc sur des capacités. La puissance aérienne en tant que telle ne se définit
pas sur une organisation qui orchestre ces capacités. La puissance aérienne
européenne peut agir dans le cadre de l'Union Européenne - comme instrument
européen originel - ou dans celui de l'OTAN, au sein d'un pilier européen.
Les caractéristiques-clés de la
puissance aérienne sont sa haute vitesse, son long rayon d'action et son
application tridimensionnelle. La vitesse permet de déployer et de réorienter
des effets plus vite, d'effectuer un engagement dans un laps de temps moindre
et de traiter plus de tâches simultanément que ce n'est le cas avec d'autres
moyens opérationnels militaires. Le contrôle de l'espace aérien revêt un
caractère essentiel pour toutes les forces armées et est l'une des
contributions essentielles de la puissance aérienne dans l'accomplissement d'un
engagement sur terre et sur mer.
Dans la phase initiale d'une
opération, la puissance aérienne doit créer une situation dans laquelle les
propres forces peuvent librement se déployer sur terre, en mer ou dans les airs
et mener leurs engagements tout en restant protégées. Cette tâche classique,
qui a pour but de conquérir la supériorité aérienne - voire la suprématie - est
toujours effective aujourd'hui. La disponibilité croissante d'avions plus
petits, de drones ou de missiles pose un problème toujours plus grand, qui plus
est si ces moyens sont couplés à des armes de destruction massive.
C'est ainsi que la puissance
aérienne peut être engagée dans un large spectre d'opérations comme un moyen
politico-militaire flexible et de valeur. Elle rend possible un appui-feu
rapide et précis, qui permet un engagement de troupes au sol minimal. De par sa
flexibilité, elle contribue au contrôle de l'escalade dans un conflit. La
puissance aérienne peut être rapidement mise en action mais tout aussi vite
rendue disponible, autorisant une réaction immédiate au début et à la fin d'un
conflit.
Les quinze dernières années ont vu
le déroulement de 5 grandes opérations aériennes qui ont été déterminantes pour
l'issue victorieuse du conflit : la condition initiale et l'appui soutien
de l'offensive terrestre dans la guerre du Golfe en 1991, l'implantation de la
paix en 1995 en Bosnie grâce aux opérations aériennes alliées, la fin du
conflit au Kosovo en 1999 par l'opération « Allied Force », l'engagement
« Enduring Freedom » en Afghanistan et enfin la guerre en Irak
l'année dernière.
Cette dernière en particulier a
démontré que des munitions à guidage de précision, une nouvelle génération de
missiles et une mise en réseau efficace permettent aux forces aériennes comme
jamais d'atteindre leurs propres buts et de soutenir de manière ciblée et
rapide les troupes au sol. Les principaux artisans de ce développement sont les
forces américaines, la participation européenne dans ces opérations n'ayant en
règle générale joué qu'un rôle complémentaire.
La puissance aérienne dans l'Union
La puissance aérienne européenne en
tant que capacité de combat ne doit pas seulement être considérée dans le cadre
de l'OTAN dans sa composante européenne, mais aussi à l'intérieur de l'Union
européenne. Celle-ci s'est fixée des buts ambitieux : elle mène pour la
première fois de son histoire des engagements militaires autonomes. L'UE a
entre-temps l'assurance de pouvoir compter sur les moyens et les capacités de
l'OTAN - elle peut planifier les opérations par le QG de l'OTAN et laisser
l'organisation mener celles-ci. L'alternative est de mettre à disposition un QG
national comme quartier-général stratégique de l'UE. Ce fut le cas lors de
l'opération « Artémise » au Congo, où la France a mis en place le QG
stratégique et opératif.
Pour les engagements des forces
aériennes, les QG nationaux peuvent agir en qualité de commandement de
composante aérienne (Air Component Command, ACC). La Luftwaffe peut à
cet effet mettre à disposition le Kommando Operative Führung
Luftstreitkräfte (KdoOpFüLüSK). Le niveau quantitatif demandé par
l'objectif global européen (European Headline Goal, EHG) à la puissance
aérienne future est atteignable. Celui-ci exige que l'UE soit en mesure de
déployer 300 à 350 avions de combat en 60 jours et pouvoir les maintenir en
engagement pendant une année. Il faut garder cependant à l'esprit que durant
l'opération « Allied Force » au Kosovo en 1999, seuls quelque 215
appareils européens ont été engagés ; le niveau quantitatif demandé est
donc élevé et ambitieux.
La Luftwaffe s'est engagée, dans le
cadre de l'EHG, à mettre à disposition de larges moyens, indépendamment de la
situation : entre autres six escadrilles d'avions de combat pour
différents rôles, y compris les frappes aériennes de précision à distance par
tous les temps, ainsi qu'une capacité de transport aérien. Le spectre de
Petersberg de 1992 définit un large éventail de scénarios : engagements
humanitaires et sauvetages en cas de catastrophe avec besoin de transport. Les
autres possibilités d'engagements, soit les évacuations, le maintien de la paix
et l'imposition de la paix, peuvent selon les cas nécessiter toutes les
capacités.
Plus que toute autre organisation,
l'UE est potentiellement en mesure de réunir, dans le contexte d'une gestion de
crise, des moyens politiques, militaires, civils et économiques. La puissance
aérienne fait partie des moyens militaires. La poursuite de l'intégration et
les capacités requises dépendent en grande partie du rôle que l'Europe va se
donner dans les prochaines décennies en matière de politique de sécurité.
Va-t-elle jouer celui d'un
« global player » avec une capacité globale de projection de force,
ou va-t-elle se contenter d'un rôle secondaire dans un contexte régional ?
Un rôle secondaire n'est guère une alternative - dans un monde globalisé,
l'Europe ne peut que prétendre à devenir une force capable d'intervenir à tous
les niveaux. Cependant, cela ne signifie pas que la Politique européenne de
sécurité et de défense (PESD) doive être développée comme contrepoids face aux
Etats-Unis, ce qui serait dommageable à l'UE et à l'OTAN.
Mais dans la représentation des buts
de l'Europe en tant qu'acteur global, sans pour autant devenir un concurrent
des USA, des questions restent ouvertes. La puissance aérienne européenne
doit-elle pouvoir accomplir un rôle significatif dans un conflit de haute
intensité ? Existe-t-il un rôle pour la puissance aérienne européenne en
amont du spectre de Petersberg ? Doit-elle préparer des options pour un
éventuel conflit nord-coréen ? D'aucuns constatent que celui qui veut
participer à la décision, dans les premières phases décisives d'un conflit,
doit également vouloir et pouvoir agir dans les phases de combat les plus
intenses.
Naturellement, c'est dans cette
phase que se trouvent les risques militaires et politiques les plus élevés,
mais également les plus grandes opportunités. Celui qui retire ses forces
terrestres en phase de stabilisation accepte aussi le fait de perdre une
influence significative, y compris au niveau politique. Afin que les dirigeants
puissent prendre la décision de participer ou non, la puissance aérienne
européenne doit être en mesure de soutenir un conflit de haute intensité. Une
politique européenne de sécurité et de défense est dans l'air, mais pas encore
fixée.
Mais les événements politiques de
ces dernières années rendent ce scénario plutôt improbable. Il n'existe aucune
indice montrant que les nations seraient prêtes à court terme à céder la
décision d'un engagement militaire à une institution commune. La convention
constituante européenne n'a d'ailleurs fait aucun pas significatif dans le sens
d'une union de la politique de sécurité. La récente guerre irakienne a montré
les divergences d'opinion. Les engagements et les intérêts diffèrent trop en
Europe : membre de l'OTAN contre non membre, eurosceptiques contre
euro-idéalistes, possibilité nucléaire
et veto onusien possible pour deux membres. De plus, un renoncement à la
souveraineté pour faire avancer l'intégration de la politique de sécurité de la
part des dirigeants européens apparaît peu probable.
Spécialisation et intégration
Une spécialisation, respectivement
une séparation des tâches, signifie qu'une nation remplit pour les autres une tâche
spécifique, ce qui en contrepartie induit que la responsabilité est déplacée
autre part. La fiabilité du partenaire est donc une condition sine qua non pour
une telle répartition des tâches. De ce fait, aussi longtemps que la politique
de sécurité n'est pas communautarisée, un tel partage de tâches représente un
risque. Par le biais de ces capacités-clés, les nations courent le risque de ne
plus pouvoir réagir face à un danger si une autre nation leur refuse le recours
à sa capacité-clé. D'autre part, un pays pourrait être forcé de mettre en œuvre
sa capacité-clé, même si son intérêt propre lui dicterait le contraire. Le pas
vers une politique de sécurité commune passe donc par un intérêt et une
politique extérieure communs.
Ce qui demeure avant tout une
décision politique. Les forces armées peuvent permettre ce pas par un travail
commun toujours plus poussé, mais ne peuvent pas l'imposer. Un partage des
tâches non volontaires existe cependant depuis longtemps déjà, car pour des
raisons financières avant tout l'ensemble de pays ne couvrent pas toutes les
tâches, et seuls les plus grands pays européens comblent ces lacunes. Ainsi la
Grande-Bretagne met-elle à disposition le nombre le plus élevé d'avions
ravitailleurs alors que d'autres nations, Allemagne comprise, ne possèdent pour
l'heure aucun appareil de ce genre. En revanche, les forces aériennes
allemandes possèdent le système le plus performant du continent européen dans
le domaine de la défense aérienne.
Cette répartition des tâches non
voulue est la conséquence des obligations financières. Alors que la pression
des coûts augmente constamment, ce partage involontaire - et non contrôlé - ne
peut que croître. Ainsi peut-on retenir le scénario suivant : l'UE n'unira
pas sa politique de sécurité dans les prochaines décennies. Dans ce cas, la
collaboration ira croissante de manière pragmatique. Quelques structures
subordonnées à l'état-major militaire de l'Union vont naître à moyen et long
terme, aussi longtemps que cela sera défendable au niveau politique. Le pas
critique vers une politique de sécurité communautaire ne sera cependant pas
fait. Les réserves décisionnelles nationales seront maintenues. Une grande
opération aérienne de l'UE est néanmoins possible dans les prochaines
décennies, comme une action globale mais limitée. Les forces aériennes
européennes doivent donc se préparer à prendre part à des opérations de guerre
aérienne de haute intensité.
Les possibilités d'une intégration
plus poussée de la puissance aérienne européenne seront limitées par plusieurs
facteurs, parmi lesquels un manque de concepts d'engagement et de doctrine
communs, une interopérabilité défaillante, mais aussi des comportements
nationaux dans les missions d'exploration et de recherche de renseignements,
qui ne permettent pas toujours la transmission de ceux-ci. Ainsi le plan
d'action européen sur les capacités (European Capabilities Plan, ECAP)
aspire-t-il à l'amélioration de ces capacités.
Malgré ce problème il existe de
nombreuses formes d'intégration en dessous du seuil que représente
l'unification de la politique de sécurité. La standardisation en est un
exemple. Elle constitue une forme importante de collaboration, et qui plus est
s'inscrit dans la durée. Les échanges de personnel sont un bon moyen
d'intégration, bien que n'agissant qu'au niveau individuel, et ils n'ont
jusqu'ici été pratiqués que de manière bilatérale. Les exercices multinationaux
et l'instruction commune représentent des moyens de valeur dans le cadre de
l'OTAN, afin de promouvoir la connaissance des procédures et techniques de
l'autre. Il n'existe cependant aucun exercice de ce genre au niveau européen.
Une coopération dans le domaine de l'armement est toutefois déjà pratiquée.
Il existe des états-majors communs
pour les troupes terrestres, en particulier au niveau des corps d'armée. Dans
le domaine aérien, il existe divers arrangements efficaces, comme le groupe
aérien européen (European Air Group, EAG) et la cellule de coordination
du transport aérien européen (European Airlift Coordination Cell, EACC).
Mais ces arrangements se trouvent en dessous du seuil de communautarisation,
car aucune force ne leur est subordonnée, et parce que les forces nationales
peuvent être conduites et coordonnées différemment. Une exception cependant
s'annonce pour une compétence de coordination unique avec la migration de
l'EACC dans un commandement européen du transport aérien.
Les pas vers l'intégration
européenne demeureront certainement petits et se feront par le bas :
multinationalisation des structures militaires sur une base bilatérale ou
multilatérale. On peut douter que ce modèle, déjà pratiqué depuis belle lurette
dans le domaine des forces terrestres, fonctionne avec les forces
aériennes : il demanderait la création de groupes multinationaux, avec de
très hautes conditions d'interopérabilité dans les systèmes d'armes. De plus,
il devrait s'agir presque d'un groupe unique, afin que les demandes nationales
toujours actuelles ne soient pas mises en danger. Pour les forces aériennes se
pose donc moins la question de poursuivre la multinationalisation des groupes
que celle d'une structure de commandement multinationale européenne - cette
dernière étant rejetée en raison d'une duplication des structures existantes de
l'OTAN.
Capacités à l'engagement
L'engagement effectif de la
puissance aérienne européenne est resté jusqu'ici limité. Les engagements
UNPROFOR/IFOR et l'opération « Allied Force » étaient des actions
massives de l'OTAN, avec une prépondérance des forces aériennes américaines. La
plus récente opération de l'UE, « Artémise », a été dirigée
directement par l'Union européenne, et elle comprenait une coopération avec des
avions de combat Mirage, même s'il n'y a eu qu'un petit nombre d'engagement. Il
faut néanmoins constater qu'il n'y a pas eu d'opération aérienne uniquement
européenne, mais que la collaboration des forces aériennes demeuraient
sous-proportionnée.
La participation des forces
aériennes européennes aux engagements sur la Serbie était quantitativement
basse (environ 32%), le rôle principal étant dévolu aux USA. C'est pourquoi il
est inadmissible d'orienter les exigences des forces aériennes européennes en
fonction des participations aux récents conflits. Cette participation était
trop basse, précisément parce que la collaboration européenne était faible. Une
participation adaptée - et plus élevée - serait souhaitable, car dans le cadre
de la planification des engagements de combat, beaucoup de réticences ont été
émises quant à la suite du conflit.
Pour un conflit situé dans la partie
supérieure du spectre de Petersberg, des capacités telles que l'interdiction
aérienne (Air Interdiction, AI), la supériorité aérienne offensive (Offensive
Counter Air, OCA) et défensive (Defensive Counter Air, DCA) et la
mise hors de combat des moyens de défense aérienne ennemis (Suppression of
Enemy Air Defense, SEAD) seront nécessaires. Les expériences du conflit
irakien ont amené un nouveau profil d'exigences : l'appui aérien rapproché (Close
Air Support, CAS) demande plus de précision, de vitesse et d'interaction
avec les troupes au sol (« Advanced CAS »), alors que l'appui de
troupes au sol dans un environnement urbain a fait apparaître un nouveau rôle
(« Urban CAS »).
Par rapport aux capacités actuelles,
les lacunes apparaissent dans les domaines suivants :
- Le transport aérien
stratégique - la Grande-Bretagne dispose avec les C-17 loués d'une
capacité limitée, toutes les autres nations européennes ne possèdent aucune
capacité de transport stratégique avec un type d'avion spécialement dévolu à
cette tâche ;
- Le ravitaillement
aérien - seule la Grande-Bretagne possède une flotte de tankers d'un
certain volume ;
- Les systèmes
d'exploration aéroportés engageables de manière globale et dans la zone
d'engagement (p. ex. : HALE- et/ou MALE-UAV). Il manque en particulier la
capacité d'exploration en quasi temps réel, couplée à une plate-forme de tir
permettant une réaction rapide ;
- Les munitions modernes, en particulier les armes de précisions engagées
à distance. Dès 2004, l'Allemagne sera l'une des rares nations à introduire une
arme à distance modulaire avec du système Taurus ;
- La lutte contre la défense aérienne ennemie. Seules l'Allemagne et
l'Italie ont la capacité de détecter et de combattre les systèmes radar
ennemis ;
- Le brouillage tactique à large gamme, dont aucun pays européen ne
dispose ;
- La capacité de défense contre des missiles balistiques tactiques. Seuls
l'Allemagne, les Pays-Bas et la Grèce disposent, avec les Patriot, d'un système
de défense limité.
L'interopérabilité des forces aériennes
européennes membres de l'OTAN est traditionnellement élevée. La transmission de
cette qualité aux non membres de l'OTAN représente donc un défi, car l'éventail
des capacités et de l'interopérabilité s'élargit encore davantage. Les forces
aériennes des nouveaux membres de l'UE ne sont souvent pas interopérables au
niveau technique. Mais l'interopérabilité n'est pas liée uniquement à la
technique. Elle dépend également d'une instruction et d'exercices communs,
d'une compétence linguistique améliorée (en anglais), de standards
d'instruction et de procédures unifiés ainsi que d'une compréhension commune
des manœuvres tactiques. Ce sont là des tâches longues qui exigent beaucoup de
temps et d'argent, ainsi que la mise en place de concepts communs.
Le concept américain de guerre
réseau-centrique (Network Centric Warfare, NCW) a pour but
l'amélioration de la conduite du combat grâce à l'utilisation active de toutes
les possibilités de renseignements par des forces interopérables, reliées entre
elles par un réseau complet et robuste. Le but du NCW est de transformer la
supériorité informationnelle en supériorité au combat, de manière à ce que des
forces bien informées et très mobiles puissent opérer en commun de façon
décisive. Cela nécessite donc, en plus de ce robuste réseau, une
interopérabilité technique et procédurale, afin que le cadre européen
multinational ne mène pas à la perte de l'interopérabilité si toutes les forces
aériennes n'implantent pas le NCW.
Structures communes
Dans le domaine des forces
aériennes, l'EAG et l'EACC sont des installations d'une importance particulière
par leur composition multinationale. L'EAG se compose d'environ trente soldats
de sept nations (France, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas
et Espagne) et se trouve à High Wycombe en Grande-Bretagne. Sa tâche est
d'améliorer les capacités opérationnelles des forces aériennes participantes,
essentiellement au travers d'une amélioration de l'interopérabilité. Pour sa
part, l'EACC a été mis en place en 2001 sur la base hollandaise d'Eindhoven, et
son état-major compte 14 soldats. Les nations participantes sont la
Belgique, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, l'Espagne et la
Grande-Bretagne.
L'EACC n'a pour l'heure qu'une
fonction de coordination ; elle travaille comme « courtier » entre les nations, afin d'utiliser de façon optimale
la capacité de transport aérien existant. Pour remplir son devoir de
coordination, l'EACC est reliée avec le commandement des forces aériennes
participantes et peut ainsi connaître les possibilités d'optimisation. Le
« paiement » des prestations de transport aérien fournies est assuré
par une « monnaie » exprimée « heures de vol équivalentes »
(Equivalent Flying Hour, EFH), et donc par une autre prestation de
transport aérien. Les performances diverses des différents types d'avions sont
prises en considération par une clé de calcul lors du compte des EFH. Le
système dans lequel ces compensations ont lieu s'appelle ATARES (pour Air
Transport and Air-Refueling and other Exchange Services).
Le budget total de l'EACC s'élève
momentanément à 200'000 euros par an. Cet argent est bien dépensé, compte tenu
des économies que le système engendre. Les ressources limitées de toutes les
nations européennes exigent aussi une coopération en-dehors du cadre de l'EACC.
Par conséquent, les capacités de l'EACC ont été mises à disposition de l'UE et
de l'OTAN. Cela permet également d'éviter la duplication des structures. La
fonction de coordination actuelle de l'EACC, qui repose sur une participation
volontaire des États, atteint cependant ses limites. Dans le but d'augmenter le
potentiel de l'EACC, les sept nations qui y prennent part ont déjà décidé de
dépasser la seule compétence de coordination. Le nouveau centre de transport
aérien européen (European Airlift Centre, EAC) ne possèdera donc pas
seulement une fonction de coordination, mais également une fonction de
planification. L'état-major d'Eindhoven va s'agrandir et gagnera également en
compétence et en responsabilité. La redésignation liée à cette décision est
prévue pour le 1er juillet 2004.
L'EACC peut donc être qualifié de
réussite - il atteint pour le transport aérien une grande intégration
européenne dans les conditions actuelles, et offre des avantages opérationnels
et économiques pour tous les participants. L'intérêt des autres États européens
pour une future participation est dès lors élevé. Un développement ultérieur de
l'EACC en commandement du transport aérien européen, responsable de la
planification et de l'engagement, serait concevable et favorisé par l'achat
d'Airbus A 400M par plusieurs états européens. Toutefois, d'autres capacités de
transport aérien pourrait être subordonnées à ce commandement. Les chances pour
un tel projet sont bonnes, puisque d'autres avantages significatifs au niveau
des coûts seraient possibles, alors que la contribution à ce commandement
serait calculée selon les besoins et resterait identifiable au nombre d'avions
fournis par chaque ~Etat.
Mais le seuil d'une communautarisation
de la politique de sécurité ne serait toujours pas dépassé par cette décision.
Car les résistances de quelques États ayant acquis des A 400M contre un
commandement européen du transport aérien sont à attendre, puisqu'ils
insisteront sur leur plus grande autosuffisance nationale. Une solution
minimale existe peut-être, avec la formation d'une escadrille multinationale de
quelques A 400M. Ainsi, l'interopérabilité pourrait être garantie à long terme.
Un développement de cette logique serait une collaboration accrue dans le
domaine du ravitaillement aérien sous un commandement commun. Cependant, les
capacités de ravitaillement aérien sont distribuées entre les États de manière
encore plus inégale que dans le domaine du transport : en Allemagne, le
premier avion ravitailleur n'entrera en service qu'en 2004, tandis que la
Grande-Bretagne entretient depuis des années une escadre de ravitailleurs. Le
recours à une collaboration serait donc perçu très différemment de part et
d'autre. Une extension du commandement commun du transport aérien au
ravitaillement sera réaliste dès qu'un grand équilibre sera réalisé entre les
participants - aussi dans le cadre de l'A 400M.
Conclusion
La puissance aérienne devrait être,
sur la base de sa flexibilité et de sa vitesse, un moyen de premier choix dans
le cadre de la gestion d'un conflit. Malgré cela, les gouvernements européens
se sont imposés plus de retenue pour l'engagement de forces aériennes que pour
les forces terrestres dans des opérations post-conflit. Cela peut être lié à un
manque de capacité tout autant qu'à une retenue volontaire pour l'engagement
d'une arme combattante dans un conflit de haute intensité. Des progrès
fondamentaux en direction d'une puissance aérienne européenne dépendent de la
mise à disposition des ressources correspondantes aussi bien que des progrès en
direction d'une communautarisation de la politique de sécurité - les deux
doivent être le fruit d'une politique correspondante.
Sans ces deux conditions, seules des
avancées limitées peuvent avoir lieu. Des ressources nettement supérieures ne
seront probablement disponibles que lorsqu'une perception accrue de la menace
provoquera davantage de pression. Même lors d'une intégration croissante, les
fournisseurs de ressources seront les nations elles-mêmes. Des forces aériennes
qualitativement de haute valeur sont par conséquent une condition impérative
pour une puissance aérienne opérationnelle. De ce fait, la perspective de
l'intégration européenne n'enlève rien au devoir de continuer de mettre à jour
les capacités nationales.