Le rôle des attentats suicides
dans le terrorisme fondamentaliste islamiste
23 novembre 2003
'attentat suicide est aujourd'hui la forme d'attaque privilégiée au
sein des organisations terroristes fondamentalistes. Puisant aux sources d'une
idéologie extrémiste séculaire, le martyre autodestructeur est ainsi le fruit d'un
endoctrinement permanent qui le rend particulièrement dangereux, et qui tôt ou
tard déferlera en Europe occidentale.
Chaque mois en Europe
et en Occident, grâce aux services de renseignements et de protection des
territoires, des attentats sont déjoués. Différents groupes terroristes
sévissent aujourd'hui. Si certains restent dans la ligne classique des attentats
à l'explosif, d'autres, représentant les nouvelles menaces, démontrent au
contraire la volonté d'entrer dans une nouvelle forme de destruction. Les
attentats suicides, mais aussi les attaques biologiques, chimiques et
nucléaires font partie de leur éventail de possibilités d'action.
«... Il n'y a aucune raison de croire que la méthode de l'attentat suicide
ne soit pas pratiquée en Europe ou
en Occident. »
Cet article a pour but de montrer l'importance des menaces terroristes
posées par les fondamentalistes musulmans, qui contrairement aux autres groupes
terroristes internationaux ont cette particularité d'avoir des motivations
"divines" et "mystiques", ce qui rend leur potentiel
d'agressivité et de destruction hautement supérieur. L'analyse de quelques
exemples, comme l'attaque du temple de Hatshepsout en Égypte, illustrera les
différentes méthodes d'action, mais aussi les manières possibles d'anticiper de
telles actions.
En matière de terrorisme, il y a eu les attentats de Dar es Salam, de
Nairobi, l'attentat du World Trade Center en 1993, puis ceux du 11 septembre
2001, le détournement de l'avion d'Air France à Alger, la tuerie de touristes
occidentaux dans un temple en Égypte et l'attentat à Karachi contre des
Français… Le lien entre ces attentats : le fondamentalisme islamiste, celui
d'Al-Qaïda, des Taliban, de Al Gama'a Al Islamiyya et du GIA, mais aussi le
terrorisme proche-oriental des tueurs kamikazes palestiniens issus
d'organisations terroristes aux mêmes origines fondamentalistes.
Les revendications d'Al-Qaïda, du Hamas ou encore celles des Frères Musulmans sont autant de repères qui,
isolés, ne rendent pas évidentes leurs connexions avec les autres sectes et
groupes terroristes, et tendent à intégrer leurs actions dans le cadre
du militantisme. Une vision historique et globale fait au contraire apparaître
des similitudes flagrantes, troublantes et inquiétantes, et démontre, preuve à
l'appui, la puissance de la nébuleuse terroriste à objectif unique.
Le massacre de Louxor
Le lundi 17 novembre 1997 à Louxor en Egypte, vers 0845, un
groupe de 29
touristes descendus d'un premier bus visite le temple d'Hatshepsout dans la
partie droite, alors qu'un autre groupe venant d'un second bus d'une autre
agence s'intéresse à sa partie gauche. A environ 0900, un commando de six
hommes déguisés en policiers locaux arrive à la porte extérieure du temple ;
les premières détonations d'AK 47 se font entendre et les gardes de sécurité
qui tombent les premiers, alors que d'autres réussissent à prendre la fuite.
Une fois l'entrée passée, ce groupe se divise en deux : un premier
groupe de trois hommes est chargé de la surveillance de l'entrée mais aussi de
maintenir le périmètre sous contrôle afin de garder à distance toute force de
secours. En même temps, l'autre groupe de trois personnes entre dans le
périmètre du temple et commence à progresser, en ouvrant le feu sur les
premiers touristes qui se trouvaient à proximité des terroristes. Certains
parviennent à s'enfuir ou à se cacher après avoir rapidement ce qui se passe,
alors que d'autres, dans la confusion, restent pour regarder, totalement
tétanisés, ce qui leur fait coûte la vie ; d'autres encore, blessés,
simulent la mort afin d'échapper à l'exécution.
La plus grande partie se retrouve coincée entre les murs du temple et
un pan de montagne. Dès cet instant, les terroristes se livrent à une tuerie de
sang froid. Ils poursuivent les touristes occidentaux à l'intérieur du
bâtiment, les rassemblèrent contre un mur ou encore les obligent à s'agenouiller
avant de les exécuter à bout portant. A aucun moment ne sont-ils gênés ou
troublés par les cris et les suppliques
des touristes. Des survivants ont témoigné et raconté avec quelle tranquillité
et sérénité ils ont méthodiquement abattu les hommes, les femmes et les
enfants.
Les terroristes, âgés d'une vingtaine et d'une trentaine d'années et
habillés de noir, psalmodient en tirant et en exécutant, et portent sur le
front un bandeau sur lequel figure l'inscription, en arabe, "Jusqu'à la mort". Ils sont ainsi
parvenus à tuer 62 touristes dont 35 Suisses et à en blesser 24, sur à peu près
400 qui se trouvaient dans le périmètre du temple. Les corps des terroristes
ont été retrouvés, mais il est encore à ce jour difficile de savoir s'ils ont
été tués par les forces de sécurité ou s'ils se sont suicidés.
En revanche, le responsable du groupe a été formellement
identifié : Medhat Mohammed Abdel Rahman Assan, terroriste du mouvement
islamiste Al Gama'a Al Islamiyya, rentré d'Afghanistan quelques semaines plus
tôt pour préparer avec cinq étudiants
l'attentat contre les touristes de Louxor. A l'époque des faits, et malgré un
séjour en Afghanistan, le lien avec Al-Qaïda n'avait pas été établi.
Comme après les attentats du WTC, du Pentagone et des Ambassades en
Afrique, le public et même certains "spécialistes" ont déclaré : "on ne pouvait pas le prévoir
!" Rien de plus faux : contrairement aux attentats du WTC qui
constituaient une innovation, celui de Hatshepsout était prévisible, et la
potentialité d'une attaque de touristes en Égypte, et dans un haut lieu
touristique, était très élevée. Les services de sécurité et les services de
renseignements égyptiens connaissaient cette menace. Le 18 septembre 1997, deux
extrémistes islamistes avaient tué neuf Allemands et blessé six autres par
balles au cours de l'attaque d'un car de touristes au Caire. Ces morts
n'avaient pas été attribués à des terroristes mais à des "déséquilibrés
psychopathes"… pour ne pas mettre en péril le tourisme !
En fait, ce sont plusieurs centaines d'attaques terroristes -
approximativement 1000 - que l'Égypte a connues rien qu'entre 1992 et 1997,
avec à peu près 30 morts étrangers. Il est vrai que la mort de 30 personnes
étalées sur quelques années passe plus facilement inaperçue que plusieurs milliers
de manière instantanée, mais c'est surtout la volonté du gouvernement de
vouloir "camoufler" ces morts qui a contribué à l'aveuglement des
services de sécurité égyptiens, et même des agences de voyages qui n'ont pas
saisi l'importance des attaques précédentes. Ces dernières, et leurs clients,
gagneraient à prendre conseil auprès des professionnels spécialisés dans les
audits de sécurité et de vulnérabilité !
Les groupes terroristes
Depuis les attentats du 11 septembre, la politique internationale s'est
penchée sur le dossier du terrorisme. Les chefs des gouvernements ont décidé
d'un commun accord de lutter ensemble contre ce fléau. Mais encore faut-il
savoir contre qui lutter ! Les attentats du WTC, de Dar Es Salam, de Nairobi
ont mis en évidence le terrorisme fondamentaliste islamique par la voix
d'Oussama Ben Laden, dont les revendications sont identiques à celles des
Frères Musulmans, eux-mêmes à l'origine des groupes terroristes les plus
violents dans le monde. De même, en lisant la Charte du Hamas, on retrouve une
partie des revendications d'Oussama Ben Laden.
A la lecture de leurs textes de référence, les Occidentaux aux yeux des
fanatiques fondamentalistes "des non croyants, des impies, des
mécréants", et les éliminer est une bonne chose, l'objectif avoué étant
l'expansion d'un Islam revu et corrigé sur toute la planète. La plus grande
partie des groupes terroristes fondamentalistes qui défrayent la chronique à ce
jour sont issus ou "s'inspirent" des Frères Musulmans. Ils sont
nombreux et largement disséminés dans le monde.
Pour comprendre le fonctionnement et les raisons d'être des sectes et
des groupes terroristes, leurs revendications et leurs motivations, il est
impératif de faire un retour en arrière… très loin en arrière. Sayyidna Hassan Bin Sabbah
(1034-1124, fondateur de la secte des Assassins) a dit : "quand nous tuons un homme, nous en terrorisons
cent mille", ou encore : "il ne suffit pas d'exécuter et de
terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos
ennemis d'entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la
plus courageuse, nous forçons l'admiration de la foule. Et de cette foule, des
hommes sortiront pour se joindre à nous". Les exécuteurs de la secte des assassins sont les Fidaï, mot arabe qui signifie "ceux qui se
sacrifient, qui ont la foi", connus à notre époque sous l'appellation de
fedayins.
La
filiation historique peut surprendre, mais la secte des Frères Musulmans, le Hamas et les autres groupes
terroristes ont en commun cette origine qu'est l'idéologie de la secte des Assassins, et de
celle-ci découle leur capacité au sacrifice. Ainsi, rien ne sera placé au-dessus des
règles édictées par le fondateur, pas même les valeurs familiales. Par
exemple Hassan Sabbah n'hésita pas à ordonner le jugement et la décapitation de son propre
fils, Hussein, qui fut pris en état d'ébriété alors que l'alcool était interdit
- au même titre que la musique et les
loisirs. On retrouve cette attitude fanatique chez ces
étudiants en théologie - les Taliban - qui avaient envahi l'Afghanistan pour y
instaurer un ordre et une discipline ressemblant beaucoup à la doctrine de
Hassan Sabbah.
L'esprit de martyr et de sacrifice des Assassins
était tel qu'une fois l'assassinat réalisé, leurs auteurs ne cherchaient même
pas à fuir, ils se laissaient attraper pour être lynchés par les gardes ou la
foule avec la joie de rencontrer Dieu prochainement. Cette capacité au
sacrifice venait d'une interprétation éminemment controversée du Coran. Le
Hamas, dans sa méthode d'endoctrinement et de manipulation psychologique des
futurs candidats au suicide, fait réciter des versets du Coran avec une
interprétation tout aussi discutable. Les sectes ne font pas seulement croire
que les croyants sont victimes du sionisme,
pour ce qui est de la Palestine, elles motivent aussi les attentats
suicides à l'étranger pour influencer et convertir le monde à leur image.
Les revendications d'Oussama Ben Laden en sont une autre illustration :
il exige de chasser des terres saintes les non croyants (c'est-à-dire les
Occidentaux), de punir les mécréants (ceux qui accueillent les Occidentaux) et
d'islamiser les peuples du monde, car le mode de vie à l'occidentale est
répréhensible. Il déclare : "tuer des Américains et leurs alliés, civils
comme militaires, est le devoir de tout musulman qui le peut, dans tous les
pays où cela est possible". Selon les fanatiques islamistes, les hommes
sont par naissance musulmans et donc des infidèles lorsqu'ils ne reconnaissent
pas "leur" religion. Comme il faut combattre les non croyants et les
infidèles, tôt ou tard les Européens seront attaqués sur leur sol.
La méthode de l'attentat suicide
L'avantage considérable que possèdent les groupes terroristes, quels
qu'ils soient, réside dans la liberté d'action. En effet, cette liberté diminue
au fur et à mesure de l'instauration des règles et doctrines, ce que ne
possèdent pas les groupes terroristes : moins il y a de règles, plus les
possibilités d'action augmentent. Refuser de voir l'évolution du terrorisme
fondamentaliste et de ses orientations rendra la surprise d'autant plus grande,
et donnera une avance considérable aux terroristes en matière d'initiative. A
l'inverse, si la menace est prise au sérieux, les recherches en matière de
sécurité et de contre-mesures pourront alors avancer considérablement.
Schématiquement, après les meurtres au couteau ou à l'arme de poing
pour éliminer une personnalité symbolique ou stratégique, on est passé à la
pose de bombes et aux explosions aveugles dans les magasins et les lieux
publics, occasionnant des dizaines de morts - uniquement symboliques puisque
c'est la population qui est ainsi visée. Les détournements d'avions ou de
bateaux furent longtemps à la mode des terroristes, mais sont de moins en moins
pratiqués puisque les systèmes de sécurité ont évolué et rendu difficile ce
genre d'opération. Aujourd'hui, c'est l'attentat suicide qui connaît son heure
de gloire, car il est motivé par des fondamentalistes ayant détourné la
religion en vue de justifier le meurtre de masse.
Les techniques terroristes ont donc subi une évolution radicale pour
accroître leur efficacité. Nous sommes au temps des guerres de type asymétrique,
sans caractère conventionnel. L'asymétrie est ancienne, mais beaucoup la
confondent avec la dissymétrie. La dissymétrie peut s'expliquer comme étant une
force supérieure à une autre, une force disproportionnée. L'asymétrie est
différente, et en voici un exemple brutal et concret : j'ai un ennui avec vous,
je ne vous aime pas, vous me gênez, je veux vous nuire… alors je m'en prends à
votre enfant ! C'est le moyen le plus sûr de vous atteindre. Il est
techniquement facile à réaliser, et il demande peu de méthode et pas de
matériel particulier. Il protège du danger de la riposte immédiate (un enfant
ne se défend pas ou si peu), et crée une torture inégalable dans la vie de
celui qui doit être atteint.
Les groupes terroristes au Proche-Orient font la même chose. Il s'agit non
seulement d'examiner les attentats qui tuent en masse des civils, mais aussi la
tactique des milices palestiniennes. Lorsqu'un tueur kamikaze se fait exploser
avec sa bombe dans une ville israélienne, la réaction du gouvernement israélien
ne se fait pas attendre : bouclage des quartiers palestiniens d'où est parti le
kamikaze, avec recherche des complices et des responsables des réseaux. Une
fois le bouclage réalisé, la progression des militaires peut se faire. Celle-ci
sera fort logiquement contrée par des tirs des miliciens qui ne tarderont pas à
se servir du principe du "martyr" pour infliger des pertes à
l'ennemi, et surtout pour sensibiliser l'opinion publique
internationale.
« Nous tenons à la vie plus qu'à la mort », cette phrase a été dite
par un extrémiste islamiste et diffusée lors d'un reportage sur M6 grâce à
l'enquête de Mohamed Sifaoui. Elle correspond à toute l'analyse de notre
culture vue par les fondamentalistes, ce qui nous rend très vulnérables, et les
groupes terroristes fondamentalistes musulmans se spécialisent de plus en plus
dans l'attentat suicide. De l'Afghanistan à la Bosnie en passant par la
Tchétchénie, du Hamas au Hezbollah jusqu'aux Blacks Tigers du LTTE, les liens
entre ces organisations sont les mêmes : un entraînement similaire, un objectif
équivalent, des actions identiques : l'asymétrie par l'attentat suicide !
Le fait est que ces organisations terroristes se servent de la pauvreté
et des inégalités comme un vivier dans lequel puiser des futurs candidats au
martyr. Mais ces mêmes candidats ignorent certains aspects de "leur"
organisation, par exemple que le Hezbollah ou le Hamas ont pu percevoir
respectivement 100 millions et 30 millions de dollars annuellement pour leurs
opérations de propagande, de financement d'actions sur le terrain et de
construction de mosquées, au lieu de les verser aux nécessiteux, ou encore que
Yasser Arafat est la sixième fortune du monde selon le magazine Forbes. S'ils
le savaient, sans doute le recrutement des futurs candidats au suicide
aurait-il moins de succès !
Pour anticiper une action terroriste, il faut connaître
et apprendre à connaître le raisonnement des terroristes ainsi que leurs modes
opératoires. Une action de ce type pourra avoir n'importe quel visage,
n'importe quel aspect ; un candidat ou une candidate au suicide ne ressemble
généralement pas à un désespéré, nerveux, aux yeux hagards. Au contraire, ce
sont des gens terriblement sereins qui attendent de devoir appuyer sur le
détonateur comme une personne appuyant sur la télécommande de la télévision. De
même, les terroristes ne cherchent pas l'anonymat ou la fuite, mais simplement
à faire un maximum de victimes avant de mourir.
Il n'y a aucune raison de
croire que la méthode de l'attentat suicide ne soit pas pratiquée en Europe ou
en Occident. Il n'y a qu'à se souvenir du détournement de l'avion d'Air France
à Alger en 1994. Le groupe terroriste avait l'intention de lancer l'appareil
sur Paris, et peut-être la tour Eiffel, ce qui aurait été à l'époque une
innovation. Malheureusement, ce furent les Américains qui ont eu la primeur de
ce type d'action. Il ne s'agit pas ici de se faire peur en imaginant des choses plus
terribles les unes que les autres, mais comme les terroristes fondamentalistes
islamistes ne reculeront devant rien pour satisfaire leur souhait hégémonique,
il est impératif de s'adapter à cette réalité, de se mettre à leur place et de
se demander quelles sont les possibilités d'actions terroristes - ce qu'il est possible
de faire, avec quoi, où et comment.
Charles-Emmanuel Guérin
Réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat
Charles-Emmanuel Guérin est consultant et officier de sécurité. Le texte ci-dessus est extrait d'un article détaillé examinant notamment les conséquences du terrorisme fondamentaliste pour les agents de protection.