La Bundeswehr du futur sera équipée et structurée en fonction des menaces asymétriques
25 mai 2003
pprouvée le 21 mai par le gouvernement de Gerhard Schröder, une mutation majeure de la politique de défense fédérale va augmenter drastiquement l'ampleur des réformes que traversent déjà les Forces armées allemandes.
Le Ministre allemand de la Défense, Peter Struck, a rendu public cette semaine un document d'une vingtaine de pages contenant de nouvelles lignes directrices pour la politique de défense de la République fédérale. En rupture majeure avec la version précédente de ce texte, qui remonte tout de même à 1992, les nouvelles priorités pour l'emploi de la Bundeswehr ont pour ambition de répondre au tiercé des menaces asymétriques contemporaines : les armes de destruction massive, les groupes terroristes fondamentalistes et les missiles balistiques.
«... Les nouvelles priorités sont les menaces asymétriques contemporaines : les armes de destruction massive, le terrorisme fondamentaliste et les missiles balistiques. »
Si la reconnaissance par un gouvernement rose-vert de l'urgence de telles menaces pourrait surprendre de ce côté-ci du Rhin, il s'inscrit toutefois dans une décision politique prise au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, et qui a par exemple vu la Bundeswehr remplir un rôle important dans le cadre des opérations militaires en Afghanistan. Le Ministère de la Défense entend désormais tirer les conséquences de l'environnement stratégique contemporain et des besoins immédiats en matière de sécurité pour adapter totalement les moyens et les structures des forces.
L'abandon de la défense
La vision allemande de la sécurité se veut globale, et prend en compte les dimensions politiques, économiques, écologiques, sociales et culturelles. Cependant, si la protection de ses citoyens et la préservation de ses intérêts ne peut être atteinte uniquement ou principalement par des moyens militaires, l'Allemagne souligne que la volonté et la capacité d'imposer ou de restaurer par la force armée la liberté, les droits de l'homme et la stabilité est indissociable de toute approche crédible en matière de sécurité. Ceci constituera dès lors l'un des rôles de l'institution militaire, sans que les zones d'opérations probables ne puissent aujourd'hui déjà être définies.
Par ailleurs, les lignes directrices affirment que la paix, la sécurité et la prospérité ne peuvent être garantis par un seul Etat, et que par conséquent l'Allemagne recherchera avant tout le partenariat et renoncera à toute intervention unilatérale hors de ses frontières, à l'exception du sauvetage et de l'évacuation de ses citoyens menacés. Concrètement, cela signifie que le partenariat transatlantique, les instruments européens de stabilité et les activités de l'ONU et de l'OSCE décrivent les domaines dans lesquels Berlin conçoit son action sécuritaire. L'importance primordiale des Etats-Unis dans la sécurité de l'Europe est explicitement rappelé.
Au-delà de ce cadre international, deux autres facteurs sont cependant à la base de la transformation de la politique de défense : l'accroissement du nombre d'opérations militaires, avec l'élargissement de leur spectre, et la limitation des moyens financiers disponibles, pour lesquels aucune augmentation n'est envisagée. Par conséquent, la coopération militaire, la standardisation des équipements, le partage des tâches, la spécialisation dans certains rôles précis et la réduction de capacités non essentielles devraient permettre de faire des économies en fonction des nouvelles priorités.
Les missions futures de la Bundeswehr seront ainsi les suivantes :
- Sauvegarder la capacité d'action en matière de politique étrangère ;
- Contribuer à la stabilité au niveau européen et global ;
- Assurer la sécurité et la défense nationales, et contribuer à la défense des alliés ;
- Appuyer la coopération et l'intégration multinationales.
«... La principale différence avec l'emploi précédent des forces allemandes réside dans la marginalisation de la défense nationale. »
La principale différence avec l'emploi précédent des forces allemandes, outre la perspective globale et ses conséquences géographiques et opérationnelles, réside dans la marginalisation de la défense nationale. En affirmant qu'une menace militaire conventionnelle n'est pas envisageable dans le proche avenir, alors que celle-ci définit encore l'organisation de la Bundeswehr, le gouvernement allemand en conclut que le maintien des capacités de défense traditionnelles affecte de manière négative le développement des capacités nécessaires pour faire face aux menaces actuelles.
Cette conséquence logique amènera les forces allemandes à mettre au rebut les moyens conçus uniquement pour la guerre symétrique, en ne conservant qu'une capacité minimale permettant une reconstitution progressive en cas de besoin – ce qu'en Suisse nous avons nommé un "cœur de compétences" dans le cadre d'un système de disponibilité échelonnée. En revanche, le principe de la conscription est maintenu pour deux raisons militaires principales : afin de permettre cette reconstitution en temps voulu, mais aussi et surtout afin de disposer des effectifs nécessaires à la prévention et à la protection des menaces asymétriques. L'engagement militaire dans la sécurité intérieure, interdit par la Constitution de 1949, est inéluctable.
Ce sont dès lors les missions urgentes, et en premier lieu la lutte contre le terrorisme international, qui vont déterminer les structures et l'équipement de la Bundeswehr, afin de lui permettre d'intervenir promptement et efficacement au sein ou hors du continent européen, en coopération avec ses partenaires de l'OTAN ou de l'UE. Les priorités en matière d'investissement toucheront les moyens de déploiement stratégique, l'exploration et le renseignement au niveau global, le commandement et contrôle interopérable, ainsi que la défense antimissile, nationale et de théâtre. La décision cette semaine du Parlement allemand d'accepter enfin la commande de 60 avions de transport Airbus A400M va dans cette direction.
Il reste naturellement à démontrer que le gouvernement Schröder parvienne à dégager les ressources adaptées à ses ambitions, alors que son budget militaire est encombré de dépenses de fonctionnement et que ses moyens restent avant tout conçus pour mener un conflit conventionnel. Cependant, la volonté politique est claire : l'Allemagne rompt définitivement avec un demi-siècle de défense territoriale au cœur de l'Europe, et veut devenir une puissance capable de contribuer à la projection de forces dans le monde entier. Cette ambition, qui trouve des échos de plus en plus fréquents en Europe, attend encore une pensée stratégique adaptée et une ténacité durable.
Maj EMG Ludovic Monnerat