L'offensive indonésienne à Aceh a été provoquée par la rupture des négociations
23 mai 2003
epuis dimanche dernier minuit, Aceh est sous la loi martiale, et une opération militaire de grande envergure a été lancée lundi matin – près de 30 000 soldats et policiers indonésiens sont d'ores et déjà à pied d'œuvre dans la province. Comment en est-on arrivé là?
De passage à Paris le 22 mai, le négociateur en chef pour le Gouvernement indonésien dans la négociation avec les rebelles du GAM, l'Ambassadeur Wiryono Sastrohandoyo, a tenu une conférence de presse afin d'expliquer le pourquoi de l'échec des pourparlers qui avaient pourtant bien commencé avec la signature le 9 décembre dernier d'un accord.
«... Avec ses importantes ressources naturelles, Aceh est ainsi une des quatre provinces les plus riches et les plus rentables de l'archipel indonésien. »
Dans la partie nord de Sumatra, depuis 1976, un mouvement indépendantiste résiste à Jakarta et cherche à se libérer de l'Etat indonésien. Partie intégrante de la république depuis sa création, la province d'Aceh ne compte que quatre millions d'habitants et recèle d'importantes ressources naturelles, notamment en gaz naturel liquéfié; Aceh est ainsi une des quatre provinces les plus riches et les plus rentables de l'archipel indonésien avec les îles Riau, Kalimantan Est et la Papouasie occidentale.
Un accord de paix fastidieux
Comment sommes-nous arrivés à une telle situation en Aceh ? Le mouvement rebelle GAM (Gerakan Aceh Merdeka, le mouvement pour un Aceh Libre) ne compte que 5000 partisans et près de 2000 fusils; cependant, depuis près de 27 ans maintenant, aucune solution viable et pacifique n'a pu être mise sur pied par les différents gouvernements indonésiens successifs. Pendant dix ans même, à partir de 1998 et jusqu'à la chute de Suharto, Aceh fut classée zone d'opérations spéciale (DOM).
Pendant cette période, les parties belligérantes ont causé du tort aux populations civiles, et l'armée indonésienne (TNI) n'a pas précisément fait montre de réel professionnalisme. Par ailleurs, alors que celle-ci se trouvait face à un relatif petit mouvement, son incapacité (volontaire ou non) à éradiquer l'insurrection armée a montré qu'elle était davantage une institution politique qu'une force opérationnelle professionnelle, un héritage des années Suharto. Rappelons que le conflit a fait jusqu'à présent près de 10'000 morts et causé des dégâts importants, rendant la vie impossible aux populations civiles locales.
Avec l'avènement du Président Abdurrahman Wahid, élu démocratiquement fin 1999, des négociations entre les autorités indonésiennes et le GAM ont été lancées sous les auspices du Centre Henri Dunant de Genève. Un travail de longue haleine qui avait conduit malgré tout à un accord signé le 9 décembre dernier et qui avait vu la situation nettement s'améliorer avec une diminution manifeste des altercations meurtrières qui étaient quotidiennes.
La France a participé à ce processus de paix, dernièrement en permettant la rencontre des parties au petit Trianon de Versailles. Suite à cet accord avait été mis en place un COHA (Cessation of Hostilities Agreement) avec l'envoi sur place d'une cinquantaine d'observateurs étrangers, essentiellement thaïlandais et d'ailleurs sous l'autorité d'un général de l'armée royale de Thaïlande.
«... Le défi entrepris pour maintenir l'intégrité du territoire renforce par voie de conséquence la position de l'armée au sein de la vie politique. »
Mais malgré le soutien du Japon, des Etats-Unis, de l'Union Européenne et de la Banque Mondiale, à la conférence dite de Tokyo, qui visait la semaine dernière à finaliser et à appliquer les résolutions de l'accord, le GAM a fait volte face, demandant une renégociation. Le point portait sur l'acceptation d'Aceh comme province, certes à autonomie spéciale depuis le 1er janvier 2001, mais partie intégrante de la République d'Indonésie. Le GAM est revenu sur ce préambule, comme d'ailleurs sur l'acceptation de déposer progressivement les armes, ce qui a donc conduit à la fin des négociations et au déclenchement des opérations militaires.
Toutefois, il ne faudrait pas se focaliser sur le seul aspect militaire de la situation nouvelle même si cela est spectaculaire et médiatique (largage de parachutistes, débarquement de Marinir etc.), quand bien même il s'agit de la plus grande opération militaire engagée par Jakarta depuis l'invasion du Timor oriental en décembre 1975. En effet, la décision présidentielle vis-à-vis de la question acehnaise comporte quatre points, l'aspect sécuritaire n'en étant que le quatrième. Les autres points étant l'amélioration des conditions "humanitaires", la stabilisation du gouvernement local et enfin le rétablissement de l'Etat de droit.
C'est donc une autre approche qu'a engagé la Présidente Megawati, après diverses tentatives passées (socioculturelles, militaires, etc.): un défi entrepris pour maintenir l'intégrité du territoire mais qui renforce par voie de conséquence la position de la TNI au sein de la vie politique. Les élections présidentielles et législatives sont prévues pour 2004, et bénéficier de l'appui de la TNI n'est pas négligeable dans un pays où l'institution militaire a toujours joué un rôle prééminent dans la vie politique de l'archipel, et ce depuis l'indépendance.
Il serait stupide néanmoins de critiquer l'attitude du gouvernement indonésien alors qu'il a réellement fait preuve de persévérance et de bonne volonté dans son désir de régler pacifiquement la question acehnaise depuis ces dernières années. S'il est vrai qu'il y a des "faucons" au sein du gouvernement et de l'armée, il n'en demeure pas moins qu'il existe des extrémistes chez les dirigeants du GAM; les bellicistes des deux camps tirant un bénéfice d'une situation conflictuelle sans fin, comme d'ailleurs les vendeurs d'armes étrangers…
La visite de l'Ambassadeur Wiryono Sastrohandoyo en France n'est pas fortuite, alors qu'il quittait Tokyo et pouvait rentrer directement à Jakarta. Poursuivant son travail de diplomate, Sastrohandoyo veut toujours croire en une solution pacifique et convaincre les Français et Européens de l'aider dans cette entreprise. Pour lui, la porte des négociations reste entrouverte et il est toujours possible de faire taire les armes.
Philippe Raggi
Membre de l'Académie Internationale de Géopolitique, Philippe Raggi est spécialiste de l'Extrême-Orient, et notamment de l'Indonésie au sujet de laquelle il a publié en 2000 aux éditions L'Harmattan Indonésie, la nouvelle donne.