Après seulement 3 semaines, l'opération "Iraqi Freedom" est entrée dans sa phase finale
8 avril 2003
ix-neuf jours pour passer du Koweït aux palais de Saddam : les militaires de la coalition ont non seulement réussi l'ouverture risquée de leur opération, ils ont également su contrer les actions adverses et prendre une option décisive sur le résultat final. Le début de la fin a déjà commencé.
Les éditoriaux sur le déroulement de la guerre en Irak se sont faits rares et modérés. Voici une semaine encore, les médias européens ruisselaient littéralement de sentences ironiques et vindicatives fustigeant les ambitions anglo-américaines quant à un succès militaire rapide. Intoxiqués par leurs propres attentes ou par leurs idées préconçues, nombre de commentateurs voyaient alors l'émergence d'une guérilla capable de stopper la coalition, glorifiaient la résistance des conscrits irakiens, et jugeaient même qu'un sentiment national amenait la population irakienne à prendre les armes. Puis la 3e division d'infanterie US s'est emparée de l'aéroport international de Bagdad et est entrée dans les palais de Saddam, pendant que la 1ère division blindée britannique prenait Bassorah sous les acclamations d'une grande part de ses habitants.
«... Lorsque la décision d'employer la force déclenche une opération militaire, ce sont les faits et non leur commentaire qui à terme façonnent l'histoire. »
Le récit détaillé des erreurs, exagérations, confusions et mensonges au sujet de cette guerre sera sans doute une lecture passionnante. Aujourd'hui échaudés et prudents, les mêmes commentateurs ne vont d'ailleurs pas tarder à prendre l'exact opposé de leurs propos : les militaires alliés assommés par la guérilla seront coupables de supériorité excessive, leurs dirigeants politiques ignorants des réalités orientales seront soupçonnés d'exhaustives machinations, et le peuple irakien resserrant les rangs derrière son président sera accusé de se commettre avec l'occupant. A dire vrai, rien de tout cela n'est bien important. Lorsque la décision d'employer la force déclenche une opération militaire, ce sont les faits et non leur commentaire qui à terme façonnent l'histoire. Et c'est bien un succès historique que les faits indiquent.
Avantage décisif pour les Alliés
Au terme des 10 premiers jours de l'opération, les troupes de la coalition étaient parvenues à verrouiller la plupart des villes importantes au sud du pays, et s'étaient également emparées de plusieurs ponts sur l'Euphrate. Une tempête de sable d'une rare violence et l'allongement de leurs lignes de communication les avaient cependant contraintes à ralentir leur poussée mécanisée terrestre, sans que leurs autres opérations ne soient interrompues. C'est cette pause apparente qui a déchaîné les foudres revanchardes des médias, et il paraît aujourd'hui clair qu'une manœuvre de déception – plusieurs officiers ayant discrètement parlé d'une "pause opérationnelle" qui pourrait durer "de 35 à 40 jours" – a probablement été menée par le Central Command dans le but d'encourager la Garde républicaine à camper sur ses positions au sud et sud-est de Bagdad. Pourtant, comme nous l'avons montré dans notre analyse, les Alliés avaient déjà à cet instant pris un net avantage dans le conflit par la préservation des infrastructures-clés du pays, l'acquisition la suprématie aérienne et la protection des pays voisins ainsi que de la minorité kurde. Cet avantage est aujourd'hui devenu décisif.
En poursuivant leurs frappes de décapitation, en infligeant des pertes effroyables aux combattants fidèles au régime, en prenant le contrôle de toutes les villes majeures au sud du pays et en menant des raids et des coups de main mécanisés au cœur de la capitale, les militaires anglo-américains sont en effet parvenus à toucher un autre point-clef : la destruction rapide et sans lourdes pertes de l'appareil dictatorial irakien. Aujourd'hui, les éléments fidèles à Saddam Hussein sont à la fois aveuglés et dispersés, incapables de savoir aussi bien où se trouvent les Alliés que de recevoir une mission défensive d'ensemble. Intoxiqués par leur propre Ministre de l'Information, une partie des cadres de la Garde républicaine faits prisonniers ont même reconnu qu'ils croyaient les Américains ensablés quelque part au sud du pays. Et le fait que les combats dans les rues de Bagdad soient maintenant largement le fait de jihadistes étrangers en civil, formant des bandes armées vouées à l'anéantissement, montre la déréliction du régime. Des forces relativement intactes subsistent au nord de la capitale, dans la région de Tikrit, mais leur combativité reste à démontrer.
D'autre part, les coalisés sont également parvenus à toucher de manière déterminante un autre point-clef : l'accueil favorable de la population irakienne. Dans les villes du sud débarrassées de l'appareil du parti ou sur les routes menant d'Al Kut à Bagdad, les scènes de libération ou d'acclamation tant attendues par le Pentagone ou Whitehall se sont bel et bien produites. La prise d'An Najaf a été vécue par les paras de la 101e aéromobile comme la "libération de Paris". L'entrée des GI's à Kerbala s'est faite dans une atmosphère de carnaval. Et les Britanniques ont suscité réjouissance et soulagement à leur arrivée au cœur de Bassorah. Il est d'ailleurs assez éclairant de constater que ces scènes, dûment filmées et décrites par des journalistes intégrés aux formations alliées dans des organes de presse aussi vivement opposés à la guerre que le Guardian ou le New York Times, n'ont guère passé la censure inavouée des médias continentaux. Bien entendu, tout ou presque reste encore à faire en matière de reconstruction, d'aide d'urgence, d'administration ou de confiance mutuelle, alors que les Bagdadis paient encore le prix de combats meurtriers. Mais le sentiment de libération existe.
«... Dans les villes du sud débarrassées de l'appareil du parti, les scènes de libération ou d'acclamation tant attendues par le Pentagone ou Whitehall se sont bel et bien produites. »
Un autre succès doit encore être mis au crédit de la coalition : le maintien du conflit dans sa configuration stratégique initiale. Rien n'est encore définitivement acquis, puisque les militaires turcs viennent de rappeler qu'ils se tiennent prêts à entrer au Kurdistan irakien pour préserver leurs intérêts nationaux, mais les efforts conjugués de la Maison Blanche et de Downing Street semblent porter leurs fruits. L'Iran assiste plutôt placidement au conflit, tout en contribuant par la fermeture de ses frontières à l'éradication du groupe terroriste Ansar al-Islam dans les montagnes kurdes, même si l'armada américaine dans le Golfe doit donner des sueurs froides aux ayatollahs. La Syrie se sent encore plus directement menacée, comme l'a montré la coupure par des forces spéciales d'un pipeline utilisé pour la contrebande du pétrole irakien, et nie farouchement toute implication dans l'armement de Saddam Hussein. Dans les autres pays arabes, le ressentiment symbolique et très contrôlé des masses est autant un exutoire commode qu'un signe d'inaction. Grand bénéficiaire de la chute de Saddam, Israël sent poindre avec appréhension une contrepartie prenant la forme d'une "feuille de route" imposant la fin de la colonisation et la création d'un Etat palestinien. En d'autres termes, le remodelage du Moyen-Orient initié en Irak paraît à la fois possible et maîtrisé.
En revanche, les Alliés ne sont toujours pas parvenus à vraiment fonder la légitimité de leur intervention militaire. Il est d'ailleurs intéressant de relever que les opinions publiques occidentales se sont radicalisées depuis l'éclatement du conflit, avec une augmentation du soutien pour l'opération "Iraqi Freedom" outre-Atlantique et outre-Manche, et un renforcement de l'opposition sur le continent. Pourtant, les accusations proférées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont déjà pris une certaine consistance au vu des découvertes faites en Irak, et pas nécessairement comme on pouvait s'y attendre. En matière d'armes de destruction massive, les nombreuses annonces faites par les troupes et relayées par les journalistes intégrés se sont en effet toutes révélées sans fondement ; certes, des rumeurs insistantes circulent dans les rangs militaires sur la mise au jour de stocks importants, et 80% des sites suspectés sont encore sous contrôle irakien, mais rien de tangible n'a pour l'heure été rendu public. A dire vrai, étant donné l'état d'esprit des opinions publiques, même la prise de substances chimiques ou biologiques interdites n'auraient qu'un impact limité.
Pour s'en convaincre, il suffit de remarquer que les liens entre Saddam Hussein et le terrorisme sont désormais difficiles à contester : les découvertes faites dans le camp d'Ansar al-Islam, tout comme dans celui de Salman Pak le long du Tigre, ainsi que la présence de combattants étrangers montrent que la nébuleuse fondamentaliste musulmane était présente en Irak, et que l'opération en cours renforce la guerre menée contre le fondamentalisme sur d'autres théâtres et avec d'autres moyens. Pour les Etats-Unis, l'affluence de jihadistes étrangers et fanatisés venus les combattre avec la bénédiction de Saddam Hussein est d'ailleurs une excellente occasion de s'en débarrasser sur un terrain et dans des circonstances très favorables, au lieu de les retrouver ailleurs. Et l'antienne éculée selon laquelle la guerre en l'Irak susciterait une surrection des vocations terroristes sera démentie par les faits : un Irak démocratique et stable constituera la meilleure des dissuasions.
Le début de la fin pour Saddam
Bien entendu, la situation très favorable des Alliés trouve son pendant dans l'état désespéré du régime irakien. Tout ce que pouvait espérer Saddam Hussein est désormais parti en fumée : il ne contrôle plus son appareil militaire et paramilitaire, la terreur qu'inspire sa personne s'effiloche chaque jour davantage, la résistance qu'il escomptait a été balayée par les formations alliées, ses candidats aux attentats-suicides se font massacrer avant de parvenir à leurs fins, ses ordres visant à des actes terroristes hors du territoire irakien ont été contrecarrés, son espoir d'élargir le conflit à tout le Moyen-Orient s'est heurté à une indifférence prudente, ses atouts pour une éventuelle négociation se sont réduits à une peau de chagrin, alors que la déconsidération morale attendue des forces coalisées a été neutralisée par les méthodes qu'elles ont utilisées. Bien entendu, Saddam Hussein reste un héros dans le monde musulman : abreuvées par une désinformation permanente à laquelle contribue même une chaîne prétendument indépendante comme Al-Jazeera, puisque celle-ci passe sous silence les succès alliés comme la prise de l'aéroport de Bagdad ou des palais du Raïs dans ses émissions en arabe, les masses croient encore la défaite alliée imminente. Le choc et la défiance qui les attendent auront des conséquences profondes.
Car le régime de Saddam Hussein est aujourd'hui comparable à une volaille décapitée : ses membres sont encore agités de spasmes nerveux, mais n'en sont pas moins prêts à être dépecés sans rémission. Pour l'ex-maître de Bagdad, tout ou presque est allé de travers. Les 17 divisions de son armée régulière se sont pour l'essentiel évanouies dans la nature, en n'offrant ça ou là qu'une résistance symbolique. Les paramilitaires fidèles à sa personne ont été massacrés dans le désert sans grand effet ou cernés dans les villes au sein d'une population hostile. Les divisions de la Garde républicaine ont été offertes aux coups de l'aviation alliée et mises en déroute par les blindés alliés partout où elles ont dû les affronter. Et sa capitale, aux portes de laquelle il comptait peut-être assister à la défaite alliée, a été si peu fortifiée et défendue que les Américains y circulent sans difficulté. Peut-être même Saddam Hussein n'est-il déjà plus de ce monde, puisque des renseignements concordants sur une réunion des principaux cadres du régime ont abouti, 45 minutes plus tard ce lundi, à l'attaque du bâtiment suspecté par 4 bombes GBU-31 de 2000 livres.
Quoi qu'il en soit, les Alliés auront encore besoin d'au moins une semaine pour prendre le contrôle total non seulement de Bagdad et de Bassorah, mais aussi de la partie nord du pays avec les grandes villes de Tikrit, Mossoul et Kirkouk. Des combats sporadiques mais violents les attendent certainement, et les forces conventionnelles actuellement engagées semblent largement liées. Dans l'Armée US, la 3e division d'infanterie est à Bagdad, la 101e division aéromobile est répartie entre Al Hilla, Kerbala, An Najaf et l'aéroport international de Bagdad, la 2e brigade de la 82e division aéroportée contrôle Samawah et les axes à l'ouest de l'Euphrate, et la 173e brigade aéroportée contribue à stabiliser le front nord au Kurdistan.
Pour les Marines, la 1ère division est maintenant presque totalement entrée dans la portion est de Bagdad, alors que la Task Force Tarawa contrôle Nasiriyah et les axes à l'est de l'Euphrate. Quant aux Britanniques, toute leur 1ère division blindée est engagée dans le contrôle du sud-est du pays, et notamment de Bassorah. Autrement dit, des renforts sont sans doute nécessaires pour pousser au nord de Bagdad et renforcer le contrôle au sud du pays, ce qui semble pouvoir être les missions respectives de la 4e division d'infanterie mécanisée et du 2e régiment de cavalerie blindée.
«... Trois semaines pour mettre à genoux l'une des pires dictatures de la planète constitue un fait politique qui aura son importance dans les années à venir. »
Naturellement, la capture ou la mort de Saddam Hussein sont certainement souhaités ardemment par la coalition. La perspective du Raïs assis dans un tribunal et écoutant la litanie de ses crimes serait une image des plus marquantes dans la région et dans le monde entier. Pourtant, le plus important pour les militaires alliés consiste désormais à éviter que l'oblitération du régime n'entraîne tout le pays dans le chaos, et c'est donc la capacité à opérer une transition permanente entre le combat, le maintien de l'ordre et l'aide humanitaire qui sera désormais déterminante. Un dictateur régnant par la terreur n'a aucun espoir d'échapper longtemps à la vindicte de la population, et éviter des règlements de compte sanguinaires et spectaculaires fera également partie des missions assignées aux forces chargées de contrôler le pays. De plus, l'effondrement des Forces armées irakiennes risque d'entraîner la mise en circulation d'armes à grande échelle et ainsi de perpétuer une instabilité dispersée.
Les Alliés n'en sont pas moins sur le point d'obtenir un succès total dans ce conflit. Même si la libération effective du peuple irakien constitue a posteriori une justification probablement suffisante pour avoir déclenché l'opération, il reste encore à démontrer que le régime de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Et pour transformer le succès militaire en succès stratégique, des efforts nombreux et prolongés seront indispensables. Mais trois semaines pour mettre à genoux l'une des pires dictatures de la planète constitue un fait politique qui aura son importance dans les années à venir.
Maj EMG Ludovic Monnerat