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L'âge de la Kalachnikov, ou la lutte contre la prolifération des armes légères

22 février 2003

Enfant-soldat libérien de 12 ansL

a prolifération des armes légères dans toutes les régions du monde, et particulièrement en Afrique, a généré des conflits armés aussi meurtriers que les guerres conventionnelles – mais dont les populations civiles paient avant tout le prix. Le contrôle de ces armes devient dès lors indispensable.

A la veille de Noël 1989, Charles Taylor marcha sur le Liberia avec une force d'invasion improvisée de quelque 150 soldats amateurs – membres du soi-disant Front National Patriotique du Liberia (FNPL) – et entreprit de conquérir le pays. Les mois suivants, Taylor prit le contrôle de l'arrière-pays libérien, imposant des rançons à ses habitants, recrutant des soldats supplémentaires et assassinant tous ceux qui lui résistaient. Jusqu'à 200'000 personnes périrent dans ce cataclysme, et des millions d'autres durent fuir leur foyer.

Taylor avait utilisé le système de combat le plus mortel de notre époque : l'adolescent masculin équipé d'un fusil d'assaut AK-47 Kalachnikov. Depuis l'invasion du Liberia, ce système a été employé avec des effets dévastateurs dans plus d'une dizaine de pays, produisant un taux de pertes normalement associé à une guerre totale entre des armées mécanisées modernes.


«... Le système de combat le plus mortel de notre époque 
est l'adolescent masculin équipé d'un fusil d'assaut AK-47 Kalachnikov. »


En Algérie, Angola, Bosnie, Burundi, Cachemire, Cambodge, Colombie, Congo, Haïti, Mozambique, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Sri Lanka, Soudan, Tchétchénie et Ouganda – des jeunes hommes et quelques femmes équipés seulement ou principalement d'AK-47 ou d'autres armes légères y ont fait des dizaines et parfois des centaines de milliers de morts. La plupart des victimes dans ces conflits sont des non-combattants. Les civils ne constituaient que 5% des pertes durant la Première guerre mondiale, mais environ 90% des tués et des blessés dans les guerres les plus récentes. Les enfants ont particulièrement souffert de ces conflits : selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), près de 2 millions d'enfants ont été tués et 4,5 millions mutilés dans des conflits armés entre 1987 et 1999 ; un autre million d'entre eux sont devenus orphelins, et quelque 12 millions réfugiés.

Le massacre généralisé de civils dans les conflits récents nous contraint à repenser ce que nous entendons par le concept de guerre. Par le passé, la guerre signifiait une série de combats entre les forces armées d'Etats établis, visant d'habitude à conquérir un territoire et à atteindre un autre objectif stratégique clairement défini. Mais les conflits de notre époque n'ont qu'une ressemblance minime avec ce modèle : la plupart prennent place à l'intérieur des frontières d'un seul Etat et se résument à des attaques de forces paramilitaires ou irrégulières sur des civils désarmés, dans le but de piller, de violer ou d'assassiner – voire une combinaison des trois.

La guerre ethnique et intérieure était la forme de violence armée la plus commune à la fin du XXe siècle, et il est probable qu'elle le reste pour quelques temps encore. La prolifération de cette plaie va produire d'énormes tragédies humaines, étirer à leurs limites les capacités des Nations Unies et d'autres organisations internationales de maintien de la paix, et effacer tout espoir de développement économique et social pour des centaines de millions de gens désespérés. Il est dès lors essentiel de comprendre ce phénomène et, plus important encore, de concevoir des stratégies pour sa prévention et son contrôle.



Pathologie des conflits contemporains

Bien que chacun de ces conflits ait une origine et une évolution propres, tous ont en commun certaines caractéristiques. Dans presque chaque cas, des démagogues ambitieux et sans scrupules ont convoité le pouvoir et/ou la richesse en excitant les préjugés ethniques de leurs proches, en formant des milices et des bandes paramilitaires, et menant des attaques sur des cibles civiles – en général des banlieues ou des villages habités par des membres d'un groupe ethnique différent. Même si les combattants peuvent adhérer à une idéologie particulière ou à un dogme religieux, la haine ethnique, la pauvreté et l'envie du pillage alimentent généralement de tels conflits.

Les attaques sur des civils désarmés, femmes et enfants compris, sont chose commune. La violence peut sembler aléatoire et insensée à des observateurs extérieurs, elle n'en a pas moins un but : imposer un tribut à la population, et acquérir des armes et des munitions supplémentaires ; obtenir de nouvelles recrues, souvent des jeunes hommes contraints à se battre, ou des jeunes femmes sexuellement exploitées ; détruire la foi des gens en la capacité du gouvernement établi de les protéger ; repousser les membres d'un autre groupe ethnique hors de leurs terres ancestrales ; ou exercer une revanche pour des actes passés de résistance.

FARC colombiens

Bien que la violence de ce type soit généralement associée à des milices ethniques et à d'autres acteurs non-étatiques, les forces gouvernementales se comportent souvent d'une manière assez similaire. Dans de nombreux pays, l'armée nationale est juste une autre faction ethnique ou sectaire d'une société hautement fragmentée ; dans d'autres, l'armée sert largement à protéger le statut privilégié de la famille ou de l'élite au pouvoir. Au Rwanda, par exemple, l'armée était jadis un instrument de la domination hutue, et sert maintenant au pouvoir des Tutsis ; à Haïti, l'armée a été pendant des décennies l'instrument exclusif d'une petite élite richissime. Dans de telles situations, la violence contre des civils est continuellement employée pour dissuader le public de soutenir les insurgents, pour interrompre leurs lignes de ravitaillement – car les villageois ne peuvent fournir de nourriture aux rebelles s'ils n'en ont pas – et pour punir les membres du groupe ethnique, du parti politique ou de la classe sociale dont sont extraits les rebelles.


«... la ligne séparant la guerre politique et le banditisme pure et simple disparaît : les milices armées vendent leurs services à des chefs de guerre locaux ou font elles-mêmes du profit. »


Bien trop souvent, la guerre devient un mode de vie permanent pour les combattants, qu'ils appartiennent aux insurgents ou au camp gouvernemental. Généralement privés de l'éducation ou de l'instruction assurant un savoir-faire commercialisable, les jeunes recrues composant ces armées estiment fréquemment que la vie de soldat est la seule activité qui leur convienne. Dans des sociétés où la nourriture et le gîte sont rares, faire partie d'une bande armée prenant la population civile pour proie est un moyen de survie plausible. Il n'est pas surprenant que la plupart de ces bandes poursuivent leurs activités violentes longtemps après que la logique stratégique originale de leur formation ait perdu toute signification.

Dans un nombre important de cas, la ligne séparant la guerre politique et le banditisme pure et simple disparaît : les milices armées vendent leurs services à des chefs de guerre locaux ou font elles-mêmes du profit – en extorquant de l'argent ou des biens aux civils, en faisant du trafic de drogue ou en se battant pour le contrôle de ressources précieuses comme les mines de diamant, les forêts vierges ou les peaux d'animaux rares.

Ces conflits n'éclatent que lorsque certaines conditions initiales sont présentes : un gouvernement faible ou non représentatif, une histoire d'antagonismes ethniques et sociaux, des difficultés et des incertitudes économiques, une corruption endémique et une absence de protection pour les minorités visées. Mais un autre élément doit encore être présent : l'accès à de larges quantités d'armes légères.



Le rôle des armes légères

Ce type d'armes est la règle dans les conflits contemporains, et sont le plus souvent utilisées au combat et dans des attaques de civils. Entre 80% et 90% de toutes les victimes des guerres récentes ont été le fait de telles armes, qui comprennent les fusils d'assaut, les grenades, les mitrailleuses, les mortiers légers, les mines terrestres et d'autres systèmes portables.

Il est bien entendu exact qu'un gang d'activistes ou une foule déchaînée peuvent infliger des dommages considérables à une communauté avec des couteaux et des bâtons. Mais ces groupes se dissolvent rapidement lorsqu'ils sont à confrontés à n'importe quel type de résistance organisée. C'est la combinaison unique du guerrier adolescent et du fusil d'assaut moderne qui donne à ces groupes paramilitaires leur potentiel destructeur : équipée des seules AK-47, une petite bande de combattants adolescents peut entrer dans un village et tuer ou blesser des centaines de personnes en quelques minutes.

Enfant-soldat congolais de l'UPC, 10.2.03

L'attaque de Louxor en novembre 1997 a fourni un effroyable exemple de cette capacité : en 30 minutes à peine, 6 jeunes hommes munis de fusils automatiques ont pris d'assaut la zone du temple d'Hatshepsout, assassiné 2 gardes armés puis massacré 58 touristes étrangers. Chacun des assaillants a tiré des centaines de balles sur les voyageurs avant d'être lui-même abattu par des renforts de police.

Dans certains cas, les groupes paramilitaires complètent leurs armes légères avec un nombre limité d'armes lourdes – véhicules blindés, pièces d'artillerie, avions, etc. Il est toutefois rare que des forces irrégulières puissent se payer de telles armes ; et même si elles le peuvent, il est presque impossible de les maintenir opérationnelles dans l'environnement accidenté et retiré dans lequel ces forces opèrent.

De même, les combattants adolescents qui composent l'essentiel de ces forces n'ont pas l'entraînement et la discipline requis pour engager des systèmes d'armes complexes.



«... Sur les 49 conflits régionaux qui ont éclaté entre 1990 et 1999, 46 ont vu l'utilisation d'armes légères uniquement ; un seul conflit a été dominé par les armes lourdes. »


Dans la plupart des cas, les fusils d'assaut restent les armes-clefs, et elles ont atteint cette prééminence pour plusieurs raisons majeures :

  • Elles sont peu coûteuses et aisément accessibles. Avec la fin de la guerre froide, des millions d'armes sont devenues des surplus pour leurs possesseurs et ont été lancées sur le marché mondial – tombant souvent dans les mains de leaders criminels ou corrompus, qui n'hésitent pas à les vendre à des groupes comme le FNPL de Charles Taylor ;


  • Elles sont rustiques et faciles à utiliser. Les AK-47 et les M-16 issus de la guerre du Vietnam et de conflits plus anciens restent largement employées, et n'exigent qu'une maintenance élémentaire. Avec quelques heures d'instruction seulement, un jeune adolescent peut apprendre ce qu'il a besoin de savoir pour viser et tirer dans une foule de gens ;


  • Elles sont aisées à transporter et à dissimuler. Une seul bête de somme peut porter une dizaine de fusils environ à travers des jungles épaisses ou sur des cols de haute montagne, en contournant les postes de contrôle du gouvernement ; une colonne de chevaux peut approvisionner une petite armée. Comme les groupes paramilitaires opèrent souvent dans des secteurs reculés, loin des lignes gouvernementales, la portabilité est essentielle ;


  • Elles peuvent infliger des dommages énormes. Un fusil d'assaut moderne tire des centaines de coups à la minute, permettant à une poignée de combattants de mitrailler le centre d'un village et de tuer ou blesser tout ce qui bouge. Même lorsqu'elles emploient une munition relativement légère comme le calibre 5.56 mm, elles peuvent propulser des balles à une telle vitesse que l'impact sur n'importe quelle partie du corps humain produit des traumatismes massifs – ou la mort.

Pour toutes ces raisons, les armes légères sont devenues le principal outil de combat dans l'énorme majorité des conflits de l'après-guerre froide. Sur les 49 conflits régionaux qui ont éclaté entre 1990 et 1999, 46 ont vu l'utilisation d'armes légères uniquement ; un seul conflit – la Guerre du Golfe – a été dominé par les armes lourdes.



Disponibilité globale

La vaste popularité des armes légères a généré une demande énorme pour leur production et leur vente. Malheureusement, aucun gouvernement et aucune société privée ne publie des statistiques sur leur fabrication et leur distribution, de sorte qu'il est impossible d'en calculer le nombre exact en circulation de par le monde. Les estimations du nombre total d'armes à feu – armes de poing, fusils, carabines, pistolets-mitrailleurs, etc. – utilisés globalement va de 500 millions à 1 milliard, dont quelque 200 à 250 millions sont probablement en possession de personnes privées et d'agences publiques aux Etats-Unis.

La plus grande inquiétude reste la prolifération des armes automatiques de type militaire. Entre 60 et 70 millions d'AK-47 et d'autres armes du type AK ont été produites depuis 1947, l'origine de son suffixe numérique, et d'autres sont manufacturées chaque année en Russie, en Chine, en Bulgarie, en Egypte, en Irak, en Pologne, en Roumanie et en Corée du Nord. De plus, quelque 8 millions de copies du fusil américain M-16 ont été produites ces dernières décennies, avec 7 millions de G-3 allemands, 5 à 7 millions de FAL belges, et 10 millions de pistolets-mitrailleurs israéliens Uzi. En tout, 125 millions d'armes automatiques sont actuellement en circulation dans le monde.

Garder la trace des fournitures mondiales en armes légères est compliqué par le fait que tant de pays maintenant les produisent. Seule une poignée de nations manufacturent des systèmes d'armes majeurs, comme les chars de combat, les avions à réaction et les navires de guerres, mais environ 50 pays produisent des armes légères et des munitions. On compte la plupart des nations industrialisées, de même que l'Argentine, le Brésil, le Chili, l'Egypte, l'Inde, l'Iran, l'Irak, Israël, le Mexique, le Pakistan, le Pérou, Singapour, l'Afrique du Sud, Taiwan, la Turquie et les deux Corées. Un grand nombre de ces pays produisent également des grenades, des mortiers et des mitrailleuses.

Irakien brandissant une AK-47

Bien que le total des ventes d'armes conventionnelles au niveau mondial ait décliné depuis la fin de la guerre froide, d'une estimation de 88,5 milliards de dollars en 1987 à 46,3 milliards dix ans plus tard (en dollars US constants de 1997), on considère que la portion des armes légères s'est accrue. Ceci reflète les importants achats d'armes à feu et d'équipement de contre-insurrection par des Etats confrontés à des conflits internes – comme l'Algérie, l'Angola, la Birmanie, la Colombie, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique, les Philippines, la Serbie, le Sri Lanka, le Soudan ou encore la Turquie. Au total, les ventes d'armes légères représentent probablement entre 5 et 10 milliards de dollars par an, ou 10% à 20% du commerce mondiale d'armes conventionnelles.



«... Entre 60 et 70 millions d'AK-47 et d'autres armes du type AK ont été produites depuis 1947, l'origine de son suffixe numérique, et d'autres sont manufacturées chaque année. »


De larges quantités d'armes légères et de munitions ont également été introduites par les canaux du marché noir à des forces ethniques et insurgentes, dont le FNPL au Liberia, les Tigres tamouls au Sri Lanka, les Kurdes de Turquie et d'Irak, l'UNITA en Angola, la RENAMO au Mozambique et le SPLA au Soudan. La plupart des transactions d'armes clandestines sont relativement petites, seulement quelques millions de dollars, mais certaines sont considérables. On considère par exemple que l'UNITA a dépensé de 250 à 500 millions de dollars au milieu des années 90 pour des munitions acquises au marché noir, en utilisant des fonds obtenus par la vente illicite de diamants.

Bien d'autres armes tombent entre les mains de belligérants par le vol dans les arsenaux gouvernementaux, les achats auprès du personnel corrompu de l'armée ou de la police, les cadeaux de membres du même groupe ethnique vivant à l'étranger ou de gouvernements amis. Encore une fois, il est impossible de calculer le nombre exact d'armes impliquées, mais ces transactions sont des sources plutôt fiables pour des milices ethniques et d'autres forces irrégulières.



L'impératif du contrôle

A l'aube du nouveau siècle, le monde affronte une épidémie prolongée de violences ethniques, sectaires et criminelles. Des millions de gens risquent la mort et l'amputation, et des millions d'autres souffrent de la famine, de l'exil et de traumatismes psychologiques. Aucune combinaison d'agences publiques et privées n'est en mesure de maîtriser les désastres humanitaires qui en résultent. Nous devons par conséquent trouver le moyen de réduire l'incidence et l'intensité des conflits armés.

Les guerres de notre époque ont des causes nombreuses, dont la pauvreté, la corruption et la démagogie sont les principales. S'attaquer à ces facteurs exigera un effort concerté et imaginatif. Cependant, les conflits ne durent que si les belligérants continuent à recevoir un flux régulier d'armes et de munitions. En interrompant ces flux, il devrait être possible de réduire à la fois la durée et la gravité du combat contemporain.

Freiner la production, l'accumulation et la diffusion mondiales d'armes légères doit être un élément central du toute stratégie destinée à prévenir et à contrôler les conflits armés. Ceci ne signifie pas supprimer en même temps la production d'armes – les gouvernements établis ont le droit à l'autodéfense selon la charte de l'ONU, et la plupart vont continuer à produire ou à importer des armes dans ce but. Mais il devrait être possible d'étrangler le marché noir des munitions vendues aux forces irrégulières et de restreindre sévèrement les conditions selon lesquelles les gouvernements peuvent acquérir légalement des armes. En définitive, il devrait être possible de ne laisser qu'un mince filet d'armes aux belligérants actuels et futurs, dans des zones de conflits persistants.



Texte original: Michael Klare, "The Kalashnikov Age", Bulletin of the Atomic Scientists, January/February 1999    
Traduction et réécriture: Cap Ludovic Monnerat
    






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