Le chantage nucléaire de la Corée du Nord
est un Irak à l'envers
5 janvier 2003
e chantage nucléaire exercé actuellement par la Corée du Nord montre les effets dramatiques liés à la prolifération des armes de destruction massive. La résolution des Etats-Unis à résoudre le problème de Saddam Hussein avant que celui n'ait des moyens comparables n'en sera que renforcée.
Le Nouvel An est le temps des rétrospectives, et la radio nord-coréenne "Voix du Salut National" a récemment diffusé sa liste des 10 événements les plus importants en 2002. On pourrait penser que la controverse actuelle sur le programme nucléaire de la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC) serait au sommet de la liste. Mais c'est bien sûr l'anniversaire du "soleil du XXIe siècle", le leader nord-coréen Kim Jong-Il, qui occupe ce rang. Le cinquième événement le plus important était naturellement le "spectacle gymnastique et artistique de 100'000 personnes Arirang, qui a été présenté d'avril à août en suscitant une vraie sensation." Pour en parvenir à la réactivation de la centrale nucléaire de Yongbyon, il faudra attendre la fin de la liste, juste après le Groupe de Beaux Supporters de Pyongyang ayant participé aux 14e Jeux Asiatiques.
«... Ce n'est pas une coïncidence si la Corée du Nord a programmé cette crise en même temps qu'une guerre imminente entre les Alliés et l'Irak. »
Ce n'est pas une coïncidence si la Corée du Nord a programmé cette crise en même temps qu'une guerre imminente entre les Alliés et l'Irak. Les Etats-Unis sont préoccupés par la préparation d'un conflit au Moyen-Orient, et la RPDC essaie de signaler qu'elle ne sera pas traitée de la même manière que cet autre membre de l'axe du mal. Par ailleurs, la Corée du Sud vit une transition gouvernementale, et c'est toujours un exercice rentable que fomenter une crise pour mettre à l'épreuve la résolution des nouveaux dirigeants. Le schéma est similaire à la manière dont la Chine se met à tonner chaque fois que Taiwan va aux urnes.
Souveraineté nord-coréenne
Jusqu'ici, l'aspect diplomatique le plus intéressant est que, malgré les bonnes intentions de voisins comme la Chine et la Corée du Sud, Pyongyang exige que la question soit réglée bilatéralement avec les Etats-Unis. Ceci n'est pas dû au respect de Kim Jong-Il pour l'unilatéralisme prétendu de George W. Bush. En fait, le Nord ne veut pas initier un processus qui peut potentiellement compromettre sa souveraineté. La récente expérience de l'Irak a montré que permettre à l'ONU d'être impliquée dans le contrôle des armements peut mener à des situations bien plus coûteuses et inquiétantes.
Les Nord-Coréens considèrent désormais les Nations Unies comme un mécanisme, et de leur point de vue un outil de l'hégémonie américaine, par lequel la communauté internationale réduit la souveraineté d'Etats parias jusqu'à ce qu'ils atteignent le statut de l'Irak – humilié, traversé d'inspecteurs, contraint à des zones de non survol, et sur le point de subir un changement de régime avec l'approbation internationale. Expulser les inspecteurs de l'AIEA est un autre symptôme de cet état d'esprit. La dernière chose que veulent les Nord-Coréens à cet instant est un accord de désarmement nucléaire multilatéral, spécialement s'il est négocié par l'ONU et appliqué par les USA d'après des sanctions internationales.
Depuis octobre dernier, lorsque les informations sur le programme nucléaire nord-coréen ont été rendues publiques, Pyongyang a demandé avec insistance que les Etats-Unis accordent un pacte de non-agression comme condition préalable à toute négociation.
Ce fut le cas par le passé ; en 1993, confrontés à la menace nord-coréenne de se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire, les Etats-Unis ont publié avec la RPDC une déclaration selon laquelle ils "ne menaceront pas la Corée du Nord avec des armes nucléaires et respecteront la souveraineté nord-coréenne." Cela semblait bénin à l'époque, et mena à l'accord de 1994 que la RPDC a violé et est en train d'abroger.
«... La dernière chose que veulent les Nord-Coréens à cet instant est un accord de désarmement nucléaire multilatéral. »
Exiger un pacte de non-agression évoque un pittoresque retour à la diplomatie de l'entre-deux guerres. L'un des derniers accords majeurs de ce type était le pacte Molotov-Ribbentropp d'août 1939, qui laissa la voie libre à l'invasion allemande de la Pologne et fournit à Staline le temps de respirer avant que Hitler ne retourne son attention à l'est. En fait, Staline n'obtint pas autant de temps qu'il n'en comptait, principalement en raison de l'effondrement inattendu des défenses françaises en 1940. L'histoire est parfois ironique.
Comme Staline, Kim Jong-Il cherche à gagner du temps afin de poursuivre sa montée en puissance nucléaire. Un pacte de non-agression bilatéral aurait pour effet de rendre plus difficile pour les Etats-Unis la constitution d'une réponse multilatérale plus tard, lorsque la Corée du Nord aura un arsenal pleinement fonctionnel. Il signifierait également une renonciation à la nouvelle doctrine américaine de préemption, que la Corée du Nord considère comme une menace directe pour sa souveraineté. En s'accrochant de manière dogmatique à l'approche bilatérale, et en éjectant les inspecteurs de l'AIEA après avoir déconnecté tout équipement de surveillance, la RPDC a inutilement alarmé la communauté internationale, au bénéfice des Etats-Unis.
Il sera en effet bien plus facile de construire une coalition internationale pour traiter ce problème – plusieurs pays appellent déjà une réponse collective conduite par les USA. Les voisins de la Corée du Nord, soit la Corée du Sud, la Chine, la Russie et le Japon, ont non seulement des soucis régionaux, mais ils exècrent l'idée de laisser les Etats-Unis déterminer seuls la résolution de la crise, même avec l'insistance ou la complicité nord-coréennes. La Corée du Sud redoute en particulier que le Nord exprime la question en termes de sécurité pour toute la péninsule coréenne, en écartant le Sud de l'accord et en faisant implicitement de la RPDC le partenaire dominant. Un accord USA-RPDC sans participation sud-coréenne serait une gifle d'importance.
Corée ou Irak ?
Actuellement, les Etats-Unis sont dans la position enviable de pouvoir ignorer les appels nord-coréens à une action unilatérale, et de trouver à la place le meilleur moyen d'assurer la coopération d'une communauté internationale avide. De plus, la RPDC ne traite pas cette fois avec une administration désireuse de signer des accords sans garanties solides concernant leur implémentation. Les Etats-Unis devraient donc prendre leur temps. Mais c'est précisément la raison pour laquelle le Nord se rue à une vitesse alarmante vers l'augmentation de ses capacités nucléaires.
Il serait faux de considérer ceci comme un bluff de la part des Nord-Coréens. Rien dans leur histoire ou dans leur rhétorique actuelle ne suggère que Pyongyang a la moindre réticence à poursuivre ses plans. La Corée du Nord a développé activement et ouvertement une technologie de missiles balistiques, et ne fait rien pour démentir la conviction qu'elle possède des ogives nucléaires, ou même "quelque chose de plus puissant" encore – comme elle l'a proclamé en octobre.
Pendant ce temps, la crise a donné aux critiques de la présidence américaine de nouveaux arguments. Le couplet "Ben Laden avant l'Irak" du mois dernier a maintenant cédé la place à "la Corée d'abord". Lorsque l'on met l'Irak et la Corée du Nord côte à côte, l'argument peut à première vue être convaincant. Après tout, les inspecteurs de l'ONU recherchent en vain des armes de destruction massives irakiennes, alors que la RPDC a presque admis en posséder. L'Irak n'a pas de réacteur de production en service, alors que la Corée fait surchauffer les siens. L'Irak a accepté des inspecteurs internationaux et coopère avec eux, alors que la RPDC les a mis à la porte. Saddam a un régime arabe socialiste et répressif, alors que Kim dirige un système stalinien totalitaire et cauchemardesque. L'Irak a une armée affaiblie avec un moral bas, alors que la Corée du Nord a 1 million de fanatiques sous les drapeaux. L'Irak est contenu par des zones de non survol, mais pas la Corée. Saddam a gazé des milliers d'Irakiens plusieurs fois durant son règne, alors que Kim en affame des millions chaque année pour avoir les ressources nécessaires à sa machine de guerre.
«... La Corée du Nord a développé une technologie de missiles balistiques et ne fait rien pour démentir la conviction qu'elle possède des ogives nucléaires »
La crise en Corée du Nord est à n'en pas douter une mauvaise nouvelle. Toutes choses égales par ailleurs, elle devrait susciter davantage d'attention. Mais les choses ne sont pas égales. Le Moyen-Orient est beaucoup plus important pour les intérêts nationaux des Etats-Unis que la péninsule coréenne, principalement parce qu'il fournit une bonne part de l'énergie mondiale. C'est également une région qui a récemment montré une propension à exporter son extrémisme pour ébranler les alliés des Etats-Unis et même frapper sur leur sol. Les exportations nord-coréennes, composées d'éléments plus tangibles comme la technologie missilière, peuvent être plus facilement entravées. De plus, le problème irakien s'est développé depuis une année – ou une douzaine. Les Alliés ne peuvent pas faire volte-face et s'occuper exclusivement de la Corée du Nord, puis s'attendre à pouvoir revenir et reprendre avec Saddam là où ils l'avaient laissé.
L'équation militaire constitue une inégalité critique. La Corée du Nord serait un adversaire bien plus difficile que l'Irak, même avec ses seules forces conventionnelles. La présence probable d'armes nucléaires rend la situation encore plus difficile. Malheureusement, la dissuasion fonctionne dans cette situation comme dans n'importe quel duel entre puissances nucléaires. Une action concertée américaine sans la certitude que les armes nucléaires nord-coréennes peuvent être détruites ou neutralisées influerait lourdement sur le calcul des risques. Par conséquent, les critiques affirmant qu'il faut se concentrer sur la Corée du Nord parce qu'elle est puissante se trompent complètement – il faut s'occuper de Saddam en premier parce que pour l'instant il est faible. Les Etats-Unis se sont préparés à ce conflit. Il faut le mener pendant que c'est possible.
Saddam doit être enragé contre lui-même. Son programme d'armes nucléaires faisait des progrès rapides dans les années 80, mais a été interrompu par "Desert Storm" et ses suites. S'il avait seulement attendu, il aurait pu tenir l'Occident en respect. Maintenant, il a probablement compris : d'abord acquérir la bombe, ensuite saccager la région. Nota bene : appeler Pyongyang.
Texte original: James S. Robbins, "Iraq in Reverse - The North Korea crisis", National Review Online, 3.01.03
Traduction et réécriture: Cap Ludovic Monnerat