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L'opération "Bouclier Défensif" de Tsahal symbolise les enjeux de la guerre moderne

28 avril 2002


Opération Homat Magen: 24 jours de combats en zone urbaineD

ancée le 29 mars dernier, l'offensive de Tsahal en Cisjordanie et dans la bande de Gaza a vu l'engagement de formations d'active et de réserve contre des combattants palestiniens retranchés en zone urbaine. Malgré un succès sous la forme d'arrestations en masse, de découverte de documents-clefs et de saisies multiples, la violence des combats et ses effets collatéraux suscitent la polémique et le doute sur l'effet stratégique global. Description et analyse de 24 jours cruciaux.

Les mots restent impuissants face aux images, et la raison ne peut rien contre l'émotion. Les dévastations dans le camp de réfugiés de Jénine, les pleurs des femmes cherchant leurs proches sous les décombres, le visage tremblant de Yasser Arafat s'éclairant à la bougie dans son QG assiégé, et la suprématie militaire d'Israël dans les rondes de ses chars menaçants: les images de l'opération "Bouclier Défensif" (Homat Magen en hébreu) ont suscité une émotion considérable dans la communauté internationale, déclenché des accusations apocalyptiques pour l'État d'Israël, et nourri une vague d'attentats antisémites tout autour de la Méditerranée.

«... Face à des combattants ne respectant aucune règle et tirant parti des civils présents à leurs côtés, les unités israéliennes ont fait la preuve d'une efficacité probablement unique. »
«... Face à des combattants ne respectant aucune règle et tirant parti des civils présents à leurs côtés, les unités israéliennes ont fait la preuve d'une efficacité probablement unique. »

Pourtant, loin du "génocide" et du "massacre" annoncé, l'action de Tsahal a permis d'obtenir des effets à la fois significatifs et ciblés sur la nébuleuse terroriste palestinienne. Face à des combattants ne respectant aucune règle et tirant parti des civils présents à leurs côtés, dans un environnement urbain favorable à la défense et jonché de pièges en tous genres, les unités israéliennes ont même fait la preuve d'une efficacité probablement unique. Mais au prix de méthodes à l'éthique douteuse, dans un dédain total du regard extérieur et sous l'emprise d'une haine évidente de la société adverse, de sorte que l'effet stratégique global reste sans rapport avec le succès tactique ou la démonstration opérative.


Le sang de la Pâque juive

C'est l'attentat suicide commis le 28 mars dans un hôtel de Netanya par un Palestinien, lors d'une réunion familiale célébrant la Pâque juive, qui a été le déclencheur de l'action militaire israélienne. Non seulement les 27 morts et les 140 blessés de la bombe humaine en ont fait l'un des plus meurtriers jamais commis, mais l'endroit et l'occasion ont démontré la volonté affichée de faire le maximum de victimes. Le lendemain, un éditorial de l'ancien Premier Ministre Benyamin Netanyahu dans le Jerusalem Post traduisait la réaction de la population: "Le message que les terroristes palestiniens nous envoient est limpide: nous allons vous assassiner à chaque occasion, n'importe où, n'importe quand – même en vos jours les plus sacrés". La ligne rouge était clairement franchie, et l'usage de la force reconnu par tous ou presque comme une défense légitime. End game.

Dix-huit mois de guerre israélo-palestinienne, avec dans chaque camp des protagonistes peu désireux d'accepter les sacrifices pouvant permettre la paix, n'avaient en effet constitué qu'une extension continue des hostilités. La capture du cargo "Karine-A" le 3 janvier 2002 par un commando naval de Tsahal, peu avant la venue de l'émissaire américain Anthony Zinni, a ainsi mis en évidence la volonté de l'Autorité palestinienne d'augmenter considérablement ses capacités belligérantes: 50 tonnes d'armes et d'explosifs d'origine iranienne ont alors été saisis, parmi lesquels des projectiles antichars à charge tandem et des roquettes sol-sol similaires aux Katiouchas. L'implication personnelle de Yasser Arafat ne peut alors plus faire de doute.

Attentat suicide en Israël, 19.3.02

Le 29 janvier, le premier attentat suicide perpétré en territoire israélien par une femme, une Palestinienne de 20 ans, illustre la guerre désormais totale opposant les deux sociétés. Le transport de candidats au martyre ou d'armes par des ambulances, la simulation de grossesses pour dissimuler des explosifs ou encore l'utilisation d'uniformes israéliens pour s'infiltrer sont devenus des pratiques admises du côté palestinien. En conséquence, les unités militaires et civiles israéliennes se mettent à ouvrir le feu sur les ambulances, fouiller et traiter de façon humiliante les Palestiniens se présentant aux checkpoints, ou encore abattent sans grande discrimination les individus potentiellement suspects – tout en prévenant ainsi le 80% des attentats.

Un nouveau cap est franchi le 14 février, lorsqu'un char israélien Merkava 3 est détruit dans la bande de Gaza par une charge explosive commandée à distance. Appelé sur les lieux suite à une première détonation, le char de combat a sauté sur 80 kg d'explosifs qui ont tué net trois membres d'équipage sur quatre. Un mois plus tard, un second Merkava sera mis à feu et anéanti au même endroit et dans des conditions similaires.

Ces attaques démontrent non seulement que les Palestiniens disposent de quantités importantes d'explosifs, mais qu'ils ont reçu pour leur utilisation le savoir-faire développé et mis en oeuvre avec succès par le Hezbollah au Sud-Liban. Le blindage n'est plus une assurance-vie.

«... Frapper de plus en plus fort est la méthode unique à la fois d'Ariel Sharon et des terroristes palestiniens. L'invasion en règle des Territoires est dès lors inévitable. »
«... Frapper de plus en plus fort est la méthode unique à la fois d'Ariel Sharon et des terroristes palestiniens. L'invasion en règle des Territoires est dès lors inévitable. »

Convaincues de l'échec à long terme d'une posture passive, les Forces armées israéliennes lancent des opérations de nettoyage toujours plus puissantes en territoire palestinien. Le 28 février, l'opération "Rout Treatment" est synonyme, fait jusqu'alors sans précédent, d'une incursion dans deux camps de réfugiés en Cisjordanie: celui de Balata près de Naplouse et celui de Noresh Shams près de Jénine, avec chaque fois l'équivalent d'une brigade mécanisée. Destinée à démontrer l'absence de sanctuaire dans les Territoires, cette opération permet le démantèlement d'une fabrique d'explosifs et la capture d'armes, au prix de 2 soldats israéliens tués et 6 blessés, contre environ 30 morts et 200 blessés côté palestinien. Ces faibles pertes pour Tsahal s'expliquent notamment par des tactiques efficaces, comme celle consistant à éviter les rues piégées et exposées en circulant par des trous creusés dans les murs des maisons – au désespoir compréhensible de leurs habitants.

Le 3 mars, la mort de 6 militaires et 3 civils israéliens sous les balles d'un seul sniper palestinien, infiltré près d'un checkpoint, montre les limites de ces incursions. Dix jours plus tard, c'est toute une division qui est lancée dans l'opération "Security Imperative", rassemblant 20'000 hommes de l'armée d'active et nécessitant la suspension de tous les cours de cadres pour répondre aux besoins. Pas moins de trois brigades d'infanterie avec 150 véhicules blindés envahissent la ville de Ramallah, centre administratif de l'Autorité palestinienne, ainsi que ses alentours, pendant qu'une brigade d'infanterie s'empare du camp de Jabalya, dans la bande de Gaza. Quatre jours plus tard, Tsahal doit se retirer malgré l'avis de ses chefs, après avoir détruit plusieurs fabriques d'armes sans subir de perte, alors que les Palestiniens dénombrent 23 morts et une centaine de blessés. Frapper de plus en plus fort est la méthode unique à la fois d'Ariel Sharon et des terroristes palestiniens. L'invasion en règle des Territoires est dès lors inévitable.


Sus à l'Autorité palestinienne

Quelques heures après l'attentat de Netanya, l'une des planifications prévisionnelles établie depuis des mois est déclenchée. L'État d'Israël ferme ses frontières avec l'Egypte et la Jordanie, pendant que ces deux pays font de même. La décision de mobiliser 20'000 réservistes, qui deviendront ensuite 31'000, est proposée. Pour la première fois, le Ministre de la Défense Benyamin Ben Eliezer abandonne ses recommandations de retenue, alors que l'armée refuse d'exclure la destitution de l'Autorité palestinienne. Dans la nuit du 28 au 29 mars, d'importantes formations font mouvement et se concentrent aux abords de Ramallah et de Naplouse, alors que les ordres de mobilisation d'urgence – "Tzav 8" en hébreu – sont lancés. Le "Bouclier Défensif" commence. On notera d'ailleurs combien Tsahal s'applique à choisir la dénomination de ses engagements ouverts selon la méthode américaine!

Eléments blindés israéliens près d'Hebron, 7.4.02

L'opération voit l'engagement de forces considérables: presque toute l'infanterie d'active, soit les brigades mécanisées Golani, Nahal et Givati, la brigade parachutiste (T'Zanhanim), les bataillons mécanisés spécialisés dans la contre-insurrection Haruv, Shimshon, Duchifat et Nahschon, mais aussi des éléments des 7e et 500e brigades blindées d'active, ainsi que plusieurs forces spéciales, Duvdedan et Egoz notamment. Les formations de réserve mobilisées graduellement sont constituées de deux brigades mécanisées et deux brigades blindées pas toutes identifiées – la sécurité opérationnelle israélienne n'est pas une vaine locution – de même qu'au moins un bataillon d'infanterie mobilisé de manière indépendante. Si l'on y ajoute au moins trois escadrilles d'hélicoptères d'attaque, Apache et Super Cobra, une escadrille de drones et l'environnement logistique nécessaire aux opérations aériennes, on parvient à une estimation d'environ 50'000 hommes et 800 véhicules de combat.

«... L'opération voit l'engagement de forces considérables: environ 50'000 hommes et 800 véhicules de combat. »
«... L'opération voit l'engagement de forces considérables: environ 50'000 hommes et 800 véhicules de combat. »

La responsabilité de l'opération est conforme à l'organisation territoriale de Tsahal, de sorte que la hiérarchie militaire est la suivante: l'état-major général (lieutenant-général Shaul Mofaz), le commandement central (major-général Yitzhak Eitan), puis le commandement de Judée et Samarie (brigadier-général Gershon Yitzhak) et le commandement de la Bande de Gaza (brigadier-général Yisraël Ziv), auxquels sont subordonnées les unités engagées sous la forme de groupes de forces allant du bataillon renforcé à la division, et provenant de la réserve ou des autres commandements territoriaux. Naturellement, certaines opérations spéciales restent conduites sous l'autorité directe des échelons supérieurs.

Le 29 mars, l'équivalent d'une division mécanisée – constituée notamment de la brigade Nahal – fait son entrée dans la ville de Ramallah. Au prix de combats sporadiques, les Forces de défense israéliennes encerclent le QG de Yasser Arafat et tentent de le couper de son administration comme du monde entier. L'intention est claire: décapiter l'Autorité palestinienne, mettre fin au régime politique construit à la suite des Accords d'Oslo et interpeller les responsables présumés des attentats terroristes. Les combats dans les rues de Ramallah coûtent la vie à 2 militaires israéliens et 11 combattants palestiniens, alors que Tsahal arrête 145 suspects; des engagements ciblés permettent la capture de plusieurs responsables d'organisations terroristes, la saisie d'armes et de documents compromettants, et même la découverte de millions de shekels contrefaits.

Pendant deux jours, l'essentiel de l'opération se résume au nettoyage de Ramallah et au siège du QG de Yasser Arafat, sous l'œil des médias internationaux que Tsahal décide d'exclure du secteur et écarte sans ménagement. On assiste même à l'arrivée de militants soi-disant pacifistes européens, en une tentative surréaliste et partisane de servir de boucliers humains autour du président de l'Autorité palestinienne. En parallèle, les attentats suicides continuent: un café à Tel-Aviv, le 30 mars, est dévasté par une bombe humaine qui fait 32 blessés; le lendemain, à Haïfa, c'est un restaurant qui est complètement soufflé par un autre attentat suicide, qui fait 16 morts et 30 blessés.

L'opération "Bouclier Défensif" se poursuit et franchit une deuxième étape au soir du 31 mars, lorsque Tsahal met à profit la nuit pour se répandre dans les Territoires palestiniens. La mobilisation s'est effectuée de manière satisfaisante, puisque environ 29'000 réservistes sont entrés en service à temps, soit le 92% des mobilisés. Alors même que les quelque 400 "refuzniks" déclinant tout service en territoire palestinien avaient fait l'objet d'une couverture médiatique certaine, plus de 4500 réservistes non mobilisés se portent au contraire volontaires pour être engagés dans la campagne. Ariel Sharon annonce que l'opération en cours doit durer plusieurs semaines et a pour but de "démanteler l'infrastructure terroriste" aux ordres de Yasser Arafat. L'État d'Israël se déclare officiellement en guerre. Toute une société décide de réagir et de frapper.


Offensive méthodique et globale

A l'aube du 1er avril, Tsahal procède à de vastes incursions visant à capturer les responsables présumés des attentats: l'équivalent d'une brigade, composée de formations d'active blindées et du génie renforcées par un bataillon d'infanterie de réserve, entre à Bethléem; une brigade blindée de réserve en fait de même à Kalkilya, une brigade mécanisée toujours de réserve parvient à Tulkarem, alors que d'autres opérations plus ponctuelles ont lieu, à Beit Jala et Bitounia notamment, avec des formations d'active – dont la brigade Nahal et le Sayeret Duvdedan. L'opposition la plus vive se situe à Bethléem, où la lenteur des blindés israéliens dans les petites rues de la ville favorise les embuscades que tentent de monter plusieurs centaines de combattants palestiniens.

La tactique israélienne correspond à une méthode éprouvée: cerner les zones devant être investies, prendre position sur les hauteurs, créer plusieurs détachements et progresser des bords au centre par différentes directions, lentement, maison par maison, avec de l'infanterie débarquée appuyée par des chars de combat et des hélicoptères d'attaque. Face à une telle mécanique, et en l'absence de tout renforcement de positions, les fusils d'assaut et les armes antichars légères des Palestiniens ne leur permettent qu'une résistance sporadique. Ainsi à Bethléem, plus de 200 combattants choisissent de se réfugier dans la Basilique de la Nativité après avoir été repoussés par les soldats israéliens, et refusent obstinément de se rendre.

Mais les Palestiniens sont surtout prêts à la lutte dans les centres névralgiques du Hamas, comme la casbah de Naplouse et le camp de Jénine. Malgré plus de 1000 arrestations et la saisie de nombreuses armes, l'opération israélienne reste encore loin de ses objectifs tant que les infrastructures utilisées pour la préparation des attentats suicides ne seront pas touchées. Le 2 avril, Tsahal concentre des troupes nombreuses autour de chaque place forte, défendues par des combattants entourés d'une population civile dont une partie refuse de prendre la fuite. La phase décisive de l'opération est déclenchée.

A Naplouse, ville de 180'000 habitants, plus de 1000 combattants palestiniens se préparent depuis 5 jours à résister à l'armée israélienne. Des centaines de charges explosives sont disposées dans les rues et les maisons, alors que plusieurs militants décident de choisir l'attentat suicide pour infliger le plus de pertes à leur adversaire. Toutefois, la configuration de la ville et notamment l'espace entre les habitations rend difficile le combat défensif mené à la périphérie, et c'est la casbah située au centre qui offre les meilleures perspectives de défense.

Hélicoptère de combat Apache au-dessus de Naplouse, 7.4.02

Au soir du 3 avril, trois groupements mécanisés et panachés font leur entrée dans Naplouse: la brigade parachutiste renforcée au nord-ouest, la brigade Golani diminuée au sud-est et une brigade blindée de réserve au nord-est. L'ensemble de l'opération est sous le commandement du brigadier-général Gershon Yitzhak, et bénéficie de l'appui d'une escadrille d'hélicoptère d'attaque Apache. Chaque groupement, qui comporte de l'infanterie mécanisée et un appui direct des chars de combat, progresse lentement et affronte une forte résistance, en particulier près du camp de réfugiés de Balata. Mitrailleuses de 12,7 mm, canons de 120 mm, roquettes de 70 mm et missiles air-sol sont engagés par Tsahal pour réduire les positions occupées par les snipers palestiniens, qui sont progressivement contraints de décrocher.

«... Mitrailleuses de 12,7 mm, canons de 120 mm, roquettes de 70 mm et missiles air-sol sont engagés par Tsahal pour réduire les positions occupées par les snipers palestiniens. »
«... Mitrailleuses de 12,7 mm, canons de 120 mm, roquettes de 70 mm et missiles air-sol sont engagés par Tsahal pour réduire les positions occupées par les snipers palestiniens. »

Le lendemain, les colonnes israéliennes poursuivent et parviennent à s'emparer de la prison de Naplouse et de 100 Palestiniens, parmi lesquels de nombreux suspects recherchés. Mais la défense se durcit au fur et à mesure que les combattants palestiniens se replient sur la casbah, et les soldats israéliens se contentent d'une avance méthodique, ce qui limite leurs pertes les jours suivants à seulement 2 blessés dans la brigade parachutiste. Deux Palestiniens tentent de se faire exploser à proximité des troupes de Tsahal, mais leur charge est mise à feu prématurément. Parallèlement, les Israéliens maintiennent un blocus étroit autour du périmètre des combats afin d'éviter toute fuite des combattants palestiniens, et pour ce faire empêchent le passage d'ambulances et de secours d'urgence.

Les combats se poursuivent toujours avec acharnement le 7 avril, dans les rues étroites et les maisons accolées de Naplouse, mais le commandant de la brigade parachutiste, le colonel Aviv Kochavi, annonce la fin proche de l'opération et la mort d'au moins 30 "terroristes" palestiniens. L'appui des hélicoptères d'attaque est néanmoins permanent; à un emplacement, les sapeurs israéliens détruisent un immeuble de 5 étages complètement piégé. Plus de la moitié de la casbah est en mains de Tsahal le lendemain matin, et la totalité des combattants palestiniens décident de déposer les armes l'après-midi. Ce qui n'empêche pas le commandant de l'unité de déminage de la brigade parachutiste d'être abattu par erreur un jour après cette reddition.

A cet instant, 6 des 8 villes principales de Cisjordanie sont occupées par l'armée israélienne, qui a arrêté 2107 Palestiniens, saisi 3500 armes légères et lourdes, et découvert 19 fabriques d'armes. A la Knesset, Ariel Sharon prononce un long discours dans lequel il s'appuie sur les documents trouvés dans les bâtiments de l'Autorité palestinienne pour dénoncer la responsabilité personnelle de Yasser Arafat et rappeler son intention de "déraciner l'infrastructure terroriste" ainsi mise en place. Mais les plus violents combats de l'opération ont alors lieu dans le camp de réfugiés de Jénine, qui est devenu le symbole de "Bouclier Défensif" aux yeux du monde entier.


Le piège palestinien de Jénine

Géré par l'organisation des Nations-Unies venant en aide aux réfugiés palestiniens, l'UNRWA, le camp se situe à l'ouest de la ville de Jénine, qui compte elle-même 28'000 habitants. Il s'agit d'une partie d'agglomération dense, où 1100 maisons à plusieurs étages, très proches les unes des autres, abritent environ 13'000 personnes sur 1 kilomètre carré. Mais c'est aussi l'un des centres du Hamas et du Djihad islamique, organisations terroristes combattant l'existence même de l'État d'Israël, et le domicile de 23 auteurs d'attentats suicides – qui lui vaut le surnom de "Ville des Plastiqueurs" dans la presse arabe. La résistance de la place forte de Jénine signifierait l'échec de toute l'opération – même si les planificateurs de Tsahal, sur la base des incursions faites en janvier et février dans le secteur, n'ont pas prévu de difficulté particulière.

En fait, c'est précisément dès le retrait des chars israéliens de Jénine, le 8 mars, que la préparation de la défense a commencé, impliquant dans un commun effort toutes les factions de militants palestiniens, et notamment la Brigade des Martyrs d'Al-Aqsa, dont les liens avec l'Autorité palestinienne ont été établis. Plusieurs centaines de charges explosives, contrôlées à distance par câble ou à déclenchement automatique, ont ainsi été posées. Plus de 50 maisons ont été complètement piégées avec des charges confectionnées à partir de conduites souples d'alimentation d'eau et garnies de clous, puis cachées à 4 mètres l'une de l'autre à travers les habitations, dans les placards, les sofas, les éviers et même les sacs à main. Les maisons choisies étaient surtout des immeubles anciens, inhabités ou dans lesquels avaient logé des hommes recherchés par les Israéliens.

Le plan des combattants palestiniens consistait à piéger les soldats de Tsahal en leur coupant toute issue de retrait dès leur entrée dans le camp. Pour ce faire, des charges explosives de forte puissance avaient été placées dans les poubelles publiques, dans les voitures des militants recherchés, dissimulées dans d'autres objets domestiques ou enfouies dans le sol, afin de détruire les blindés de Tsahal ou de faire s'effondrer sur ses fantassins des habitations complètes. La plupart des charges étaient reliées par câble, et toute la population du camp était informée de leur emplacement, y compris les enfants, afin d'éviter des accidents – ce qui se révèlera plus tard la principale faiblesse des préparatifs.

Pour s'emparer du camp de Jénine, capturer ou tuer ses quelque 200 défenseurs armés et démanteler l'infrastructure des activistes, le commandement central a placé initialement sous le commandement du brigadier-général Eyal Shlein la 5e brigade mécanisée de réserve (colonel Didi Yedidya), renforcée par le 51e bataillon de la brigade Golani, plusieurs forces spéciales dont un détachement du Sayeret Duvdedan et des éléments d'active des chars et du génie. Là encore, un important appui de la troisième dimension était fourni, sous la forme de deux escadrilles d'hélicoptères d'attaque et de plusieurs drones assurant une couverture permanente.

La ville de Jénine durant l'attaque, 7.4.02

C'est dans la matinée du 3 avril que ces forces font leur entrée dans la ville de Jénine. Au prix de combats qui feront 1 morts et 2 blessés dans leurs rangs, les réservistes israéliens prennent le contrôle des principales artères de la ville, saisissent 85 roquettes antichars et 500 armes légères, tout en cernant le camp de réfugiés. Quelque 1500 civils s'y trouvent alors, ayant refusé de fuir malgré les annonces faites par Tsahal de l'opération imminente. Les unités israéliennes, après un à trois jours d'entraînement intensif pour les formations de réserve, pensaient parvenir à prendre le camp en 48 heures. Mais dès l'abord de son périmètre, elles sont prises sous un feu nourri d'armes légères et d'explosifs improvisés qui rend nécessaire la neutralisation, la prise et le nettoyage de chaque maison.

«... Les unités israéliennes, après un à trois jours d'entraînement intensif pour les formations de réserve, pensaient parvenir à prendre le camp en 48 heures. »
«... Les unités israéliennes, après un à trois jours d'entraînement intensif pour les formations de réserve, pensaient parvenir à prendre le camp en 48 heures. »

Le combat, acharné, prend des airs de spectacle apocalyptique. Les chars Merkava et Centurion canonnent les snipers palestiniens et couvrent les fantassins qui se répandent dans les bâtisses, pendant que des bulldozers se tiennent prêts à niveler la chaussée et écarter les mines non explosées. Aidés par des collaborateurs bien renseignés, les sapeurs israéliens parviennent à désamorcer ou détruire à distance une partie des charges. En l'air, les hélicoptères Apache et Cobra tournoient par paires et tirent jusqu'à 200 missiles par jour, alors que les drones surveillent les mouvements, de jour comme de nuit – au-dessus des obus éclairants qui jettent constamment leur éclat orangé sur le camp.

Dans les maisons, la surprise est la règle. Certaines embrasures sont des champs de tirs logiques, alors que d'autres cachent des pièces où des civils terrorisés, femmes et enfants pour la plupart, se cachent en silence; parfois, le nombre de charges visibles rend nécessaire la destruction de l'immeuble avec un bulldozer, pour éviter qu'un effondrement n'entraîne des pertes. Face à cette situation, les unités de Tsahal progressent très lentement et ne franchissent que 600 mètres en trois jours, tout en subissant néanmoins des pertes – 3 morts et 6 blessés dans des échanges de coups de feu et dans l'explosion de deux voitures piégées. Les combattants palestiniens, dont au moins une dizaine a péri, s'appuient avant tout sur leur mobilité et leur connaissance du terrain pour limiter la consommation des munitions. Leurs tirs sont précis et imprévisibles. Jénine tient.


Le faux Massada palestinien

Le 5 avril, devant les difficultés rencontrées par les réservistes, le commandement décide d'envoyer des fantassins plus aguerris: l'essentiel de la brigade Nahal est héliporté à Jénine et son commandant – le colonel Ya'ir Golan – prend la responsabilité de l'opération sur une partie du camp, recevant également le renfort du 101e bataillon de la brigade parachutiste. Au soir, pourtant, 3 autres soldats ont perdu la vie, dont 2 en entrant dans une maison dans laquelle des combattants palestiniens s'étaient dissimulés. Et malgré la poursuite incessante des combats, grâce aux rotations effectuées entre les quelque 6000 hommes de Tsahal engagés dans le secteur de Jénine, le centre du périmètre n'est toujours pas atteint les deux jours suivants.

Char israélien dans le camp de Jénine, 13.4.02

C'est dans l'intervalle que les Palestiniens accusent Israël de procéder à un "massacre planifié" dans le camp, alors interdit à la presse internationale sur une décision du gouvernement d'Ariel Sharon. Depuis le début de l'opération, plusieurs gouvernements et organisations avaient déjà accusé l'armée israélienne de mener un "génocide" contre le peuple palestinien, mais les allégations sont à présent plus précises, alimentées par des témoignages de réfugiés joints par téléphone portable. La coupure des fournitures d'eau et d'électricité, la prolongation des combats et le blocus imposé autour du camp entraînent une dégradation rapide des conditions de vie, alors que l'explosion des charges, la détonation des obus ou les lames des bulldozers font des dégâts considérables.

«... C'est dans l'intervalle que les Palestiniens accusent Israël de procéder à un "massacre planifié" dans le camp, alors interdit à la presse internationale. »
«... C'est dans l'intervalle que les Palestiniens accusent Israël de procéder à un "massacre planifié" dans le camp, alors interdit à la presse internationale. »

A l'intérieur du camp, les combattants palestiniens ont décidé de lutter jusqu'à la mort, et la plupart sont entourés de leur famille. Chaque jour, les haut-parleurs israéliens demandent l'évacuation des non-combattants, mais ces messages restent sans effet. Les soldats de Tsahal, désireux d'assurer leur sécurité, n'hésitent pas pour leur part à ouvrir le feu sur des civils suspectés de porter des ceintures d'explosifs, et occupent sans vergogne des logements en présence de leurs habitants. Mais les combattants, à leur tour, dissimulent leurs armes et adoptent des vêtements civils pour faire mouvement dans le camp, s'abritent derrière des femmes et ouvrent le feu par surprise, ou emploient des enfants pour transmettre des messages, observer les positions adverses et même placer des explosifs déclenchés à distance. C'est toute une population qui se dresse face à l'offensive israélienne.

Le 8 avril, les troupes du général Shlein resserrent leur étreinte et parviennent au centre du camp, au prix de combats acharnés qui font 2 morts supplémentaires dans leur camp. Les snipers palestiniens tiennent encore quelques maisons, mais doivent subir l'assaut de formations spéciales qui tentent de les déloger. C'est également le premier jour où une partie de la population, devant la privation d'eau et de nourriture, se rend massivement aux soldats de Tsahal: plusieurs centaines de civils sont alignés, parmi lesquels 150 hommes qui doivent se dévêtir afin de révéler tout explosif caché. Des collaborateurs permettent d'identifier plusieurs militants des organisations terroristes. Il n'y aura pas de Massada palestinien.

Le lendemain sera pourtant la journée la plus sanglante de l'opération. Ayant déjà perdu la moitié des leurs, les combattants palestiniens tendent un piège à leurs adversaires: tôt le matin, ils cessent tous de tirer et évitent tout mouvement, pendant que plusieurs femmes s'approchent des soldats israéliens et leur annoncent que, faute de munitions, les combattants ont profité de la nuit pour fuir. Une section d'infanterie de réserve décide alors de vérifier et s'engage le long d'une rue menant au centre – mettant sans le savoir le pied dans une zone complètement piégée, préparée dans cette optique.

Evacuation sanitaire d'un soldat israélien engagé à Jénine, 9.4.02

Prévenus par leurs femmes, les combattants déclenchent alors une dizaine de charges explosives au milieu des fantassins, tout en ouvrant le feu à partir des toits sur les forces venant les secourir. Une charge de forte puissance, mise à feu quelques instants plus tard, fait même s'écrouler un immeuble complet sur les soldats de Tsahal. Les Israéliens demandent un cessez-le-feu pour évacuer leurs 13 morts – dont 3 sous les décombres – et 7 blessés, mais doivent engager un commando naval et plusieurs blindés pour retrouver la supériorité du feu et atteindre le lieu de l'embuscade.

Dès lors, l'armée israélienne change de méthode. Chaque position adverse est aussitôt mitraillée, canonnée ou détruite au missile – sans savoir vraiment qui l'occupe. Chaque immeuble piégé est isolé puis détruit au bulldozer – sans assurance qu'il soit vide. Désormais, l'efficacité opérationnelle et la sécurité des troupes prennent clairement le pas sur la prévention des dommages collatéraux. Le camp de Jénine doit tomber. Les réservistes participant aux funérailles de leurs camarades clament leur intention de retourner aussitôt au camp et d'y rester tant que le dernier combattant palestinien ne sera pas tué ou capturé. Les combats se poursuivent durant toute la nuit, et Tsahal perd encore un autre soldat dans les échanges de tir.

«... Une charge de forte puissance, mise à feu quelques instants plus tard, fait même s'écrouler un immeuble complet sur les soldats de Tsahal. »
«... Une charge de forte puissance, mise à feu quelques instants plus tard, fait même s'écrouler un immeuble complet sur les soldats de Tsahal. »

C'est le 11 avril, après 8 jours de combats vicieux et acharnés, que le camp tombe. A court de munitions, les combattants palestiniens survivants tentent de prendre la fuite ou se rendent, avec la population n'ayant pas quitté le camp les derniers jours. Au total, ce sont 350 personnes qui quittent le camp, librement vers les villages voisins pour femmes, enfants et vieillards, ou sous bonne garde pour les hommes âgés de 15 à 60 ans. Les bulldozers israéliens rasent les immeubles et nivellent les rues jonchés de pièges au centre du camp, pendant que les dernières opérations de nettoyage ont lieu.

Mis à part le siège de Bethléem et le cordon cernant le QG de Yasser Arafat, l'essentiel de l'opération "Bouclier Défensif" se résume ensuite à des incursions mineures et à des arrestations ciblées, comme celle de Marwan Barghouti, le chef du Fatah en Cisjordanie. Et c'est surtout sur le plan de l'information que les hostilités se poursuivent, les Palestiniens annonçant au moins 500 morts à Jénine, dont certains tués de sang froid puis enterrés dans des fosses communes, ce que les Israéliens nient farouchement, se bornant à dénombrer entre 100 et 200 morts palestiniens. L'ouverture du camp aux journalistes internationaux, le 14 avril, permet de désamorcer peu à peu cette controverse, d'une part en l'absence des preuves matérielles de massacres, d'autre part parce qu'au moins 15 personnes sont blessées en quelques jours par les pièges qui pullulent encore dans le camp, dont plus de 200 sont découverts en l'espace d'une semaine par des démineurs de la Croix Rouge.

Le 19 avril, les blindés israéliens quittent Jénine, alors qu'Ariel Sharon annonce officiellement la fin de l'opération deux jours plus tard. La plus grande offensive militaire israélienne depuis 1982 s'achève. Reste à en estimer ses effets.


Le bilan du "Bouclier Défensif"

Les chiffres diffusés par les Forces de défense israéliennes montrent l'ampleur des saisies effectuées: plus de 5000 armes légères, une centaine d'armes lourdes, au moins 450 charges explosives et 23 fabriques d'armes et de munitions ont été prises ou démantelées. En fait, l'importance des découvertes a dépassé les estimations des services de renseignements et prouvent la construction progressive, au fil des années, d'une capacité belligérante considérable en Cisjordanie. De même, plus de 5000 Palestiniens ont été arrêtés et 1500 d'entre eux restent emprisonnés, parmi lesquels 344 membres du Fatah, 349 du Hamas, 82 du Djihad islamique, 70 du FPLP et 356 des services de sécurité de l'Autorité palestinienne. Sur les 33 hommes les plus recherchés de Palestine, 25 sont arrêtés ou tués. A Jénine seulement, 10 candidats à l'attentat suicide ayant déjà enregistré leur cassette d'adieu sont capturés. Les premiers interrogatoires permettent de monter plusieurs opérations ciblées sur des caches d'armes ou d'autres responsables. Les coups portés sont de taille.

Combattant palestinien abattu, 29.3.02

Par ailleurs, il ne peut désormais plus faire de doute sur l'implication étroite de l'Autorité palestinienne dans l'organisation du combat contre Israël par le terrorisme et la lutte armée. Les documents saisis au QG de Yasser Arafat, les traces écrites des transactions liés aux attentats, les dépôts d'explosifs découverts au domicile de ses lieutenants ou encore les preuves de l'inscription des combattants du Fatah et du Tanzim dans les effectifs de la sécurité palestinienne sont désormais trop nombreux pour que la communauté internationale puisse encore ignorer le double jeu de Yasser Arafat – pour lequel la paix ne constitue qu'une apparence sur la voie menant à l'indépendance complète du peuple palestinien. Le vieux chef de l'OLP reste un guerrier à outrance et, tout comme le vieux parachutiste à la tête du gouvernement israélien, constitue un obstacle majeur à une possible paix entre les deux belligérants.

«... il ne peut désormais plus faire de doute sur l'implication étroite de l'Autorité palestinienne dans l'organisation du combat contre Israël par le terrorisme et la lutte armée. »
«... il ne peut désormais plus faire de doute sur l'implication étroite de l'Autorité palestinienne dans l'organisation du combat contre Israël par le terrorisme et la lutte armée. »

Sans exagérer la personnification du conflit, puisqu'à la séparation des pouvoirs de l'État israélien correspond l'impuissance relative de l'Autorité palestinienne, il faut bien admettre que l'opération "Bouclier Défensif" a mis aux prises deux vieux adversaires, Yasser la Baraka et Arik le Rouge, ayant obtenu l'appui de leur population pour régler par la force le différend au cœur de leur nation respective. Il se trouve cependant que les Forces armées israéliennes sont bien plus économes des vies humaines, puisque l'opération n'a coûté que 29 morts et 127 blessés dans leurs rangs, alors qu'une estimation raisonnable des pertes palestiniennes oscille autour de 250 morts et 600 blessés – dont une grande majorité de combattants. Une différence qui ne s'explique pas par la seule disparité des moyens.

Au niveau tactique, Tsahal a ainsi fait preuve d'une maîtrise et d'une efficacité impressionnantes, qui confirment sa prééminence au sein des Forces armées de type occidental. Même ses réservistes, engagés après une instruction d'urgence, se sont mieux tirés du cauchemar de Jénine que la plupart des formations régulières professionnelles ne l'auraient fait. Les destructions considérables dans le camp de réfugiés – environ 30% des maisons partiellement ou complètement détruites selon les estimations de Human Rights Watch – témoignent en outre d'une indiscutable retenue en comparaison d'autres engagements asymétriques en milieu urbain, comme Grozny (2000) ou Hue (1968). Surtout si l'on tient compte des dégâts entraînés par la détonation des charges palestiniennes, dont le total a été estimé par Tsahal à 3,5 tonnes d'explosifs.

Cette capacité opérationnelle repose avant tout sur quatre éléments:

  • La variété des sources de renseignements. A l'inverse de ses homologues occidentaux, le SR militaire israélien repose étroitement sur la recherche et l'intégration de renseignements d'origine humaine, en plus des sources visuelles et électroniques. C'est ce qui a permis de compenser l'erreur d'évaluation au sujet du camp de Jénine, où l'ampleur des préparatifs a été sous-estimée: plus d'un tiers des pièges palestiniens ont ainsi pu être déconnectés par les informations provenant de collaborateurs, alors que de nombreux combattants essayant de fuir avec des habits civils ont été identifiés et arrêtés ;


  • La connaissance uniforme de la situation. Le seul cas de friendly fire signalé dans toute l'opération souligne la qualité de la coordination entre des unités engagées en milieu urbain et privées de contact visuel. C'est ainsi qu'ont été distribuées jusqu'au niveau groupe des cartes à échelle 1:5000, préparées à partir de photos aériennes, et sur lesquelles chaque bâtiment a été numéroté. Cette méthode a permis d'accroître à la fois la rapidité et la précision des renseignements transmis, tout en assurant un baptême du terrain uniforme ;


  • Les effets interarmes aux bas échelons. Si le fantassin débarqué reste l'outil crucial du combat en zone urbaine, son efficacité et sa protection dépendent largement des appuis qu'il reçoit. A Jénine comme à Naplouse, les unités de pointe bénéficiaient en permanence du feu fourni par les chars de combat (mitrailleuses de 12,7 mm et obus explosifs de 120 mm) et par les hélicoptères d'attaque (canons de 20 et 30 mm, missiles antichars TOW et Hellfire), ainsi que des effets apportés par le génie (bulldozers blindés et sapeurs) ;


  • Le commandement décentralisé. L'adhésion à la mission, le niveau d'instruction, l'absence de formalisme et la confiance réciproque qui en découle font que les forces israéliennes appliquent depuis toujours la conduite participative par objectif. De ce fait, le commandement est décentralisé au maximum et les décisions sont prises au plus vite; les grandes unités engagées avaient ainsi leur PC tactique à proximité des formations subordonnées, alors que les cadres étaient constamment à la pointe de l'action – comme l'a montré le décès d'un officier supérieur et de trois officiers subalternes dans l'embuscade de Jénine.

 

Entrée d'éléments blindés à Ramallah, 29.3.02

Au niveau opératif, Tsahal a également démontré des capacités remarquables. Le déclenchement en quelques heures d'une opération d'envergure, même si elle n'a mobilisé que 14% des effectifs de l'armée, témoigne d'un état de préparation à la mesure d'un État en guerre. Malgré l'abandon de la surprise dès l'entrée des troupes à Ramallah, puisque les populations civiles palestiniennes ont été explicitement averties de l'imminence d'autres incursions, on constate que la liberté de mouvement des formations israéliennes sur l'ensemble de la Cisjordanie, la prise rapide de la plupart des objectifs, et le prompt et efficace acheminement de renforts à Jénine, attestent une maîtrise complète du théâtre d'opérations.

Cette suprématie relève de trois facteurs principaux :

  • Le niveau de disponibilité opérationnelle. La procédure d'urgence déclenchée au soir du 28 mars a permis de mettre sur pied en quelques heures des unités blindées et mécanisées entières, capables de remplacer des formations actives en mission statique, de renforcer la défense de la ligne verte et des colonies, et même après une instruction rapide de mener avec succès des engagements interforces. Ce qui nécessite une disponibilité opérationnelle optimale, aussi bien au niveau des hommes, du matériel, des planifications que de la doctrine ;


  • La modularité interarmées sans préparation. Tous les engagements menés durant l'opération ont vu la formation d'un groupe de forces, construit sur mesure avec des éléments provenant des corps d'armées d'active – infanterie, chars et génie – et des divisions de réserve, mais aussi des forces spéciales de l'armée et de la marine, ainsi que des moyens de l'armée de l'air, sous le commandement d'un état-major d'engagement territorial ou mobilisé. Cette capacité modulaire interarmées sans préparation traduit une unité de doctrine et d'équipement très poussée ;


  • L'ampleur des effectifs engagés. Les moyens mis à la disposition du chef de l'état-major général étaient clairement adaptés aux besoins, tant il est vrai que le milieu urbain nécessite les plus fortes concentration d'hommes. Ainsi à Jénine, contre environ 200 combattants palestiniens – mais utilisant la population civile pour leurs besoins en reconnaissance, surveillance, liaison et logistique, de sorte qu'il faut au moins tripler ce nombre pour traduire la résistance effective – ce sont quelque 6000 hommes qu'Israël a engagés, 10'000 hommes contre 1000 à Naplouse, 13'000 contre 1200 à Ramallah, ou encore 3000 contre 400 à Bethléem. De sorte qu'un rapport moyen de 10 contre 1 a été maintenu – confortable, mais aux effets pervers.

 

Manifestation anti-israélienne en Turquie, 6.4.02

Au niveau stratégique, en effet, la performance de Tsahal est pour le moins nuancée. Bien entendu, le bilan matériel de l'opération est un résultat incontestable qui s'inscrit pleinement dans l'objectif politique recherché. De plus, la société israélienne a pour l'essentiel fait corps avec son gouvernement et son armée, ce que l'engagement des réservistes a pleinement confirmé; mieux, malgré l'activisme d'organisations pacifistes déconnectées de la menace posée par le terrorisme suicidaire, une enquête a montré que la motivation des réservistes israéliens avait augmenté de 50% entre 2000 et 2002, et que 73% d'entre eux sont désormais volontaires pour des missions de combat contre 59% deux ans plus tôt. Mais c'est précisément cette politique de force, faite d'incursions, d'occupations et de déprédations, qui pose problème. La "nation puissante et sûre d'elle", pour citer de Gaulle.

Le bilan en termes d'images du "Bouclier Défensif" est de toute évidence désastreux. En matière de lutte contre le terrorisme palestinien, il ne constitue qu'un gain de temps inutile si une démarche politique ne tire parti de l'affaiblissement à la fois de l'Autorité palestinienne – démasquée dans son double jeu et privée de moyens d'action – et des organisations armées. Et l'ensemble de la communauté internationale, à tort ou à raison, est tellement frappée par l'action militaire entreprise que l'État d'Israël a épuisé le capital de sympathie et de compréhension engendré en Occident par l'horreur des attentats suicides. Même aux États-Unis, où le mot "terrorisme" n'a pourtant plus cette distance vaguement exotique qu'on lui prête en Europe, mais dont les objectifs politiques sont contrecarrés par l'activité israélienne.

Ce semi-échec stratégique, que la flambée d'attentats antisémites à l'étranger souligne douloureusement, s'explique principalement par trois causes:

  • L'exclusion des médias et ONG. La décision d'écarter aussi bien la presse que les organisations non gouvernementales des secteurs d'engagement jusqu'au 14 avril a aussitôt créé un climat de méfiance ruinant la crédibilité de la communication israélienne et fournissant un appui décisif à la communication palestinienne, jusqu'à permettre aux allégations de massacre organisé à Jénine d'être prises au sérieux. Au lieu de démontrer la duplicité de Yasser Arafat, l'opération l'a même transformé en héros martyrisé. Avec ce suicide médiatique, Israël a perdu la guerre de l'information avant même de l'avoir commencée, et se débat toujours pour reprendre l'initiative ;


  • L'obsession de la protection des forces. De manière à limiter ses propres pertes et dissuader la population palestinienne d'intervenir, Tsahal a fait usage de méthodes brutales: écrasement de voitures par ses chars, destructions arbitraires de bâtiments, rafales en l'air ou à terre en guise d'intimidation, coupures fréquentes de l'électricité et de l'eau, obstructions à la circulation d'ambulances ou encore fouilles humiliantes de simples suspects. De telles mesures, si elles augmentent la protection des forces, se sont faites au détriment d'une population souvent terrorisée, immanquablement prise entre deux feux et dont les traumatismes ne peuvent que nourrir le ressentiment ;


  • La haine de la société adverse. Sous l'effet des attentats suicides, la pitié teintée de mépris généralement éprouvée par le soldat israélien à l'endroit de son vis-à-vis arabe s'est transformée en une haine implacable qui englobe désormais toute la population. Les brutalités infligées aux civils palestiniens, l'indifférence face à leur sort, le pillage ou la destruction de leurs possessions ne se comptent plus et relèvent d'un tel sentiment. Face à une adversité à la fois constante et perfide, les hommes de Tsahal réagissent en animal blessé et suspectent tout ce qui les entoure – sous l'œil d'une communauté internationale des plus critiques.

Les enjeux de la guerre moderne

L'intérêt principal de l'opération "Bouclier Défensif", au-delà des belligérants impliqués, réside dans le fait qu'elle résume clairement les enjeux de la guerre moderne. Tout le problème des Forces armées israéliennes est en effet celui de l'asymétrie: quoiqu'elles fassent, elles sont en permanence contraintes d'opposer aux armes légères de lourds blindages, aux bombes improvisées des missiles high tech, à l'attentat furtif une présence flagrante, et au fanatisme suicidaire une vigilance paranoïaque; bref, de se comporter en Goliath survolté face à un David en apparence éploré.

Patrouille israélienne dans le camp de Jénine, 14.4.02

Le propre de l'adversaire asymétrique est de choisir le mode opératoire de l'affrontement, de susciter une réaction dans un registre similaire et de réduire la légitimité de la force étatique. Pour les organisations palestiniennes, il s'agit ainsi de contourner les unités israéliennes et de frapper directement la population qu'elles doivent protéger, mais également de les amener à agir en niant leurs propres valeurs éthiques – d'où l'usage de la perfidie, comme le dévoiement d'habits et d'ambulances du Croissant rouge, et la glorification du martyre suicidaire envers la jeunesse. Certes, cette stratégie pousse inexorablement la société palestinienne vers la désagrégation morale, comme le montrent les tentatives spontanées d'attentats menées par des adolescents ou le lynchage de collaborateurs présumés. Mais elle n'en produit pas moins les effets attendus au niveau stratégique.

«... Il est vain de combattre les images par des mots dans un conflit fait de symboles surmédiatisés et d'individus mis en scène. »
«... Il est vain de combattre les images par des mots dans un conflit fait de symboles surmédiatisés et d'individus mis en scène. »

Il est vain, en effet, de combattre les images par des mots dans un conflit fait de symboles surmédiatisés et d'individus mis en scène. La commission d'enquête internationale mise sur pied par l'ONU a pour but principal d'examiner le comportement de Tsahal à Jénine, et pas celui des deux belligérants. Les mouvements réclamant le boycott des produits israéliens se multiplient, alors que la collaboration économique et militaire avec Israël est assimilée à une collusion honteuse. Les associations de défense des droits de l'homme accusent les soldats israéliens – et eux seuls – d'avoir commis de multiples crimes de guerres. L'État d'Israël est ouvertement mis au ban des nations, et l'Autorité palestinienne s'attend à recevoir ses premiers millions d'euros au titre de la reconstruction. On a même trouvé en Suisse les avocats d'une neutralité "bien comprise" nous inciter à prendre fait et cause pour les Palestiniens!

De fait, le terrorisme suicidaire et aveugle réussit là où les armées arabes puis le terrorisme ciblé ont échoué depuis 30 ans: remettre en question le statu quo au Proche-Orient. Cette efficacité indiscutable, qui se déroule sous nos yeux obnubilés par les souffrances d'une population palestinienne instrumentalisée, témoigne de la confusion éthique que nous traversons. Désormais, un acte terroriste visant à tuer le maximum de civils est explicitement comparé aux actions prises pour l'empêcher et qui, inévitablement, font des victimes civiles. L'agresseur est mis sur pied d'égalité avec le défenseur. L'action militaire étatique devient inadmissible et l'acte terroriste individuel compréhensible.

Tel est le terrain piégé dans lequel s'inscrit aujourd'hui chaque usage de la force. Pour l'avoir mésestimé, Ariel Sharon et ses généraux se sont vus contraints de cesser prématurément leur offensive et de renoncer à l'initiative alors même qu'ils venaient de la reprendre, après 18 mois d'une stratégie réactive ne menant qu'à l'escalade de la violence. Car c'est précisément l'action préemptive au cœur du dispositif adverse qui permet de porter des coups au terrorisme, de neutraliser ses leaders, de détruire ses ressources et d'interrompre ses filières. Bref, de déplacer la guerre jusqu'ici menée sur territoire israélien dans les camps et les repaires où les responsables des attentats se cachent, en déléguant leur cadets fanatisés.

Prétendre qu'une telle action multiplie les candidats au suicide, et se révèle en définitive contre-productive, passe sous silence le fait que ce sont justement les restrictions matérielles qui ont jusqu'ici limité la guerre populaire menée par la société palestinienne. Les ceintures d'explosifs ne poussent pas sur les arbres. L'infiltration à travers la Ligne verte ne s'apprend pas en deux jours. Même le terrorisme suicidaire des individus nécessite une instruction et une préparation que seule une organisation permet de rendre efficaces. De transformer en arme stratégique.

C'est une perspective qu'il faut avoir à l'esprit avant d'écouter les mantras de tous les opposants à l'usage de la force, pour lesquels aucun objectif ne justifie la mort d'innocents: le refus de l'action autre que parfaite ne mène qu'à l'inaction, la proportionnalité intégrale entraîne l'abandon de toute initiative, et les deux fondent un culte de l'impuissance qui ruine toute capacité de dissuasion. De plus, la sanctification de principes juridiques conçus pour un type de conflits en voie de disparition – les guerres entre États – favorise l'extension de la belligérance aux sociétés toutes entières. Si nous poursuivons sur cette voie, le siècle en cours promet d'être sanglant.


Au cœur de notre destin

Car ce qui se passe aujourd'hui au Proche-Orient doit nous concerner en premier lieu. On y voit des post-adolescents se faire exploser avec 100 francs de TNT au sein de la foule et être ensuite révérés en héros; des collaborateurs présumés être lynchés et exposés par des masses en furie; et des dirigeants politiques ou religieux ériger en modèle le meurtre suicidaire de non-combattants. On y voit aussi une armée engager 400'000 francs de missiles à guidage laser pour être plus sûre de ne tuer que le leader adverse visé; un État démocratique être accusé de violer des lois et des principes que ses adversaires ignorent systématiquement; et une société dont chaque membre est une cible se faire peu à peu à l'idée que la rupture définitive est la seule issue. Une adversité totale, séculaire, multiforme, et qui porte en son sein une partie de notre avenir.

Jamais un État-nation moderne n'aura subi d'attaques asymétriques aussi puissantes qu'Israël depuis quelques mois. La lutte armée utilisant la forme du terrorisme que les Palestiniens ont déclenchée s'apparente à une guerre de libération sur ce que les Israéliens considèrent comme leur propre sol. Mais la défaite est pour eux interdite, puisque les organisations extrémistes à la source de nombre d'attentats ont pour unique objectif la destruction de l'État d'Israël. En même temps, face à des adversaires qui désirent ardemment leur propre mort, faire échouer la totalité des attentats est aussi illusoire que vaincre le crime ou la maladie. Aucune victoire n'est possible à l'horizon – seule la défaite peut être évitée.

Enfants palestiniens avec les restes d'un missile TOW dans le camp de Jénine, 12.4.02

Dans ces conditions, il est impossible à un État – même utilisant les méthodes les plus intrusives – d'assurer la sécurité de ses propres citoyens. Et cette perte définitive de la supériorité en matière de violence armée doit amener, tôt ou tard, ces mêmes citoyens à se demander s'il n'est pas plus efficace de se protéger eux-mêmes. Vu l'augmentation spectaculaire des ventes d'armes privées l'an dernier en Israël, il faut admettre qu'on en prend le chemin.

L'étape suivante, qui verrait des citoyens israéliens mener à leur tour des actions offensives sur le sol adverse, correspondrait à une transformation radicale du conflit, d'une asymétrie instable à une symétrie ravageuse. Le passage de la nation en armes aux armées individuelles échappant à toute législation.

«... Savoir si la dérégulation de la violence armée entraînera demain la guerre privée des individus est au cœur du conflit israélo-palestinien – et de notre destin. »
«... Savoir si la dérégulation de la violence armée entraînera demain la guerre privée des individus est au cœur du conflit israélo-palestinien – et de notre destin. »

Or il se trouve que l'ensemble des États occidentaux se trouve confronté aux prémices d'un tel défi. L'augmentation de la violence quotidienne, ces 10 dernières années, a déjà entraîné – dans notre pays notamment – une croissance drastique du nombre d'agents de sécurité privés, employés au profit de collectivités restreintes et de particuliers. Avec la montée en puissance du terrorisme transnational, la globalisation des conflits par le biais des flux migratoires ou médiatiques, mais aussi la normalisation des actes d'hyperviolence individuelle, la capacité des États à protéger leurs citoyens ne cesse de se réduire. Toute une culture politique basée sur la contestation de l'autorité et sur la glorification des libertés personnelles, évidente en Europe, a finalement débouché sur une lutte entre individu et collectivité, entre droits et devoirs, entre tolérance et répression.

En tant qu'expression séculaire de l'autorité publique, la coercition armée insupporte désormais une partie de l'opinion publique occidentale à un point tel qu'elle s'identifie spontanément à l'assiégé palestinien, au réfugié afghan, voire au manifestant antimondialisation. Dès lors, afin d'éviter le choix impossible entre l'action réprouvée et l'inaction coupable, l'État doit user de sa force dans des modalités supportables, en fonction d'une éthique fondée sur l'émotivité, et par-dessus tout dans une transparence maximale. Car l'impuissance de l'État signifie à terme son obsolescence, et par conséquent sa disparition au profit d'autres structures, aux capacités bien différentes.

Savoir si la dérégulation de la violence armée entraînera demain la guerre privée des individus est au cœur du conflit israélo-palestinien – et de notre destin.




Cap Ludovic Monnerat    





Sources

Dépêches, articles et émissions BBC, CNN, The Telegraph, Washington Post, Jerusalem Post, Ha'aretz, Al Ahram Weekly, Le Temps, Le Monde, AP, AFP et Reuters.






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