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La guerre à la vitesse de la lumière se prépare avec le développement des lasers de combat

12 novembre 2003

Laser dans un HumveeL

es armes lasers appartiennent encore à la science-fiction, mais la recherche progresse à grands pas. Plusieurs laboratoires américains sont en lice pour produire le premier laser à état solide permettant de concevoir un système mobile et résistant.

Au fond de ce corridor carrelé, la lumière fait un travail musculaire et bruyant. Les lasers creusent dans la saleté et soudent le métal. Ils pilonnent les pièces d'avion pour leur faire prendre forme. Dans le laboratoire de Bob Yamamoto, la lumière est dévorante.

Il enfile des lunettes d'un vert émeraude. Un technicien appuie sur un bouton de mise à feu et énonce le décompte de l'ordinateur. « Trois… deux… un… » Et puis… rien. Juste un bourdonnement électronique et une lueur éphémère dans cette pièce assombrie du Laboratoire Lawrence Livermore. Mais dans la chambre de la cible de Yamamoto, un bloc d'acier crache les flammes et le métal fondu.


«... Les lasers du champ de bataille devront être assez compacts et mobiles pour entrer dans la queue d'un hélicoptère, dans le ventre d'un avion à réaction ou sur le siège arrière d'un Humvee. »


Dans ces deux secondes, 400 décharges de lumière se sont déversées sur des tranches de minéraux artificiels. Pleins d'énergie, les atomes du cristal ont ensuite lâché des torrents de lumière infrarouge pour ricocher 1000 fois entre deux miroirs et se multiplier, avant de s'échapper en 400 impulsions d'un rayon pur et régulier.

En kilowatt par kilogramme, c'est le laser à état solide le plus puissant du monde. Son rayon invisible a percé en deux secondes la plaque d'acier épaisse d'un pouce de Yamamoto. Ajoutez des cristaux plus grands et il dévorera de l'acier à un kilomètre de distance - ou davantage. « Ce que nous construisons », explique Yamamoto, « c'est une arme laser. »



Le développement des armes

Après avoir englouti 40 ans et des milliards de dollars dans les armes à rayons, les scientifiques de la défense sont tout proches de ce qui pourrait être une révolution militaire - la guerre à la vitesse de la lumière. « Nous avons franchi une étape considérable », affirme Randy Buff, chargé du programme laser à état solide pour le U.S. Army's Space and Missile Defense Command. « Nous avons hâte d'aller dans le terrain et de faire quelque chose. »

Les armes lasers ne sont plus l'apanage d'Hollywood ou le fantasme de l'initiative de défense stratégique. A la place de balles à guidage laser et de bombes « intelligentes », le Pentagone pourrait en l'espace d'une décennie s'équiper d'une arme à rayon qui est presque instantanée, non soumise à la gravité et vraiment chirurgicale, pointée avec une précision telle qu'elle pourrait éviter des civils tout en prédétruisant des munitions à des kilomètres de distance.

Une course aux armes lasers est déjà en cours, principalement en Californie. La récompense se chiffre en milliards de dollars. Trois familles de rayons à haute énergie - mus par la combustion chimique, l'accélération d'électrons et des cristaux comme ceux de Yamamoto - se disputent les faveurs du Pentagone. Les fournisseurs de la défense critiquent leurs projets mutuels, et les alliances commerciales évoluent.

Mais nul ne semble douter que des lasers de combat - peut-être montés sur des Humvees, des chasseurs à réaction ou des drones - puissent abattre des cibles jusqu'ici intouchables comme des obus d'artillerie ou de mortier, des missiles sol-air et même des missiles de croisière, à des portées allant jusqu'à des dizaines de kilomètres par beau temps. Au-dessus des nuages, un laser à haute puissance pourrait franchir 800 kilomètres avant de détruire des missiles balistiques en phase d'ascension.

« Si nous en avions aujourd'hui, ils seraient à l'ancien aéroport international Saddam Hussein, afin d'assurer que personne ne tire un missile portable sur un avion », relève Mike Campbell, un expert en lasers de General Atomics à San Diego.

En produisant une énorme bouffée de puissance à partir de petites diodes lasers comme celles des lecteurs CD et des scanners de supermarché, les scientifiques extraient une énergie sans précédent de lasers faits de cristaux exotiques - les cousins distants du premier laser mis au point en 1960 à partir d'un rubis cylindrique par Theodore Maiman. La dernière génération de lasers à état solide est maintenant destinée à briser la domination des rayons mus par des gaz chimiques, avec des armes compactes et mobiles qui peuvent fonctionner à partir du moteur diesel d'un Humvee ou de la turbine d'un avion à réaction.

Les experts comparent cette évolution au remplacement des tubes à vide datant des années 50 par les transistors qui aujourd'hui régissent toute l'électronique. « Nous pensons que toute la chose va passer à l'état solide », déclare Lloyd Hackel, chef de la technologie laser au Laboratoire Livermore. « Les lasers à gaz sont en quelque sorte les tubes à vide de la technologie. Ils fonctionnent, mais en termes de densité, d'intensité et de fiabilité, ils ne valent pas l'état solide. »



Aucun plan militaire cohérent

Le pouvoir économique du Pentagone place les militaires au centre de cette transition. Jusqu'ici, toutefois, les experts disent que le Département de la Défense n'a aucun plan cohérent en matière de recherche sur les armes lasers, avec des projets dispersés entre l'Air Force, l'Army et la Navy. En conséquence, rares sont ceux au Pentagone qui saisissent les implications de forces hautement mobiles et équipées de lasers. Est-ce que les ordinateurs et les commandants militaires sont prêts à accepter des armes entièrement automatisées qui projettent des décharges instantanées et mortelles d'énergie, et qui peuvent changer de cible en quelques secondes ?

Les lasers actuellement à l'essai pour la défense aérienne offrent déjà une telle capacité. Tirer en automatique sur des buts offensifs n'est qu'un petit pas de plus. « Lorsque vous développez la capacité de suivre, cibler et détruire quelque chose en une seconde, alors la tentation d'exclure l'homme du cycle de décision devient très forte », affirme Loren Thompson du Lexington Institute, un groupe de réflexion spécialisé dans la défense et basé à Arlington.

Est-ce que les forces US vont employer des lasers sur des êtres humains ? Le droit international interdit l'usage de lasers pour aveugler des gens. Mais il n'y a pas d'obstacle légal au fait de frapper des humains. Le Commandement des Opérations Spéciales US veut embarquer un laser de puissance moyenne en plus de l'artillerie et des mitrailleuses rotatives sur une version future de la canonnière AC-130, qui depuis le Vietnam a été le pilier des attaques menées par les forces spéciales sur des cibles terrestres.

La puissance du laser pourrait crever des pneus et mettre à feu des réservoirs de carburant, mais ne détruirait pas des chars ou des véhicules blindés. « Ce serait un fusil ultra précis à très longue portée », suggère John Pike, expert en armement et directeur de GlobalSecurity.org. Les cibles probables, selon Thompson, « seraient des véhicules plus légers, des structures combustibles, ou des gens. Rappelez-vous que nous parlons d'un système qui peut instantanément changer de cible. »

Cependant, est-ce que les avantages des lasers de combat compensent suffisamment leur énorme inconvénient - la perte de puissance et de portée par mauvais temps, brouillard, poussière et fumée - au point que les militaires américains se concentrent sur des opérations par beau temps ?

Est-ce que les Etats-Unis veulent défendre ou attaquer des satellites avec des lasers ? Le laser aéroporté de l'Air Force doit commencer ses tirs d'essai contre des missiles en 2004. Mais la portée plus longue de son laser dans l'atmosphère raréfiée des altitudes supérieures met les engins spatiaux à portée. Comment vont réagir les autres nations ? Les experts pensent que les Etats-Unis pourraient jouir d'un quasi-monopole sur les lasers de combat pendant des années. Mais dans quelles circonstances pourraient-ils justifier leur usage face à une probable opposition internationale ?

Bien avant la fin de la guerre froide, les technocrates du Pentagone parlaient de « transformation » des armées - une fusion d'yeux électroniques, de communications rapides, de traitement de données et d'armes de précision pour mener des opérations avec une vitesse et une efficacité extrêmes. Mais malgré la compression de temps pour identifier et attaquer les adversaires, les armes US sont toujours liées aux lois physiques newtoniennes des explosifs, des poudres chimiques et des projectiles en métal, et sont toujours astreintes à la gravité.

Les ogives balistiques peuvent frapper à des vitesses supérieures à Mach 20. Mais les préparer au lancement prend plusieurs minutes au moins, et les envoyer sur la cible plusieurs de plus. Les lasers se précipitent sur leur cible à environ Mach 860'000. « Il n'y a aucun problème à neutraliser le projectile », souligne Thompson.

En raison de cette capacité, l'administration Bush a spécifié que la silhouette des véhicules, avions et navires militaires de la prochaine génération doit s'accommoder d'armes futuristes. Les industriels de la défense intègrent des baies lasers dans les chasseurs, les appareils convertibles et les hélicoptères de demain. Les Humvees auront des moteurs diesels hybrides, et le nouveau destroyer DDX de la Navy recevra une propulsion entièrement électrique.

Les militaires veulent réduire le fardeau logistique de l'approvisionnement en carburant, mais une autre raison n'est autre que la puissance électrique supplémentaire destinée aux armes à énergie. « Ils veulent un important surplus de capacité pour une arme future gourmande en énergie, sans que l'on sache si ce sera un laser, un canon à micro-ondes ou à propulsion électrique », estime Pike.



Laisser flotter son imagination

L'ère des lasers de combat a débuté au milieu des années 90, lorsque des scientifiques militaires au Nouveau Mexique ont percé un trou dans un missile Scud éloigné de plusieurs kilomètres. Peu après, un puissant laser chimique financé par le Pentagone et les Forces de Défense Israéliennes a commencé à détruire des fusées et des obus d'artillerie en vol. Les scientifiques pensent que de tels lasers promettent d'abattre des obus de mortier. Et les mortiers comme l'artillerie sont si létaux pour l'infanterie qu'ils ont entraîné la moitié des pertes américaines au combat en Irak. Mais aucune défense efficace n'existe.

« Personne ne pensait que cela pouvait être fait », affirme Josef Scwartz, responsable du programme Laser Mobile Tactique à Haute Energie de Northrop Grumman. « Chacun pensait qu'on ne pouvait que se cacher dans un trou. Maintenant, vous avez la capacité de détruire l'obus dans le ciel. Si vous pouvez faire cela, vous pouvez laisser flotter votre imagination. »

Les théoriciens de la défense effectuent déjà des simulations informatiques de combats lasers. « Le laser change le champ de bataille », souligne Thomas McGrann, un analyste en opérations militaires qui dirige les simulations de bataille à la division Q du Laboratoire Livermore. « Ce que nous voyons, c'est que si quelqu'un tire quelque chose sur moi, j'abats son projectile. Où qu'il soit, de 1 à 3 kilomètres de distance, je vais neutraliser son feu. Et quand il envoie ses drones - et ce sont des cibles difficiles à détruire - je peux les démolir. Un type de l'Army dit qu'il reçoit du feu depuis un flanc de colline boisé. Nous déclenchons un incendie à cet endroit. »

Mais oubliez la Guerre des Etoiles et les pistolets lasers déchirant l'air avec leurs rayons multicolores. Les lasers visibles n'ont jusqu'ici pas assez de punch sur la distance pour être des armes utiles. En fait, les lasers du champ de bataille seront largement invisibles. Les cibles vont exploser, se déchirer à mi-parcours ou s'enflammer sans cause apparente.

Les soldats ne vont pas prendre place derrière un canon laser. Les premiers systèmes lasers de combat sont conçus pour défendre des soldats et des avions US contre des obus et des missiles. Ce qui implique des systèmes informatisés pour le suivi, le ciblage et le tir plus rapides que les humains ne peuvent réagir.

Et les premières armes lasers du monde ne seront pas portées à la hanche : les candidats les plus mûrs au niveau technique sont des monstruosités tentaculaires qui pèsent 50 tonnes et remplissent l'essentiel d'un Boeing 747 ou, dans le cas du MTHEL de Northrop, un bâtiment entier, complété par des réservoirs chimiques ou des usines pour recharger les lasers.

Voilà ce que fut pendant des années l'histoire des armes lasers. Les lasers chimiques ont démontré leur capacité à émettre des rayons de forte puissance à de grandes distances - pour autant qu'ils aient suffisamment de produits chimiques. Le défi de Scwartz est de réduire son laser à un cinquième de sa taille et de le faire entrer dans deux containers embarqués dans un avion de transport C-130. « Est-ce que nous pouvons le faire ? », demande-t-il. « Nous pensons que oui. »

Mais certains responsables de l'Army craignent d'amener des réservoirs de produits chimiques toxiques et inflammables dans une zone de guerre. D'après un ancien responsable du Pentagone, une cartouche perforante et incendiaire au calibre 12,7 mm pourrait déclencher une explosion toxique. Dès que le laser cesse de tirer, il doit en outre évacuer des chimiques brûlants. Cette signature thermique et chimique pourrait faire d'une arme circulant dans deux remorques tractées une cible suspecte.



Avantage au laser à état solide

En définitive, les lasers du champ de bataille devront être plus compacts et assez mobiles pour entrer dans la queue d'un hélicoptère, dans le ventre d'un avion à réaction ou sur le siège arrière d'un Humvee. « Les lasers à état solide semblent être idéaux pour l'armement laser », souligne Thompson. « La conception de base semble être moins compliquée que les lasers chimiques ou à électrons libres, et ils semblent plus facile à installer, disons, dans un chasseur. Ils ont à terme davantage de potentiel, en raison de leur taille compacte et de la flexibilité de leur source d'énergie. »

Le laser électrique le plus puissant prend forme dans le laboratoire de Yamamoto à Lawrence Livermore, où la quête de la fusion à hydrogène a produit deux générations de spécialistes du laser. « Si vous voulez quelque chose d'assez petit et léger pour être mis sur un Humvee ou à l'arrière d'un hélicoptère, tout en ayant assez de punch pour faire quelque chose, alors vous avez besoin d'un laser à état solide », déclare Yamamoto.

Les experts s'accordent sur le fait que les lasers de combat nécessitent au moins 100 kilowatts de puissance. Le Pentagone veut voir qui obtient le premier 25 kilowatts en 2004. Or, Yamamoto est un vétéran de la construction de lasers et de la collision d'atomes. En comparaison, l'arme laser qui trône dans son laboratoire est simple : elle est modulaire, n'ajoute qu'une ou deux tranches de minéraux artificiels larges de 10 centimètres et les entoure avec des diodes. Yamamoto s'attend à dépasser 25 kilowatts à Noël et doubler ce chiffre au début de l'année suivante. Atteindre 100 kilowatts exigera des tranches plus grandes et plus nombreuses.

Le problème de Yamamoto est la chaleur. L'émission chauffe l'intérieur des cristaux et corrompt le rayon lumineux. Finalement, les tranches peuvent se fissurer et voler en éclats. Elles sont épaisses et ne se refroidissent pas bien dans l'eau ou l'air glacés. Les concepteurs du laser de Livermore ont eu une idée plus simple : construire deux lasers compacts ou davantage en cassettes et les faire tourner lorsqu'ils sont brûlants.

Mais la véritable innovation qui rend les lasers à état solide intéressants pour la défense sont les diodes à haute puissance. Au lieu d'utiliser des flashes comme le rubis de Maiman et la National Ignition Facility, le laser de Yamamoto est alimenté par plus de 8000 diodes. Ils sont 10 fois plus efficaces. En théorie, cela signifie qu'un litre de diesel actuel de l'Army coûtant à peine 1 dollar va générer assez d'impulsions lasers à tir rapide pour détruire un missile standard. Le travail revient actuellement à des missiles Patriot qui coûtent 3 millions de dollars la pièce.

La question demeure : est-ce que les lasers à état solide, qui aujourd'hui ressemblent à des projets scientifiques, pleins de verre, de miroirs et de baies d'électronique sensible, pourront supporter les conditions de combat ? « Vous devez mettre ces lasers dans le terrain pour voir s'ils fonctionnent. Si vous avez un accroc sur la route, est-ce qu'ils vont tenir ? Est-ce qu'il faudra cinq diplômés universitaires pour les faire fonctionner ? », s'interroge Campbell de General Atomics.

De plus, tous les canons lasers vont - dans un avenir prévisible - rester des armes de beau temps. Les particules dans l'air et la vapeur diffusent le rayon et réduisent énormément sa portée. Des adversaires intelligents vont attaquer sous la couverture de la fumée ou d'une météo peu clémente. « Avant tout, les lasers ne fonctionneront pas les mauvais jours », souligne Campbell. « Ils ne le pourront pas. »

Mais il en va de même pour la plupart des senseurs optiques dont dépendent les forces US pour leur méthode de combat accélérée par l'information. « Je suis sûr que bien des jeux peuvent être joués en termes de mesures, de contre-mesures et de contre-contre-mesures », souligne Scwartz. Mais l'estimation est que « si vous voyez une cible, vous pouvez la détruire. »



Texte original: Ian Hoffman, "Warfare at the speed of light", Oakland Tribune, 19.10.2003  
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat
  









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