La voiture piégée est aujourd'hui une arme
terroriste en voie de standardisation
7 septembre 2003
es attentats utilisant des véhicules banalisés et chargés d’explosifs sont depuis plusieurs décennies une arme des plus efficaces. Les mesures pour s’en prémunir sont coûteuses, complexes et parfois controversées.
L’attentat dévastateur du quartier-général des Nations-Unies, à Bagdad la semaine dernière [cet article a été écrit avant l’attentat de la mosquée de Najaf, note du traducteur], et les attaques par des taxis cette semaine à Bombay ont rappelé combien les voitures piégées peuvent être insidieuses et destructrices.
Même dans une ville où un haut niveau d’alerte est la norme, un terroriste suicidaire conduisant un camion chargé de munitions militaires a réussi à atteindre sa cible.
«... Les attentats à la voiture piégée ne sont pas des actes de terreur aléatoires, mais des moyens standards utilisés par les terroristes pour livrer une arme lourde. »
Le fait est qu’une automobile confère à ses occupants une zone privée à la fois mobile et instantanée, et que l’ubiquité de ces véhicules dans les sociétés modernes en font le parfait transporteur clandestin d’une large bombe.
Moyens simples et létaux
Dans le cadre de la guerre actuelle contre le terrorisme, il est important de se rappeler que les attentats à la voiture piégée ne sont pas des actes de terreur aléatoires, mais des moyens standards utilisés par les terroristes pour livrer une arme lourde. Nous avons des chasseurs-bombardiers à réaction, ils ont des berlines Toyota et des camionnettes GMC.
L’attentat des Nations-Unies, qui a tué au moins 23 personnes et blessé plus de 100 autres, est survenu deux semaines après qu’une voiture piégée a fait 17 morts devant l’ambassade de Jordanie à Bagdad. Et maintenant, les forces américaines regardent avec suspicion presque chaque véhicule dans les rues et sur les routes d’Irak en se préparant pour la prochaine attaque.
Dans des mains expertes, même une petite voiture peut être transformée en une bombe très destructrice. La gamme disponible des explosifs très puissants est plus grande que jamais – le C-4, le Semtex ou le TNT n’en sont que quelques uns. Et la létalité d’explosifs «improvisés» utilisant du nitrate ou du chlorate d’ammonium est bien connue. Les moyens de détonation sont abondants – transmetteurs électroniques, montres digitales ou téléphones cellulaires. L’OLP et les Israéliens ont par exemple tous deux utilisé des téléphones cellulaires pour faire exploser des bombes à distance.
Dans l’attaque horrible perpétrée sur l’île indonésienne de Bali, en octobre dernier, la bombe était apparemment un explosif «improvisé» constitué de TNT et de plastic artisanal à base de chlorate, pesant un peu plus de 90 kg et chargé dans un minivan Mitsubishi L-300 à l’air innocent. Elle a tué 191 personnes, blessés de nombreuses autres et dévasté tout un pâté de maisons.
Lorsque des véhicules utilitaires – comme ceux que conduisent plombiers, boulangers, charpentiers ou livreurs – entrent en scène, des bombes contenant des tonnes d’explosifs deviennent possibles. Mais il y a aussi les gros camions, si communs qu’on les voit partout. On voit l’ampleur du problème.
D’énormes camions piégés ont été utilisés dans l’attaque en 1983 sur les quartiers des Marines américains au Liban, tuant 241 militaires, dans la destruction du bâtiment fédéral Murrah à Oklahoma City et dans les deux attaques sur les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie en 1998.
Mesures de protection
De fait, les voitures piégées sont devenues si courantes que le grand public, loin des scènes de dévastation, les accueille avec une sombre résignation. Pendant ce temps, les responsables en matière de sécurité répugnent à discuter le dilemme que posent de telles bombes. Il y a vraiment peu d’options pour se défendre ponctuellement contre des bombes cachées dans des voitures ou des camions. On peut les résumer ainsi :
La création de «ralentisseurs», des zones ouvertes autour de cibles probables. Il y a généralement une trentaine de mètres ou davantage pour contribuer à empêcher un véhicule piégé d’être parqué trop près de la structure ;
Une architecture défensive, consistant à ériger de nouvelles structures fortifiées, à construire un périmètre de murs renforcés et à renforcer les bâtiments existants. L’installation de verres de sûreté est des plus importantes, car de nombreuses morts et blessures dans les attentats résultent de fragments de verres projetés par l’onde de choc ;
Une ligne finale de défense utilisant les dernières technologies de surveillance autour du périmètre d’un bâtiment ciblé – des images télévisées en circuit fermé de chaque voie d’approche et divers types de détecteurs électroniques pour peut-être «renifler» et percevoir la présence d’explosifs ou de détonateurs. Avec en plus du personnel de sécurité, parfois sous une couverture, qui se déplacent au-delà du périmètre en essayant de repérer des véhicules potentiellement piégés.
Ces mesures, qui impliquent des dépenses exorbitantes, peuvent apporter une certaine protection à un bâtiment ou à un site donné, mais les terroristes musulmans – en particulier les Palestiniens – ont introduit une nouvelle dimension rappelant les kamikazes japonais de la Seconde guerre mondiale – l’usage «routinier» du suicide dans la pose de bombes. Les couches de défense et de surveillance ne se sont pas souvent avérées efficaces contre un terroriste suicidaire conduisant un camion suffisamment lourd pour pénétrer à l’intérieur du «périmètre létal» d’un site visé.
De plus, lorsque des gardes réalisent que le conducteur d’un véhicule est prêt à se suicider, ils sont plus réticents à défier ou à approcher le véhicule suspecté. Ceci amène à carrément interdire les véhicules dans certaines zones, créant ainsi des inconvénients pour le public et isolant davantage encore le gouvernement ou les bureaux humanitaires de la population.
Et par-dessus tout, les terroristes ont toujours l’avantage de frapper là où leurs adversaires ne sont pas. Ils peuvent simplement choisir des cibles moins ou non protégées. Ceci était précisément le cas lors de l’attentat de l’ONU à Bagdad. L’hôtel abritant la mission de l’ONU était considéré comme une cible «molle», pas autant protégée que d’autres endroits dans la ville.
Renseignement et profilage
La seule réponse efficace contre les voitures piégées est bien sûr un travail proactif de renseignement et de sécurité. Disons-le tout net, ce terme brut recouvre une entreprise difficile, dangereuse, déplaisante et désordonnée. Il s’agit d’une offensive sans mélange contre ceux qui préparent et effectuent des attentats. Ce qui donne des brûlures d’estomac aux défenseurs des libertés civiles, parce que pour être couronné de succès, un tel effort doit être toujours constant, parfois féroce et souvent très intrusif.
Il exige une détermination extraordinaire, telle qu’on la voit seulement chez ceux qui se battent pour leur propre existence. L’Etat d’Israël vient à l’esprit. La grande partie des mauvais échos qu’Israël reçoit pour ses tactiques «impitoyables» contre le Hamas et d’autres organisations terroristes palestiniennes est le résultat non pas «d’un cycle de vengeances sans fin», mais de l’emploi des seules tactiques qui peuvent promettre d’empêcher les attentats comme celui qui a détruit un bus et tué 20 personnes la semaine dernière à Jérusalem.
Mener ce type de guerre implique de soupçonner chaque achat important d’engrais – de nitrate d’ammonium. Verser des pots-de-vin. Faire des erreurs. Etre soupçonneux et utiliser à son avantage les soupçons des autres. Pratiquer des actions clandestines comme celle qui a récemment démasqué un trafiquant d’armes britannique qui essayait de vendre des armes antiaériennes à des terroristes basés aux Etats-Unis.
Cela implique aussi de rechercher chaque fragment d’information, qu’il provienne d’un récépissé de quincaillerie, des comptes d’une société de location ou de livres que quelqu’un a empruntés dans une bibliothèque locale. Cela implique, si j’ose dire, des choses dures sur les bords, des choses qui se passent au fond de sombres ruelles et que nous ne voulons pas vraiment connaître.
Et cela implique le profilage. Le profilage des types de véhicules, des types de gens, des types de comportements, derrière le volant ou autrement. Une attentat à la voiture piégée potentiellement dévastateur a été empêché en septembre 2002 par Israël, parce que quelques volontaires se sont mis à soupçonner deux voitures, aperçues en train de quitter la Cisjordanie à haute vitesse et par une route secondaire vers 2 heures du matin. Alertée, la police a pris en chasse les voitures et en a retrouvée une, abandonnée. Elle contenait près de 600 kg d’explosifs, reliés et prêts à être mis à feu, qui n’ont tué personne en raison d’une action préemptive.
Texte original: Ralph Kinney Bennett, "An Insidious 'Standard Weapon'", Tech Central Station, 28.8.2003
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat