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Le matériel des Forces armées françaises est dans un état de détérioration alarmant 8 novembre 2002 n rapport d'information de l'Assemblée nationale française montre que l'état des équipements dans les différents armées s'est détérioré de manière alarmante ces dernières années. Les déficiences sont inégalement réparties, mais le taux de disponibilité insuffisant et l'âge des équipements exigent des mesures correctrices. Tour d'horizon. Après avoir longtemps été négligé au profit des achats d'équipements neufs, le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels des armées est devenu un enjeu de première importance. Soucieuse d'être éclairée avant que le débat sur ce texte important et attendu ne commence, la commission de la défense nationale et des forces armées a décidé, le 23 juillet, que soit rapidement conduite une sorte d'audit préliminaire sur l'état de l'entretien des matériels. Au terme de trois mois de travaux, il apparaît que la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des équipements de toutes les armées reste insatisfaisante, même si l'appréciation mérite d'être nuancée selon les matériels considérés. Jusqu'à présent, les forces ont pu remplir correctement leurs missions, et ce malgré un contexte international très exigeant, la participation des armées à l'intervention anti-terroriste en Asie centrale s'étant ajoutée à une mobilisation toujours forte dans les Balkans et en Afrique. Pour autant, il est permis de penser qu'une certaine limite est désormais atteinte et que, faute d'une prise du problème à bras le corps, les armées pourraient ne plus être en mesure d'assurer matériellement la totalité des missions qui leurs sont assignées. En outre, les incidences d'un entretien insuffisant ne sont pas uniquement d'ordre capacitaire, dans la mesure où les équipements sont également un outil de travail pour des soldats devenus professionnels, et même un lieu de vie pour les marins. Situation dans l'armée de terre La disponibilité opérationnelle des matériels conditionne à plus d'un titre l'efficacité des forces. Or, les principaux intéressés en conviennent eux-mêmes, l'entretien des matériels n'est actuellement pas satisfaisant. Une telle situation est d'autant plus préoccupante qu'elle a de sérieuses répercussions sur la motivation des personnels et les capacités opérationnelles des armées. Jusqu'au milieu des années 1990, le contexte géostratégique exigeait de disposer d'une DTO de 100 % pour tous les parcs de matériels majeurs. En 1996, l'évolution de ce contexte et la baisse corrélative des ressources budgétaires consacrées à l'entretien des matériels ont conduit l'armée de terre à limiter la DTO des parcs majeurs à 80 % pour les matériels terrestres et à 70 % pour les matériels aériens. Cette volonté s'est traduite par une baisse effective de la DTO à partir de l'année 1997. De 1998 à 2000, la DTO de ces matériels a connu une chute importante pour se stabiliser, au cours du 1er semestre 2001, autour de 68 % pour les matériels terrestres, hors parcs Leclerc et AMX 10 RC. Cette chute résultait à la fois :
La plupart des armements modernes nécessitent un remplacement aux alentours de trente ans de service. Or, une grande partie des équipements des armées a dépassé la moitié de sa vie opérationnelle. Avec de vieux appareils, la maintenance obéit à la loi des rendements décroissants: l'entretien réclame davantage de crédits, car les réparations sont plus lourdes, sans pour autant que l'amélioration de la disponibilité soit plus sensible, car le risque de panne est plus élevé. Par conséquent, faute de renouvellement, les dépenses d'entretien croissent, jusqu'au moment, de plus en plus fréquent, où il devient plus rationnel d'un strict point de vue budgétaire de désarmer certains équipements anciens, afin de les employer comme réserves de rechanges qui ne sont plus produites. L'armée de terre n'échappe pas à cette réalité. L'âge du parc de ses matériels et notamment des hélicoptères, conjugué à une utilisation très intensive des exemplaires opérationnels, contribuent à accélérer le phénomène de vieillissement et donc entraîner une disponibilité insuffisante. Dans le domaine des matériels roulants, la moyenne d'âge des parcs les plus anciens, c'est-à-dire les véhicules légers blindés AMX 10 P, les blindés à roues AMX 10 RC ou encore les moyens de transports de troupe (VAB) se situe entre 16 et 23 ans. Ce vieillissement des matériels a évidemment des effets importants puisque les pannes sont souvent imprévisibles et désorganisent une chaîne de maintenance prévue pour fonctionner en flux tendus. Au demeurant, le maintien d'une chaîne de maintenance industrielle sur le long terme va parfois à l'encontre des intérêts et de la rentabilité des constructeurs. Au-delà d'un certain seuil de vieillissement, il existe donc un réel risque de disparition des capacités d'entretien, sauf à concéder à celui-ci un niveau de crédits sans rapport avec les possibilités de l'armée de terre. La situation dans l'armée de l'air La disponibilité des appareils de l'armée de l'air s'entend comme la possibilité pour ces matériels d'être mis en vol dans un délai inférieur à 6 heures si les pièces sont disponibles. Ces dernières années, l'indisponibilité moyenne des appareils a augmenté, même si la qualification opérationnelle des pilotes et des avions reste conforme aux exigences d'interopérabilité et d'intervention en coalition, comme l'a démontré la participation de Mirage 2000-D aux bombardements alliés contre des positions d'Al Qaïda au-dessus de Gardez, du 2 au 18 mars 2002. Au regard du taux moyen de disponibilité des appareils des autres armées occidentales (inférieurs à 50 % pour les Tornado britanniques et à 40 % pour les Tornado allemands, par exemple), celui des appareils de l'armée de l'air française reste convenable. Cependant, les chiffres reflètent une certaine dégradation des capacités d'emploi, puisque le taux moyen de disponibilité des appareils de l'armée de l'air est passé de 77 % en 1996 à 66 % en 1998. Depuis lors, la situation est stabilisée, car ce taux se situait à 67 % en 2001. De fait, la disponibilité des flottes est contrastée : les flottes d'avions de combat (à l'exception des Mirage 2000, affectés par des problèmes techniques conjoncturels) et d'appareils de complément tendent à se rapprocher des objectifs définis par l'état-major (67 % en 2002 et 75 % pour 2003) ; en revanche, les flottes d'hélicoptères, d'avions de transport et d'aéronefs écoles rencontrent des difficultés à rétablir durablement leur niveau de disponibilité et à effectuer leur missions. La tendance est à la hausse, la cible de 67 % sera atteinte en 2002, sous réserve de résoudre les difficultés techniques aujourd'hui rencontrées sur certaines flottes. Il conviendra pour l'ensemble des acteurs de poursuivre les efforts, afin de garantir des effets durables. A partir de ce constat, une analyse détaillée fait apparaître certaines difficultés récurrentes : au titre des phénomènes désormais bien connus figure le vieillissement d'une partie de la flotte aérienne de transport. Ainsi, la disponibilité des C 160 Transall continue de diminuer inexorablement, même lorsque les crédits consacrés à leur entretien augmentent. Le taux de disponibilité de ces appareils s'élevait à plus de 69 % en 1997, pour un coût d'entretien avoisinant 120 millions d'euros. Il plafonne désormais à 55 %, alors même que le montant des crédits consacrés à sa maintenance a augmenté de près de 60 millions d'euros.
Certains cas sont plus surprenants, à l'exemple des Mirage 2000. Leur taux global de disponibilité est en effet passé de 64,9 %, en décembre 2001, à 52,2 %, en juin 2002, alors que la cible pour fin 2002 s'établit à 67 %, comme pour l'ensemble des flottes. Pour parer à cette situation lors de ses engagements opérationnels (déploiements ou exercices internationaux, par exemple), l'armée de l'air est donc contrainte de prélever des pièces sur le parc stationné en métropole, à savoir dans les unités elles-mêmes et sur les aéronefs stockés en réserve. Ce sont toutefois les appareils de l'armée de l'air qui, globalement, apparaissent les moins anciens. La moyenne d'âge des avions de combat est de quatorze ans en 2002. Même si certains appareils plus anciens (Mirage F1, Jaguar) sont toujours en service, dans l'ensemble, les avions de chasse, d'attaque au sol et de défense aérienne sont assez récents. Néanmoins, le vieillissement moyen de l'ensemble de la flotte s'accroît, au rythme actuel, à raison d'une année tous les quatre ans. En revanche, la situation de la flotte de transport est plus contrastée : la moyenne d'âge de plus de la moitié des appareils a dépassé les trente années de service. Une grande partie des C 160 Transall, dont les 46 premiers exemplaires sont entrés en service entre 1967 et 1973, ne pourra même pas permettre d'attendre les livraisons d'A 400 M, qui devraient commencer à partir de 2009, soit au mieux quatre ans après le retrait des C 160 de la première génération. La situation dans la marine nationale Avec 66 unités de combat, auxquelles s'ajoutent notamment des bâtiments de soutien, les navires de surface constituent la grande majorité numérique des unités de la marine. La disponibilité de la plupart de ces bâtiments, quelle que soit leur fonction opérationnelle, ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années. Le phénomène affecte autant les bâtiments de combat ayant vocation à intégrer un groupe aéronaval ou amphibie que des bateaux de moindre importance. Si le cas du porte-avions n'est pas statistiquement le plus probant, étant donné que la France ne possède qu'un bâtiment de ce type récemment mis en service, il n'en va pas de même pour les frégates anti-sous-marines, les avisos ou les chasseurs de mines, dont les niveaux de disponibilité sont respectivement tombés à 51,9 %, 59,2 % et 52,2 % pour les six premiers mois de cette année. Le cas des frégates antiaériennes et des transports de chalands de débarquement (TCD) est presque plus inquiétant, non pas tant en raison de chiffres qui illustrent la difficulté de maintenir opérationnel le nombre restreint de ces bâtiments spécifiques (3 frégates et 4 TCD), mais plutôt en raison de la place que de tels matériels occupent dans le concept de projection des forces. Les difficultés rencontrées par les navires de surface à l'occasion de leurs opérations d'entretien sont également ressenties dans les deux escadrilles de sous-marins. Le phénomène est un peu moins prononcé, il est vrai, au sein de l'escadrille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), mais, pour ce qui concerne les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), les chiffres des six premiers mois de cette année font état d'un niveau de disponibilité inférieur aux objectifs. Cette tendance nouvelle pour les sous-marins semble devoir s'accentuer, compte tenu de la lourdeur des opérations de maintenance et de l'organisation de la chaîne d'entretien en flux tendus. A Brest, les installations de l'Ile Longue sont âgées de trente ans et justifieraient des investissements supplémentaires en vue de leur modernisation. La situation de l'aviation embarquée, grâce à l'entretien conjoint des appareils avec ceux de l'armée de l'air, apparaît moins délicate car la disponibilité des appareils de combat semble se stabiliser. Les avions Super Etendard modernisés du groupe aéronaval présentent un taux de disponibilité plus que correct, compte tenu de leur âge avancé et de leur utilisation intensive ces dernières années, lors du conflit du Kosovo et en Afghanistan. Cependant, comme l'armée de terre, la marine rencontre de réelles difficultés dans le soutien de ses hélicoptères, notamment les Lynx.
A quelques exceptions près, comme le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et les cinq frégates de classe La Fayette, la grande majorité des bâtiments devra être renouvelée dans les quinze ans qui viennent. Certaines unités de la flotte de surface, dont porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, la frégate lance-missiles Duquesne ainsi que les transports de chalands de débarquement Orage et Ouragan, ont dépassé les trente années de service. La flotte de sous-marins est plus récente. L'âge avancé des bâtiments de surface n'est pas sans incidence sur le coût global de leur MCO : le désarmement anticipé, en 2001, de la frégate lance-missiles Suffren en offre une bonne illustration, puisqu'il a été décidé afin de maintenir en activité à moindre frais son sister-ship, le Duquesne. Cet exemple résume à lui seul l'alternative devant laquelle se trouvent désormais les armées : consacrer une part de plus en plus importante de leurs crédits d'investissement à l'entretien de matériels en fin de vie ou sacrifier certaines capacités à court terme, afin de poursuivre les programmes en cours. Synthèse des états La disponibilité des matériels est donc clairement insuffisante au sein des trois armées. Le taux de 60 % constitue pour chacune d'entre elles le niveau autour duquel se situe la disponibilité globale de leurs armements. Ce constat est sans nuances, car le décrochage de l'état opérationnel des équipements par rapport aux objectifs fixés lors de la professionnalisation des forces est patent. Subie par des personnels qui n'ont pas pour habitude de manifester publiquement leurs états d'âmes, cette situation n'a pas vraiment été perçue avec ses conséquences ces dernières années, car les missions ont continué à être remplies. C'est d'ailleurs tout à l'honneur des femmes et des hommes de l'institution militaire d'avoir fait passer leur devoir avant les conditions d'exercice de leur engagement. Cependant, le moral dans les troupes s'en est durement ressenti : comment pouvait-il en être autrement alors que les engagés sont désormais professionnels et que l'état des matériels détermine leurs conditions de travail, quand il ne s'agit pas leurs conditions de vie, à l'image des marins qui vivent pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois sur leurs bâtiments ? Les causes du mal sont profondes et pernicieuses. Les défaillances qui ont affecté la maintenance des matériels résultent d'une insuffisance des crédits budgétaires consacrés au maintien en condition opérationnelle, et l'effet d'inertie des régulations budgétaires est dévastateur pour le cycle de la maintenance. Le vieillissement des matériels, qui obère directement leur niveau de disponibilité opérationnelle, est également au nombre des conséquences de budgets insuffisants. D'ores et déjà, l'entrée en service du char Leclerc s'est accompagnée d'un accroissement de 44 % du coût global des rechanges en faveur des blindés. La marine est déjà confrontée au même type de problèmes pour l'entretien des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs de missiles stratégiques. De même, il est acquis que la maintenance des hélicoptères de combat Tigre coûtera quatre fois plus cher à l'armée de terre que celle de leurs prédécesseurs Gazelle, et l'armée de l'air s'attend à une évolution similaire pour le Rafale. C'est dire les défis qui attendent les armées en matière d'entretien des matériels ces prochaines années. Source: Assemblée nationale, Rapport d'information sur l'entretien des matériels des armées, 23.10.02 © 1998-2002 CheckPoint |