La fin de la furtivité n'est qu'une question de temps après une découverte britannique
30 juin 2001
epuis plus d'une décennie, le Pentagone a décrit le bombardier B-2 comme typique de l'avenir – un armement high-tech capable d'infliger des coups violents tout en restant invisible au radar. Mais la semaine dernière, une société de recherche britannique a annoncé avoir conçu un appareil utilisant le trafic ordinaire de la téléphonie mobile pour localiser les avions furtifs.
Il s'agit d'un système transformant le nuage des signaux radios émis par les tours de téléphonie cellulaire en un détecteur radar passif. Là où le B-2 peut esquiver la plupart des radars en réfléchissant leurs signaux dans des directions bizarres, ce système place un nouveau réseau d'antennes pour recevoir ces ondes radios déviées.
«... La puissance de calcul a rendu possible les avions furtifs voici une décennie,
et elle rendra la furtivité impossible à l'avenir. »
«... La puissance de calcul a rendu possible les avions furtifs voici une décennie,
et elle rendra la furtivité impossible à l'avenir. »
L'annonce britannique a suscité le scepticisme de l'US Air Force et d'experts militaires américains, mais pas de démenti absolu. Même si l'appareil ne fonctionne pas encore comme annoncé, ont déclaré des experts américains, il est basé sur une technologie qu'ils pensent pouvoir en définitive dépouiller les avions furtifs de leur invisibilité virtuelle. "Il n'existe pas d'avantage militaire permanent", a relevé John Pike de GlobalSecurity.org, un groupe de politique de défense. "La puissance de calcul a rendu possible les avions furtifs voici une décennie, et elle rendra la furtivité impossible à l'avenir."
Décollant de la base de l'Air Force de Whiteman, environ 100 km au sud-est de Kansas City, la flotte nationale de bombardiers furtifs B-2 a effectué de nombreuses missions de bombardement en Yougoslavie, en 1999, sans être jamais touchée. Même s'il est incertain que le bombardier anguleux et en forme de chauve-souris ait dû éviter des radars serbes, il a été considéré comme un succès de la furtivité.
200'000 dollars par unité
La semaine dernière, la firme britannique Roke Manor Research, filiale du géant de l'électronique Siemens AG, a annoncé avoir développé une technologique utilisant les transmissions des tours existantes de téléphonie mobile pour déjouer la technologie de la furtivité.
Roke Manor a déclaré que ses unités de détection – actuellement de la taille d'une voiture de sport, mais bientôt au format d'un porte-documents – pourraient être vendues pour moins de 200'000 dollars. Les 21 B-2 américains coûtent environ 2 milliards de dollars chacun, bien que Northrop Grumman ait récemment proposé d'en construire davantage pour environ un quart de ce prix. "Cette percée technologique récente... pourrait avoir des conséquences phénoménales sur l'utilisation d'avions furtifs dans des situations militaires," a déclaré Roke Manor dans un communiqué de presse.
Selon John Pike, il faut "accueillir ces affirmations avec scepticisme." Owen Cote, directeur-adjoint des études de sécurité au Massachusetts Institute of Technology, a dit également douter du fait que la société dispose d'un système pratique et opérationnel. Dans une déclaration préparée la semaine dernière, l'Air Force a relevé que les annonces sur cette technologie "suggéraient un malentendu tenace sur les applications pratiques d'un tel avantage anti-aérien."
Malgré tout, parmi les experts existe un consensus qu'un tel système pourrait et finalement devrait fonctionner. Le problème technologique est surtout celui de la puissance informatique – ce qui devient de moins en moins cher à résoudre.
«... Les processeurs actuels devraient être assez puissants pour reconstituer un signal de téléphone cellulaire rebondissant au hasard sur un bombardier en vol. »
«... Les processeurs actuels devraient être assez puissants pour reconstituer un signal de téléphone cellulaire rebondissant au hasard sur un bombardier en vol. »
Le principal problème pratique serait qu'un utilisateur devrait déployer un vaste réseau de récepteurs jumelés aux tours de téléphonie mobile. Ensemble, les récepteurs et les tours formeraient un système radar passif, qui aurait un avantage important sur les systèmes radars actifs existants, puisque le pilote de bombardier ne serait plus averti de la détection de son avion.
Les radars traditionnels émettent des signaux radios. Ces signaux rebondissent sur un objet, comme un avion, et reviennent au récepteur. Le temps nécessaire au signal pour revenir indique l'éloignement de l'objet. Avec un radar traditionnel, la modulation et la fréquence du signal peuvent être minutieusement réglées pour produire l'écho le plus facile à lire. Les tours de téléphonie cellulaire – de même que les stations TV et radios ainsi que les tours de contrôle du trafic aérien – émettent des flux presque constants de signaux radios. Mais leurs fréquences sont conçues pour parler, pas pour produire des échos. Ils rebondissent en grande partie comme du bruit.
Pendant des années, déchiffrer les échos mélangés s'est avéré trop compliqué. Mais dans l'intervalle la loi de Moore, cette prédiction que les ordinateurs doubleraient leur vitesse de calcul tous les 18 mois, a été vérifiée. Les processeurs actuels, selon les experts, devraient être assez puissants pour reconstituer un signal de téléphone cellulaire rebondissant au hasard sur un bombardier en vol. "Vous vous appuyez sur toute l'énergie des fréquences radios au loin," a souligné Owen Cote. "Je ne pense pas que quiconque doute de sa faisabilité finale."
Les Etats-Unis ont déjà quelque chose de semblable. Le système Silent Sentry de Lockheed-Martin utilise les signaux des radios FM à basse fréquence et des TV VHF pour localiser des objets volant à basse altitude, comme des missiles de croisière. L'Air Force a précisé dans sa déclaration la semaine dernière que les premiers tests du Silent Sentry n'ont pas démontré qu'il pouvait être "contre-furtif."
Attraper les signaux
Les experts pensent qu'un système s'appuyant sur les fréquences des téléphones cellulaires pourrait facilement recouvrir les zones traversées par les B-2 volant à haute altitude. Tout dans le B-2 vise à éviter le radar. Son revêtement presque lisse et sa peinture spéciale absorbent le radar, de sorte qu'il n'y a presque pas de signal à rebondir vers le récepteur. Sa forme d'aile volante aux bords triangulaires et arrondis est conçue de telle manière que lorsque les signaux radio sont réfléchis, ils ne rebondissent pas proprement.
Mais avec le projet des téléphones cellulaires, les signaux radios remplissent l'atmosphère jusqu'à de hautes altitudes et dans différentes directions. Il s'appuie également sur l'utilisation de nombreux récepteurs – les appareils que la société britannique voudrait associer aux tours existantes – pour attraper ces signaux radios déviés dans tous les sens par un avion furtif.
Et attraper n'est pas un vain mot. Owen Cote a relevé que construire un système de détection serait comparable d'une certaine manière à construire un réseau de téléphonie cellulaire – coûteux et exigeant un savoir-faire technologique. "Les gens connaissent ce concept depuis un certain temps," a déclaré Cote. "La question est de savoir si un adversaire est prêt à déployer quelque chose de semblable."
Les experts ont déclaré douter que des pays comme la Chine, la Corée du Nord ou l'Irak sont prêts à s'entourer d'un tel système radar passif. "Je ne peux le voir se produire ces prochaines années," a souligné Andrew Krepinevich, directeur exécutif pour le Center for Strategic and Budgetary Assessments. "La différence entre fonctionner en théorie et fonctionner dans la pratique peut souvent être substantielle."
«... Les qualités furtives d'avions tels que le B-2 sont efficaces pour quelque temps encore, mais elles vont inévitablement décliner avec le temps. »
«... Les qualités furtives d'avions tels que le B-2 sont efficaces pour quelque temps encore, mais elles vont inévitablement décliner avec le temps. »
Des pays pourraient être capables de diminuer les coûts en plaçant les récepteurs comme barrières virtuelles plutôt que sur de vastes zones. Ils pourraient de la sorte détecter un avion pénétrant dans une région, au lieu de le suivre sur de longues distances. "Le nombre de détecteurs que vous utilisez est en fait une question économique," a précisé Greg Duckworth, directeur scientifique à BBN Technologies. "Vous pouvez ainsi choisir entre couverture ponctuelle et couverture de zone."
Duckworth et d'autres experts ont noté qu'un système attrapant les signaux radios de plusieurs endroits pourraient finalement surmonter la conception furtive du B-2 et du chasseur-bombardier F-117. Cela pourrait cependant inciter un pays disposant d'avions furtifs à attaquer en premier une série de tours de téléphonie mobile.
"Mesures et contre-mesures sont l'essence de la planification militaire," a rappelé John Pike. "Des avions impossibles à abattre durant la Première guerre mondiale n'auraient été que des jouets durant la Seconde guerre mondiale. Des avions presque invincibles durant la guerre du Vietnam sont aujourd'hui de simples cibles. Les qualités furtives d'avions tels que le B-2 sont efficaces pour quelque temps encore, mais elles vont inévitablement décliner avec le temps."
Texte original: Scott Canon, "Stealth's Unmasking Only A Matter Of Time", The Kansas City Star, 17.06.01
Traduction: Cap Ludovic Monnerat
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