Entraînés par Saddam pour défier la Dame de Fer : 25 ans après l'opération Nimrod du SAS

21 mai 2005

Opération NimrodV

oici 25 ans que la libération des otages de l’ambassade d’Iran par le SAS a placé les forces spéciales sous les feux de la rampe pour leurs capacités antiterroristes à domicile. Mais le terrorisme a bien changé dans l’intervalle.

C’était son premier test important, un instant crucial qui a contribué à forger sa réputation comme l’un des Premiers ministres britanniques les plus redoutables. Lorsque 6 terroristes armés jusqu’aux dents ont pris d’assaut l’ambassade d’Iran à Kensington, ils ont plongé la Grande-Bretagne dans une crise. Mais lorsque celle-ci s’est achevée et qu’un seul des preneurs d’otage vivait encore, une question a été posée – est-ce que la Dame de Fer a donné l’ordre au SAS de tous les tuer ? Nombreux sont ceux qui le pensent toujours aujourd’hui.


«... Dans un assaut fulgurant, une douzaine de soldats d'élite sont descendus en rappel le long des murs de l'ambassade et se sont frayés un passage dans le bâtiment. »


Bien que le pays subissait les atrocités de l’IRA depuis une décennie, c’était la première fois que l’ombre du terrorisme international était jetée sur l’île britannique, obligeant les dirigeants politiques, militaires et policiers à fournir une réponse. De manière somme toute décisive et mortelle.



Aucun ordre de tuer les terroristes

Entraînés par Saddam Hussein comme un avant-goût de ce qui devait venir du tyran irakien, 6 Iraniens se sont emparés de 26 otages lorsqu’ils ont attaqué l’ambassade de Princes Gate, le 30 avril 1980. Les caméras du monde entier étaient braquées sur le bâtiment lorsque les officiers antiterroristes de la police se sont lancés dans 6 pénibles journées de négociation avec les preneurs d’otage, afin de trouver une conclusion pacifique à ce siège.

Mais le lundi 5 mai, tout espoir d’un accord négocié a disparu dans une grêle de balles. Le SAS a été engagé après que l’un des otages a été abattu et que son corps a été balancé en-dehors de l’ambassade. Dans un assaut fulgurant, une douzaine de soldats d’élite sont descendus en rappel le long des murs de l’ambassade et se sont frayés un passage dans le bâtiment. Treize minutes plus tard, ils en sont sortis avec tous les otages sauf d’entre deux. Cinq des six preneurs d’otages avaient été abattus.

Le Premier ministre Margaret Thatcher avait répondu de façon mortelle à la question posée par les terroristes. Des rumeurs ont ensuite circulé sur le fait que la Dame de Fer ait donné l’ordre au SAS de faire en sorte qu’aucun preneur d’otage ne reste en vie.

Mais 25 ans après ces événements fatidiques, Clive Fairweather, qui comme commandant en second du « régiment » était impliqué de près dans la planification de l’opération Nimrod, ne transige pas : aucun ordre sanguinaire de ce type n’a été donné. L’un des SAS engagé dans l’opération a déclaré peu après celle-ci qu’un message très sensible avait été reçu de Thatcher juste avant le début de l’attaque. Il a été transmis verbalement à l’équipe d’assaut. Selon ce soldat, « le message disait que nous devions résoudre la situation, qu’il ne devait y avoir aucun risque d’échec et que les otages devaient absolument être protégés. Le Premier ministre ne voulait pas qu’un problème subsiste au-delà de l’ambassade – ce que nous avons pris comme disant qu’ils ne voulaient aucun survivant parmi les terroristes. »

Le SAS et le Ministère de la Défense ont toujours refusé de commenter le mémo, alimentant les rumeurs selon lesquelles Thatcher voulait la mort des preneurs d’otage. Mais Fairweather, qui a atteint le grade de colonel dans l’armée avant de devenir l’inspecteur des prisons de Sa Majesté en Ecosse, affirme que les instructions du Gouvernement étaient assez différentes.

« Le Ministère de l’Intérieur (Home Secretary), Willie Whitelaw, a donné à tout le monde des ordres clairs », dit-il. « Ils disaient qu’il nous fallait de jouer avec le temps, que les lois devaient être en permanence respectées, que la police devait être responsable et que seule une force minimale pouvait être utilisée dans le but de secourir tous les otages. Sa dernière instruction était qu’aucun terroriste ne devait pouvoir quitter le pays. Beaucoup de gens, avec un clin d’œil ou en haussant les sourcils, ont pensé que cela signifiait ‘tuez-les’. C’est faux. Cela signifiait simplement que nous aurions pu les faire sortir de l’ambassade et les amener à Heathrow, mais que personne ne quitterait l’espace aérien national. Les gens ont pensé que le message de Thatcher était ‘liquidez-les’, mais ce n’était pas le cas. Le message parlait de secourir les otages, pas de tuer les terroristes. »

D’emblée, insiste Fairweather, le plan visait à éviter un bain de sang. « La police, qui avait superbement bien contrôlé l’opération pendant 6 jours, voulait toujours obtenir une issue pacifique. Les terroristes voulaient de la publicité pour leur cause, ce qu’ils ont eu. Mais ils ont littéralement perdu la boule quand ils ont commencé à essayer d’impliquer d’autres pays arabes dans les négociations. Ils devaient être épuisés. Ils seraient probablement toujours en vie aujourd’hui s’ils n’avaient pas ouvert le feu sur l’un des otages. En définitive, la police n’avait aucun autre option que confier l’assaut au SAS. On devrait dire que le SAS a joué un très petit rôle dans l’opération par rapport à la police. »

L’insistance britannique pour que les terroristes ne quittent pas le pays était issue de l’affaire Leila Khaled, qui avait plongé le Gouvernement conservateur d’Edward Heath dans une crise internationale 10 ans plus tôt. En septembre 1970, 4 avions de ligne avaient été détournés par le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), une faction radicale. Deux des avions ont été amenés sur un ancien aérodrome de la RAF du nom de Dawson’s Field, dans le désert jordanien. Un troisième a été détruit au Caire après la libération des passagers et de l’équipage. Le quatrième détournement s’est achevé lorsque les deux terroristes impliqués ont été maîtrisés à bord de l’appareil. L’un a été tué et l’autre, une femme nommée Leila Khaled, a été arrêtée. L’avion a été redirigé vers Heathrow, l’aéroport le plus proche, et Khaled a été placée en détention.

Le FPLP a demandé sa libération et, quelques jours plus tard, le groupe a détourné un autre avion de Bombay à Beyrouth. Plus de 300 otages, dont 65 Britanniques, étaient alors entre ses mains. Les négociations ont commencé et une partie des otages ont été libérés. Mais les pirates de l’air étaient impatients et ont fait sauter les trois avions. La situation des otages semblait de plus en plus périlleuse, et la pression augmentait sur les Gouvernements de Grande-Bretagne et de Jordanie. Le Premier ministre Heath a fini par accepter l’échange de Khaled et des otages, suscitant la fureur d’Israël et dégradant les relations avec les Etats-Unis.

Après le « septembre noir », l’attitude britannique face aux terroristes était gravée dans le marbre – aucun accord. « Il y a eu beaucoup de critiques contre Edward Heath par la suite, ce qui a vraiment scellé le sujet », affirme Fairweather. « Nous ne devions plus jamais laisser des terroristes sortir du pays. »



L’entrée en scène d’un nouvel ennemi

Alors que le siège de l’ambassade d’Iran a été un tournant pour le SAS, poussant pour la première fois les unités d’élite britannique sous les feux de la rampe, les événements dramatiques d’avril 1980 ont également révélé un adversaire formidable sur la scène internationale. Tout au long de l’affaire, c’est en effet la main discrète de Saddam Hussein qui tirait les ficelles. Et s’il ne fut pas le cerveau du siège, le leader irakien de l’époque en a certainement été le sponsor principal.

A la suite de l’opération Nimrod, il est apparu que l’Irak avait entraîné et armé les 6 preneurs d’otage dans le but d’embarrasser son ennemi, l’Iran. Le drame qui s’est déroulé à Princes Gate était un prélude à la guerre Iran-Irak qui devait éclater 4 mois plus tard et faire des millions de morts. Le siège était également le premier round de la bataille entre l’Occident et Saddam qui s’est achevée voici deux seulement, avec la chute de son régime par l’entremise des soldats américains et britanniques.

Clive Fairweather, qui commandait en second le SAS lors de la libération des otages de l’ambassade, pense que Saddam a trouvé l’inspiration de son plan audacieux dans la prise des otages américains, l’année précédente à Téhéran.

Les Forces armées US avaient lancé l’opération Eagle Claw pour libérer 53 citoyens retenus prisonniers depuis le 4 novembre 1979, lorsqu’une foule s’était emparée de l’ambassade américaine dans la capitale iranienne. Mais l’opération a été annulée après que des problèmes techniques ont mis hors service 2 des 8 hélicoptères de la Navy et des Marines et qu’un troisième a rebroussé chemin en raison d’une tempête de sable. Les 5 appareils restants étaient un de moins que le minimum nécessaire pour continuer.

Six avions de transport de l’Air Force avait déposé des opérateurs de la Force Delta de l’Army et du carburant pour les hélicoptères, qui devaient emmener les soldats à Desert One, un secteur d’attente clandestin près de Téhéran. Mais la mission n’est jamais allée aussi loin. Après l’ordre d’annulation, un hélicoptère a tenté de quitter Desert One dans un nuage de poussière mais s’est écrasé un C-130 parqué qui transportait 44 opérateurs Delta, entraînant la mort de 8 militaires.

La crise des otages, selon Fairweather, a amené le leader irakien a organiser un événement similaire pour embarrasser ses proches ennemis. « Je pense que Saddam a vu cela et s’est dit, ‘Pourquoi ne pas faire quelque chose à Londres ?’ Il a entraîné les preneurs d’otages, les a armés et envoyés à l’ambassade. Six terroristes voulaient l’autonomie du Khouzestan et Saddam avait envie de créer des problèmes. Ils ont dit être venus à Londres parce qu’ils savaient recevoir une attention de la part des Britanniques. Mais ils savaient aussi, bien entendu, qu’ils auraient celle des médias du monde entier. »

Fairweather révèle que Saddam a non seulement préparé les terroristes, mais était également impliqué dans le plan horaire de l’attaque. « Un officier de renseignement irakien était à Londres depuis mars et est parti le jour où les six hommes sont entrés dans le bâtiment. C’était bel et bien une opération irakienne. » Et il ajoute que les armes utilisées par les terroristes étaient probablement arrivées en Grande-Bretagne par la valise diplomatique.

A la fin de 1980, Bagdad et Téhéran s’étaient embarqués dans une guerre féroce qui devait les occuper pour les 8 années à venir. Par la suite, Saddam l’expansionniste a porté son attention sur le Koweït, ce qui a déclenché la Guerre du Golfe et, en définitive, l’invasion controversée de l’Irak en mars 2003 décidée par George Bush et Tony Blair. « Vingt-cinq ans plus tard, nous devons toujours faire avec les conséquences », affirme Fairweather.

Alors que Saddam a laissé sa marque indélébile sur la scène politique globale depuis avril 1980, le visage du terrorisme international a presque changé du tout au tout. « Durant ces journées naïves, la police et nous-mêmes négocions avec des terroristes que nous imaginions vouloir regagner leur pays. Les mots d’attentat suicide ne nous traversaient pas l’esprit. Nous avons pensé que l’ambassade pouvait être piégée avec des explosifs, mais nous pensions avant tout traiter avec des gens logiques, ‘raisonnables’, qui être ouverts à la négociation. »

Le terrorisme nouveau, imprévisible et plus meurtrier d’aujourd’hui pose au « régiment » et à ses maîtres un défi énorme. « Les circonstances des opérations du SAS ont immensément changé depuis Princes Gate », souligne Fairweather, qui était major à l’époque. « Premièrement, comment peut-on négocier avec des terroristes suicidaires ? Un quart de siècle plus tôt, les terroristes se comportaient d’une manière relativement prévisible. De nos jours, la seule autorité avec laquelle un terroriste suicidaire peut négocier n’est autre que son Créateur. »

« Deuxièmement, la dimension des opérations a évolué de façon disproportionnée. Regardez le théâtre de Moscou et Beslan. Vous pouvez avoir des centaines d’otages et un nombre bien plus grand de terroristes. En 1980, nous faisions à une ambassade de 6 étages qui comptait 50 pièces. Imaginez ce qui se passerait si des terroristes s’emparaient d’un centre commercial dans une de nos villes ; combien de gens seraient à l’intérieur un samedi matin ? »

« Et une fois de plus, comment faites-vous sous les caméras de télévision ? La pression de la politique et du public a augmenté d’un cran depuis Princes Gate, en raison de la cruauté croissante des terroristes et de l’impact des médias télévisés. La fascination du public pour ce qui est essentiel un film snuff [censé montrer une mort violence en direct, NDT] semble s’être intensifiée depuis le siège de l’ambassade d’Iran. »



Texte original: Michael Howie, "Trained by Saddam to test the Iron Lady", The Scotsman, 3.5.05  
Traduction et réécriture: Lt col EMG Ludovic Monnerat
   








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