La grande expérience de Cambrai en 1917, et le premier emploi massif des chars
13 juillet 2003
Cambrai, en novembre 1917, une force blindée de plus de 300 véhicules a fait une percée de 6 kilomètres dans les lignes allemandes en l'espace d'une seule matinée, une avance comparable à celle faite à Passchendaele en 4 mois. Le char a ainsi été la principale innovation tactique de la Première guerre mondiale.
De nombreux historiens considèrent les événements de novembre 1917 comme la fin de cavalerie sur les champs de bataille européens – et c'était certainement l'intention des ingénieurs britanniques qui ont travaillé sur ces mastodontes au début de la guerre. Au fur et à mesure de celle-ci, les Allemands ont développé des initiatives tactiques et opératives pour essayer de rompre le statu quo du front occidental. Les Britanniques et les Français, d'un autre côté, ont décidé de se concentrer sur les progrès technologiques pour se frayer un chemin menant à la victoire.
«... L'époque de la guerre de tranchées s'achevait et la technologie commençait à régner sur les champs de bataille européens. »
Les premiers chars, connus sous le nom de "vaisseaux terrestres autopropulsés et blindés", ont uniquement été employés avec parcimonie jusqu'à la grande expérience de Cambrai. Au sein du commandement supérieur britannique et français, il y avait initialement deux écoles de pensée – les traditionalistes qui préféraient l'usage actuel de l'infanterie et ceux qui appuyaient les innovations technologiques. Lorsque les premiers chars se sont mal comportés sur la Somme, un retentissant "je vous l'avais bien dit !" fut entendu dans les rangs des traditionalistes. Une année plus tard, sur la deuxième Aisne, la plupart des machines ont été détruites pendant l'approche, et les traditionalistes ont conclu que les vaisseaux terrestres ne seraient jamais un outil valable sur le champ de bataille.
Un contingent de 324 chars
Réalisant que la technologie s'était suffisamment développée et qu'un terrain adapté était nécessaire pour l'emploi des chars, les brigadiers-généraux H. Elles et H. H. Tudor ont recommandé Cambrai comme une zone convenable. L'attaque devait intégrer d'impressionnants et nouveaux plans tactiques pour la coopération entre les unités blindées et d'infanterie, développés par un officier d'état-major du Corps blindé, le lieutenant-colonel J. F. C. Fuller. En bref, cette tactique amenait les chars à foncer et à briser les lignes de barbelés pour que l'infanterie puisse les traverser, puis appuyer par le feu les soldats qui avançaient – un changement par rapport à aux charges linéaires qui avaient déjà coûté la vie de millions d'hommes.
En plus de cette tactique, Tudor avait suggéré de renoncer à un bombardement préliminaire qui avertirait les Allemands de l'assaut imminent. Avant les batailles précédentes, l'artillerie pilonnait les lignes ennemies pendant des jours sans discontinuer, dans l'espoir d'éliminer le système de tranchées et les enchevêtrements de barbelés. A Cambrai, les Allemands s'attendaient à un bombardement préalable massif, car ils occupaient la ligne Hindenburg – une large série de tranchées et de groupes de barbelés qui rendaient impossible toute surprise tactique par l'artillerie.
Après avoir prudemment évalué l'opération, le général Sir Douglas Haig a réuni 19 divisions sous le commandement de la IIIe Armée du général Julian Byng – et il a accepté la demande d'employer la totalité du Corps blindé et de ses quelque 324 chars. Dans cette force étaient intégrées 14 escadrilles du Royal Flying Corps, ainsi que trois unités de cavalerie britanniques et deux indiennes. Dans le secteur de Cambrai, les Allemands n'avaient que 6 divisions, mais elles étaient fermement retranchées. L'objectif de Byng était de percer la ligne Hindenburg, de s'emparer du canal de St-Quentin et de pousser jusqu'à Cambrai.
La ligne allemande allait en direction nord-ouest, de sorte que si les Britanniques atteignaient le canal, ils devraient encore franchir quelque 16 km pour que leur attaque soit un succès. Les deux tiers de la force blindée devaient attaquer la ligne Hindenburg, pendant que le reste serait gardé en réserve pour attaquer une position défensive 5 km derrière. Ce qui fut la première faute tactique de Byng. Bien que les chars à sa disposition étaient d'une bien meilleure qualité que ceux employés sur la Somme, ils restaient toujours archaïques et ne pouvaient atteindre le front sans qu'une panne mécanique ne se produise. N'utiliser qu'un tiers de cette force pour un deuxième objectif aussi fort était un pari tentant.
A 0620, le 20 novembre 1917, l'air froid du matin fut déchiré par l'éruption simultanée de plus de 1000 pièces d'artillerie appartenant à la IIIe Armée de Byng. Lorsque la fumée se dissipa, les soldats allemands furent époustouflés de voir une flotte massive de vaisseaux terrestres rampant lentement vers eux, avec des milliers d'hommes derrière. Nombre d'entre eux prirent la fuite et la défense allemande commença rapidement à s'effondrer. A l'approche de la ligne Hindenburg, les soldats britanniques déposèrent le bois qui était transporté par les chars, afin que les véhicules puissent passer par-dessus le large système de tranchées. Beaucoup s'immobilisèrent dans les remblais et furent abandonnés. Cependant, peu de chars furent mis hors service par le feu ennemi.
Au soir, les Britanniques avaient avancé de quelque 5 km et le système de tranchées Hindenburg était officiellement percé. Mais 179 chars étaient hors de combat, dont 65 par l'action des armes allemandes, et leur objectif n'avait pas été atteint. Le but principal de la campagne était de prendre l'importante position défensive située dans les bois de la crête de Bourlon, mais l'avance suspendue compliquait l'entreprise. L'élément de surprise avait presque complètement disparu, et le prince Rupprecht déversait de larges quantités de renforts dans la brèche. Quatre divisions allemandes arrivèrent le 21 novembre, alors que sept autres étaient en route.
Dans un vaste choc en terrain ouvert, une anomalie à ce stade de la guerre, les Allemands ont repoussé les Britanniques. Se retrouvant eux-mêmes dans un saillant large de 11 km et profond de 6, ceux-ci ont réalisé que leur situation était précaire. Le général von der Marwitz, commandant la IIe Armée allemande, a également réalisé la nature de la position britannique et demandé au Haut commandement l'autorisation d'encercler cette force. Même l'esprit logique du prince Rupprecht l'amenait à voir l'opportunité d'infliger une défaite partielle à l'Armée britannique – une opportunité que l'Armée allemande n'avait pas vu depuis des années.
A la fin du 27 novembre, la IIe Armée reçut l'ordre de lancer une contre-attaque en frappant le flanc sud du saillant britannique. Mystérieusement, bien que cette avance ait été détectée par les postes d'observation britanniques, rien n'a été fait pour contrer le mouvement allemand. Après un bombardement intense, les Allemands avancèrent à 0830 et firent une percée d'environ 5 km ; non seulement en refermant l'étau, mais également en occupant un territoire précédemment tenu par les Britanniques. Cette avance aurait probablement pu être poursuivie, mais dans un signe avant-coureur de 1918, les soldats allemands affamés par leur diète de pain et de navets "K" se sont fréquemment arrêtés pour piller les stocks britanniques de leur nourriture et de leur rhum.
Sur le flanc nord, les Allemands ont descendu les crêtes du bois de Bourlon pour se jeter dans les dents des défenses britanniques. Les soldats retranchés ont fauché les Allemands alors qu'ils s'élançaient dans une série de doubles vagues, comptant parfois 8 ou 10 rangs. Dans la soirée du 30 novembre, le prince Rupprecht déclarait que "si le succès n'est de loin pas aussi grand qu'escompté, il doit néanmoins être noté que l'ennemi a subi une défaite abrupte."
Alors que la bataille de Cambrai s'atténuait, de petites escarmouches continuèrent jusqu'à ce qu'un immense blizzard frappe le secteur le 3 décembre. Le même jour, Haig demanda un retrait partiel, car le saillant était bien trop difficile à maintenir. La gauche et le centre reçurent l'ordre de se replier sur Flesquieres et une section de la ligne Hindenburg le 4 décembre. Les gains sur le flanc nord étaient à présent la moitié des terrains perdus au sud. A la fin, les pertes s'élevaient pour les deux camps à environ 45'000 hommes. Les Britanniques avaient pris 11'000 prisonniers, contre 9000 pour les Allemands.
Bien que le résultat de la bataille sont un match nul, avec un changement mineur des lignes de front, Cambrai a marqué un tournant dans la guerre – et dans l'histoire militaire toute entière. L'époque de la guerre de tranchées s'achevait et la technologie commençait à régner sur les champs de bataille européens.
Texte original: Robert W. Martin, "The Great Experiment at Cambrai, 1917", Military History, 6.8.01
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat