Le massacre de Munich reste le symbole des faiblesses européennes face au terrorisme
5 janvier 2003
rente ans après, le raid palestinien dans le village olympique et les mesures lamentables prises par les autorités allemandes restent un symbole des faiblesses européennes face au terrorisme. Même s'il a déclenché ou orienté la formation de nombreuses unités antiterroristes, le massacre de Munich reste une page noire de l'histoire récente.
Peu après 0400 le 5 septembre 1972, huit membres lourdement armés du groupe terroriste Septembre Noir, une faction de l'OLP, arrivèrent dans la banlieue de Munich et escaladèrent la barrière protégeant les milliers d'athlètes dormant dans le village olympique. Portant des fusils d'assaut et des grenades, ils se ruèrent jusqu'à l'appartement n°1, au 31 de la Connollystrasse, le bâtiment hébergeant la délégation israéliens aux "Jeux de la Paix et de la Joie", et se glissèrent dans le foyer. Yossef Gutfreund, un arbitre de lutte mesurant 1m96, fut le seul à être réveillé par les bruits étouffés de l'extérieur. Alors qu'il marchait vers la porte, elle s'ouvrit de quelques centimètres. Le sommeil sombra soudain dans l'horreur lorsque les Palestiniens firent irruption à l'intérieur et capturèrent les Israéliens.
«... Une audience télévisée de 900 millions de téléspectateurs dans plus de 100 pays observa un terroriste, un bas sur la tête, vérifiant la position des officiers de police. »
Dans l'appartement n°3, les terroristes trouvèrent six lutteurs et haltérophiles israéliens. Ils les firent mettre en ligne et retournèrent à l'appartement n°1. Gad Tsabari, l'un des lutteurs, avait compris que leur situation était désespérée ; en une explosion d'énergie, il repoussa un terroriste et s'échappa par des escaliers. Moshe Weinberg, son coach, tenta de l'aider mais fut mortellement blessé par une balle.
Yossef Romano refusa également de rester coi. Alors qu'il était poussé vers le haut pour rejoindre le premier groupe de captifs, il s'élance sur un terroriste et fut abattu. Père de trois jeunes filles, Yossef fut le deuxième Israélien à trouver la mort. Et c'est ainsi que commença le massacre des Olympiades de Munich, la première grande atrocité commise au nom de la libération palestinienne en-dehors du Proche-Orient.
Une négligence criminelle
Le 30e anniversaire de la crise de Munich est un rappel opportun de l'impuissance face au terrorisme. Les autorités allemandes firent preuve à cette occasion d'une négligence criminelle. Des policiers ridiculement déguisés en chefs de cuisine déposèrent de la nourriture devant le 31 Connollystrasse, pensant qu'ils pouvaient d'une certaine manière maîtriser les militants bien armés. Des représentants du Gouvernement supplièrent littéralement les terroristes d'abandonner et leur offrirent de l'argent pour se rendre. Ils ne pouvaient pas croire que les Palestiniens allaient ruiner les Jeux les plus coûteux à l'époque, et mis sur pied en partie pour effacer les souvenirs de l'Holocauste.
Les annonces de l'attaque étaient à la une des médias autour du globe lorsque les Palestiniens exprimèrent leurs exigences : échanger leurs 9 otages restants contre 234 prisonniers détenus dans des prisons israéliennes et 2 en Allemagne. C'était un échange humain direct, quoique inégal, et le premier délai était fixé à 0900. Les Allemands annoncèrent à Luttif Issa, le chef de Septembre Noir, que les fonctionnaires israéliens avaient besoin de plus de temps pour localiser les prisonniers, et ce délai fut prolongé. A 1000, la panique gagna le Gouvernement allemand lorsque ce dernier comprit qu'aucune partie n'était vouée au compromis.
Les organisateurs des Olympiades suspendirent rapidement les Jeux, et plus de 50'000 spectateurs commencèrent à se rassembler autour du périmètre protégé. Une audience télévisée de 900 millions de téléspectateurs dans plus de 100 pays observa la figure archétypale d'un terroriste, un bas sur la tête, qui émergea du n°31 pour vérifier la position des officiers de police. Les présentateurs vedettes aménagèrent leurs agendas lorsque le siège devint un spectacle global. Finalement, les Allemands tentèrent à contre-cœur une opération de secours. Douze officiers de police mal entraînés montèrent sur le toit du bâtiment en vue d'un assaut. Des milliers de spectateurs, observant la police à partir d'une petite colline, criaient des conseils tactiques comme dans une pantomime ("Baisse toi ! Baisse toi !"). Les officiers finirent par comprendre que les terroristes observaient en direct le déroulement des événements sur leurs propres télévisions.
«... Durant toute la journée, le Gouvernement de Bonn pensait qu'il n'y avait que 5 Palestiniens, et seuls 5 tireurs d'élite étaient en position. »
En début de soirée, Issa demandait un avion et déclara aux représentants allemands que ses hommes et les otages s'envoleraient pour le Proche-Orient. Certains dirigeants étaient enchantés de pouvoir déplacer la crise hors des Olympiades, alors que d'autres décidèrent de lancer une opération de libération lorsque les otages monteraient à bord de l'avion. Ils acceptèrent de transporter tout le monde en hélicoptère jusqu'à l'aérodrome de Fürstenfeldbruck, en-dehors de Munich, où un Boeing 727 les embarquerait hors du pays.
Peu après 2200, un bus emmena les Palestiniens et les Israéliens aveuglés par des bandeaux jusqu'aux hélicoptères attendant sur la place Olympique. Hans Dietrich Genscher, le Ministre de l'Intérieur allemand, les observait. "Un, deux, trois, quatre…", dit-il, sursautant lorsqu'il compta 8 terroristes. Durant toute la journée, le Gouvernement de Bonn pensait qu'il n'y avait que 5 Palestiniens, et seuls 5 tireurs d'élite étaient en position à Fürstenfeldbruck.
Massacre sur l'aéroport
Le pire était à venir. Les Allemands avaient 17 officiers cachés dans le 727 pour capturer ou tuer les 2 premiers terroristes, mais ils commencèrent à s'inquiéter au sujet de leur mission, et craignaient pour leur propre sécurité dans l'avion. Un officier organisa un vote et, dans un acte de pure lâcheté, les 17 décidèrent de partir. Les hélicoptères transportant les terroristes étaient déjà à l'atterrissage, de sorte que le temps manquait pour dissimuler une nouvelle équipe dans le Boeing.
Les Palestiniens avancèrent sur le tarmac, trouvèrent l'avion vide et réalisèrent qu'il s'agissait d'un piège. Les tireurs d'élite ouvrirent le feu par deux tirs imprécis et la "libération" commença. Le chaos fut immédiat ; les terroristes se couchèrent dans la pénombre sous les hélicoptères et commencèrent à cribler de balles l'aéroport.
La bataille fit rage pendant plus d'une heure. Les officiers allemands s'abritèrent dans les bâtiments de l'aéroport, et il semble possible que leur courage ait été découragé par un anti-sémitisme latent. Finalement, des véhicules blindés avancèrent maladroitement sur l'aérodrome. Le tireur d'une automitrailleuse toucha deux hommes de son camp et les terroristes pensèrent être sur le point d'être mitraillés. Dans un hélicoptère, l'un d'entre eux abattit 4 otages avant qu'un autre se relève du tarmac et y lance une grenade ; l'explosion mit feu au réservoir de carburant, et les Israéliens furent carbonisés. Un autre terroriste tua ensuite les otages de l'autre hélicoptère. Les Allemands présents sur l'aérodrome sont toujours hantés par leurs cris. Les 11 Israéliens perdirent la vie, et 3 Palestiniens survécurent.
«... Dans un hélicoptère, un terroriste abattit 4 otages avant qu'un autre y lance une grenade ; l'explosion mit feu au réservoir de carburant, et les Israéliens furent carbonisés. »
Pendant plus de 20 ans, les fonctionnaires allemands refusèrent de donner des informations sur le déroulement exact des événements à Munich, craignant des accusations d'anti-sémitisme, et affirmant qu'il n'existait qu'un bref rapport sur l'attaque. Mais voici quelques années, des archives contenant des milliers de fichiers furent rendues publiques. Les erreurs faites par les Allemands étaient stupéfiantes. Ils n'avaient que 5 tireurs mal entraînés, dotés de fusils inadéquats, sous un mauvais éclairage, sans radio, ni gilet pare-éclats ou casque, et sans lunette adaptée ou équipement infrarouge.
Interpol avait émis une alarme quelques semaines avant le début des Jeux selon laquelle des militants palestiniens se rassemblaient en Europe, et les renseignements allemands avaient averti la police de Munich que les Palestiniens planifiaient "quelque chose". Mais rien ne fut fait pour protéger les invités les plus vulnérables. Et l'étouffement de l'affaire continue : des fonctionnaires allemands ont récemment essayé de réduire des témoins au silence, et des bandes vidéos montrant les événements à Fürstenfeldbruck ont été volés.
Trente ans après le massacre, la tragédie continue à avoir des échos au Moyen-Orient. Quelques politiciens européens semblent toujours ne pas comprendre que stopper des attaques terroristes similaires exige une approche double : résoudre le problème du Moyen-Orient au bénéfice des deux parties, et cibler férocement les psychopathes qui dirigent les organisations terroristes.
Texte original: Simon Reeve, "The German Way With Terror", The Spectator, 14.09.02
Traduction et réécriture: Cap Ludovic Monnerat