Voici 60 ans, le raid des Canadiens sur Dieppe inaugurait les opérations amphibies d’envergure
19 août 2002
’opération " Jubilee ", le 19 août 1942, fut la première offensive amphibie d’envergure déclenchée par les Alliés durant la Seconde guerre mondiale. L’échec sanglant subi à cette occasion et le courage immense des soldats canadiens ont fait entrer le raid sur Dieppe dans la légende. Retour sur une tentative controversée.
En avril 1942, après le raid allié sur Saint-Nazaire, les Alliés britanniques et américains reprennent le projet d'un raid de grande envergure sur un port français de la Manche, afin de tester les défenses de l’Axe et d’apporter la preuve aux Soviétiques – qui demandent l'ouverture d'un second front – de la difficulté à prendre pied sur la côte française. Le Haut Commandement des opérations combinées porte son choix sur Dieppe pour deux raisons essentielles : la taille de l'agglomération et sa distance, compatible avec les moyens de transport disponibles et autorisant une couverture aérienne constante.
«... Les différents groupes effectuent une traversée sans histoire jusqu'au moment où l'aile gauche de la flottille se heurte d'une manière inattendue à un petit convoi allemand. »
«... Les différents groupes effectuent une traversée sans histoire jusqu'au moment où l'aile gauche de la flottille se heurte d'une manière inattendue à un petit convoi allemand. »
L'opération doit durer douze heures, l'assaut frontal ayant lieu sur la plage de Dieppe, après des débarquements latéraux effectués à Pourville et à Puys pour neutraliser les défenses surplombant la plage principale. Les batteries à longue portée de Varengeville et de Berneval doivent également être détruites avant le débarquement sur Dieppe. Les objectifs du raid sont la destruction des défenses allemandes du littoral, des structures portuaires et de toutes les installations à caractère stratégique telles que dépôts de carburant, stations radio et radar, quartiers généraux ou aérodromes.
Plus de 6000 hommes doivent débarquer, dont 4965 Canadiens de la 2ème Division comprenant également les équipages de 50 chars Churchill, ainsi que 1200 Britanniques des Commandos et des Royal Marines. La traversée de la Manche est assurée par 250 embarcations diverses, transports de troupes, destroyers, canonnières, vedettes et landing-crafts, alors qu’un millier de chasseurs, de chasseurs-bombardiers et de bombardiers légers sont engagées pour l'appui et la défense de la force de débarquement.
En août 1942, le secteur de Dieppe est sous la responsabilité de la 302e division de la Wehrmacht. Les effectifs sur les différents sites de débarquement sont de l'ordre de 2500 hommes bien équipés et entraînés (571e régiment de grenadiers, unités de l'artillerie, de la Flak et de la Kriegsmarine), pouvant bénéficier de renforts conséquents dans des délais très courts. Les fortifications y sont déjà redoutables et la puissance de feu considérable, et les défenses conjuguent armes automatiques, mortiers, canons de moyen et de gros calibre, ainsi batteries côtières à longue portée). L'aviation allemande, bien qu'inférieure en nombre, est très efficace et a l'avantage d'être à proximité de ses bases arrières.
Dans la soirée du 18 août, la force navale de Jubilee appareille de plusieurs ports de la côte Sud de l'Angleterre. Les différents groupes effectuent une traversée sans histoire jusqu'au moment où, à quelques miles de la côte, l'aile gauche de la flottille, qui transportait le 3e Commando britannique N°3, se heurte d'une manière inattendue à un petit convoi allemand faisant route de Boulogne vers Dieppe. Il est alors 3h45. Le combat qui éclate désorganise complètement l'attaque prévue sur Berneval et met en état d'alerte une partie des défenses ennemies. Un petit groupe de Commandos réussit malgré tout à neutraliser la batterie pendant une heure et demie.
A 4h50, à l'autre extrémité de la zone d'opération, le 4e Commando prend pied à deux endroits de la côte, pour prendre en tenaille la batterie de Varengeville. Le succès est total : la batterie est détruite, les commandos rembarquent vers 8h15 avec un minimum de pertes.
A Puys, le Royal Regiment of Canada est mis à terre à 5h06, en retard sur l'heure prévue. Il fait jour, les défenseurs sont aux aguets, surplombant les assaillants qui tentent vainement de franchir le haut mur de béton qui barre la petite plage, sous un déluge de feu, sans aucune possibilité d'abri. En moins d'une heure, sur les 600 hommes débarqués, les Canadiens perdent 225 tués, le reste de l'effectif est blessé ou capturé, et seulement une soixantaine rentre en Angleterre.
«... L’opération "Jubilee" se solde par un bilan dramatique : les alliés ont 1380 tués dont 913 Canadiens, 1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. »
«... L’opération "Jubilee" se solde par un bilan dramatique : les alliés ont 1380 tués dont 913 Canadiens, 1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. »
La plage de Pourville, objectif du South Saskatchewan et des Cameron Highlanders, est atteinte à 4h50 et le village investi sans trop de difficultés. La défense allemande va ensuite progressivement se durcir et, malgré des avancées jusqu'à Petit Appeville dans la vallée et jusqu'au deux tiers des pentes menant vers Dieppe, les assaillants ne peuvent poursuivre leur effort et doivent se replier en fin de matinée pour rembarquer avec de sérieuses pertes – 151 tués, 266 prisonniers et 269 blessés.
A 5h20, après un bombardement préparatoire très insuffisant, les deux premières vagues du Royal Hamilton et des Essex Scottish prennent pied sur la plage de Dieppe. Les chars du 14th Canadian Army Tank Regiment qui auraient dû les accompagner ne débarquent, à grand peine, que quinze minutes plus tard et ne peuvent appuyer efficacement l'avancée des fantassins sur l'esplanade découverte, battue par un feu d'enfer provenant des falaises et des maisons du front de mer. Même ceux qui parviennent à monter sur l'esplanade ne peuvent ensuite franchir les murs de béton barrant chaque accès en direction du centre-ville. Le casino est occupé par des éléments du Royal Hamilton, certains petits groupes parviennent même à franchir les premières rangées de maisons et à pénétrer jusqu'à l'église Saint Rémy.
Sur la partie Est de la plage, les hommes de l'Essex Scottish, encore plus exposés, sont très rapidement bloqués par l'intensité des tirs allemands - l'échec des troupes à Pourville et surtout à Puys laissait aux Allemands l'intégralité de leur puissance de feu. Le Commandement allié, basé sur le HMS Cale, ne voyant rien de ce qui se passait à terre à cause de la fumée extrêmement dense et mal renseigné par des transmissions défaillantes, expédie de nouvelles vagues en renfort, Fusiliers Mont Royal et Commandos des Royal Marines, qui arrivent sur la plage dans une confusion totale et sans espoir d'améliorer une situation déjà compromise. La bataille meurtrière va continuer jusqu'à la fin de la matinée, et l'ordre de repli est donné vers 11 heures aux survivants qui tentent de regagner les embarcations venues les récupérer. Sur les 2000 hommes débarqués, 400 sont morts, et seulement 400 réussissent à rejoindre l'Angleterre. Les combats sont quasiment terminés deux heures plus tard.
L’opération "Jubilee" se solde par un bilan dramatique : les alliés ont 1380 tués dont 913 Canadiens, 1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. Même la bataille aérienne se révèle désastreuse : la RAF perd 107 avions, contre une quarantaine pour la Luftwaffe. Parmi la population civile, dans la région dieppoise, le bilan s'élève à 48 tués et une centaine de blessés. Les Allemands ont 345 tués ou disparus et 268 blessés. Ainsi, près de 1800 personnes perdent la vie dans un affrontement de moins de dix heures, un chiffre qui traduit l'intensité meurtrière de la bataille de Dieppe.
Le résultat et les controverses ne peuvent faire oublier le sacrifice des combattants, et l'adversaire fut le premier à reconnaître que la responsabilité du désastre ne leur incombait pas. Les rapports rédigés par les commandants du LXXXIe Corps d’Armée et de la 302e division relèvent ainsi que "le grand nombre de prisonniers peut laisser des doutes sur la valeur des unités canadiennes et britanniques impliquées dans le raid. Loin de là. Les soldats ennemis, presque tous Canadiens, ont fait preuve d'habileté et de bravoure partout où il leur a été possible d'engager le combat... Ce n'est pas le manque de courage, mais la concentration du feu défensif de notre artillerie et de nos armes lourdes d'infanterie qui a empêché l'ennemi de gagner du terrain."
La perte d'une partie de l'effet de surprise, après l'engagement naval au large de Berneval, ne peut expliquer à lui seul la faillite de l’opération. En réalité, la cause de l'échec du raid sur Dieppe est essentiellement la sous-estimation des forces adverses, mais le manque d'appui naval et aérien avant la mise à terre, l'emploi de matériels inadaptés, la carence des transmissions ont constitué des facteurs aggravants.
Les échecs militaires font toujours l'objet de polémiques, surtout lorsqu'ils sont coûteux en vies humaines. L’opération "Jubilee" n'a pas échappé à cette règle, et bien que les leçons apportèrent de précieuses indications pour la préparation du débarquement sur les côtes de la Basse-Normandie, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur son opportunité et son utilité quant aux opérations futures.
Deux ans après le raid de Dieppe, les Canadiens débarquèrent à Juno à l'aube du 6 juin 1944 et participèrent aux combats de la bataille de Normandie. Enfin, 1er septembre 1944, c'est la 2ème Division canadienne qui libéra Dieppe.
Texte original: Alain Buriot et Arnaud Coignet, "Le raid du 19 août 1942", Ville de Dieppe
Rewriting: Cap Ludovic Monnerat