Tanguy Struye de Swielande, La politique étrangère
américaine après la guerre froide et les défis asymétriques, Presses
Universitaires de Louvain, 2003
25 janvier 2004
es
ouvrages examinant avec mesure et objectivité la stratégie américaine
contemporaine sont rares. Ce livre issu d'une thèse de doctorat analyse la
politique extérieure des Etats-Unis avec suffisamment de nuances, de recul et
de sens critiques pour constituer une référence sur le sujet.
Les Etats-Unis ne manqueront jamais de nous fasciner : entre
réminiscences d'une guerre froide où ils se sont imposés comme leaders et un
après-11 septembre bien sombre, ils attirent autant l'admiration et l'envie que
les critiques, voire la haine. Pourtant, la masse des ouvrages sortis
immédiatement après 2001 ne rend pas justice à ce qui est d'abord la complexité
d'un Etat avec ce qu'elle charrie politiquement et sociologiquement, et, a
fortiori, à la complexité de sa politique étrangère et de défense.
Autant dire que décidant de conduire sa thèse de doctorat, dont cet ouvrage
est issu, Tanguy Struye de Swielande s'est attelé à un travail qui relevait
certes d'une gageure, mais qu'il a cependant brillamment menée à terme. Ayant
une intelligence critique intuitive qu'il applique à son objet en faisant
danser finesses théoriques et applications pratiques - réconciliant au passage
des premières trop absentes à des secondes généralement trop abruptes dans la
plupart des ouvrages sur le sujet -, l'auteur passe en revue la complexité de
son objet.
Sa méthode autant que l'œil critique, que d'autres oublient trop
rapidement sur un tel sujet, sont marquants, positionnant d'emblée 486 pages
d'une grande densité dans une sobriété certes académique, mais peu ennuyeuse
dans leur équilibre. Et si une critique pourrait être adressée à l'ouvrage,
c'est sans doute que par manque de place, il ne donne pas une plus grande place
à l'histoire de concepts si prégnants dans la politique américaine comme
l'exceptionnalisme, la Destinée manifeste ou les héritages laissés par la
pensée des Pères fondateurs. Disséquant les grandes tendances politiques
(wilsonnisme, jacksonnisme, etc.) au-delà des traditionnelles grilles
d'analyses interventionnistes et isolationnistes, et mettant en évidence les
nuances existant entre elles, l'auteur estime que la principale difficulté à
laquelle les Américains ont été confrontés dans l'après-guerre froide a été la
redéfinition d'une stratégie intégrale.
De ce point de vue, l'ouvrage est méthodologiquement marquant :
s'il possède certes et comme toute entreprise du genre quelques défauts qui
n'invalident certainement pas sa tenue générale, il a le grand mérite de
décloisonner ces catégories si souvent présentées comme opposées de l'action
politique et de l'action stratégique. En ce sens, Tanguy Struye émet déjà une première
critique - finalement la plus prégnante - de celles que nous pouvons adresser
aux Etats-Unis : l'oubli de la continuité clausewitzienne entre guerre et
politique. Mais il ne s'y arrête pas, pour établir les bilans des administrations
Bush senior et Clinton et pour tenter une première évaluation de celle de Bush
junior. N'hésitant pas à utiliser les marqueurs d'une puissance intégrale - le
taux d'informatisation de la société américaine ou ses indicateurs économiques
- il poursuit ensuite en confrontant les intentions politiques américaines aux
nouvelles réalités stratégiques, et particulièrement l'asymétrie.
L'analyse qui en est faite est non seulement éclairante et constitue à
elle seule une excellente introduction sur le sujet, examinant particulièrement
ses moyens et la relation qu'elle entretient à des facteurs de puissance qui,
d'une façon dommageable et assez généralement, manque d'être reconsidérés dans
d'autres publications. Partant de ce qu'il définit comme une asymétrie
instrumentale, il conceptualise ensuite une « asymétrie
ontologico-stratégique » où elle n'est plus seulement moyen
à la disposition du stratège ou du combattant, mais où elle devient reflet de
la culture d'une organisation ou d'une société.
La nuance est d'autant plus importante que l'auteur aborde ensuite des
cas pratiques tels que la lutte que les Etats-Unis ont engagé
contre le terrorisme en général et Al-Qaïda en particulier. Ce faisant, il
échappe au traditionnel biais des politologues réalistes de considérer les Etats
comme les seuls acteurs du système international. Les évaluations et les
analyses qui en ressortent sont donc d'une grande actualité, non seulement du
point de vue conjoncturel, mais aussi et surtout d'une méthodologie en sciences
sociales qui connaît aussi une vie en Europe et qui semble lentement dévoiler
les traits d'une école stratégique non plus seulement belge, mais aussi
européenne.
De ces différents points de vue et en raison des nuances développées, La
politique étrangère américaine après la guerre froide et les défis asymétriques
ne pourrait être un ouvrage d'introduction. Mais pour toute personne intéressée
par le sujet, il constituera indéniablement un ouvrage de référence dont nous
ne pouvons que souhaiter qu'il sera suivi d'une progéniture de publications sur
les sujets abordés.
Joseph Henrotin
Doctorant en Sciences politiques à l'ULB
Attaché de recherches, ISC
Membres du Réseau Multidisciplinaire en Etudes Stratégiques (RMES)
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