Mohamed Sifaoui, Mes "frères" assassins,
Le Cherche Midi, 2003
7 septembre 2003
e témoignage saisissant d'une infiltration réussie dans les réseaux islamistes montre l'ampleur de leur pénétration en Europe. Aucune perception réaliste de la menace contemporaine ne peut se passer des éléments dégagés par ce livre.
Le journaliste d'origine algérienne Mohamed Sifaoui a consigné dans ce petit livre de 173 pages le déroulement d'une enquête extraordinaire: l'infiltration pendant 3 mois, entre octobre 2002 et janvier 2003, d'une cellule d'Al-Qaïda en France. Usant d'une fausse identité et contrefaisant son apparence, il est parvenu progressivement à gagner la confiance de ses nouveaux "frères", et de ce fait à mieux cerner leur idéologie extrémiste, leur engagement guerrier et leurs connexions internationales.
Tout a commencé lors du procès à Paris de deux membres du GIA algérien suspectés d'avoir participé aux attentats ayant frappé la capitale française en 1995. Présent presque chaque jour dans la salle d'audience, un jeune homme barbu et silencieux attire l'attention de l'auteur, qui engage la conversation et se rend compte d'un hasard étonnant: tous deux ont été au même lycée en Algérie. Trois mois plus tard, Mohamed Sifaoui n'ignorera plus rien des activités véritables de son ancien condisciple.
L'intensité dramatique de cette enquête équivaut à celle des meilleurs romans d'espionnage, à la différence près que les faits, les lieux, les personnages et leurs ambitions sont véritables. Le courage personnel de l'auteur lui a permis non seulement de transpercer les écrans de fumée déployés par les islamistes pour protéger leurs activités, mais également d'en tirer un reportage dont la diffusion sur M6, en mars 2003, a rassemblé 4,4 millions de téléspectateurs, avec un taux d'audience de 18,1%.
L'élément central du livre, c'est le fait que les islamistes sont en guerre contre l'Occident, ses valeurs, ses institutions et ses citoyens. Comme le souligne Mohamed Sifaoui en conclusion, il n'y pas plus d'islamisme modéré que de fascisme modéré. La dissimulation permanente de leurs intentions n'empêche pas les fondamentalistes musulmans vivant en Europe de rejeter tout ce qui les entoure et d'en préparer la subversion par la violence terroriste, le discours moralisateur et le prosélytisme ciblé.
En effet, les réseaux islamistes ne cessent de revendiquer, de condamner, de convaincre et de recruter dans les mosquées qui servent de refuge à leurs activités. Ils sont particulièrement enclins à endoctriner les délinquants et les petites frappes qui tombent sous leur coupe, notamment en prison, et qui par la suite viendront grossir les rangs des candidats au djihad. L'alliance du sabre et du goupillon a été remplacée par le Coran et la Kalachnikov.
L'infiltration de ces réseaux est une chose difficile. L'origine nationale, la rhétorique sectaire et les relations claniques sont des éléments de première importance. Pourtant, l'enquête de Mohamed Sifaoui montre que les islamistes n'ont pas le dixième de la discrétion propre aux réseaux d'espionnage de la guerre froide. Ils utilisent de manière routinière le téléphone portable. Ils se rassemblent dans des lieux typiques. Ils s'expriment vite librement en parlant l'arabe. Nul doute que la DST doit les suivre de près.
Leur organisation comporte bien entendu un certain cloisonnement, et ils prennent garde à bien séparer les agents opérationnels – et donc commettant des actes délictueux ou criminels – des éléments de soutien, actifs dans le financement, le recrutement ou la médiatisation. Pourtant, leur mépris affiché pour l’Occident les amène à fréquemment sous-estimer les mesures de surveillance dont ils peuvent faire l’objet. Ils ne sont dangereux que par la tolérance et les largesses des sociétés qui les abritent.
Mohamed Sifaoui, qui a failli être démasqué durant son enquête, vit aujourd’hui sous une protection policière rapprochée. Cet ouvrage est d’ailleurs dédié à ses camarades journalistes tombés en Algérie sous les coups du fondamentalisme islamique. Le lire aujourd’hui est indispensable pour quiconque s’intéresse à l’avenir de l’Europe.
Maj EMG Ludovic Monnerat