Gérard Saint-Martin, L'arme blindée française - Tome 1,
Economica, 1998
12 novembre 2003
e drame de mai 1940 est avant tout l'échec d'une armée à
intégrer les moyens de son époque. Ce livre exemplaire remonte aux sources de
la débâcle en montrant les errements et préjugés qui ont entravé le
développement de l'arme blindée française, puis son emploi.
Colonel en réserve de l'arme blindée cavalerie et docteur en
histoire, Gérard Saint-Martin a servi au Commandement des écoles de l'armée de
Terre et participé à la formation des stagiaires du Collège interarmées de
Défense. Cet ouvrage de 365 pages, sous-titré « Mai-juin 1940 !
Les blindés français dans la tourmente », représente le première tome
de sa thèse de doctorat en histoire militaire ; le deuxième tome,
sous-titré « 1940-1945, Dans le fracas des batailles », a
également été publié.
Pourquoi la France n'a-t-elle pas réussi à conserver sa
domination en matière de chars, et comment en a-t-elle payé le prix au
printemps 1940 ? Voilà les deux questions cruciales auxquelles ce livre
répond de manière exemplaire. Sortie victorieuse mais épuisée de la Première
guerre mondiale, l'armée française avait en effet une solide expérience des
blindés et des cadres prêts à la développer ; deux décennies plus tard,
ses chars puissants et nombreux seront décimés en un mois. Comment cela a-t-il
pu se produire ?
Dans les 4 chapitres formant la première moitié du livre,
Gérard Saint-Martin confirme sans ambages l'image populaire d'une hiérarchie
militaire passéiste et rétive au changement. Le rôle et l'influence des chefs
militaires majeurs dans les années 20 et 30, dont bien entendu Pétain, Weygand
et Gamelin, sont cernés de manière impitoyable. Tous les plaidoyers et mémoires
de l'après-guerre ne parviennent ainsi pas à cacher le dogmatisme et le
conservatisme tragiques de l'Armée de Terre.
Par ailleurs, l'auteur s'intéresse de près aux doctrines
codifiées, comme les instructions sur l'emploi tactique des grandes unités,
véritables monuments à la défense statique, mais également à d'autres textes
qui montrent comment la pensée de la manœuvre mécanisée parvenait à s'insinuer
en dépit des résistance institutionnelles. On voit ainsi clairement l'évolution
séparée qu'ont connue la cavalerie et l'infanterie, avec pour aboutissement les
divisions légères mécaniques et les divisions cuirassées de réserve.
Dans les 4 chapitres de la deuxième moitié du livre, intitulé
« le choc des réalités », Gérard Saint-Martin montre les conséquences
de ces errements. En premier lieu, il compare l'arme blindée française avec son
adversaire allemande, et montre bien les différences cruciales qui les séparent
au niveau des équipements, de l'entraînement et de l'organisation. Pas de moins
de 16 tableaux mis en annexe -caractéristiques techniques, articulation des
chars et ordres de bataille comparés - soulignent son propos et fournissent une
mine de renseignements.
L'ouvrage plonge également le lecteur dans le fracas des
combats en décrivant neuf batailles, de Stonne à Abbeville en passant par
Hannut et Montcornet. Souvent sans espoir, ces combats menés par les blindés
français sont analysés en détail, carte à l'appui, et replacés dans leur
contexte. Ils montrent que les DCR étaient fatalement handicapées par
l'autonomie minime de leurs chars B1 Bis, conçus comme chars d'accompagnement
de l'infanterie, alors que les DLM constituaient un bien meilleur instrument de
manœuvre.
L'énorme quantité de sources et de témoignages utilisés par
Gérard Saint-Martin confère à ses écrits un caractère nuancé et définitif. Mais
si ce premier tome conclut au redressement naissant de l'arme blindée
française, ce qui sera plus tard confirmé par la 2e DB, il n'en demeure pas
moins que les conséquences des erreurs commises en temps de paix forment une
leçon qui ne sera jamais soumise aux aléas du temps. La lecture de ce livre, de
ce point de vue, est des plus salutaires.
Maj EMG Ludovic Monnerat