Richard Overy, Why The Allies Won,
W. W. Norton & Company, 1997
25 janvier 2004
’histoire analytique reste rarement appliquée aux conflits armés, mais ce livre constitue un véritable chef d’œuvre du genre, en montrant précisément pour quelles raisons les Alliés l’ont emporté sur l’Axe voici 60 ans. Une lecture incontournable.
Richard Overy est depuis presque 24 ans professeur d’histoire contemporaine au King’s College de Londres. Ses nombreux travaux sur le déroulement et les origines de la Seconde guerre mondiale en ont fait l’un des meilleurs spécialistes de la période, avec pas moins de 10 livres consacrés à la guerre aérienne, à la bataille d’Angleterre, à la croissance économique du IIIe Reich, à la guerre vue de Russie ou encore aux interrogatoires des dignitaires nazis capturés. Il publiera d’ailleurs en juin de cette année un livre consacré aux dictateurs ayant marqué ce conflit.
Cet ouvrage de 428 pages constitue cependant le livre-clef de son œuvre en terme de vue d’ensemble et de compréhension globale. Divisé en 10 chapitres comprenant de nombreux faits chiffrés et corrélés, il fournit une analyse à la fois nuancée et tranchée des raisons pour lesquelles les Alliés l’ont emporté sur les puissances de l’Axe. L’auteur balaie pour ce faire nombre d’idées reçues sur l’inéluctabilité d’une telle victoire, en montrant par exemple que les conquêtes ont fait de l’Allemagne une superpuissance économique, ou en soulignant que si la Seconde guerre mondiale a permis de sauver la démocratie, elle a surtout consacré le communisme.
Richard Overy énonce d’emblée les facteurs essentiels au succès : la production industrielle, le progrès scientifique, la réforme militaire et l’enthousiasme social. Il délimite ensuite les dimensions décisives de la guerre : la bataille de l’Atlantique, le front de l’Est, les bombardements sur l’Allemagne, le débarquement en Normandie, la transformation des industries, les chefs politiques et militaires, l’attitude des populations et l’avantage sur le plan moral. Tout en se concentrant sur l’essentiel, il traite également les aspects cruciaux de la guerre du Pacifique et des combats en Afrique du Nord.
Cette approche en apparence fragmentaire permet concrètement de cerner les causes des victoires ou des défaites les plus importantes. Le succès de la lutte contre les U-Boote a ainsi pour cause principale l’intégration interarmées et multinationale des forces navales et aériennes alliées, alors que la réussite de l’opération Overlord s’explique avant tout par la suprématie aérienne et par la déception stratégique. De même, la résistance héroïque à l’Est et les succès décisifs de Stalingrad et Koursk proviennent essentiellement de la haine et du fanatisme caractérisant le peuple russe face à l’invasion nazie.
L’étude de la production industrielle constitue l’un des points forts du livre. L’analyse du développement industriel allié, avec notamment l’évacuation des usines pratiquée en Russie et la mutation presque instantanée des entreprises aux Etats-Unis, fournit un contraste saisissant avec le dilettantisme et le refus de la modernité au sein de l’Axe. Richard Overy montre ainsi clairement que la planification centralisée communiste et l’esprit d’entreprise capitaliste se sont révélés nettement supérieurs, mais aussi que les bombardements anglo-américains sur le IIIe Reich ont entravé de manière décisive sa production.
Les conséquences limpides tirées des faits exposés sont également révélatrices. La vision globale développée par l’auteur prouve notamment que l’Allemagne posait effectivement la menace majeure, comme l’ont d’emblée compris les stratèges militaires alliés, et que les moyens déployés pour la combattre ont déterminé les rapports de force de la guerre froide : la Wehrmacht a été battue à l’Est et la Luftwaffe à l’Ouest, de sorte que l’Armée Rouge et l’US Air Force sont devenues des composantes essentielles. On pourrait d’ailleurs ajouter que l’écrasement de la flotte impériale nippone a conféré à l’US Navy la domination aéronavale qu’elle conserve toujours.
Malgré tout, Richard Overy montre que les batailles cruciales se sont jouées sur bien peu de choses : quelques bombes bien placées à Midway, quelques avions à long rayon d’action au-dessus de l’Atlantique, des réservoirs de carburant pour chasseurs au-dessus du Reich, la résistance surhumaine de quelques milliers de soldats russes à Stalingrad, ou encore l’incroyable camouflage du centre de gravité allié en Normandie. Par conséquent, la marge des Alliés dans la victoire est restée bien plus faible que la perception commune ne donne à croire aujourd’hui.
Malgré cela, l’historien britannique conclut en déclarant que les Alliés l’ont emporté parce qu’ils ont su transformer leur puissance économique en force militaire et leur énergie morale en volonté de gagner. Des leçons cruciales qui font de ce livre exceptionnel une lecture de premier choix.
Maj EMG Ludovic Monnerat