Laurent Murawiec, La guerre d'après,
Albin Michel, 2003
4 janvier 2004
'Arabie
Saoudite n'est pas un État stabilisateur et allié à l'Occident, mais une mafia
usurpatrice et corruptrice qui mène une guerre secrète et subversive contre
tout ce qui s'oppose à son idéologie fondamentaliste. Telle est la thèse
défendue de manière implacable dans ce livre servant de signal d'alarme.
L'analyste
français Laurent Murawiec, qui a déjà été présenté
dans ces colonnes, a vu son existence connaître un tournant à l'été 2002.
Chargé de présenter un exposé sur l'Arabie Saoudite au Pentagone, durant lequel
il a montré le rôle de ce pays dans le terrorisme islamiste et insisté sur la
nécessité de la « désaoudiser », il a été vivement attaqué quelques
semaines plus tard pour ses propos, dans une polémique enflammée qui lui a
finalement coûté son poste à la Rand Corporation. Ne critique pas la famille
royale qui veut.
Ce livre de
305 pages constitue donc une extension et une prolongation de cet exposé. Après
avoir conté ses péripéties en guise d'introduction, l'auteur se livre en 18
chapitres à un réquisitoire impitoyable et solidement étayé de la monarchie
saoudienne, et conclut à la nécessité de mettre un terme à son emprise. Le
propagation du wahhabisme, le soudoiement des décideurs étrangers,
l'exportation du terrorisme, le hold-up pétrolier ou encore l'apartheid affiché
du régime, rien ni personne n'est épargné.
Laurent
Murawiec remonte aux sources des trois empires saoudiens qu'a connus la
péninsule arabique, et montre l'alliance qui s'est forgée au milieu du XVIIIe
siècle entre Muhammad ibn Saoud et Ibn Abd al-Wahhab, une union perpétuelle
entre la razzia bédouine et la guerre sainte. Il décrit avec minutie les fatwas
incroyablement arriérées promulguées par les dignitaires wahhabites et leur
volonté de conquérir les esprits, ainsi que la mentalité atavique et
parasitaire des tribus nomades ainsi fanatisées.
L'influence
étonnante des Saoudiens dans le monde musulman est décrite sans ambages :
la multiplication des écoles coraniques au Pakistan, les relations étroites
avec les Taliban en Afghanistan, la mainmise sur l'Université égyptienne
d'Al-Azhar - centrale dans l'islam - résultent toutes de l'action souterraine
de la famille royale et des dignitaires religieux à son service. Les
pots-de-vin déguisés en aides diverses sont leur mode d'action privilégié, mais
les menaces et la violence leur succèdent promptement si nécessaire.
En fait, les
activités de propagande menées chaque année, comme l'impression de millions de
livres et la construction de milliers de mosquées, et les 4 milliards de
dollars d'aide dite internationale investis pour moitié au moins dans les
activités islamiques depuis 1975, font dire à l'auteur que le budget
d'opérations subversives saoudien dépasse de loin son homologue soviétique
durant la guerre froide. La récente polémique en Valais sur la nomination d'un
imam formé à Médine montre que le problème commence à être perçu.
L'une des
grandes qualités de ce livre est d'abattre le mythe complaisamment recyclé
selon lequel Al-Qaïda serait une création des Etats-Unis. L'exportation
généralisée du terrorisme islamique, à laquelle se livre l'Arabie Saoudite
depuis les années 60, remonte en effet à une tradition séculaire ;
l'alliance entre la famille royale et les djihadistes est la clef de sa survie,
et Oussama Ben Laden a obtenu de Riyad les fonds et la liberté d'action
nécessaires pour mener sa guerre globale - à condition d'épargner ses altesses,
ce qu'il a toujours fait.
On peut
reprocher à Laurent Murawiec certains propos très durs - mais drôles - à
l'endroit des Séoud, ceux qu'il nomme « les fragments de prince ».
Plus sérieusement, l'analyse des facteurs militaires reste un peu sommaire,
dans la mesure où les missiles chinois et les complicités pakistanaises font de
l'Arabie Saoudite une puissance nucléaire potentielle. Mais cet ouvrage touche
à l'essentiel en montrant que la famille royale, préférant en toute occasion sa
survie à la paix, a déclaré la guerre à tout ce qui lui résiste - sans omettre
l'Occident.
L'auteur
conclut par l'ultimatum qui lui semble nécessaire pour neutraliser cet ennemi,
et par les quatre domaines d'action à employer pour le contraindre à
plier : le contrôle de l'infrastructure pétrolière, des fonds financiers,
du pouvoir politique et des lieux saints. Un jugement à la fois lucide et
explosif qui conclut en beauté un ouvrage à lire absolument.
Maj EMG Ludovic Monnerat