Gil Merom, How Democracies Lose Small Wars, Cambridge, 2003
31 mai 2004
e livre d’une actualité brûlante examine les échecs de la France en Algérie et d’Israël au Liban pour élaborer une théorie générale sur la défaite face à des adversaires asymétriques. Ses analyses convaincantes et ses rappels édifiants forment une lecture hautement recommandable.
Chercheur à l’Université de Sydney et professeur assistant en sciences politiques à l’Université de Tel-Aviv, Gil Merom a pour centres d’intérêt les relations internationales, la stratégie sécuritaire israélienne, les évaluations du renseignements et les conflits de basse intensité. C’est ce dernier thème qui est traité dans ce livre de 295 pages visant à cerner les mécanismes expliquant les défaites de démocraties puissantes face à des adversaires régionaux plus faibles – en dépit de succès militaires incontestables.
Le livre est divisé en 4 parties comptant en tout 15 chapitres : une longue introduction théorique, qui étudie les conflits de basse intensité et les méthodes employées par les États occidentaux pour les gagner depuis le XIXe siècle, une analyse détaillée de la guerre d’Algérie et des circonstances politiques et sociales ayant provoqué le retrait précipité de la France, une analyse tout aussi détaillée de l’opération « Paix en Galilée » au Liban et de l’échec final de l’invasion israélienne, ainsi qu’une conclusion reprenant plusieurs aspects de la guerre du Vietnam et de son impact aux Etats-Unis.
Par définition, une petite guerre ne représente pas un enjeu suffisant pour souder les sociétés derrière leurs Gouvernements ; Gil Merom définit ainsi 3 variables pour expliquer l’écart qui peut se creuser entre eux, et qui finalement peut aboutir à la défaite du plus fort : la dépendance instrumentale, c’est-à-dire le volume de ressources humaines et financières nécessaires à la poursuite de la guerre, la différence normative, soit le décalage des opinions quant à la légitimité du conflit, et l’importance politique de la société sur les décisions du Gouvernement.
L’argument central de l’auteur consiste donc à montrer pourquoi, dans les petites guerres, ce sont les faiblesses du fort et non les forces du faible qui comptent. L’influence croissante des élites libérales dans le débat des idées, dès le début du XXe siècle, s’est notamment opposée aux méthodes traditionnelles de contre-insurrection axées sur la brutalité, et ce phénomène a abouti à ramener au cœur du pays le propre centre de gravité du conflit, jusqu’alors maintenu sur le théâtre d’opérations. En d’autres termes, la transformation des sociétés a notablement réduit l’importance des facteurs purement militaires.
Depuis des décennies, les États ont tenté de maintenir leur liberté d’action par un compartimentage des conflits de basse intensité, en particulier par le recours à des contingents locaux et par l’engagement de soldats de métier. Mais ces mesures, dont l’efficacité sur l’opinion publique intérieure est réelle, ne suffisent pas à contrer l’influence des élites militantes sur les classes dirigeantes : même le soutien majoritaire du public israélien pour Begin et Sharon, en 1982, n’a pu empêcher une minorité agissante d’imposer ses vues et de mettre concrètement un terme à l’offensive de Tsahal dès le massacre de Sabra et Chatila.
Le caractère moral des actions armées est au centre des démocraties, et l’analyse de la guerre d’Algérie est à ce sujet éloquente : l’activisme forcené des professeurs et des enseignants, des militants communistes ou chrétiens et de leurs avocats, ainsi que de la presse et des éditeurs, n’aurait jamais eu autant d’influence sur l’opinion si l’armée française – avec l’assentiment des dirigeants politiques – ne s’était pas livrée systématiquement à la torture pour remporter la bataille d’Alger et vaincre militairement le FLN.
Ce livre est naturellement d’une brûlante actualité pour examiner l’opération militaire coalisée en Irak et ses chances de succès face aux mêmes élites libérales qui, dans les médias et les universités, la combattent avec une énergie similaire à celle déployée durant la guerre du Vietnam. Le scandale des sévices infligés dans la prison d’Abu Graib et son impact immédiat sur l’opinion publique américaine montrent notamment que les mécanismes décrits par Gil Merom sont toujours à l’œuvre. De même, l’ampleur des forces déployées et le coût de leurs actions augmentent la dépendance instrumentale d’un Gouvernement menant une guerre planétaire à l’issue incertaine.
Plusieurs facteurs suggèrent cependant que l’évolution des rapports entre l’État et la société influence la conduite des conflits de basse intensité. La capacité avérée des individus – en uniforme ou non – à contourner le monopole des médias sur l’information de masse pour participer au débat des idées doit ainsi être prise en compte. De même, la montée en puissance des acteurs belligérants à la fois non étatiques, transnationaux et mus par des valeurs immatérielles globales contribue à élever les enjeux de manière drastique, et donc à modifier le sens même des petites guerres en portant leurs effets directs sur le sol national.
Mais ces mutations ne réduisent en rien l’importance de ce livre pour la compréhension des guerres contemporaines.
Maj EMG Ludovic Monnerat