William H. McRaven, Spec Ops : Case Studies in Special Operations Warfare, Presidio, 1996
31 octobre 2004
es opérations spéciales restent une forme d’action militaire mal comprise, même au sein des armées. Ce livre fondamental élabore et illustre leur doctrine d’emploi à l’aide de 8 études de cas, et montre que la supériorité relative est la base de leur efficacité.
Le contre-amiral William H. McRaven est entré en 1978 dans les forces spéciales de la Marine américaine, les SEALs ; lors de l’écriture de ce livre, en 1996, il commandait le SEAL Team Three avec le grade de capitaine. Il est aujourd’hui – ou l’était encore récemment – à la tête de la Task Force 121, une unité hautement clandestine rassemblant des membres des forces spéciales US et des services de renseignement qui a participé à la capture de Saddam Hussein et qui traque à présent les principaux dirigeants d’Al-Qaïda. Quelques actions rendues publiques doivent être mises à l’actif de cette formation, comme l’interception début 2004 d’un messager personnel d’Oussama ben Laden à Abou Moussab Al-Zarqaoui.
Ce livre de 402 pages est l’œuvre d’un auteur mettant donc en pratique une théorie qui vise à expliquer l’inexplicable : comment de petites unités remplissent des missions difficiles face à un ennemi supérieur en nombre et prêt les en empêcher. Huit cas historiques sont étudiés en détail : la prise du fort d’Eben-Emaël par les paras allemands en 1940, l’attaque à la torpille pilotée des plongeurs italiens à Alexandrie en 1941, le raid britannique sur Saint-Nazaire en 1943, l’attaque des sous-marins miniatures britanniques sur le Tirpitz la même année, le raid des Rangers américain sur le camp de prisonnier de Cabanatuan en 1945, le raid de l’US Army sur le camp de Son Tay au Vietnam en 1970 et le raid israélien sur Entebbe en 1976.
Ces études de cas ont été effectuées avec un soin remarquable : de nombreux documents d’archives ont été compulsés, des participants à toutes les opérations ont été interrogés, et à l’exception du Vietnam les lieux ont été tous visités. Pour chaque cas, l’auteur décrit ainsi l’arrière-fond de l’action, les unités et les principaux personnages impliqués, la planification et la préparation de l’action, avant de retracer son déroulement effectif en s’appuyant sur des schémas simples et limpides ; il conclut ensuite son analyse par une critique des plans retenus et des choix effectués, en vérifiant l’application de sa théorie et des principes sur lesquels reposent les opérations spéciales.
Cette théorie introduit la notion de supériorité relative, qui désigne une situation dans laquelle une petite force offensive prend un avantage décisif sur un adversaire plus nombreux et/ou bien défendu. Cette supériorité relative est obtenue une force de petite taille qui utilise un plan simple, prudemment dissimulé et maintes fois répété, puis exécuté par surprise et avec promptitude en se focalisant l’objectif. En d’autres termes, le succès ou l’échec d’une opération dépendent de la simplicité pendant la planification, de la sécurité et de la répétition pendant la préparation, et de la surprise, de la rapidité et de la concentration sur l’objectif pendant l’exécution. La différence de ces 6 principes avec ceux des autres formes d’opérations est en soi une vaste source de réflexion.
Ainsi, la simplicité consiste non pas à éviter la confusion, mais à limiter le nombre d’objectifs afin de réduire le volume de la force engagée, et donc les frictions engendrées. De même, la surprise dans une opération spéciale ne signifie pas surprendre l’adversaire par le déclenchement d’une attaque, puisque la valeur stratégique ou opérative de l’objectif rend probable une telle action, mais à l’heure et à la méthode de celle-ci. Enfin, la répétition rigoureuse de l’action vise également à réduire ses propres frictions en accentuant la maîtrise des risques encourus, et en développant les automatismes à même de contrer par avance l’effet de toute réaction adverse.
Ces principes sont brillamment retracés dans les exemples choisis, et McRaven montre avec éloquence comment l’emploi de planeurs et de charges creuses à Eben Emaël, ou la transformation d’un destroyer en bombe guidée à St-Nazaire, ont assuré le succès de l’action face à des défenses redoutables. Cependant, les missions qu’il a retenues sont toutes des actions directes, qu’il s’agisse de coups de mains, de raids destructeurs ou de libération de personnes. Est-ce que ces principes s’appliquent également à d’autres formes d’opérations spéciales, comme l’exploration dans la profondeur ou la contre-guérilla ? Probablement, mais il aurait été souhaitable que l’auteur élargisse dans ce cas sa perspective.
Malgré cela, ce livre constitue une base doctrinale de première valeur pour la planification et la conduite des opérations spéciales, et devrait être lu par tous les officiers et les spécialistes s’intéressant aux actions armées à l’échelon opératif ou stratégique.
Lt col EMG Ludovic Monnerat