Eric de la Maisonneuve, La violence qui vient,
Arléa, 1997
4 janvier 2004
a
violence est le problème central des sociétés subissant les révolutions de
notre époque, et sa maîtrise déterminera le développement de la planète. Voilà
la thèse au cœur de ce livre magistral, dont le contenu à la fois dense et
limpide est une contribution de taille à la réflexion stratégique
contemporaine.
Le général
Eric de la Maisonneuve, qui a déjà été présenté
dans notre guide de lecture, a eu une carrière militaire riche d'honneurs et de
réflexions. Ses nombreux articles et ses livres publiés depuis plusieurs années
en témoignent, et il est aujourd'hui l'un des avocats les plus convaincants
quant à la nécessité urgente de replacer la formation stratégique, la
compréhension des conflits et l'appréhension du futur au cœur des activités
intellectuelles de la nation. Ce livre constitue d'ailleurs un élément-clef de
sa démarche.
En 241 pages
extraordinairement riches et pertinentes, La violence qui vient parvient
en effet à brosser un tableau complet de notre époque : les révolutions
déclenchées par l'armement nucléaire, la sécurité collective supranationale et
l'information omniprésente, les défis impliqués par la pression démographique,
le développement économique inégal et le fossé technologique, tout comme les
menaces principales que sont la décomposition des sociétés, la criminalité
organisée et le terrorisme aveugle.
Pour
l'auteur, nous vivons actuellement une période de mutations aussi intenses qu'à
la fin de l'Empire romain d'Occident ou que pendant la Renaissance. Cette
époque charnière, inaugurée par la rupture de 1945 et la fin de la guerre
traditionnelle, est ainsi décrite en 10 chapitres souvent lumineux, et résumant
toujours à propos l'état de nos connaissances sur les crises et les
déséquilibres caractérisant notre monde. Les six années écoulées depuis sa
rédaction n'ont fait que conférer plus d'intérêt à cet essai.
Portant
l'héritage douloureux des armes françaises, Eric de la Maisonneuve brosse un
tableau éclairant de la décolonisation et de la transformation des conflits
armés. En séparant les guerres « inutiles » (Corée, Israël) et
« réussies » (Algérie, Vietnam), il montre notamment que les conflits
modernes ne visent plus à conquérir le territoire mais les esprits,
c'est-à-dire à contrôler les populations. Pour l'auteur, la guerre est ainsi
devenue une lutte mondialisée d'intelligences recherchant une part d'existence,
de reconnaissance, de puissance, d'influence ou de marché.
L'éclatement
non maîtrisé de la puissance, qu'il s'agisse du nombre des humains, de la
richesse débridée et inégale ou du surarmement de la planète, est selon
l'auteur étroitement lié à la fragilité croissante de l'État - construit pour
faire ou pour empêcher la guerre, et de moins en moins capable de l'un ou de
l'autre. La peur de la modernité, la délégitimation des élites ou encore
l'individualisme participent également aux formidables crises sociétales qui
favorisent la violence délocalisée et multiforme que nous connaissons.
Pour le
général de la Maisonneuve, il est dès lors essentiel que l'État redevienne le
maître de la violence et retrouve son caractère central, et que les sociétés
soient démilitarisées en rendant la guerre aux soldats et aux armées
régulières. Mais sortir d'une ère où la guerre de tous contre tous est la
principale entrave au développement ne pourra se faire en réajustant des
structures existantes, conçues pour maximiser la puissance de feu et
l'efficacité combattante. Pour vouloir la paix, il ne suffit pas de préparer la
guerre : il faut d'abord la comprendre.
On peut
reprocher à l'auteur d'avoir un peu sous-estimé le danger posé par le
terrorisme fondamentaliste islamiste, de porter un jugement définitif sur les
guerres dites révolutionnaires alors même que leur succès supposé est remis en
cause chaque année davantage, ou encore d'émettre à plusieurs reprises des
réflexions antiaméricaines sans grande valeur, comme celle accusant les
Etats-Unis d'avoir prémédité la Guerre du Golfe. La culture des armées
françaises comporte des traditions tenaces.
Cependant, en
démontrant de manière éloquente que notre époque impose une transition de la
défense nationale vers la sécurité collective, ce livre est une lecture
incontournable pour quiconque s'intéresse à la stratégie, aux conflits armés et
bien entendu à la politique de sécurité.
Maj EMG Ludovic Monnerat