Eric de la Maisonneuve, Le métier de soldat,
Economica, 2002
26 octobre 2003
e rôle du soldat au sein des sociétés occidentales est
bouleversé par l'évolution des technologies et des mœurs, et plus encore par
l'affaiblissement de l'Etat. Comment retrouver le sens de sa fonction au
service de la collectivité ? Ce livre propose une réflexion de premier
plan sur ces questions.
Né à Paris en 1939, le général Eric de la Maisonneuve a connu
tous les honneurs militaires ou presque. Saint-Cyrien breveté de l'Ecole de
Guerre, il a servi dans les troupes blindées et avec la Légion étrangère en
Algérie puis en France, avant d'occuper plusieurs postes de commandement,
d'information, d'enseignement et de conseil. Il a également publié de nombreux
articles et plusieurs livres, tout en étant chargé de cours dans plusieurs
écoles et universités françaises et étrangères.
Ce livre de 225 pages, remarquablement préfacé par le général
Gallois, s'ouvre sur une description poignante : l'enterrement du général
de Gaulle, dont le cercueil a été transporté sur un véhicule blindé qu'Eric de
la Maisonneuve, alors capitaine et commandant d'escadron, a eu le privilège de
diriger. L'homme visionnaire et rebelle qui symbolise la nation française au
siècle dernier est ainsi le point de départ d'une réflexion qui embrasse, en 8
chapitres denses et concis, la place du soldat autrefois, aujourd'hui et
demain.
Le vécu de l'auteur forme naturellement la base de son
itinéraire intellectuel, et ses descriptions de l'Afrique - la guerre
d'Algérie, qui frappe par sa modernité, ou le Zaïre délabré de Mobutu -
montrent l'importance de ce continent dans la culture des armées françaises.
Face au conformisme et à la frilosité de la métropole, les officiers hors
normes ont en effet trouvé dans les colonies un exutoire bienvenu, pour eux
comme pour ceux qu'ils gênaient, à leur ardeur combative et à leurs aspirations
créatrices.
Les portraits de Bugeaud, de Gallieni et de Lyautey soulignent
ainsi crûment l'isolement que le caractère trempé, le goût de l'écriture et le
sens de l'innovation leur ont valu. Mais l'étude de ces trois grands
« coloniaux » permet également de décrire l'aspect civilisateur de
l'action armée occidentale au XIXe siècle - comme de toute évidence au XXIe -
et la place centrale que le soldat a longtemps tenue dans l'expression de la
nation française et dans la composition de son autorité.
Pour le lecteur helvétique, cet ouvrage constitue une
excellente histoire des armées françaises depuis l'époque moderne, et notamment
des décisions stratégiques prises depuis 70 ans. La contradiction consistant à
développer une dissuasion nucléaire crédible et conserver un corps de bataille
conventionnel, l'incapacité à créer un instrument de projection adapté aux
conflits situés en-dessous du seuil nucléaire ou encore l'impact d'une
professionnalisation non préparée sont particulièrement bien décrits.
La grande qualité d'Eric de la Maisonneuve réside cependant
dans son aptitude à tirer de ses analyses historiques une vision claire et
lucide de l'avenir. En montrant que l'aspect psychologique des conflits est
devenu déterminant et qu'il faut s'attendre à affronter une violence endémique,
il affirme de manière convaincante que le soldat doit devenir un homme de crise
bien plus que de guerre, et que sa vocation reste plus que jamais la protection
des collectivités. Même si la nation s'effrite continuellement.
On peut reprocher à l'auteur quelques a priori discutables, et
notamment une vision un brin simpliste de l'économie libérale : parler de
« totalitarisme du marché » ou de matérialisme sans âme revient à
entonner des rengaines gauchistes qui font totalement abstraction de
l'individualisme moral et de l'hédonisme consumériste caractérisant notre
époque. De même, il est indéniable qu'une nostalgie martiale - au demeurant
touchante - plane sur certains chapitres.
Cela n'empêche en rien ce livre de poser des questions
essentielles sur la dimension militaire des sociétés modernes et de rappeler,
au fil des analyses et des descriptions, ce qui fait et fera toujours le propre
du soldat.
Maj EMG Ludovic Monnerat