Alain Hertoghe, La guerre à outrances, Calmann-Lévy, 2003
21 décembre 2003
a couverture médiatique de la guerre en Irak a été un
modèle de désinformation. Fondé sur l'étude détaillée de 5 grands quotidiens
français, ce livre relate et analyse les exagérations, omissions et
transgressions commises par une presse unanime. Une lecture essentielle pour
décrypter l'actualité.
Né en 1958, Alain Hertoghe était ces derniers jours encore
rédacteur en chef du site Internet de La Croix, le grand quotidien
catholique français. Après avoir notamment couvert la guerre du Golfe en 1991
et la campagne électorale américaine en 2000, il a observé avec un étonnement
croissant la vision sans cesse plus éloignée de la réalité que les médias
français ont donnée de l'offensive alliée en Irak. Au point de juger
inacceptable les partis pris et les outrances qui ont amené les rédactions à
désinformer avec insistance le public.
Ce livre de 186 pages constitue une analyse impitoyable de ces
dérives. L'auteur a étudié les éditions du 20 mars au 10 avril 2003 de 5
quotidiens français majeurs, à savoir Le Monde, Le Figaro, Libération,
La Croix et Ouest-France, en les comparant si nécessaire avec des
dépêches d'agences ou des articles de quotidiens anglophones. Un choix qui
intéressera le lecteur romand, puisque les reportages des trois premiers
journaux ont été fréquemment repris dans les colonnes de nos quotidiens
généralistes ou régionaux.
L'introduction donne la mesure de la manière avec laquelle la
campagne éclair de la coalition a été couverte : sur 2746 titres publiés
par les 5 quotidiens retenus, seuls 356 ont donné une image favorable de
l'opération militaire déclenchée, essentiellement en relatant l'avance des
troupes. Dans les trois volets de son ouvrage, Alain Hertoghe décrit ensuite le
décor idéologique qui a provoqué cette bérézina médiatique, les fantasmes
militaires qu'ont entretenus journalistes et experts, puis les exagérations ou
omissions qu'ils ont commises.
L'état d'esprit qui régnait dans les rédactions à l'orée du
conflit était ainsi marqué par un triple prisme partisan : diaboliser
l'administration Bush par la caricature systématique, adhérer à la ligne du
couple Chirac-Villepin en une ferveur toute nationaliste, et communier avec les
opinions publiques antiguerre par un populisme compulsif. En condamnant presque
unanimement l'opération « Iraqi Freedom » dans les termes les plus
virulents, c'est en fait toute une profession qui s'est d'emblée enferrée dans
un registre passionnel - dont elle n'a d'ailleurs pas encore émergé.
Au début du conflit, les médias se sont donc fabriqués l'image
d'une guerre éclair, menée sans combat ou presque. Cinq jours plus tard et
malgré une percée de 400 km, l'heure était déjà à l'enlisement et au
bourbier ; ensablés dans le désert, les soldats US avaient un urgent
besoin de renforts pour reprendre leur avance. Parvenus aux portes de la
capitale après 14 jours, ils allaient nécessairement devoir affronter une
population unie derrière Saddam Hussein et revivre un nouveau Stalingrad. Tels
sont les fantasmes qui ont été distillés au fil des jours.
Ce que montre crûment Alain Hertoghe, c'est comment les propos
des responsables coalisés ont été manipulés ou même inventés, comment les faits
ont été biaisés et escamotés par des commentaires revanchards, comment l'autocensure
et la complaisance se sont conjuguées à l'arrogance et à l'ignorance. Il
explique également pourquoi certains mythes, comme celui des « colonnes
infernales » américaines à Bagdad, décrites par un reporter qui n'a rien
vu, ont permis aux médias de justifier leurs erreurs d'appréciation.
Certes, l'intention de l'auteur est de rappeler que le rôle de
la presse ne consiste pas à choisir son camp et jouer les oracles, mais
simplement de décrire et d'expliquer la réalité. Il faut cependant garder à
l'esprit le fait que les désinformations et les outrances énumérées n'ont guère
fait l'objet de corrections, et que leurs auteurs sont ceux-là mêmes qui nous
expliquent depuis des mois à quel point les Américains sont piégés, battus,
perdus. Autant dire que La guerre à outrances est indispensable pour
décrypter l'actualité que l'on nous vend.
Il est à noter qu'Alain Hertoghe a été licencié par son
employeur après la publication de ce livre. La liberté d'expression a donc
encore un prix…
Maj EMG Ludovic Monnerat