^{14 mars 2004}

L’Ecole de guerre économique, fondée et dirigée par Christian Harbulot, constitue une réponse originale de l’intelligence française à la domination américaine s’exprimant par les relations commerciales. Les recherches entreprises pour cerner les liens entre puissance économique, posture politique et activités culturelles ont formé la base de ce livre composite, rédigé par plusieurs auteurs assez connus et appuyé par les travaux les étudiants de la promotion 2002 de l’Ecole. Le sujet de la guerre de l’information, terme retenu en Suisse, méritait une approche systématique sous l’angle de la connaissance.

Les 255 pages de ce volume ont ainsi adopté une structure didactique, avec trois parties visant successivement à définir la guerre cognitive, à en cerner les principaux acteurs et à en décrire l’avenir. Les 10 chapitres abordent les fondements doctrinaux des affrontements axés sur la connaissance, montrent leur usage au quotidien dans la vie économique, soulignent la difficulté pour les Etats à maîtriser un sujet aussi complexe, ou rappellent encore à quel point la prospérité est indissociable d’une sécurité pourtant menacée par l’évolution des technologies de l’information.

Par la force des choses, ces chapitres ont un contenu inégal et touffu. D’une part, les différentes facettes du sujet sont abordées au travers d’exemples très divers, et le lecteur saute par exemple d’une analyse brillante du plan de déception allié lors du débarquement en Normandie à l’étude d’une situation fictive dans laquelle une ONG tente de dissuader une compagnie pétrolière d’entreprendre un forage en France. D’autre part, le sujet reste encore neuf, de sorte que les auteurs fournissent une théorie encore en friche, complète à défaut d’être sans autre utilisable ; un foisonnement conceptuel plus qu’une vision stable et aboutie.

L’usage de l’information, à la fois stratégique, symbolique et technique, est cependant décrit avec une rare pertinence, et plusieurs chapitres constituent des lectures indispensables pour quiconque s’intéressent à celui-ci. On distinguera en particulier les réflexions de Nicolas Moinet, qui montre avec éloquence les différences entre les organisations pyramidales et celles structurées en réseau, de Charles Prats, qui fournit une grille de compréhension de la rhétorique subversive, ou encore de François-Bernard Huyghe, qui résume avec précision la complexité du sujet et les dimensions qu’il prend.

Malheureusement, cet ouvrage s’inscrit dans une intention stratégique claire : lutter contre l’hégémonie américaine non seulement sur le plan économique, mais également de manière globale. Pour Christian Harbulot, les Etats-Unis constituent l’ennemi à combattre, et il s’enferre à grands coups de raccourcis stupéfiants et d’allusions mensongères dans une rhétorique anti-impérialiste visant à prouver comment les Américains, dans leur ensemble, sans nuance et délibérément, tentent de dominer les esprits européens et d’y implanter des concepts favorisant leurs intérêts.

Le lecteur est ainsi assailli par des chapitres outranciers qui mélangent les règlements militaires américains des années 50 et 90, parlent de « complexe industrialo-médiatique hollywoodien » ou d’ « encerclement techno-stratégico-symbolique », et traitent carrément les Etats-Unis de tyrannie non déclarée. Une vision aussi monolithique trahit non seulement la méconnaissance de la réalité américaine, et notamment de la cumulation non dirigée des énergies individuelles qui caractérise un pays libéral, mais symbolise aussi une Europe qui se crispe et devient obsédée par sa marginalisation.

Il est frappant de constater que ce livre n’accorde pas même une ligne à la manipulation des esprits découlant du fondamentalisme religieux en général et islamiste en particulier. La guerre cognitive est pourtant au cœur de la lutte des valeurs et des idées qui embrase aujourd’hui la planète, et plusieurs auteurs de cet ouvrage fournissent des clés de compréhension en ce domaine. La lecture de ce dernier doit donc être recommandée, bien que son contenu lui-même verse par instants dans la désinformation.

Maj EMG Ludovic Monnerat