Thomas X. Hammes, The Sling and the Stone, Zenith Press, 2004
20 juin 2005
’adaptation des armées aux conflits de basse intensité et aux acteurs asymétriques exige des efforts considérables. Ce livre militant dénonce avec énergie les lacunes des armées américaines et propose pour leur transformation des pistes qui ont une application générale.
Le colonel des Marines Thomas X. Hammes est l’un des théoriciens des conflits de la 4e génération. Outre le commandement d’un bataillon d’infanterie de marine et d’un bataillon de renseignement, ses 30 ans de carrière l’ont amené à remplir de nombreuses fonctions opérationnelles dans le Corps des Marines, à étudier en Israël et au Canada, ainsi qu’à prendre le commandement de la Chemical Biological Incident Response Force aux Etats-Unis. Il est actuellement expert en matière de conflits de basse intensité, de guerre expéditionnaire, de projection de puissance et d’appui aux autorités civiles pour la National Defense University. De nombreux articles de son cru ont été publiés, notamment dans la Marine Corps Gazette.
Ce livre de 321 pages est ainsi le fruit d’années de réflexion sur les conflits de notre époque et sur les difficultés des armées à les mener. Divisé en 17 chapitres concis et percutants, il commence par définir les 4 générations de conflit avant d’étudier plus en détail les insurrections modernes, de Mao à l’Irak en passant par le Vietnam, le Nicaragua, la Palestine et l’Afghanistan ; il conclut dans le dernier tiers de l’ouvrage par des recommandations approfondies sur les mutations devant être apportées à la pensée stratégique américaine, et sur la transformation des forces armées US en termes de doctrine, de structure ou encore de personnel. Une bibliographie de 15 pages et un index complètent le tout.
L’objectif principal de ce livre consiste à tirer la sonnette d’alarme dans la communauté américaine de la défense : les méthodes des conflits de la 4e génération, et en particulier la guérilla et le terrorisme, ont régulièrement montré leur aptitude à défaire un adversaire militairement plus fort, et peuvent parfaitement en faire de même là où les Etats-Unis sont engagés aujourd’hui. Thomas Hammes se livre ainsi à une critique détaillée et pertinente de la pensée technocentrique qui règne au Pentagone, et de la tendance à privilégier les réponses symétriques de haute intensité. Il introduit notamment sa réflexion en soulignant que durant les 50 dernières années, les conflits non conventionnels sont les seuls à avoir changé le monde. La guerre classique ne peut plus être prioritaire.
Cette critique se fonde sur une compréhension exemplaire des conflits contemporains. En décrivant leur évolution depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’auteur résume bien les changements profonds et rapides de notre époque, et l’incompréhension de ces phénomènes qui a caractérisé les armées, et notamment celle des Etats-Unis au Vietnam. On notera cependant que la focalisation sur le siècle dernier n’est pas exacte sur le plan historique ; si Mao a effectivement développé une doctrine cohérente de l’insurrection, la pratique de la guérilla a une histoire millénaire, même si la vision occidentale du combat s’est focalisée sur la bataille décisive entre deux armées. Cela n’enlève rien à la qualité de l’argumentation contemporaine, mais tend à faire croire le phénomène récent.
Le colonel Hammes est entièrement dans son élément lorsqu’il préconise des mesures pour transformer les forces armées. L’importance de la sécurité intérieure, la priorité sur les guerres plutôt que sur les batailles, la réforme de la gestion du personnel sont pour lui les axes permettant de maîtriser à la fois les sphères politique, économique, sociale et militaire. La formation des cadres devrait en particulier être améliorée, avec notamment un système de qualification bilatéral, un entraînement favorisant la conduite libre et une éducation à l’histoire militaire. Ces réflexions s’appliquent en premier lieu aux différentes armées US, mais elles restent largement valables pour les autres armées occidentales.
La principale faiblesse de ce livre réside cependant dans son caractère militant. L’auteur est tellement persuadé de l’urgence de la situation que son jugement à l’endroit des opérations contemporaines ne tient pas compte du fait que la théorie des conflits de le 4e génération est connue depuis 1989, et que de nombreux officiers américains l’ont depuis adoptée et mise en pratique. Les avertissements lancés durant les années 90 ont été partiellement entendus. Thomas Hammes n’a par exemple pas vu qu’en Irak, les forces armées américaines combattent une idée avec une autre idée – et non avec leur puissance de feu. Conformément à la logique paradoxale de la stratégie, les succès éclatants des méthodes asymétriques ont annoncé leur déclin et le rééquilibrage des forces.
Dans la mesure où ce livre fournit une description remarquablement claire de ces méthodes et plusieurs pistes pour mettre en œuvre ce rééquilibrage, sa lecture reste néanmoins hautement conseillée.
Lt col EMG Ludovic Monnerat