Karl-Heinz Frieser, Le mythe de la guerre-éclair, Belin, 2003
31 mai 2004
a campagne de mai 1940 reste encore l’objet de nombreux mythes concernant la supériorité supposée de la Wehrmacht, allant de son équipement à ses choix opérationnels. Ce livre examine en détail le développement de la tactique qui permettra de battre l’armée française, et notamment son caractère improvisé face à un Haut commandement conservateur.
Ce mythe de la guerre-éclair écrit par le lieutenant-colonel Karl-Heinz Frieser du bureau de recherche d’histoire militaire de la Bundeswehr est un livre que chaque officier et/ou chaque passionné de tactique se doit de posséder.
En qualité d’officier de l’infanterie française et passionné de tactique, je trouve que ce livre est incontournable pour trois raisons. Premièrement, il représente une étude de la campagne de France de 1940 menée du point de vue allemand qui puise ses sources dans les archives allemandes conservées à Fribourg, du niveau le plus élevé de la stratégie jusqu’au niveau le plus bas du commandement tactique. Cette histoire se base aussi sur ne nombreux témoignages dont les originaux avaient été perdus et sur les archives du service historique de l’armée de terre française. Enfin, la richesse des 45 cartes et leurs précision permettent de suivre aussi bien les réflexions du niveau stratégique que l’action des 3 ou 4 sections de tête de la Wehrmacht qui vont permettre la percée de Sedan.
Deuxièmement, c’est aussi une étude qui s’élève contre la théorie courante d’une « stratégie de la guerre-éclair ». Au fur et à mesure de la lecture des archives de la Wehrmacht, l’auteur constate que tous ces documents vont à l’encontre d’une idée reçue et véhiculée depuis la Deuxième guerre mondiale : la victoire éclair de Hitler avait été planifiée comme « guerre-éclair ». Cherchant d’abord à donner une définition de la Blitzkrieg puis s’appuyant sur la comparaison des plans d’opération allemands de 1914 et de 1939, le lieutenant-colonel Friser montre que le haut commandement allemand comptait sur une réédition de la Première guerre mondiale, avec des combats au rythme de l’infanterie à pied et ce sur plusieurs années.
Cette conviction n’était pas partagée principalement par deux hommes : Von Manstein et Guderian. Véritable concepteur de la Blitzkrieg écarté de la direction des opérations au moment décisif, Von Manstein verra son plan réalisé par la désobéissance à Sedan du général qui croit le plus dans ce plan : Guderian. Ce dernier décidé « à bourrer plutôt que baguenauder », ce n’est qu’après sa surprenante percée à Sedan que l’offensive allemande acquit une dynamique propre insoupçonnée et conduisit au double « coup de faucille » qui vit l’effondrement de l’armée française en quelques semaines. L’auteur démontre donc ce qui a réellement fondé le secret de la réussite de 1940 et démontre aussi pourquoi ce fut l’échec lorsque Hitler voulut réitérer la même opération contre l’URSS.
Troisièmement, ce livre est un véritable cours sur les relations de la stratégie et de la tactique. Allant régulièrement du général au particulier, mettant en permanence en relief les interactions qu’il y a entre la tactique et la stratégie, ce livre est une démonstration par l’histoire du principal problème qui se posent au militaire pour réaliser les intentions du politique, c’est-à-dire les objectifs stratégiques. Le choix de mes objectifs tactiques va-t-il concourir à la réalisation de l’effet majeur du haut commandement ? Ne seront-ils pas trop ambitieux et ne dévoileront-ils pas ainsi prématurément mes intentions ? Ou, au contraire, ne risquent-ils pas par manque d’ambition ne pas avoir la portée permettant de réaliser le but politique ?
Bref, un livre qui partant de l’étude concrète d’un cas historique permet de comprendre les définitions et les interactions de la tactique et de la stratégie.
Chef de bataillon Jean-Louis Thebault
35e Régiment d’infanterie (France)
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