Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville et le soldat,
Odile Jacob, 2002
7 septembre 2003
e milieu urbain est indissociable de la guerre contemporaine, et l’Histoire a démontré son importance. Cet ouvrage examine chaque aspect des opérations militaires en zone bâtie et constitue une lecture préalable à toute réflexion en ce domaine.
Analyste stratégique bien connu du grand public francophone, le colonel Jean-Louis Dufour a tiré de son séjour comme attaché militaire à Beyrouth, en 1982, une appréhension détaillée des combats en ville. Spécialisé dans l’étude des crises internationales et des conflits contemporains, et professeur associé à l’Ecole militaire de Saint-Cyr, il a mené avec ce livre de 308 pages une recherche approfondie sur les relations entre la cité, la guerre et les hommes qui la font.
Aujourd’hui encore, les opérations militaires en milieu urbain sont abordées à contre-cœur par la plupart des forces armées. La complexité de l’espace en trois dimensions, la proximité constante des populations civiles ou encore le nivellement des forces s’opposent à la notion de bataille décisive qui sous-tend le modèle occidental de la guerre. Malgré l’évolution des armes et des mentalités, la crainte du soldat ou du général face à la cité tentaculaire et mystérieuse n’a guère changé.
Le livre est structuré en cinq parties : la guerre et la ville, une introduction générale à l’histoire des conflits, au milieu urbain et aux stratégies qui s’y appliquent ; la guerre contre la ville, avec la question de la fortification et du siège ; la guerre dans la ville, qui comprend l’attaque, l’insurrection et le conflit intérieur ; la guerre à la ville, où celle-ci est cible de bombardements et prise en otage ; enfin, le futur urbain de la guerre, avec les transformations de l’environnement urbain et des armées.
Jean-Louis Dufour parvient ainsi à brosser un tableau d’ensemble du sujet, en fournissant suffisamment de chiffres et d’anecdotes pour grandement enrichir le lecteur. Les études de cas constituent d’ailleurs l’un des points forts du livre, avec bien entendu Beyrouth, qui fait l’objet d’un chapitre entier, mais aussi Stalingrad, Berlin, Hué, Paris durant la commune, Madrid pendant la guerre civile ou encore Grozny. De même, les bombardements massifs ou les insurrections urbaines sont décrits avec minutie.
Cet ouvrage sera cependant une déception pour ceux qui en attendent un outil doctrinal servant directement les forces de sécurité. Au-delà de quelques détails techniques inexacts et d’une certaine superficialité, il pêche surtout par un sentiment sous-jacent de résignation. Pour l’auteur, la ville est par définition un milieu défavorable à toute opération militaire, à toute force organisée pour atteindre un objectif tangible. La défaite semble attendre au détour de chaque rue.
En fait, Jean-Louis Dufour montre simplement qu’une formation structurée, équipée et entraînée en vue d’un combat en terrain ouvert peine à être engagée en milieu urbain. Or les forces armées occidentales ont suffisamment souffert au cours du XXe siècle pour comprendre la nécessité de s’adapter aux opérations en ville, et embrasser des innovations techniques ou doctrinales. Les systèmes et les procédures destinés à cet environnement se multiplient depuis 10 ans.
La véritable démonstration des forces anglo-américaines en Irak, où elles sont parvenues à prendre des villes gigantesques face une opposition parfois fanatique en ne subissant que des pertes négligeables, l’a clairement démontré. Le même Jean-Louis Dufour a d’ailleurs certainement mesuré les limites de son œuvre, puisque ses analyses sur la bataille pour Bagdad – où il prévoyait une situation intermédiaire entre Stalingrad en 1942 et Budapest en 1945, et qualifiait les armées de «poules équipées d’un couteau» – se sont révélées totalement infondées.
Malgré cela, son livre demeure une somme historique de première qualité, de même qu’une approche systématique des opérations militaires en zone urbaine. L’étudier constitue donc un préalable à toute réflexion sur le sujet.
Maj EMG Ludovic Monnerat