Martin van Creveld, Command in War,
Harvard University Press, 1985
7 septembre 2003
et ouvrage déjà ancien reste l'un des rares à être exclusivement consacré à l'étude du commandement des opérations de combat. Grâce à une recherche détaillée et à des analyses éclairantes, l'auteur parvient à cerner les principes et les structures qui doivent caractériser le commandement militaire.
Martin van Creveld appartient aux historiens militaires les plus célèbres de notre époque, et ce livre de 339 pages en est l'une des raisons. Né au Pays-Bas en 1946 et établi en Israël depuis 1950, il enseigne l'histoire à l'Université Hébraïque de Jérusalem et s'est attiré une célébrité en partie controversée par ses propos très critiques sur la transformation des conflits armés, le déclin des Etats-nations et la place des femmes dans les armées.
Command in War fait partie de ses premiers écrits, et constitue le second élément d'une quasi trilogie embrassant également l'étude de la logistique et de la technologie dans la guerre. Son objectif est de décrire les principales mutations du commandement militaire de l'Antiquité à nos jours, et ainsi de mieux cerner la circulation des informations qui sont le propre de la fonction commandement et contrôle.
Le livre est structuré en six chapitres principaux : l'âge de la pierre du commandement qui va de l'Antiquité à la fin du XVIIIe siècle, la révolution stratégique symbolisée par l'épopée napoléonienne, l'ère industrielle du télégraphe, du train et des armes automatiques au travers de l'état-major général allemand, la guerre planifiée à l'extrême des tranchées, les maîtres de la manoeuvre aéromécanisée, et l'avènement de l'ordinateur à l'époque du Vietnam.
Chaque période fait l'objet d'une description prenant en compte l'emplacement et le rôle du chef des armées, les moyens techniques utilisés pour les liaisons, les structures destinées à traiter l'information, et l'efficacité globale des différentes solutions retenues. Les 42 pages de notes figurant à la fin de l'ouvrage ont permis d'aller à l'essentiel en allégeant le texte, sans écarter les éléments dimensionnels les plus importants.
Le plus intéressant reste cependant l'étude détaillée de quatre batailles sous l'angle du commandement: Jena-Auerstädt en suivant Napoléon, Königgratz dans le camp prussien, l'offensive allemande du printemps 1918 auprès de Ludendorff et la guerre du Yom Kippour vécue par les généraux de Tsahal. En choisissant de ne prendre en compte qu'un seul belligérant, Martin van Creveld montre quelles informations étaient à la disposition des chefs, quand leurs décisions ont été prises et comment leurs ordres ont été transmis et appliqués.
Par le biais de ces analyses dépourvues de toute aménité, il apparaît que les chefs doivent avoir la capacité intellectuelle – et les états-majors la capacité matérielle – de conserver en permanence la vue d'ensemble tout en pouvant au besoin se pencher de manière informelle sur les détails cruciaux – ce que l'auteur appelle un "téléscope dirigé". Des adjudants généraux de l'Empereur à la "cavalerie maison" de Patton, de tels instruments ont toujours existé.
Il manque bien entendu à ce livre un nouveau chapitre, celui de la digitalisation, de la guerre en réseau et de l'essaimage, c'est-à-dire de l'application constante des nouvelles technologies des communications aux opérations militaires. Les récents combats en Irak constitueraient le terreau le plus fertile pour une telle étude, qui confirmerait les principes mis en évidence, mais qui soulignerait le rôle plus important encore des médias, de l'image, de l'opinion publique et de l'éthique sur la conduite.
Cet ouvrage n'en est pas moins une lecture obligatoire pour chaque commandant et officier d'état-major. Il est éminemment regrettable que l'absence d'une traduction en français ait pareillement entravé sa diffusion.
Maj EMG Ludovic Monnerat