Caleb Carr, The Lessons of Terror,
Random House, 2003
7 septembre 2003
umineux et incisif, ce livre montre que les violences délibérément infligées aux civils sont une pratique de guerre à la fois ancienne et systématiquement contre-productive. Une plongée dans l’histoire la plus sanglante qui éclaire la question du terrorisme.
Historien militaire et romancier américain, Caleb Carr est né à New York et vit toujours dans cette ville. Son intérêt pour le thème du terrorisme n’est toutefois pas récent, et ses premières réflexions ont fait l’objet d’un article publié en 1996 déjà dans la revue The World Policy Journal. Edité une première fois en 2002, ce livre de 302 pages divisé en 12 chapitres a été légèrement revu pour encore mieux coller à l’actualité et à ses enjeux considérables.
Sa principale originalité consiste à aborder le problème sous un angle militaire, et non politique ou sociologique, et de montrer que le terrorisme est une pratique guerrière à laquelle se sont livrés tous les peuples. En qualifiant de terroriste toute attaque violente et délibérée contre des civils ou des non-combattants, l’auteur parvient en effet à remonter le fil des conflits illimités qui ont tellement ensanglanté l’histoire et à discerner la continuité de leur pratique désastreuse jusqu’à notre époque.
La destruction de Carthage par les Romains, les massacres généralisés des Croisades, les dévastations incessantes de la Guerre de Trente Ans, la répression féroce de Cromwell en Irlande ou les bombardements dits stratégiques de la Seconde guerre mondiale étaient tous des pratiques terroristes et inefficaces. L’auteur montre par exemple de manière convaincante que Rome a duré en dépit de tels excès, grâce à sa capacité d’intégration et de civilisation, et non grâce à eux.
Le terrorisme est ainsi analogue à la piraterie, à l’esclavage et au génocide dans le caractère illimité de la violence qu’il déchaîne. Et il est tout aussi contre-productif, par les réactions outragées et les représailles durables qu’il suscite. Israël peut ainsi se plaindre – et à juste titre – des actes terroristes qu’il subit, mais les Palestiniens qui aujourd’hui ne pensent qu’à massacrer des non-combattants suivent les traces de l’Irgun et des massacres commis pour l’indépendance de l’Etat juif.
L’Occident a développé au fil des siècles, sous l’impulsion de penseurs tels que St-Augustin, Hobbes, Grotius et le Suisse Emmeric de Vattel, un argumentaire important en faveur de guerres limitées, visant à réduire au strict minimum leurs effets sur les populations civiles. Mais tout ce corpus a été balayé par la levée en masse idéologique, par la révolution industrielle ainsi que par le militarisme nationaliste, qui ont concrétisé la guerre totale jusqu’au paroxysme de l’arme nucléaire.
Caleb Carr relève avec intérêt que la limitation de la guerre, qui implique notamment une stricte séparation entre armées et populations, est un concept pour l’essentiel occidental. Les colons européens ont souvent été confrontés à des pratiques exterminatrices qu’ils n’ont pas tardé à réadopter, et dont ils portent aujourd’hui encore le fardeau moral. Répondre à la terreur par une autre terreur, ou par une terreur plus grande encore, est un égarement des plus communs.
Cette réalité éclaire la guerre menée actuellement par les Etats-Unis contre le terrorisme fondamentaliste. L’auteur propose en guise de conclusion un certain nombre de mesures percutantes – comme supprimer la CIA, accusée d’être obsédée par les opérations clandestines, ou encore augmenter l’engagement des forces spéciales – mais plaide avant tout pour l’application d’une violence ciblée, épargnant très largement les populations civiles, sur le modèle de la campagne d’Afghanistan.
En montrant avant tout que «le terroriste d’aujourd’hui» n’est certainement pas «le combattant de la liberté de demain», ce livre possède somme toute une clarté morale et doctrinale qui le place au premier rang des lectures à conseiller.
Maj EMG Ludovic Monnerat