En avance dans la modernité : entretien avec le chef des forces de défense finlandaises
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12 février 2006
outes les forces armées sont confrontées actuellement au défi de leur transformation. La Finlande constitue un exemple éclairant, puisque son système de conscription et sa volonté de défense lui permettent une participation importante aux missions à l'étranger et un budget compatible avec les investissements nécessaires à une modernité consolidée.
L’amiral Juhani Kaskeala a pris le commandement des forces armées finlandaises à la fin de 2001, lorsque le gouvernement recherchait des coupes budgétaires et une réorganisation. Dans le cadre du concept de défense nationale totale, celle-ci visait à développer l’armée, les garde-côtes, la marine et l’aviation en une force plus compacte, plus centralisée et plus efficiente, capable à la fois de défendre le pays et de participer à des missions de l’OTAN, de l’UE et de l’ONU.
Les forces armées finlandaises sont axées sur la défense territoriale, avec une composante de réserve issue de la conscription générale. Le pays dépense environ 1,4% de son PIB dans la défense.
«... Nous ne planifions pas de mettre un terme à la conscription, parce que dans une armée purement professionnelle nous ne pourrions jamais recruter les professionnels de haut niveau dont nous disposons à présent. »
La position traditionnelle de la Finlande en matière de défense nationale est unique. Quelles sont aujourd’hui les menaces pesant sur votre sécurité nationale ?
La nouvelle réalité est en fait très ancienne. Notre attitude en matière de défense diffère beaucoup de celle d’autres nations de l’Union européenne. Nous pensons qu’il nous appartient de construire une capacité de défense et de dissuasion telle que toute nation considèrerait comme trop coûteux, soit de nous menacer par la force, soit d’exercer une pression militaire sur nous. J’ai l’impression que nos voisins sont désireux d’avoir une Finlande qui maintient une forte capacité de défense, et aujourd’hui personne ne voit aucune menace de crise militaire à grande échelle ou d’emploi de la force armée dans la région. Cependant, les climats politiques peuvent changer, alors que les capacités militaires évoluent très lentement.
Comment les coupes budgétaires et la réorganisation ont-elles affecté vos forces ?
L’ampleur des économies que nous avons dû faire a été exagérée. Nous avons économisé 22 millions de dollars en 2006 et en 2007. C’est moins de 1% de notre budget de défense [2,3 millions de dollars en 2005, note du traducteur]. Ce que nous avons fait, c’est diminuer provisoirement le volume de l’entraînement des réservistes. Cela coincide, de l’autre côté, avec une restructuration majeure de notre organisation du temps de paix. La capacité de mobilisation sera réduite d’un tiers et passera à 350'000.
Comment la réduction des coûts de fonctionnement va-t-elle affecter les acquisitions ?
Nous sommes d’avis que les pays européens devraient employer plus de 25% de leurs budgets de défense pour l’acquisition de nouveaux équipements de défense. Autrement, l’écart entre l’Europe et les Etats-Unis va continuer de s’accroître. La Finlande est l’un des rares pays européens à dépasser ce niveau.
L’un des objectifs politiques, en Finlande, consiste à consacrer un tiers du budget total de la défense aux acquisitions, et nous allons atteindre ce niveau en 2006. Nous comptons ne pas employer plus de 30% de notre budget annuel aux coûts du personnel. Le budget de la défense va augmenter de 4,5% en 2006 pour atteindre 2,4 milliards de dollars, et 760 millions seront disponibles pour les acquisitions contre 670 en 2005. Le budget de la défense est également indexé, ce qui nous permet de mener des planifications à long terme jusqu’en 2012. C’est important à des fins d’acquisition.
Quels programmes et investissements majeurs sont planifiés ?
Quelque 1,2 milliards de dollars seront investis ces 6 prochaines années dans l’amélioration de notre C4I intégré et dans leurs systèmes d’exploration multisenseurs. Ceux-ci sont déjà partiellement en place. Nous sommes en train de développer un système opératif d’ensemble, basé sur des entrepôts de données et une intégration de réseau consolidée à partir de 300 différents systèmes d’information.
Les principaux domaines de développement dans l’armée comprennent la transformation de 3 brigades d’infanterie mécanisées légères Jaeger en brigades d’alerte dès 2008. Ce sont nos formations de pointe, et elles seront équipées du matériel le plus moderne afin d’être en mesure de projeter des forces et d’opérer au pied levé dans toutes les parties de la Finlande et par tous les temps.
Les nouveaux programmes d’acquisition vont inclure l’achat de systèmes lance-roquettes lourds, des munitions d’artillerie spéciales et un système air-sol basé sur la plateforme F/A-18 Hornet, ainsi qu’un système d’appui à l’exploration opérative. Nous investissons dans un système de défense aérienne à longue portée et dans un autre système de portée intermédiaire.
Du côté de la marine, nous allons améliorer notre capacité en matière de lignes de communication navales.
Quelles conditions de pré-formation sont nécessaires pour les groupements de combat germano-hollando-finnois et nordique de la force de réaction rapide de l’UE ?
Il y a actuellement un processus intense de rédaction et de planification en vue des accords techniques et des capacités, et le groupement de combat germano-hollando-finnois atteindra sa capacité opérationnelle complète en janvier 2007. L’entraînement des troupes commence dans 6 mois. Ceci va exiger de nous la tenue de grands exercices interforces à l’étranger et l’évaluation de ces exercices. Après cela, nous aurons le processus de certification final de tout le groupement de combat. Nous préparons simultanément le groupement de combat nordique, qui sera disponible dès janvier 2008.
Il est important d’avoir une plus grande similitude dans l’équipement utilisé, comme des véhicules, des armes légères et des moyens de communication identiques. Tout comme la Suède et la Norvège, la Finlande des transporteurs de troupe blindés CV-90 et Sisu. Les grands programmes de véhicules sont similaires. Les Hollandais ont des CV-90. Pas les Allemands. Les Hollandais ont également des Sisu. Il y a une certaine similitude, et nous cherchons à en créer davantage.
Comment la Finlande voit-elle l’établissement d’une stratégie de défense européenne et le niveau d’implication américain ?
Il est extrêmement important que les Etats-Unis fassent partie de la solution d’ensemble. C’est la position du gouvernement finlandais. Nous considérons important que l’engagement américain dans le système de sécurité européen soit maintenu.
La position politique finlandaise est qu’il n’y a aucune nécessité pour l’Union européenne de devenir une alliance militaire. L’UE doit bien entendu avoir et aura une politique étrangère et de sécurité commune qui soit efficace, avec des moyens militaires pour les opérations de gestion des crises.
Nous ne pouvons nous attendre à ce que les intérêts européens et américains coincident toujours, de sorte que l’Europe doit également avoir une capacité indépendante. La Finlande souligne avec force l’accord Berlin Plus, selon lequel les moyens et capacités de l’OTAN sont disponibles pour des opérations européennes. Une structure existante est déjà en place, et l’Europe en fait partie.
Est-ce que la Finlande va changer son système de conscription pour construire une force armée davantage professionnelle et permanente ?
Nous ne planifions certainement pas de mettre un terme à la conscription, parce que dans une armée purement professionnelle nous ne pourrions jamais recruter les professionnels de haut niveau dont nous disposons à présent. Avec le système de conscription, nous avons accès aux meilleurs ingénieurs du pays et à d’autres talents si nécessaire. Si nous devions payer pour ces compétences sur une base annuelle, nous serions dans la même situation que certains pays où l’essentiel du budget de la défense est consacré aux salaires.
La conscription fait partie de l’identité nationale finlandaise. Le moral durant le service est très haut chez nos jeunes soldats. Ils considèrent le fait de servir son pays comme un droit. Nos forces de conscrits représentent la partie la plus douée et la mieux instruite de notre société.
Qu’est-ce qui donne à la Finlande la capacité de participer à des missions internationales de l’UE et de l’OTAN ?
Notre système de défense basé sur la conscription, qui crée un grand nombre de réservistes, nous permet de puiser dans la réserve pour les opérations internationales. Ceci nous donne accès à des compétences et à un savoir-faire de très haut niveau, parce que la société finlandaise est basée sur une éducation de haut niveau. Mes collègues en Europe sont parfois stupéfaits de voir que la Finlande a été pendant des années le plus grand contributeur par personne des opérations de l’OTAN et de l’UE, et spécialement celles de l’OTAN, bien que notre système de défense soit totalement différent.
Quel genre de soldat la Finlande envoie-t-elle en mission à l’étranger ?
Lorsque la Finlande est devenue le premier pays non membre de l’OTAN a déployer un groupement de combat complet de 850 soldats au Kosovo, en août 1999, 90% de ceux-ci étaient issus de la réserve ; 60% des soldats que nous avons envoyés au Kosovo avaient une formation de niveau universitaire ; tous avaient reçu une formation civile complète en plus de leurs 12 mois d’entraînement militaire et de leur préparation à la mission. Certains pourraient suggérer que ce ne sont que des réservistes. Ce n’est certainement pas le cas ; à notre avis, nous envoyons un soldat volontaire de haute qualité et plus mûr, avec une moyenne d’âge de 25 ans.
La Finlande est un contributeur majeur des opérations de l’OTAN. Est-ce un désavantage d’être hors de la boucle de décision ?
En tant que pays non membre de l’OTAN, nous devons accepter cette réalité, mais les pays membres ont été ouverts et prévenants grâce à notre forte contribution. Le gouvernement finlandais, toutefois, va maintenir à long terme l’option de rejoindre l’alliance. Et nous avons une voix dans le sens où nous faisons partie du cadre polico-militaire de l’OTAN, où les partenaires sont intégrés dès que possible dans les premières étapes de la planification. Ce n’est pas un vrai rôle de décision, mais pour des raisons de transparence il permet d’aider les partenaires à passer en revue le processus.
Texte original: Gerard O'Dwyer, "Adm. Juhani Kaskeala - Finnish Defense Forces Chief", Defense News, 2.1.2006