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Plus les choses changent, ou de la sagesse des temps

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4 septembre 2005

Combattants taliban prisonniersP

our l’historien militaire américain Victor Davis Hanson, les conflits armés sont régis par des principes immuables, et ceux qui enflamment notre époque ont des parallèles étroits avec ceux des temps passés.

On connaît deux types d’analystes militaires : les uns qui croient que l’essence de la guerre est immuable et les autres qui insistent sur le fait que sa vraie nature est constamment et pour toujours altérée par la rapide transformation des techniques, des mentalités et de la réalité physique. Les premiers sont pour la plupart des historiens. Ils considèrent que la nature de l’homme est fixe, et ainsi ne voient de réel changement que dans la pompe, le système de distribution, pas dans l’eau, l’essence de la guerre. Les seconds sont des spécialistes en sciences sociales, des techniciens, et parfois des militaires eux-mêmes, qui croient qu’un nouveau système hydraulique distribue un liquide entièrement nouveau.


«... S'ils sont pris vivants, le mollah Omar et ses principaux collègues en religion, comme les barbouzes du monde arabe, devraient en théorie être rasés, montré en haillons à la foule et muselés jusqu'à ce que leur sort soit fixé. »


Les spécialistes en sciences sociales nous ont mis en garde contre un ennemi entièrement nouveau. Sa propension à propager le fondamentalisme islamique comme des incendies mortels, son usage parasitique des technologies occidentales, et sa propension à répandre le meurtre de masse sur les ailes du suicide constitueraient apparemment une menace différente de tout ce que l’Occident a jamais eu à affronter. A cela, les traditionalistes opposent que les terroristes contemporains ne sont pas différents des sicaires de la province romaine de Palestine ou des assassins d’Europe centrale du siècle passé. Les solutions pour les défaire ont été éprouvées par le temps et sont efficaces : la force brutale, couplée avec l’espoir d’une repentance et d’une rémission, en fin de compte mettent un terme définitif à cette menace.



Les limites de l’appui aérien

Les scènes de fanatiques dans les rues du Pakistan ont surpris et effrayé certains Américains. A mon avis, plus effrayants sont les pseudo intellectuels ici dans notre pays qui analysent ce nouveau défi à la télévision, dissertant avec componction sur l’ignorance des Occidentaux, sur une décennie d’inévitables massacres et de meurtres à venir. Mais l’histoire nous enseigne que les foules les plus flamboyantes du monde islamique, comme c’est toujours le cas des foules, sont nourries de faux espoirs, et se disloquent lors d’une réelle défaite. Ces masses haineuses et fanatisées n’appellent pas à plus de discussion et de compréhension, mais seulement à plus de B-52 et de parachutage de nourriture. M. Musharraf n’a pas dispersé la rue pakistanaise par la raison raisonnante ou la coopération internationale, mais en avertissant que son gouvernement, son peuple et toute sa nation devraient affronter une Amérique ulcérée par son précédent soutien aux terroristes. En 1941, les Nazis qui par perversité ont massacré des Grecs innocents au cours de représailles barbares n’ont pu que ralentir, pas arrêter, les commandos communistes. Peu après, les Américains idéalistes, promettant de la nourriture pour les innocents et des armes contre les coupables, ont mis fin à cette insurrection.

Les spécialistes universitaires du Moyen-Orient nous avertissent que les révisions radicales du Coran, aidées par les technologies globales, rendront ces groupes irrésistibles, si puissant est leur brouet d’anti-américanisme. Par contraste, l’histoire soupire et suggère de regarder ce que font ces groupuscules plus que ce qu’ils disent. Le passé nous rappelle que la majorité des Pakistanais préféreraient une sieste et un café ensuite d’un après-midi de hurlements devant les caméras du village global, plutôt que des semaines de misère dans des bunkers sur le front d’Afghanistan dans la puanteur de la chair déchiquetée pour défendre une cause perdue, pas moins, qui se propose de livrer à l’autodafé les caméras, les livres et les vidéos.

La loi d’airain de la guerre dispose qu’une supériorité militaire écrasante, couplée à une promesse de pardon pour les perdants, défait les terroristes : dans le passé, aujourd’hui et pour toujours, qu’ils soient zélotes, derviches ou adeptes de la danse du Grand Esprit. Peu nous importe que Ben Laden et ses barbouzes soient réellement des fondamentalistes islamistes, des mahdistes à la sauce ancienne, ou des fondamentalistes chrétiens toqués entrés en résistance. Peu importe en définitive si les terroristes planifient d’empoisonner notre eau, de détourner des avions, de répandre des germes ou de nous cracher dessus. Seul importe de disposer de la puissance militaire et de la volonté de les tuer en premier, de détruire leurs sanctuaires, de les dépouiller de leurs ressources financières et de leurs caches, et de démontrer à leurs fidèles que la mort et la misère sont la seule et définitive rétribution de la vie d’un terroriste.

Si, comme les Romains, nous pouvons condamner à mort les violents, et assurer la paix et la sécurité aux repentants, alors l’excitation du monde musulman pour Ben Laden passera, comme elle a déjà passé pour d’autres mafieux et dingos du même tonneau. Malgré tout ce discours très médiatisé sur la nouvelle vague des attentats suicides, la plupart des Taliban en Afghanistan, comme des Chrétiens, manqueraient l’appel du muezzin s’ils savaient qu’une bombe les attendait sur leur lieu de prière et se défileraient de l’homélie du saint homme dans l’espoir d’un bon repas destiné à tromper leur faim. Cela explique pourquoi tous ceux qui nous haïssent dans les rues du monde musulman sont devenus moins audacieux, et pas le contraire, depuis que nous avons commencé à les bombarder.

On nous a d’abord dit que les bombardements gagneraient cette guerre, et ensuite qu’ils ne la gagneraient pas, puis qu’ils l’ont presque gagnée, les experts montrant ainsi qu’ils avaient tort, raison, puis de nouveau tort, selon les dernières nouvelles du front : tout cela, sans jamais s’excuser de leurs précédentes erreurs de jugement, cependant toujours prêts pour asséner de nouvelles affirmations. Les historiens, au contraire des chercheurs en sciences sociales ou des journalistes, chercheraient plutôt des constantes au cours du temps et de l’espace, afin de mettre en perspective notre campagne aérienne.

Une attaque aérienne, que ce soit au moyen de flèches, du feu grégeois, d’un carreau d’arbalète, ou d'un tir de mitraille, a toujours offert une aide substantielle aux troupes terrestres, sans les remplacer. Les Grecs ont défait les Perses parce que les traits orientaux ne pouvaient pénétrer les cuirasses occidentales, ni distinguer un ami d’un ennemi au sein de la mêlée, d’autant qu’un archer ennemi restait sans défense face à une charge frontale des hoplites. Les premiers essais de bombardement aérien promettaient de mettre un terme immédiat aux guerres. Tel ne fut pas le cas, mais trente ans après, ils ont aidé à l’écrasement des Allemands et des Japonais (même si après guerre cette stratégie a pu être considérée comme erronée). Au Vietnam, nos jets seuls n’ont pas permis d’assurer la victoire, mais en Serbie, ce fut le contraire, dans la guerre du Golfe comme celle d’Afghanistan, presque. Pourquoi ?

Certains principes éprouvés par le temps déterminent si un assaut aérien sera essentiel pour obtenir la victoire, et ces déterminants immuables dépendent entièrement du degré de létalité, de précision et de sécurité de l’attaquant. Les catapultes étaient parfois précises, mais rarement mortelles pour la masse de l’infanterie, toujours vulnérables à une contre-attaque, et pour cela rarement engagées sur le champ de bataille autrement qu’au cours d’un siège. L’artillerie à poudre en revanche, qui est aussi précise que mortelle, restait vulnérable à un contre assaut. Les B-17 pouvaient être mortels, mais pas toujours précis et souvent dangereux à piloter au dessus de l’Allemagne, de sorte qu’ils furent utiles, mais pas décisifs en eux-mêmes dans notre victoire.

En Afghanistan cependant, l’US Air Force contemporaine a miraculeusement réuni, pour le moment, les trois éléments de la vieille triade du succès. Nos pilotes, protégés par une aura de contre-mesures électroniques et par la destruction de l’aviation ennemie, sont relativement en sécurité. Leurs bombes, de mille à quinze mille livres, sont toutes létales. Leur artillerie, guidée par satellite ou laser, frappe avec une précision véritable, assurant ainsi que le méchant soit éliminé et l’innocent la plupart du temps épargné, et ce a réitérées reprises. Ainsi, ils nous sauvent de l’impasse de Dresde et du fiasco de Schweinfurt. Mais garderons-nous toujours cet avantage ?

Difficilement. Alors que nous parlons, des tacticiens cherchent à améliorer les missiles antiaériens, à concevoir de nouveaux types de bunkers défensifs, à brouiller et leurrer les projectiles intelligents, espérant une fois de plus que le pilote deviendra vulnérable, inefficace et amoral. Notre armée sait tout cela, et par conséquent cherche à son tour à rendre nos avions encore plus mortels et concevoir des contre-mesures pour rendre moins aisée la destruction d'un avion.



Mettre vraiment un terme au conflit

Les armes changent. Les tactiques se modifient. Mais les prémisses de la guerre aérienne – létalité, précision et sécurité – demeurent les mêmes. Suivant le degré atteint, les avions seront superflus, disponibles ou indispensables dans nos guerres à venir. Les Taliban ignorent les lois de la guerre autant que l’histoire. Ils pensaient apparemment que cette guerre se déroulait autour de 1985, plutôt qu’à un moment rare de la renaissance aérienne du siècle nouveau.

Que devons nous faire des milliers de Talibans qui se rendent en Afghanistan ? Les tuer, les capturer, ou les laisser partir ? Appeler l’ONU ? Les tribunaux islamiques de l’Alliance du Nord ? Des gardes américains ? Johnnie Cochran [pénaliste américain, avocat de OJ Simpson, note du traducteur] ? Les juges à perruques anglais ? Une fois de plus, on nous dit que nous sommes face à un dilemme entièrement nouveau : un nouvel ennemi terroriste, qui n’a pas de pays pour le représenter, pas de foyer où retourner, pas de serment à prêter, pas d’excuses à donner, et pas d’identité à révéler.

Tous les combattants défaits, et les terroristes d’Al-Qaïda sont au moins cela, ont devant eux le même triple choix que depuis toujours : mort, incarcération, ou liberté conditionnelle. Et le choix demeure toujours lié aux circonstances de leur reddition. L’ingrédient principal pour mettre un terme fructueux à une guerre est l’humiliation couplée avec la clémence : hormis cela, un conflit ne peut véritablement trouver son terme. La Grande Guerre a conduit à la Seconde Guerre Mondiale parce que l’armée allemande avait été défaite, mais pas humiliée. A cause de cela, elle a retraversé le Rhin, convaincue qu’elle avait été battue à l’étranger, pas sur son sol, et par un coup de couteau dans le dos, pas d’une balle dans la tempe.

Cependant, trois décennies plus tard, les Nazis et les soldats japonais ont connu un sort différent. Ni les uns, ni les autres n’auraient pu prétendre qu’ils avaient combattu et obtenu un match nul, alors que leurs armées étaient détruites, leur sol natal mis à sac et leur moral brisé. Cette capitulation nous a donné la paix, pas un second round. Il ne fut pas nécessaire d’éliminer les soldats de la Wehrmacht qui se rendaient, dont beaucoup travailleront après la guerre avec l’armée américaine pour la reconstruction, juste pour s’assurer qu’ils avaient réalisé être hors jeu et totalement défaits, autant que leur cause discréditée. Il doit en être de même avec les Taliban d’Afghanistan.

Saddam Hussein pensait, ayant survécu à l’armada mondiale, que la Guerre du Golfe était un succès, pas une défaite. La pierre de touche indiscutable de son succès, Bagdad sauve, la tête de Hussein toujours sur ses épaules et la Garde Républicaine intacte, suggère qu'il en savait plus que nous. Et ainsi, comme Churchill en 1939, nous faisons face au même ennemi au même endroit par naïveté et humanité mal placée dans le passé. Une armée défaite, maintenant et toujours, ne doit pas simplement se rendre. Elle et son infrastructure doivent être démantelées et son idéologie flétrie. Lee n’a pas abandonné lorsqu’il fut seulement battu, il l’avait été des mois auparavant à Gettysburg, mais seulement lorsque son armée fut décimée, sa cause perdue et ses fidèles déshonorés. Grant et Sherman ne voulaient pas moins, et ils nous ont donné la paix, pas des années de terrorisme et de guerre anti-insurrectionnelle. L’incendiaire Nathan Bedford Forrest promit d’abord une résistance sans faille, mais après ce qu’il avait vu au Tennessee et en Georgie, il préféra tout arrêter et retourner chez lui.

Les terroristes qui abandonnent et jettent leurs armes doivent être triés pour être livrés à leur bourreau, leur geôlier ou réhabilités. S’ils sont pris vivants, le mollah Omar et ses principaux collègues en religion, comme les barbouzes du monde arabe, devraient en théorie être rasés, montré en haillons à la foule et muselés jusqu'à ce que leur sort soit fixé. Ceux qui ont tué, comme leurs complices, doivent être transférés. Les autres vétérans de ces organisations doivent être emprisonnés pendant des années tandis que les nouvelles recrues ignorantes, jeunes ou égarées, sans sang sur leurs mains, doivent être débriefées, photographiées, leur empreintes digitales enregistrées et cataloguées avant d'être renvoyées dans leurs foyers, leurs identités, le nom de leurs familles, leurs maisons enregistrées dans les archives du monde criminel et être accessibles même à un débutant sur Internet ou dans une bibliothèque de quartier. Pour ces nouvelles recrues qui ont été capturées, avoir servi Ben Laden doit devenir un épisode de leur vie aussi honteux que fou. Rien de moins, sinon nous serons de retour en Afghanistan ou ailleurs dans moins de dix ans.

Dans le fracas et le brouillard du présent, nous ne devons pas oublier la sagesse du temps passé. En général, Platon, Sun Tzu et Shakespeare, qui connaissaient la nature permanente de l’homme, sont des guides plus précieux dans la guerre actuelle que le New York Times ou les têtes causantes de MSNBC. Pour autant, nous devons être reconnaissants au haut commandement de notre armée d’être guidé d’avantage par Thucydides que par Marx, Freud ou Foucault. En vérité, plus les choses changent dans la guerre, plus ses constantes demeurent les mêmes.




Texte original: Victor Davis Hanson, "An Autumn of War", Anchor, New York, 2002 ad chapitre 28    
Traduction et réécriture : Thierry Ulmann
    




Victor David Hanson est un écrivain original. Viticulteur de formation, il exploite des vignes en Californie. Venu ensuite aux lettres classiques, il a étudié le latin et le grec, qu'il enseigne. Par un curieux glissement, il s'est intéressé à l'agriculture dans la Grèce classique, puis à l'art militaire de la même époque. Il s'est ensuite spécialisé dans l'histoire militaire au sens large, en publiant des études moins centrées sur la description de l'art militaire que sur sa signification politique et philosophique.

La théorie centrale de Hanson est, en résumé, que l'Occident a développé depuis la Grèce antique une façon originale de pratiquer la guerre. Les Grecs ont inventé une façon particulière de se battre: la brève rencontre de deux corps de bataille en une heure et un lieu dits où, par une charge unique et brutale, une décision est rendue par l'élimination physique de la partie défaite. Selon Hanson, le modèle occidental de la guerre, dérivé du modèle grec, se caractérise par la recherche du résultat, soit concrètement par la volonté farouche d'anéantir son adversaire de façon définitive. Ce modèle est le produit d'une civilisation qui se caractérise par sa liberté. Le hoplite grec est un homme libre, qui choisit librement la guerre ou ses chefs. Il n'est pas soumis à une autorité despotique, mais à celle de la loi, à laquelle les généraux sont eux-mêmes aussi soumis. Il est évident que pour Hanson, les USA et son armée sont les successeurs de la Grèce classique, tant en ce qui concerne ses idéaux philosophiques que politiques. L'Amérique est la nouvelle Athènes et son armée, constituée d'hommes et de femmes libres, le nouvel hoplite.

L'article traduit ici est tiré d'un ouvrage de Hanson contenant une série d'articles publiés dans les quatre mois suivant la destruction des tours jumelles. A travers ces articles, l'auteur commente l'actualité qui était celle de la brillante campagne d'Afghanistan, en traitant des sujets autant strictement militaires (tactique et stratégie) que politiques ou philosophiques. Cet article a été choisi parce qu'il est particulièrement intéressant, tant pour des raisons de forme que de fond. Pour la forme, le lecteur constatera que Hansontraite son sujet du particulier au général, en partant de considérations tactiques (modalités de la guerre aérienne), stratégique (définition des buts de guerre en Afghanistan), puis politique (sens de cette guerre). Quant au fond, il répète son credo, à savoir que le monde libre, en fait l'Amérique, doit se battre comme se sont toujours battus les Américains, avec ténacité et courage, pour obtenir la destruction complète de leur ennemi en utilisant toutes les ressources de leur civilisation. L'Amérique gagnera cette guerre, non seulement parce qu'elle en a les moyens, mais aussi parce qu'elle sait affronter par son esprit et par son moral un ennemi idéologique. Cet ennemi lui en veut non pas pour ce qu'elle a fait, mais pour ce qu'elle est, une civilisation de la liberté, permettant à tout homme libre de rechercher le bonheur en tant qu'individu.









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