Après les attentats de Londres, le refus de la terreur
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10 juillet 2005
a Belgique n'est pas à l'abri d'une attaque identique à celle de Londres. Il est donc temps qu'une défense antiterroriste soit mise en place. Sans sombrer dans la paranoïa.
Les attentats de Londres viennent, malheureusement, de nous le rappeler, la possibilité d'une attaque terroriste massive sur une grande ville européenne n'est pas à écarter. Une des questions souvent entendues, à cet égard, renvoie à la possibilité que ce soit le cas en Belgique. Certes, on arguera que nos services de renseignement et de police sont parmi les plus efficaces du monde. Mais constatons également que nous ne sommes, pas plus que d'autres, à l'abri d'une attaque identique à celle de Londres. Démocratie libérale, attachée aux droits de l'homme, abritant les institutions européennes comme atlantiques, la Belgique forme naturellement une cible. Au même titre que l'Espagne, qui, malgré son retrait d'Irak, déjouera encore plusieurs attentats, bien après le 11 mars 2004.
«... La majorité des études menées en matière de guerre psychologique et de l'information montrent qu'une information adéquate aux populations est de nature à favoriser un fort degré de résilience aux attaques. »
Aussi, sans doute est-il temps qu'une stratégie de défense antiterroriste en bonne et due forme soit mise en place. Mais est-ce pour autant une raison de sombrer dans la paranoïa, sous prétexte qu'une des défenses antiterroristes les plus performantes du monde - la britannique - ait connu un échec? Certainement pas.
L'effet de terreur est précisément celui qui est prioritairement recherché par les terroristes. Dans le cas d'al Qaeda, la multiplication des frappes dans une faible enveloppe temporelle cherche à démultiplier ces effets, alors même que les forces de sécurité britanniques avaient redéployé une partie de leurs moyens et de leur attention afin de couvrir le Sommet du G-8. Le terrorisme, à ce stade, est une stratégie en bonne et due forme, fruit d'une vision du monde totalitaire et excluant autant le multiculturalisme - rappelons la valeur cosmopolite de Londres - que les droits et libertés les plus fondamentales. Pour autant, c'est également une stratégie d'une finesse inégalée dans sa macabre conception. L'attentat ne relève pas, comme la rhétorique américaine tend à le déclarer, d'une véritable guerre en bonne et due forme. Par définition, la guerre est continue mais aussi bornée dans le temps: on la déclare pour la finir.
A contrario, le terrorisme est virtuel, au sens premier. En effet, il demeure en puissance, le terroriste cherchant bien entendu à viser les «talons d'Achille» de ses cibles et s'efforçant de ne pas être l'adversaire que nous voudrions qu'il soit. Infiltré dans les méandres de nos sociétés, le terroriste est naturellement à l'abri dans sa définition d'une stratégie des moyens comme pour la planification de ses actions et le passage à l'acte. Aussi, contre certains auteurs indiquant qu'al Qaeda n'était plus guère active au terme des opérations en Afghanistan, peut-être est-il temps d'en revenir à une posture qui, si elle se doit de respecter les fondements de nos sociétés, doit également être d'une nature plus réaliste. Se pose alors une question d'un «comment» dans le contexte de la complexité institutionnelle propre à la Belgique.
Par définition, une des premières missions de l'Etat est d'assurer la sécurité des personnes et des infrastructures établies sur son territoire, dans le contexte d'un cadre légal spécifique et qui devra être respecté, sans quoi l'adversaire serait sur la voie de la victoire. Toute définition d'une stratégie contre-terroriste ne peut donc s'envisager que dans ce cadre, mais également en faisant appel à l'ensemble des moyens à notre disposition. A ce stade, sans doute devrions-nous considérer la Belgique comme un gigantesque réseau socio-politique, corps (au sens biologique) social intégrant en son sein ses propres anticorps sous la forme de ses divers services de sécurité. A cet égard, on ne peut que regretter le manque de plates-formes permanentes de gestion des informations - comme le Joint Intelligence Comittee britannique - mais aussi les frictions existant entre les différents niveaux institutionnels de compétence de l'Etat.
Ce qui existe n'est pas, à ce stade, à défaire. La réforme des polices - qui ne prend toutefois pas suffisamment en compte la menace terroriste, alors qu'elle ne sera qu'une des seules instances à son contact - ou les services de renseignement (souffrant toutefois d'un manque de moyens) et leurs modalités de contrôle parlementaire sont autant d'outils utiles et performants. Il nous manque toutefois une capacité à affronter les terroristes sur le terrain qu'ils nous imposent: le psychologique. Si nos services devaient ne pas permettre d'éviter un attentat, il ne nous restera qu'à limiter les dommages qu'il initiera sur nos modes de vie. Ainsi, aux Pays-Bas, l'assassinat du très polémique réalisateur Van Gogh aura été le catalyseur de violences majeures contre des mosquées et écoles (on dénombrerait 166 incidents majeurs) mais aussi d'une radicalisation de la progression de l'extrême droite.
La théorie de la résilience montre à cet égard comment une communication efficiente de la part des autorités permet de préparer mentalement les populations à la possibilité d'un attentat, évitant de délétères effets de choc et générant une «résilience» à l'échelle des sociétés, apte à déclencher de très intéressants phénomènes d'auto-organisation spontanée en faveur des victimes. On estime ainsi que l'occurrence de multiples attentats de l'ETA a «préparé» aux attentats du 11 mars une population espagnole qui restera fort digne, même si elle fera payer cher le mensonge de son gouvernement. La majorité des études menées en matière de guerre psychologique et de guerre de l'information montrent ainsi qu'une information adéquate donnée aux populations est de nature à favoriser un fort degré de résilience aux attaques et que le mensonge n'est pas à considérer comme une option.
L'Etat ne nous ment pourtant pas. Si sa communication en matière d'antiterrorisme ne semble pas faire pour l'instant l'objet d'une politique cohérente - car évoluant entre transparence et flou des déclarations - il dispose bel et bien d'un certain nombre d'instruments efficaces. Reste que des problèmes financiers obèrent bien souvent le développement de nos stratégies. Reste aussi que nombre d'actions sont peu coûteuses, notamment en matière de recherche d'une stratégie de résilience ou, plus simplement encore, dans la définition d'une véritable stratégie, intégrée et seule apte à nous permettre de faire face aux défis de demain, en conservant nos valeurs.
Joseph Henrotin
Chargé de recherches, ISC
Membres du Réseau Multidisciplinaire en Etudes Stratégiques (RMES)
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