La force d’un idéal permet
de multiplier l’effet des actions militaires
24 avril 2005
es rapports de force dans un conflit vont bien au-delà des capacités matérielles et de la volonté des belligérants. Les actions militaires menées actuellement par les Etats-Unis montrent combien les idées multiplient l’effet des troupes.
Voilà plus de 2 ans que les forces armées américaines sont entrées à Bagdad par la force, en menant des raids et des coups de main mécanisés qui ont dévasté les incertains remparts du régime de Saddam Hussein. Cet événement continue de frapper les esprits par l’anomalie apparente qu’il présente : prendre et tenir une ville de 5 millions d’habitants avec une division blindée renforcée de 30'000 soldats constitue a priori une absurdité militaire. Nombreux sont les experts qui, comme Jean-Louis Dufour, jugeaient impossible une offensive de ce type sans raser purement et simplement la ville, en citant l’exemple de Grozny effectivement détruite par l’armée russe.
«... Les idées sont des armes dans la conquête des esprits ; étendues à l'absolu, elles prennent la dimension d'idéaux universels. Les armées portées par de tels idéaux ont toujours été les plus redoutables de l'histoire. »
Pour ma part, en auscultant les cartes du pays et de la ville au début de 2003, et en essayant d’imaginer le plan d’attaque de la coalition, j’avais du mal à éviter un malaise profond face à Bagdad, à sa population prise en otage, à ses quartiers surpeuplés. Une capitale de cet acabit représente certainement le centre de gravité opératif d’une campagne, mais que faire lorsque battre ses défenseurs représente la partie facile de la mission ? De mon point de vue, l’affaire était jouable uniquement si l’énorme majorité des Irakiens ne s’opposaient pas à l’offensive et à la présence militaire américaines. Autrement dit, si le terrain des idées était plus favorable que celui des canons.
Un idéal à l'esprit
C’est une réalité qui continue d’échapper à de nombreux commentateurs européens : la plupart des Irakiens avaient un référentiel totalement différent pour juger les soldats américains venus sur leur sol. Malgré toutes les suspicions – légitimes – que provoquent leurs intérêts stratégiques multiples, les Etats-Unis continuent d’incarner plus que toute autre nation la liberté, la démocratie et le progrès aux yeux d’une grande part de la planète. Et les événements de ces derniers mois ont été à la hauteur de cette image : les élections en Afghanistan et surtout en Irak ont illustré de manière éclatante à quel point l’idéal démocratique était au cœur de l’action armée américaine.
Au lieu de créer de nouveaux terroristes par dizaines ou centaines de milliers, comme le clamaient sur le ton du scandale les bonnes consciences de nos contrées, les offensives militaires de l’administration Bush ont au contraire révélé des millions de démocrates, de citoyens prêts à descendre dans la rue et mettre un bulletin dans l’urne pour exprimer leur rejet de la tyrannie et leur aspiration à une existence libre. La guerre contre le terrorisme islamiste ne l’alimente pas : elle le démasque, le marginalise, l’étouffe dans une clameur populaire. Elle le défie mortellement sur son propre terrain. Elle ne commet pas l’erreur de vouloir combattre une idée par la puissance de feu.
Les idées sont des armes dans la conquête des esprits ; étendues à l’absolu, elles prennent la dimension d’idéaux universels qui transcendent la matière. Les armées portées par de tels idéaux ont toujours été les plus redoutables de l’histoire. La levée en masse exploitée par Napoléon n'explique pas la victoire des armes républicaines sur la Suisse de l’Ancien Régime ; ce sont les valeurs de la Révolution qui ont séduit, divisé et affaibli les Helvètes, qui ont fait des armées françaises des forces occupantes certes, mais non ennemies. L’analogie de perception est trop frappante avec les divisions de l’US Army et des Marines en Irak pour ne pas y réfléchir.
De fait, l’effet produit par les soldats américains va bien au-delà de leur action tactique – surveiller, patrouiller, contrôler, protéger ou encore reconstruire – et inclut des éléments culturels, cognitifs et subjectifs qui aboutissent à les transfigurer. Je ne suis pas sûr que les divisions mécanisées US durant la Guerre du Golfe étaient précédées par l’effigie de Luke Skywalker dans l’esprit des soldats irakiens, comme l’a écrit Ralph Peters voici quelques années dans la revue Parameters. En revanche, il est certain que tout l’imaginaire collectif dégagé par la culture populaire américaine influence durablement la manière avec laquelle les GI’s sont perçus. Avec par-dessus tout la notion de liberté.
Les soldats US en Irak sont, en moyenne, davantage convaincus que la population américaine de l’importance de leur mission et de la grandeur de leur pays. Ils sont autant des protecteurs que des ambassadeurs, des combattants que des enseignants. Rien ne les a vraiment préparés à la tâche consistant à construire une nation nouvelle, à l’exception du bagage culturel qu’ils emmènent et revendiquent. Les Nations Unies et l’Union Européenne n’en auraient jamais été capables, parce que le relativisme moral et le multiculturalisme exacerbé ruinent leur aptitude à convaincre et à séduire. Un conflit centré sur les idées et les valeurs ne peut être mené par ceux qui déconstruisent les unes et les autres.
La stratégie développée et mise en œuvre par la Maison Blanche et le Pentagone au lendemain des attaques du 11 septembre n’est pas parfaite, loin de là ; un analyste clairvoyant comme Laurent Murawiec le relève régulièrement. Cependant, elle est juste dans le sens où elle prend l’offensive, où elle porte le combat au cœur de l’ennemi, où elle libère et catalyse des énergies qui sont – à terme – favorables à ses initiateurs. Et cette stratégie est fondée sur l’idéal démocratique, c’est-à-dire sur la conviction que cette idée est juste et mérite une application universelle. Un concept pur, impossible à concrétiser pleinement, mais qui fait office de guide au-delà des tergiversations, frictions et compromis quotidiens.
Comme l’ont souligné plusieurs commentateurs à la mort de Jean-Paul II, la force de l’idéal a donné au Pape bien plus d’influence que ne pouvait l’imaginer Staline et son obsession de la puissance matérielle. De la même manière, l’influence des Etats-Unis en Irak va bien au-delà des 145'000 soldats qu’elle y déploie actuellement. Un autre parallèle est encore plus éclairant : alors que la Royal Navy et ses troupes embarquées ont été utilisées à l’ère victorienne pour imposer la liberté de commerce dont l’Empire britannique bénéficiait tant, l’US Army est aujourd’hui utilisée pour imposer une liberté d’opinion qui sert souverainement les intérêts de la République fédérale des Etats-Unis.
Que cette liberté corresponde aux inclinations individuelles explique pourquoi Washington va transformer le monde.
Lt col EMG Ludovic Monnerat