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De Ravachol à ben Laden, la rupture décisive du terrorisme et de la violence politique

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20 décembre 2004

Arrestation de RavacholL

a pratique du terrorisme a bien changé en l’espace d’un siècle : alors que l’anarchiste offrait sa vie pour un monde qu’il désirait meilleur, l’islamiste recherche le sacrifice généralisé pour accéder au paradis. Analyse.

François Koenigstein, dit Ravachol, né le 14 octobre 1859 à Saint Chamond (Loire), anarchiste dynamiteur, sera guillotiné à Montbrison le 11 juillet 1892. Il a été condamné pour le meurtre d’un rentier et de sa domestique, commis le 30 mars 1886, puis pour le meurtre de Jacques Brunet, pour ses économies et l’assassinat de Mme Marcon et sa fille. Ravachol niera farouchement ces deux derniers meurtres.

Le 11 mars 1892, avec l'aide de quatre compagnons, il fait exploser l'immeuble où réside le juge Benoît et le 27 mars, il s'en prend au logement du conseil Bulot. Il deviendra un mythe de la révolte.


«... Ecrivains et artistes construisaient autour des anarchistes des hagiographies qui leur décernaient un diplôme de martyr. Mais le terroriste sectaire tue des innocents qui lui ouvrent les portes du paradis. »


L’establishment réagit en dénonçant : « Des écrivains sans scrupules (qui) se sont fait leurs hagiographes ; des artistes les ont représentés, dans le cadre de la guillotine, comme dans un nimbe auréolé. » Car le pouvoir pense à « ces esprits faibles, accessibles à toutes les impressions que cette littérature intoxique, et chez lesquels le culte de Ravachol remplace le culte de Dieu. »

Mais si la peine de mort est reconnue comme « une cruelle nécessité », la seule qui puisse sécuriser la foule anonyme, elle n’a pas que des avantages puisque : « Elle est la seule qui met au front des condamnés, l’auréole des victimes de la justice bourgeoise. » Ce qui interpelle, c’est la dérive vers un culte du martyr. L’autorité essaie une ultime récupération en se référant aux chrétiens de l’église primitive. Car le sentiment religieux, « qu’on ne peut détruire, parce qu’il fait le fond de la nature humaine, a trouvé une issue dans cette direction. » La création des saints de l’anarchie.

A partir de 1870, le nihilisme en Russie devient une doctrine politique de l’action violente. Mais les attentats nihilistes, ou confondus avec des actions anarchistes, privilégient la destruction du pouvoir. En 1881, Alexandre II tombe sous les bombes de Ryssakov et de Grimetvitzki. Le 21 juillet 1894, le président Carnot meurt à Lyon sous le poignard d’un anarchiste. Le 30 janvier 1905, une bombe est placée dans la porte cochère du prince Troubetzkoi, mais n’explose pas. La même nuit, une bombe éclate devant le 13 de l’avenue de la République et blessé deux gardes républicains.

Le 20 mars, un individu blesse à coups de revolver M. Niagosedof, gouverneur de Viborg (Russie). Le 21 mars, une bombe est lancée à Varsovie au milieu d’une patrouille de police : 3 hommes tués. Le 23 mars, le commissaire de police de Dvinsk est mortellement blessé d’un coup de revolver. Le 26 mars, une bombe lancée contre le baron de Nolken, chef de la police de Varsovie, l’atteint grièvement. Simultanément, une bombe fait explosion dans un poste de police : six agents sont tués ou blessés.

Le 1 avril, le commissaire de police de Lodez est grièvement blessé par une bombe. Le 5 avril, la police de Pétersbourg arrête la fille du général Leontieff, chez laquelle on a trouvé deux bombes. Le 10 avril, à Libau, trois individus ont tiré neuf coups de revolver sur le directeur de la prison. En Russie, le 27 octobre 1906, une attaque à la bombe contre une voiture de la banque impériale à Petersbourg, fait des morts et des blessés. Le 9 novembre, en gare de Rogof lors d’un attentat contre un train postal, des valeurs considérables tombent entre les mains des assaillants.



« Tu veux la vie, je veux la mort »

C’était le temps où les terroristes assassinaient les rois et les ministres, tuaient à coups de bombes des policiers ou des militaires . Aujourd’hui, le but est différent, il faut en fait un maximum de victimes, de préférence des touristes ou des navetteurs. Le nombre de victimes, sans protection fait la une de l’information. Quel terroriste pourrait encore se reconnaître dans Ivan Kaliajev, dit le « Poète » ?

Comme ses camarades et de nombreux jeunes intellectuels russes, il rejoint la lutte armée à l’âge de 26 ans. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, ils avaient en aversion de répandre le sang : « nous portions la terreur comme une croix. » La cible d’Ivan était le grand duc Sergei, un oncle du tsar. Mais au moment de l’attentat, « le Poète » remarque que sa victime se trouve en compagnie de sa femme et de ses deux enfants. Aussitôt, il interrompt l’action. Mais trois jours plus tard, le terroriste retrouve Sergei seul, et il jette sa bombe. Trop près de sa victime, il fut blessé dans l’explosion. Il fut pendu, mais considérait son exécution comme une dernière protestation envers un monde où dominaient le sang et les larmes.

Nous n’avons nullement l’intention de transformer les Ivan Kaliajev et leurs compagnons en « chevaliers blancs ». Mais le massacre de Louxor, le lundi 17 novembre 1997, nous ramène à une barbarie extrême. Les touristes bloqués entre le mur du temple (d’Hatshepsout) et un pan de la montagne seront méthodiquement exécutés. Les terroristes se livrent à une tuerie de sang froid. A aucun moment ils ne sont gênés ou troublés par les cris et les suppliques des victimes. Ils psalmodient en tuant dans la plus parfaite sérénité, hommes, femmes, et enfants. Ils ont tué ainsi 62 touristes et en blessent 24. Ceci se rapproche des tueries commises en Algérie sur des femmes et des enfants par le Groupe islamique armé (GIA) ou par le Groupe salasafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

Les chefs d’Etat ou les hommes politiques en déplacement sont trop bien protégés par les services de sécurité. Des attentats visant des touristes faisant la bringue dans une boîte disco à Bali, ou des navetteurs travailleurs, étudiants et écoliers des faubourgs de Madrid, se rendant à leur lieu de travail, à l’université ou à l’école, sont les cibles privilégiées des tueurs. La mort d’un homme politique ou de policiers est bien vite oubliée ; mais quand l’homme de la rue est devenu la cible, alors le terroriste atteint son but : une épidémie d’angoisse.

Cette politique de la terreur n’est pas nouvelle. Au début des années soixante, l’OAS fit des ravages dans les rues en combattant l’indépendance de l’Algérie, au moyen de bombes. L’attentat à la bombe dans la gare de Bologne, en 1980, fit 85 morts. Ce bain de sang ne fut jamais vraiment revendiqué. L’attentat contre un avion américain en 1988, au-dessus de Lockerbie, fit 270 victimes. Mais qui l’a vraiment exécuté ? Le terroriste contemporain n’essaie plus de convaincre, il veut seulement détruire ses ennemis. Le 11 septembre 2001 a démontré qu’il est inutile d’adresser un message à la communauté internationale, et qu’un show télévisuel bien coordonné démontre que le grand Satan n’était pas invincible.

Si nous résumons les attentats qui ont eu lieu après le 11 septembre, le nombre de victimes ne fait que croître. Le 12 octobre 2002, en Indonésie, un attentat à la bombe de la Jemaah Islamiyah dans des discothèques de l’île de Bali a fait 202 morts, principalement des touristes. A Tsjetsenië, le 27 décembre 2002, un commando suicide tue 83 personnes dans un bâtiment gouvernemental. En Irak, le 29 août 2003, un attentat à la bombe dans la mosquée de Nadjaf fait 80 morts. A Istanboul, les 15 et 20 novembre 2003, 57 morts sont dénombrés lors de différents attentats suicides. Le 1er février 2004, dans la ville Kurde d’Irbil, un autre attentat suicide fait 101 morts. Toujours en Irak, le 2 mars 2004, la fête chiite Ashura donne lieu à un bain de sang avec 271 morts. Puis en Espagne, le 11 mars 2004, l’explosion d’une dizaine de bombes entraîne la mort de 191 personnes.

Si nous suivons les conclusions des experts en sécurité, le pire est à venir. Comme, par exemple, un attentat sur une usine chimique : pensons au nombre de morts suite à l’explosion de l’Union Carbide à Bhopal. Il n’y a plus aucune mesure entre les actions terroristes du XIX ou du début du XX siècle, ou de leurs héritiers, avec celles d’aujourd’hui. Pour les nihilistes et les anarchistes, il existait encore des innocents. Nous avons vu que, par la manipulation, écrivains et artistes construisaient autour des anarchistes des hagiographies qui leur décernaient un diplôme de martyr. Les nihilistes russes se considéraient « comme des martyrs pour un monde meilleur », terrestre bien entendu ! Avec l’espoir de meilleures conditions de vie pour le peuple. Il n’y avait nulle dérive millénariste mortifère.

Pour les actions terroristes actuelles, le martyr mène à l’accomplissement du règne d’Allah sur toute la terre. Pour que ce règne arrive, le sacrifice est nécessaire. Tous les attentats, comme ceux dirigés en août 1998 contre les ambassades américaines d’Afrique de l’Est et octobre 2000 contre l’USS Cole, ont exigé le sacrifice d’un ou plusieurs hommes. Des suspects se sont donné la mort en se faisant exploser lors d’une opération policière dans la banlieue de Madrid. Parmi eux, le « Tunisien » qui serait l’organisateur des attentats du 11 mars. Comme l’a décrit La Libre Belgique le 5 avril dernier, « lorsque les policiers de la Garde civile espagnole les ont encerclés, ils ont chanté en arabe en tirant des coups de feu. Puis, au moment où les forces de l’ordre ont voulu pénétrer dans l’immeuble où ils se trouvaient… une gigantesque explosion a retenti… ils ont préféré la mort à l’arrestation. »

L’anarchiste offrait sa vie, le terroriste sectaire tue des innocents qui, pour lui, ne le sont pas, mais qui lui ouvrent les portes du paradis. On sacrifie des êtres humains pour plaire à la divinité et établir ainsi son triomphe sur la terre entière. Il n’est plus question de nationalisme ou d’appartenance à un groupe, tribu ou famille, même si ces appartenances peuvent créer des liens pour protéger des réseaux ou des individus.

Un constat superficiel nous fait imaginer que ces hommes diplômés forment une intelligentsia, recourant à la violence tels les nihilistes pour réveiller le peuple. Mais le monde meilleur que promet cette élite est un paradis après la mort. Le paradis sur terre n’est possible que quand tout le mal, lisez tous ceux qui n’adhèrent pas aux lois de la « secte », auront disparu. Les tueurs de Louxor portaient un bandeau sur lequel il est écrit : « Jusqu’à la mort. »

Le symbole par excellence de la barbarie islamiste est l’attentat suicide : ceux qui pratiquent le jihad ne se soucient même pas de leur propre vie. Le phénomène est récent, mais certainement pas une exclusivité islamiste. Les premiers commandos suicides furent des chrétiens laïcs pendant la guerre civile au Liban. N’oublions pas les Tigres Tamouls qui ont pratiqué un grand nombre d’attentats suicide dans le cadre de leur guerre d’indépendance. Dans le Coran, il n’y a aucun appel au martyre. Mais les Iraniens, pour combattre les Irakiens, envoyèrent des bataillons suicides comprenant des enfants à travers les champs de mines.

Les nouveaux martyrs d’Allah proclament : « nous ne gagnerons pas, mais nous pouvons infliger à l’Occident de lourdes pertes », et donc le détruire. A Gaza règne ainsi une culture de la mort. Les portraits des martyrs ornent les rues et les candidats au suicide attendent au portillon. De jeunes Palestiniens transformés en bombes vivantes ont pratiqué plus de cent attentats sur des Israéliens. Même des femmes et des enfants se font exploser dans une société où règne le No Future.

Et l’exemple palestinien devient l’idéal à suivre pour le monde islamique. Du Kenya au Maroc, de l’Arabie Saoudite à l’Indonésie. Un scientifique américain a calculé que, depuis 1980 à 2001, un attentat suicide « occasionnait » en moyenne, sans le 11 septembre, la mort de treize individus. Un attentat conventionnel, lui provoque un mort. Un dirigeant du Hamas, Ismaïl Abou Shanab, déclarait dans une interview au Stern : « chez l’ennemi tombent de nombreux morts, et dans notre propre camp un seul. Il suffit de trouver suffisamment de shahids (martyrs). »



Conclusion

Pendant que la Chine et les Tigres asiatiques maintiennent ou fortifient leur économie, la situation au Moyen-Orient stagne ou décline. La démographie ne cesse de grandir et devient une bombe à retardement. Plus de la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans et trouve à peine du travail. Principalement chez les intellectuels, les frustrations sont énormes. Leur attitude envers l’Occident est motivée par un complexe d’infériorité qui provoque jalousie et haine. Finalement, le choix se réduit au chômage ou au Jihad. Et souvent les deux ensemble, si la carrière enviée à l’Occident ne se réalise pas.

Le terrorisme islamique n’apporte aucune solution à ce problème. « La stratégie d’Al-Qaïda est extrêmement pessimiste. » Ce même pessimisme se retrouve chez les fondamentalistes musulmans. La conclusion de Faradh Khosrokhavar se traduit par : « leur but est une nouvelle oumma, une nouvelle communauté des croyants. Mais ils savent que ceci n’est pas pour demain. Aussi, ils privilégient, comme la Rote Armee Fraction et les Brigades Rouges des années septante, l’escalade. La terreur qu’ils sèment doit amener les musulmans modérés à se ranger à leur côté. Ensuite, il sera temps pour la grande ‘guerre des civilisations’, d’où sortira vainqueur l’islam. » Ne nous faisons pas d’illusions, disent les experts en sécurité : le pire doit encore venir. Il n’y a plus un seul endroit sur terre qui soit sûr.



Georges Timmermans  








Em mémoire de Georges Timmermans, "ni mouton, ni berger", décédé peu après l'envoi de ce texte.







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