Les Etats-Unis sont-ils unilatéralistes, ou une telle vision montre-elle l'absence d'une alternative réaliste ?
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31 mai 2004
epuis plusieurs années, il y a une tendance à analyser la politique américaine à travers l’unilatéralisme. Mais est-ce vraiment le cas, ou cela ne traduit-il qu'une façon simpliste et réductionniste de s’opposer aux Etats-Unis ? Est-ce que l'absence d'une alternative solide et réaliste n'explique pas une telle perspective ?
En effet, l'une des caractéristiques notable du discours « transatlantique » dans son acceptation large est sa « sur-simplification ». Cette tendance n'est toutefois que le reflet de la crispation des relations qui, quel que soit le domaine considéré, favorise en définitive les positions les moins nuancées. Une analyse plus approfondie nous apprend pourtant que les faits sont bien plus complexes. Illustrons nos propos à travers quelques exemples.
«... Cessons d'utiliser l'argument de l'unilatéralisme : non seulement il ne résiste pas à l'analyse, mais plus encore il n'apporte aucune solution aux questions internationales. »
Commençons par le plus contesté, à savoir le traité de Kyoto. Nous accusons à juste titre les Etats-Unis de ne pas s'être engagés dans le processus de Kyoto et d'avoir agi de façon unilatérale en ne signant pas le protocole. Très bien. Mais revenons un instant sur la position de l'Union européenne. Celle-ci nous répète à envi avoir signé et ratifié Kyoto : il est une chose de signer et de ratifier un traité ; il en est une autre de le respecter. La majorité des scientifiques de l'environnement sont unanimes pour accuser l'Union européenne de duplicité, car faute d'une politique réellement volontariste l'Union ne parviendra nullement à respecter ses engagements.
Aussi, si nous accusons à juste titre les Etats-Unis de cynisme, sur la question de l’environnement, il ne faudrait pas oublier d’accuser l’Union européenne d’hypocrisie notoire. La Belgique à, en l’occurrence, signé le protocole en 1997 et s’engageait à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 7,5% d’ici 2012, en 2003 nous étions à 6,5%... d’augmentation. Au regard, en outre, du droit international, point sur lequel certains pays de l’Union européenne attachent tellement d’importance, l’Union européenne se trouve dans une situation bien plus délicate que Washington puisque cette dernière n’est pas signataire du traité.
Les alternatives de
riposte pour l'État
Cela dit, Kyoto n’envisage aucune sanction dans le cas de non-respect du traité. Kyoto nous rappelle étrangement le cas de la Cour pénale internationale. Les Américains n’en ont pas ratifié le traité fondateur et cela, nous en convenons, est fort regrettable, mais sont-ils les seuls ? Des pays aussi importants que la Russie, la Chine et l’Inde, qui représentent près de deux tiers de la planète, ont fait de même. Pouvons-nous donc encore parler d’unilatéralisme « proprement » américain ?
L’opération Enduring Freedom en Afghanistan du 7 octobre 2001 forme un troisième exemple très intéressant. En s’appuyant sur le droit international, l’article 51 de la charte des Nations Unies ainsi que la résolution 1367 donnaient aux Etats-Unis un droit de riposte légitime. Aussi, bien que militairement les Américains sont intervenus de façon quasi unilatérale (à l’exception de la présence de forces spéciales de nombreux pays), le soutien politique à l’égard de l’intervention américaine était considérable. Aujourd’hui, il y a une tendance à attribuer aux Etats-Unis le manque d’évolution sur le terrain. Toutefois, la contribution effective de l’Union européenne à travers l’OTAN reste marginale. Le manque de moyens militaires au regard d’une politique étrangère pourtant ambitieuse ne peut justifier la propension à masquer un manque de remise en question sous le vernis d’une critique opportune de l’unilatéralisme américain. Soyons francs, il y a tout simplement un manque de volonté politique, ainsi que de moyens au sein de l’Union européenne.
Venons-en à la question de l’intervention américaine en Irak. Sans en revenir sur la question de la légitimité ou de la légalité de celle-ci, n’ayons pas la mémoire courte ou sélective. D’autres interventions d’envergure ont été organisées sans l’aval des Nations Unies (souvenons-nous du Kosovo). Qui plus est, on ne peut dire que l’intervention américaine ait été unilatérale : une cinquantaine de pays ayant soutenu implicitement ou explicitement l’intervention Iraqi Freedom, dont notamment la majorité des pays de l’Union européenne, élargie à 25. Il faut y ajouter un nombre non négligeable des pays arabes, ainsi que des Etats comme la Corée du Sud, l’Australie et le Japon. En outre, si quelques pays semblent avoir protesté contre l’attitude américaine, leurs positions sont demeurées purement déclaratoires.
En définitive ce n’est pas parce que l’Europe ou d’autres entités ne sont pas nécessairement en phase avec la politique menée par les Etats-Unis, que celle-ci est synonyme d’unilatéralisme. Les relations internationales sont évidemment bien plus complexes. Et il arrive, comme l’exemple de la Libye le démontre, qu’une négociation trilatérale et secrète aboutisse à des résultats bien plus probants que dans des forums dits multilatéraux. A l'égard de l’Iran également, ce sont les Etats-Unis qui ont apporté le bâton, la France, l’Allemagne et l’Angleterre ayant la fourni la carotte. Aussi, si nous voulons critiquer constructivement la politique suivie par les Etats-Unis, cessons d’utiliser l’argument de l’unilatéralisme : non seulement il ne résiste pas à l’analyse, mais plus encore il n’apporte aucune solution aux questions internationales. Les accusations d’unilatéralisme envers les Etats-Unis reflètent trop souvent une incapacité de proposer une alternative solide et réaliste.
Tanguy Struye de Swielande et Raphaël Mathieu
Membres du RMES
Tanguy Struye de Swielande est l'auteur de La politique étrangère américaine après la guerre froide et les défis asymétriques, LLN, Ciaco, 2003